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Hiver2006 - Vol.08. No. 01

Les étudiants en STAPS face à leurs employeurs - Etude comparée des représentations portées sur la filière STAPS par des étudiants en STAPS et leurs employeurs potentiels.(Sciences et techniques des activités physiques et sportives)

Emilie Giret
Docteur en STAPS de l’Université Paris XI d’une thèse intitulée: "Les effets de la massification de la filière STAPS sur le recrutement des étudiants, sur leur réussite universitaire et sur leur devenir professionnel. Suivi sociologique de quatre cohortes d’étudiants de 1986 à 2000" soutenue en février 2004 Post-doctorante au laboratoire du CETSAH de l’Ecole des hautes études en sciences sociales pour une recherche portant la vie en milieu isolé et confiné sur l’île de Kerguelen, archipel appartenant aux Terres australes antarctiques françaises. Unité de recherches sur les cultures sportives Centre de recherche en sciences du sport UPRES EA 1609 Division STAPS, Bâtiment 335 Université Paris XI ORSAY F-91405 Orsay Cedex Thierry Michot
Docteur en STAPS de l’Université Paris XI d’une thèse intitulée: "Contribution à la compréhension et à l’analyse des pratiques nautiques sur le Bassin d’Arcachon." soutenue en novembre 1998. Maître de conférences à l’UFR Sport et Education de Brest depuis 1999, membre du RUNOPES (Réseau universitaire d’observation et de prospective de l’emploi sportif), Thierry Michot a travaillé sur la réussite des études en STAPS et a écrit en 2001 un ouvrage intitulé: "Une méthode pour réussir ses études en STAPS !" chez Vuibert. Equipe ASAP: Attitudes, stratégies, apprentissages, performances UFR Sport et EP – Université de Bretagne Occidentale 20 avenue le Gorgeu, C.S. 93837 29238 Brest Cedex 3 Esprit critique > Hiver 2006

 

 

Résumé

 

Dans cette recherche, nous avons comparé les aspirations et les représentations d’une population d’étudiants en deuxième année de DEUG STAPS, à celles de professionnels du milieu sportif, à propos du degré de professionnalisation de formation de la filière STAPS. Le contexte structurel en STAPS ayant changé depuis plusieurs années, la nature de la population étudiante a été modifiée: elle s’est accrue et diversifiée. Procédant de ce constat, notre questionnement est le suivant: la nouvelle dispersion des origines sociales et scolaires des étudiants, affecte-t-elle leurs représentations et leurs aspirations relatives à leur devenir professionnel? Nous avons travaillé avec 60 étudiants de licence. Chacun a interviewé, en fonction de son projet professionnel, un professionnel du milieu sportif qu’il estimait être un employeur potentiel. La synthèse des résultats montre chez les étudiants et les professionnels, que le professorat d’EPS est considéré comme le débouché "naturel" de la filière. L’examen des hypothèses formulées par les étudiants et celui de l’échantillon des professionnels qu’ils ont sélectionnés révèle qu’il existe chez les premiers une "culture de déclassement", alors que les professionnels ont une image très positive de la filière.

 

Mots clefs

 

Filière STAPS, Etudiants STAPS, Projets professionnels, Représentations sociales, employeurs potentiels.

 

Summary

 

Mirror, my fair mirror : STAPS Students facing theirs employers.

Compared study of professionnal representations about the STAPS channel between STAPS students’ and potential employers’ identified by the students

 

In this study, we have compared the aspirations and professionnal representations about the staps channel of a students group in licence of university, to professionnals’ involved in the sport business. The structural context of the STAPS channel has been changed for the last ten years. The students’ population has been modified. She has increased and has been diversified. From this observation our question is: does the new social and schoolish students’ scattering modify their professionnal representations and aspirations? We have worked on a licence 60 students group. Each of them has interviewed one professionnal person involved in the sport business whom he supposed to be a potential employer. The synthesis of the results show that among the students and the professional people interviewed, the teaching profession remains the normal and natural opening of the STAPS channel. The examination of the hypothesis made by the the students and of their panel of the professionnals they chose, show a self-downgrading tendancy among the students opposed to the fairly good opinion the professionnals have on the STAPS channel.

 

Key words

 

STAPS channel, STAPS Students, Employment project, professionnal representations.

 

 

1  Préambule : histoire des STAPS à l’Université

 

La filière STAPS est une filière universitaire récente, descendante directe des instituts de formation des professeurs de gymnastique. Son "universitarisation" (Michon, 1995) commence en 1969 avec l’apparition des UEREPS (Unités d’enseignement et de recherches en EPS) à l’Université. Cependant les UEREPS ne permettent pas d’affirmer une totale appartenance ni indépendance universitaire. Jusqu’en 1981, elles dépendent de deux ministères: celui de la Jeunesse et des Sports pour les enseignants, et du ministère de l’Education nationale pour les frais de fonctionnement. Les UEREPS sont ainsi en co-direction: "les présidents sont des professeurs de médecine qui apportent une garantie universitaire et les directeurs, souvent des professeurs d’EPS (éducation physique et sportive), qui sont nommés par le ministère de la Jeunesse et des Sports." (Seners, 1999, 272). Pour Michon (1995, 205) "la présence, voire la nécessité, d’un tel président peut apparaître comme la caution universitaire à un cursus de formation trop récemment promu pour présenter les garanties nécessaires." On ne fait pas encore totalement confiance à la discipline, ce parrainage paraît nécessaire, pour d’une part lui permettre d’accéder au statut de formation dans l’Université, et d’autre part pour éviter la dévalorisation de la filière par le fait qu’elle enseigne des pratiques corporelles alors que l’université se proclame un lieu de science, où les mots sont plus sollicités que les corps (Michon, 1983).

 

"L’universitarisation" se confirme avec la mise en place du premier cycle universitaire: le DEUG (Diplôme d’études universitaires générales) STAPS est créé en 1975 ; avant cela, les UEREPS ne délivraient pas de diplômes universitaires. En 1979, la licence STAPS est créée, ce qui entraîne des modifications du CAPEPS (Certificat d’aptitude au professorat d’éducation physique et sportive) qui va s’aligner sur celui des autres disciplines. En 1981, à l’initiative de la gauche au pouvoir, l’EPS placée sous la tutelle du ministère de l’Education nationale, devient une discipline comme une autre à l’école ou à l’université: "Dans la conjoncture sociopolitique des années 1981 et 1982, la section STAPS (74ème) est créée au sein du Conseil supérieur des Universités rendant ainsi possible l’existence d’un corps d’universitaires dans cette discipline. Un troisième cycle en STAPS se met en place, l’agrégation EPS voit le jour, …", ce qui termine d’après Michon (1995, 206) le processus "d’universitarisation" engagé en 1969.

 

En effet, la loi Savary (1984) sur l’enseignement supérieur, est à l’origine des transformations des UER (Unités d’enseignement et de recherche) en UFR (Unités de formation et de recherche) et de la création de la section STAPS au Conseil supérieur des universités, ce qui engendre la nouvelle appellation UFR STAPS. La dénomination STAPS apparaît pour la première fois dans la Note d’information du ministère de l’Education nationale (83-07), publication annuelle sur les effectifs de la population universitaire en France, pour l’année universitaire 1982-1983.

 

Ces UFR constituent désormais une filière universitaire "classique" avec tous les niveaux de diplômes afférents: DEUG, Licence, Maîtrise, DEA (Diplôme d’études approfondies), DESS (Diplôme d’études supérieures spécialisées), Doctorat. La formation au professorat d’EPS n’est plus le seul objectif de la formation, celle-ci s’opère, comme pour les autres disciplines, à l’IUFM (Institut universitaire pour la formation des maîtres), après l’obtention d’une licence. Mais nous allons voir que le professorat d’EPS est resté le principal débouché idéologique des STAPS, tant pour ses étudiants que pour les professionnels du milieu sportif.

 

Pour leur intégration universitaire, décidée par le Politique, les STAPS ont eu besoin du parrainage et de la garantie de sciences reconnues comme légitimes dans le milieu de la Recherche et à l’Université. Si aujourd’hui, la légitimité universitaire de la filière STAPS est acquise, elle est régulièrement remise en question (manifestations des étudiants STAPS au début de l’année 2004 plaidant le maintien de leur filière à l’université). Ce problème latent de reconnaissance universitaire induit un sentiment d’infériorité chez les enseignants d’EPS et de STAPS, qu’ils transmettent implicitement ou non à leurs élèves et à leurs étudiants.

 

2  Introduction : cadre théorique et problématique

 

Dans cette recherche, nous avons étudié en parallèle les représentations sur la filière STAPS d’une population d’étudiants en DEUG 2 STAPS, avec les représentations sociales de professionnels du milieu sportif, choisis par ces étudiants. Durkheim (1898) insiste sur le rôle des interactions individuelles dans l’émergence de la conscience collective. En effet, les représentations collectives sont engendrées par les actions et réactions échangées entre les consciences particulières dont est faite la société. D’après Jodelet (1994), une représentation peut être définie comme un savoir commun à un groupe: "une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social et culturel". Les deux groupes auxquels nous nous intéressons sont interdépendants sur le marché du travail sportif et nous comparons leurs représentations sur un même objet social (la filière STAPS). Moscovici (1961) précise que les représentations ont également une fonction évaluative: une représentation propose un jugement, une appréciation ; elle implique une prise de position. En fonction du groupe d’appartenance des sujets et de leur place sur le marché du travail sportif, nous recueillons des jugements variés sur la filière STAPS et nous analysons comment se structurent les représentations des professionnels. Par ailleurs, Moscovici (1961) explique que le propre des représentations est d’être relativement stables sur une période donnée et d’appartenir à tout un groupe. Dans leur élaboration, les représentations sociales sont bâties autour d’un noyau central (certains auteurs parlent de "schémas cognitifs de base" ou de "système central") autour duquel s’agrègent des éléments périphériques. Le noyau central est considéré comme "la clef de voûte" et la composante stable de la représentation. Selon la finalité de l’action et la nature de l’objet, il peut avoir deux dimensions: une dimension "normative" et une dimension "fonctionnelle". La première rendrait compte des prises de positions des sujets au regard de l’objet de représentation et la deuxième trouverait sa fonction en organisant les pratiques relatives à l’objet. Ainsi, les éléments normatifs du noyau central devraient orienter les étudiants pour choisir l’employeur à interviewer et donner du sens à leur choix. Les éléments périphériques sont considérés comme "associés aux caractéristiques individuelles et au contexte immédiat. Ce système périphérique permet une adaptation, une différenciation en fonction du vécu, une intégration des expériences quotidiennes" (Abric, 1994, 28).

 

On sait combien le contexte structurel en STAPS a changé ces dernières années: la filière STAPS a subi une explosion démographique au milieu des années 90. Cette mutation est due à l’effet combiné de la massification de l’enseignement et de la suppression du concours d’entrée. La nature de la population STAPS s’est trouvée sensiblement modifiée: elle s’est accrue et diversifiée. A la moitié des années 90, dans le cadre du plan "Université 2000" de L. Jospin et C. Allègre, les universités françaises se redéploient sur le territoire français, ce qui favorise l’ouverture d’UFR STAPS. En 1990, moins d’une vingtaine d’universités proposait la filière STAPS alors qu’aujourd’hui elle est présente dans 44 universités (chiffres repris des publications des CIO (Centre d’Information et d’Orientation [1])). "En 1990, les effectifs inscrits en STAPS représentent 1% de la population universitaire en France, toutes académies confondues. Dix ans plus tard en 2000, cette proportion est passée à 3, 2%" (« Les STAPS », Note d’information (01-39) publiée en août 2001).

 

En plus de 20 ans, de 1980 à 2004, les effectifs y ont été multipliés par 6, 5 [2] et aujourd’hui la filière STAPS compte 48 500 étudiants soit presque qu’autant qu’en AES (Administration, économie et gestion) [3] et son poids universitaire s’est accru d’année en année. Parallèlement ces transformations quantitatives ont été accompagnées de transformations qualitatives. Dans un premier temps il s’est agi de transformations qualitatives au niveau des effectifs, le recrutement social des étudiants s’est sensiblement modifié, la filière accueillant davantage d’étudiants issus de filières secondaires techniques et de milieux sociaux populaires, et la part des femmes diminuant de 25%. (Giret et al., à paraître).

 

 

 

 

 

 

Tableau récapitulatif de l’évolution qualitative
des étudiants inscrits dans la filière STAPS (en %)

 

 

1979-1980

1986-1986

1994-1995

1995-1996

1996-1997

2000-2001

2001-2002

2003-2004

Effectif STAPS (absolu)

7420

9502

15637

20160

27192

45165

44759

48500

Femmes

N.C.

45

39

36

34

32

32

31

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Parents cadres

N.C.

56

36

35,5

33,5

31

N.C.

N.C.

Parents professions intermédiaires

N.C.

7,5

26

24

25

21,5

N.C.

N.C.

Parents employés

N.C.

8

12,5

13,5

15

16

N.C.

N.C.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bacs généraux

N.C.

N.C.

81*

81

80

79

73***

N.C.

Bacs techniques

N.C.

N.C.

14**

14

16

17

22****

N.C.

 

Sources : données relatives aux étudiants inscrits dans la filière STAPS pour les années universitaires correspondantes, données issues du ministère de l’Education nationale (MEN), publiées dans des notes d’informations ou dans repères et références statistiques.

N.C. : données non connues, soit parce que le MEN ne les recensait pas (1979-1986), soit parce que le MEN ne les différencie pas des données relatives à l’ensemble des étudiants inscrits dans les filières scientifiques françaises (2001-2004).

* : dont 65% de bacheliers scientifiques          *** : dont 64% de bacheliers scientifiques

** : dont 68% de bacheliers G (gestion)          **** : dont 64% de bacheliers STT (gestion)

 

Dans un deuxième temps, il s’agit de transformations qualitatives au niveau de l’organisation de la filière. L’explosion des effectifs ne s’accompagnant pas de la même augmentation de nombre de postes alloués au CAPEPS [4], la filière STAPS a été amenée à réfléchir à l’orientation professionnelle de ses étudiants et à diversifier ses contenus d’enseignements, pour conquérir de nouveaux secteurs professionnels. La filière STAPS a ainsi diversifié ses mentions au niveau de la licence à partir du début des années 90. Cinq licences différentes accompagnées de leur maîtrise, "activité physique adaptée (APA)", "management du sport", "entraînement sport", "éducation et motricité" et "ergonomie du sport et performance motrice" ont vu le jour, afin de correspondre aux nouveaux secteurs d’activités professionnelles identifiés par les enseignants en STAPS.

 

Notre questionnement sera le suivant: la nouvelle dispersion des origines sociales et scolaires des étudiants et la modification de l’offre de formation en STAPS, influencent-elles les représentations et les aspirations relatives aux devenirs professionnels des étudiants?

 

Pour ce travail, nous avons posé comme hypothèse, que malgré la dispersion culturelle de l’origine de ces nouveaux venus en STAPS, malgré l’accroissement des contacts et des échanges entre la population STAPS et celle des étudiants des autres filières universitaires (éléments périphériques fonctionnels) et malgré la pénétration d’anciens diplômés des STAPS dans plusieurs secteurs professionnels, il existe un sentiment (normatif) de déclassement qui limite l’horizon professionnel et le polarise vers le professorat d’EPS.

 

3  Méthode de recherche

 

Dans un premier temps, nous avons ciblé un échantillon d’étudiants en STAPS, précisément une promotion de 60 étudiants inscrits en 2002/2003 en DEUG 2 STAPS [5]. En deuxième année, les étudiants ne sont plus nouveaux dans la filière. Depuis au minimum un an ils appartiennent à l’institution, ils côtoient des enseignants et d’autres étudiants en STAPS, ils ont donc une connaissance de l’intérieur de la filière.

 

De plus, la licence est pour tous le moment du choix de l’orientation professionnelle. Nous avons travaillé avec eux en séances de TD, en début d’année universitaire: chaque étudiant devait se présenter devant son groupe en décrivant son expérience en DEUG, exprimer ce qu’il pensait de la filière, de son organisation et de son fonctionnement ; il devait enfin expliquer son projet professionnel (l’étudiant était guidé par un questionnaire à questions ouvertes). L’étudiant devait remettre son guide de présentation écrit à l’enseignant. Nous avons analysé leur travail de manière qualitative en interprétant les thèmes récurrents des réponses. L’interprétation est nécessaire à la compréhension puisqu’il "existe en l’homme un double niveau du patent et de latent ; que ce dernier, de loin le plus important, le plus dynamique demeure insoupçonné et qu’il faut le porter à la lumière" (Sansot et Leroux, 1985, p42). Dans cette présentation, nous nous intéressons uniquement à l’interprétation de leur projet professionnel.

 

Dans un deuxième temps, nous avons travaillé avec notre deuxième groupe: les professionnels du milieu sportif, pour évaluer l’image des STAPS sur le marché du travail [6]. Si aujourd’hui, dans les pays développés, le poids économique du sport se situe entre 0,5% et 2% de l’économie nationale (Wladimir et Nys, 1996), et que les secteurs d’activité économique du sport sont régulièrement qualifiés de porteurs en terme d’emploi, pour autant les travaux de recherche sur l’emploi sportif sont rares et très récents. Leur première préoccupation fut de définir le champ de l’emploi sportif et ses secteurs d’activité (Camy et Le Roux, 2002). Les auteurs distinguent deux types d’activités pour répertorier les activités liées au sport. L’activité économique du "secteur sport" qui regroupe les activités en relation directe avec la pratique sportive (encadrement et gestion de la pratique), et, les activités en "amont" (construction d’équipement, fabrication et distribution d’articles de sport…) et en "aval" (médecine sportive, journalismes sportif…) de cette première, qui sont les activités en relation avec le sport, appelée "filière sport". Nos étudiants devaient réaliser une interview, en fonction de leur projet professionnel, avec un professionnel pressenti en tant qu’employeur potentiel. Ce professionnel pouvait appartenir aussi bien au "secteur sport" qu’à la "filière sport". En TD (Travaux dirigés), nous avons élaboré un guide d’entretien commun afin de pouvoir rassembler et comparer les résultats des entretiens semi-directifs. Lors de séances de travail collectives, nous avons travaillé avec les étudiants l’art de l’entretien et la manière de poser les questions afin qu’elles paraissent les plus ouvertes possibles et que les informations verbales délivrées par les professionnels soient structurées par eux-mêmes et non par les étudiants (Simonot, 1979).

 

Cette méthode est originale dans le sens où les étudiants avaient un double rôle d’objets et d’acteurs de recherche, ce qui a produit un fort investissement de leur part dans ce travail. Par ailleurs, ce travail avait pour eux une rentabilité "sociale" immédiate: ils pouvaient rencontrer un futur employeur et prendre contact avec le milieu professionnel rêvé ou espéré.

 

 

 

 

4  Résultats

 

4.1. Le professorat d’EPS reste considéré comme le débouché "naturel" de la filière tant chez les étudiants que chez les professionnels

 

90% des étudiants ont un souhait professionnel qui, à 70% reste le professorat d’EPS. Les autres veulent "travailler dans le Management du sport" ou être "organisateurs d’événements sportifs". Ces projets sont chargés de rêves prometteurs, mais leur énumération et leur définition restent vagues et floues. Ces étudiants se plaignent de ne pas être assez informés sur les débouchés autres que le professorat d’EPS, ils trouvent également que leur formation en DEUG est en grande partie tournée vers l’enseignement, et ils disent eux-mêmes qu’ils souhaitent devenir professeur d’EPS "ne sachant pas quoi faire d’autre": par défaut.

 

Parmi les professionnels interviewés, 91% pensent que la filière STAPS mène au professorat d’EPS et 28% ne connaissent que ce débouché. Les autres citent un panel de débouchés assez étendu, commençant par les professions en relation avec l’enseignement et la pédagogie (éducateur sportif, animateur…) mais aussi les professions en relation avec l’administration, l’encadrement et l’organisation du sport (organisateur d’événement sportif, dirigeant de club…).

 

Même si pour les professionnels du sport, le professorat d’EPS reste l’incontournable débouché, ils connaissent assez bien un ensemble d’autres débouchés, et, à la limite mieux que les étudiants STAPS eux-mêmes.

 

Que ce soit pour les étudiants ou pour les professionnels interviewés, le principal débouché cité reste le professorat d’EPS.

 

Le noyau dur de la représentation sociale de la filière STAPS est le professorat d’EPS. Nous vérifions ici la stabilité d’une représentation (Moscovici, 1961): depuis le début des années 90 le professorat n’est plus le principal débouché de la filière mais 10 ans après il reste le débouché symbolique.

 

4.2. L’imprégnation d’une "culture" de déclassement chez les étudiants

 

Lorsque nous écoutons les étudiants s’exprimer sur leur filière, il apparaît à travers leurs formulations un sentiment de "déclassement" ou un complexe d’infériorité: "les gens pensent qu’on est des touristes! qu’on fait que du sport, que nos études sont faciles…un professionnel du Management du sport préférera prendre quelqu’un qui sort d’une école de commerce ou d’un BTS qu’un STAPS…" En résumé, la plupart de ces étudiants pensent que "les gens" ont une mauvaise image d’eux et de la filière STAPS.

 

En comptabilisant les hypothèses formulées par les étudiants, elles sont à plus de 65% négatives. Les étudiants pensent que: "La filière STAPS est peu connue des professionnels: au niveau des matières enseignées ou des débouchés." et qu’ils auraient "une mauvaise image auprès des futurs employeurs", car les professionnels auraient "des préjugés négatifs sur la filière et sur les étudiants." Les étudiants ajoutent encore: "Les professionnels pensent que:

·        Les étudiants STAPS ne sont pas sérieux à la fois pendant leurs études et dans leur emploi.

·        Il n’y a que du sport enseigné dans la filière STAPS, les matières théoriques passant au second plan ou n’étant même pas connues.

·        Les étudiants choisissent cette filière par défaut ou pour "glander".

·        Il y a trop d’étudiants dans cette filière.

·        Les professionnels préfèrent embaucher une personne diplômée d’un Brevet d’Etat plutôt qu’un diplômé en STAPS." etc.

 

Les étudiants sont persuadés que les professionnels méconnaissent leur filière, qu’ils la voient comme une "sous-filière universitaire" non professionnalisante. Les étudiants craignent et pensent être assimilés à l’adage populaire "les sportifs ont tout dans les muscles et rien dans la tête" bien qu’ils évoluent dans le système éducatif français depuis plus de quinze ans, et qu’ils ont pratiqué l’EPS pendant tout leur cursus….

 

Ces assertions sont d’autant plus étonnantes que les étudiants se sont inscrits librement dans une filière universitaire (très typée) dont ils sont persuadés qu’elle ne les mènera nulle part hormis au professorat d’EPS, que certains envisagent par défaut! Mais nous ne pouvons interpréter ici totalement la posture, à priori, paradoxale de ces étudiants. Ce sentiment de déclassement apparaît non seulement dans leurs hypothèses mais également dans leurs choix des professionnels qu’ils interviewent.

 

Pour réaliser leur entretien, les étudiants étaient libres de choisir un employeur en fonction de leur projet professionnel [7], le seul critère étant: une personne qu’ils estimaient être un employeur potentiel d’étudiants en STAPS.

 

Les étudiants se sont orientés vers les domaines d’activités les plus connus et les plus classiques. 35% ont interviewé un président ou dirigeant de club sportif, 28% ont interviewé des responsables de service des sports de mairie, enfin très peu ont osé sortir du domaine de l’enseignement. Seuls 15% ont interviewé des directeurs de magasin de sport ou des gérants de salle de remise en forme. Aucun n’a osé aller à la rencontre ou n’a trouvé un professionnel travaillant dans l’événementiel sportif, dans le marketing sportif, dans le management sportif ou un agent de joueur. Les étudiants n’ont pas été rencontrer les professionnels qui les font rêver [8], ils se sont contentés d’aller à la rencontre des professionnels pouvant les embaucher en tant qu’éducateur ou entraîneur, des emplois de substitution au professorat d’EPS… des emplois qu’ils n’ont presque pas cités dans leur projet professionnel. Trois interprétations peuvent expliquer ces choix: la première fait appel à la théorie du "moindre effort", certains étudiants, contraints de réaliser un entretien, vont au plus près de chez eux, ou au plus facile avec la certitude de ne pas essuyer de refus. Ils interrogent par exemple le directeur du club dans lequel ils s’entraînent, quand bien même ils ne se destinent ni ne s’imaginent travailler en club sportif. La deuxième interprétation peut être due au flou de leur projet professionnel. Ils aimeraient être agent de joueur ou responsable événementiel, mais ils ne savent absolument pas comment on peut y parvenir et quelles personnes pourraient les renseigner, alors ils se retournent vers des emplois plus classiques ou plus connus. La troisième interprétation identifierait un comportement d’auto-limitation, fondé sur l’analyse de leurs hypothèses: les étudiants sont tellement persuadés que les "gens" ou les professionnels ont une mauvaise image d’eux et de leur filière, qu’ils pensent que certains professionnels préfèreront toujours embaucher quelqu’un d’autre, plutôt qu’un diplômé en STAPS (un Brevet d’Etat plutôt qu’un diplômé en STAPS, etc.), alors ils ne veulent pas aller les interviewer pour se l’entendre dire et préfèrent choisir des professionnels qui d’après eux seront moins exigeants et donc plus positifs envers les étudiants STAPS et leur filière.

 

4.3. Une image très positive de la filière STAPS chez les professionnels

 

Parmi les professionnels interviewés, 88% ont déjà entendu parler des STAPS, ils savent au minimum que c’est une formation en rapport avec le sport, en revanche seulement 46% connaissent la signification de l’acronyme STAPS.

 

La connaissance de la filière semble assez bonne puisque presque la moitié des professionnels interviewés (42%) connaissent l’essentiel des enseignements de la filière STAPS: ils savent qu’en plus d’une pratique sportive soutenue, il y a de l’anatomie, de la physiologie, mais aussi de la psychologie, de l’histoire et, parfois, ils citent la sociologie. Seuls, 23% des employeurs potentiels ne connaissent absolument rien des enseignements théoriques en STAPS, et moins d’un quart pensent que les étudiants STAPS ne font que de sport.

 

Les préjugés négatifs des étudiants sur la méconnaissance de leur filière semblent donc plus sévères que la réalité…

 

L’image de la filière STAPS auprès des professionnels interviewés s’avère très positive: 86% des professionnels ont globalement une image positive des STAPS, de la formation STAPS (sérieuse, polyvalente, difficulté d’allier une pratique sportive intensive et des études intellectuelles poussées), des étudiants STAPS (dynamiques, volontaires, entreprenants, ayant un esprit d’équipe). Les autres, 14%, n’ont pas une image négative des STAPS, ils ne connaissent tout simplement pas la filière. Seulement 2 professionnels (sur 57) ont une image négative des études STAPS et de leurs étudiants.

 

4.3.1. Une image positive

 

La présidente d’un club de gymnastique explique: "l’intérêt d’embaucher des STAPS, c’est qu’ils vont apporter une dynamique dans un club, au niveau de l’organisation, de la cohésion de l’équipe…"

 

Le président du club d’athlétisme, salarié à IKEA, où beaucoup d’étudiants travaillent à temps partiels dont des étudiants STAPS, affirme: "Ça donne un dynamisme à l’entreprise parce que généralement quand vous embauchez des sportifs, ils ont beaucoup plus de rigueur, ils ont beaucoup plus le goût du travail, ils ont une certaine fierté dans la qualité du travail, dans le savoir-faire que n’ont pas d’autres personnes".

 

Ce président de club qui a suivi une formation commerciale et a déjà embauché des étudiants STAPS, trouve qu’ils sont complémentaires aux BEES (Brevet d’état d’éducateur sportif). Les seconds sont destinés à un public d’athlètes confirmés et les étudiants STAPS à entraîner des enfants dans une optique de loisir et de divertissement, car "pour lui", une des grandes qualités des STAPS "c’est leur capacité d’adaptation très rapide".

 

Cependant cet avis n’est pas univoque, pour la responsable de l’animation sportive d’une municipalité, (titulaire d’un BEES et qui a passé le concours d’éducateur territorial des APS)

 

 ayant déjà embauché des STAPS il sont de "Joyeux fêtards…Je pense qu’il y a un souci à l’heure actuelle au niveau de cette filière parce qu’il y a quelques années il y avait un contrôle d’accès, retiré parce qu’on a dit que c’était illégal. Malheureusement, le problème c’est qu’il y a énormément de jeunes qui entrent en STAPS en se disant: moi j’aime le sport. Et on ne fait pas que du sport en STAPS! "

 

Mais cette responsable est quand même satisfaite des étudiants STAPS qu’elle embauche.

 

Plus de la moitié des professionnels interviewés ont déjà embauché des STAPS et 86% seraient prêts à en embaucher s’ils en avaient les moyens (financiers, réglementaires, politiques…), ce qui est très positif pour la filière.

 

En ce qui concerne le choix entre un diplômé STAPS et une personne de formation différente (BEES, commercial…), seuls 32% des personnes interviewées préfèrent embaucher un BEES ou un diplômé d’une école de commerce, à un diplômé issu des STAPS.

 

4.3.2. Les qualités d’un étudiant STAPS par rapport à un BEES ou un autre diplômé

 

Ils sont plus polyvalents:

 

La directrice de l’école des sports d’une municipalité, ayant une licence STAPS répond: "Oui, je prends des STAPS, je les recherche pour l’école de sport... Il ne me faut pas des gens trop spécifiques, il ne me faut pas des brevets d’Etat. Je préfère prendre des STAPS, d’une part parce que ça leur fait une expérience sur le terrain et d’autre part parce qu’ils sont plus polyvalents, et en général mieux formés pour assurer les différentes disciplines."

 

Ils ont de meilleures méthodes pédagogiques:

 

Le président d’un club de judo nous expose les qualités d’un étudiant STAPS par rapport à un BEES: "J’ai déjà travaillé avec des gens diplômés d’Etat mais qui n’étaient pas issus de la filière STAPS, et avec des STAPS, et bien dans la méthode pédagogique ça n’a rien à voir. Il y a une grosse différence, les STAPS tiennent beaucoup plus compte de l’enfant et de son développement."

 

Ils savent travailler en groupe ou en équipe:

 

Le directeur des équipements sportifs d’une municipalité, titulaire du diplôme d’éducateur territorial, répond à la question de savoir s’il préfèrerait embaucher un diplômé STAPS option Management du sport ou un autre diplômé en management: "A diplôme équivalent, ça va dépendre de leur façon de gérer l’entretien que l’on va leur faire passer. Sinon, il est vrai que le diplômé STAPS part avec des avantages, vu que sa formation a été effectuée avec le milieu sportif et que l’emploi est lié à celui–ci. Je pense, de la même façon, que ces étudiants STAPS ont une mentalité totalement différente des autres étudiants qui ont pu faire des études dans le management, qui n’ont pas forcément évolué au cœur du milieu sportif, en effet il est bien connu que le sport développe un bon nombre de qualités, notamment au niveau collectif et individuel, au sein d’un groupe ou d’une équipe."

 

Ils sont passionnés:

 

Un directeur d’un magasin Décathlon explique: "A Décathlon, on a pour habitude d’aimer les gens passionnés, je pense qu’un étudiant qui vient de STAPS est plus motivé, a plus de passions, de choses à partager qu’un étudiant qui a fait une école de commerce."

 

4.3.3. Alors, pourquoi embaucher un BEES plutôt qu’un STAPS?

 

Parce que certains professionnels ne connaissent pas les équivalences entre les diplômes STAPS et les diplômes du ministère de la Jeunesse et des Sports:

 

Le responsable du service des sports d’une municipalité répond: "Pour un poste sur le terrain, on privilégiera un diplômé d’Etat parce que pour organiser nos activités, la DDJS (Direction départementale de la jeunesse et des sports) nous demande d’avoir ceux-ci. Si le problème se posait maintenant, j’appellerais peut-être la DDJS pour en savoir plus et je me renseignerais avant de faire un choix sur la personne, je ne vais pas regarder que son diplôme, je vais voir aussi plein d’autres choses…"

 

Le responsable de l’encadrement sportif dans un centre de vacances en Corse, n’ayant aucune formation professionnelle, hormis un BNSSA (Brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique) répond à la question de savoir s’il préfèrerait embaucher un STAPS plutôt qu’un BEES: "Si j’avais le choix, je pense que je choisirais un Brevet d’Etat. Enfin pour être sûr de ses capacités, alors qu’un étudiant en STAPS, en fait, j’ai jamais eu vraiment beaucoup d’écho de cette filière donc euh…" Ce professionnel ne semble simplement pas connaître la filière STAPS.

 

Ou, parce que dans certains cas, la loi l’oblige:

 

L’entraîneur et dirigeant d’un club de judo embauche des STAPS, et possède lui-même une licence STAPS, mais nous explique pourquoi il préfère embaucher des BEES: "…au sein du club on favoriserait plutôt quelqu’un qui est diplômé d’Etat… qu’un étudiant en STAPS. Je pense que quelqu’un qui est en STAPS, qui est spécialiste judo et qui a fait 15 ans de judo est tout à fait apte à enseigner le judo en milieu associatif, même s’il n’est pas Brevet d’Etat. Cela dit au niveau des responsabilités il faut qu’il ait son Brevet d’Etat."

 

4.3.4. Certains professionnels ont d’autres critères de sélection

 

C’est le feeling à l’entretien qui compte:

 

La présidente d’un club de volley, formée en gestion, répond : "qu’il soit en STAPS ou qu’il soit BEES, c’est surtout de voir ses capacités, de savoir tout de suite si cette personne a des possibilités de progression et puis c’est aussi le feeling qu’on a avec la personne à l’entretien."

 

C’est la motivation et le sens des responsabilités qui importent:

 

La directrice d’un centre aéré, puéricultrice diplômée explique que lorsqu’elle embauche un animateur elle regarde essentiellement sa motivation et son sens des responsabilités, ce sont des critères qu’elle juge plus importants que la formation. Elle a déjà embauché des STAPS, non parce qu’ils venaient de cette filière, mais parce qu’ils lui paraissaient réellement responsables et motivés.

 

Dans certains cas, ce n’est ni la formation professionnelle, ni le feeling ou le dynamisme à l’entretien d’embauche qui comptent mais les relations personnelles:

 

Le kinésithérapeute du staff technique de LOSC (Lille), club de football professionnel, explique "pour intégrer une équipe-pro, c’est assez long, cela n’arrive pas du jour au lendemain", il explique à l’étudiant "vous disposez de tous les atouts, vous avez toutes les cartes en main. Mais il faudra suivre une formation plus poussée à la sortie du STAPS c’est certain. Et puis après c’est la chance et surtout les relations qui entrent en compte."

 

4.3.5. Pour la fonction publique, il faut repasser des concours pour être titulaire

 

Le responsable du service des sports d’une municipalité explique "ça ne me dérangerait pas d’embaucher des étudiants STAPS pour des vacations, simplement la politique sportive de la ville de B. fait qu’on embauche des éducateurs titulaires du concours des ETAPS (Educateurs territoriaux des activités physiques et sportives), sachant qu’il peut y avoir bien évidemment des gens qui viennent des STAPS qui ont passé ce concours. Il peut y avoir des gens qui viennent de la filière brevet d’Etat. Il peut y avoir des gens de la filière management, IUP métiers de la vie et du sport. Donc, il faut qu’ils aient ce concours d’ETAPS pour qu’on les embauche chez nous."

 

La réussite à ces concours crée des jalousies:

 

Un directeur des sports d’une municipalité, ayant un BEES comme formation et le grade d’éducateur territorial des APS (Activités physiques et sportives), obtenu grâce à l’ancienneté, explique que la filière STAPS "est trop facile d’accès" qu’"il y a beaucoup de déchets" et que "ceux qui échouent finissent éducateurs des activités physiques et sportives."

 

Quand on analyse les propos de ce directeur sur la filière STAPS, on sent qu’il éprouve une certaine jalousie à l’égard des étudiants de la filière STAPS, qui réussissent davantage le concours d’éducateur territorial des APS que les BEES "tu regardes le concours des APS, ceux qui le réussissent, les trois quarts sont STAPS."

 

Aveugle au paradoxe, ce directeur explique qu’avant, avec le concours d’entrée, tous les étudiants réussissaient à devenir professeur d’EPS. Maintenant, ceux qui n’y arrivent pas ("Les déchets") viennent passer les concours des collectivités territoriales et bloquent ainsi l’évolution de carrière des employés des collectivités territoriales.

 

L’intérêt de ces résultats n’est pas dans la justesse de ces appréciations mais ils permettent de porter un éclairage sur la construction de ces croyances. Nous pouvons ainsi dresser une typologie des croyances et des représentations. En effet, nous avons vu dans notre cadre théorique que le propre des représentations est (…) d’appartenir à tout un groupe (Moscovici, 1961).On constate qu’apparaissent ici :

·        Les croyances dans les vertus et les valeurs intrinsèques du sport (goût de l’effort, esprit d’équipe, etc.).

·        Les croyances dans les vertus des formations – soit en faveur de la filière STAPS (formations théoriques, polyvalentes, pluridisciplinaires) – soit en faveur de la filière du ministère des Sports (spécialisées, reconnues juridiquement, etc.).

·        Les croyances dans le pouvoir d’une formation à transmettre des valeurs (motivation, passion, sens des responsabilités…).

·        Les croyances dans l’intérêt d’embaucher des employés qui ressemblent à l’employeur (proximité sociale, ressemblance de trajectoires scolaires…) pour espérer des relations professionnelles plus rapidement efficaces et limiter les conflits et d’éventuelles concurrences.

 

Chaque professionnel a élaboré son image des STAPS en fonction de ces différentes croyances sur le sport, les filières de formation, ses intérêts d’employeurs, etc.

 

4.3.6. Les caractéristiques des professionnels qui ont déjà embauché des diplômés en STAPS

 

Quel secteur embauche des étudiants STAPS?

 

Lorsque nous analysons le secteur d’activité des professionnels ayant déjà embauché des diplômés STAPS, nous voyons que 70% de ces professionnels travaillent dans le secteur public pour 54% seulement des professionnels du secteur privé.

 

Si le secteur public semble embaucher davantage; au sein du secteur privé, ce sont les clubs et les associations sportives qui sont les employeurs les plus fréquents, on retrouve une nouvelle fois une sur représentation du domaine de l’enseignement et de la pédagogie.

 

Un ancien directeur des sports d’une municipalité, diplômé en STAPS, déclare que les collectivités locales viennent "piocher" des STAPS: "…ce sont des filières dans lesquelles les collectivités locales vont piocher énormément. De tous les directeurs des sports que je connais, allez, on va dire 70% des moins de 40 ans viennent de la filière STAPS."

 

Les caractéristiques signalétiques des employeurs réels:

 

Le sexe et l’âge des professionnels ne semblent pas influencer leur comportement vis-à-vis de l’embauche. La répartition des âges des employeurs réels est sensiblement la même que pour l’ensemble des personnes interviewées : ils se situent tous entre 30 et 50 ans, ce qui correspond à la fourchette d’âge dans laquelle on occupe les postes à pouvoir de décision. Quand on s’intéresse au niveau et au type d’études des employeurs réels, ils semblent plus diplômés que l’ensemble des personnes interviewées, 62% ont fait des études supérieures contre 56% pour l’échantillon total. Les professionnels qui embauchent le plus de STAPS, sont issus de filières sportives ou commerciales. Pour les caractéristiques sportives, ce sont les professionnels qui ont reçu une formation sportive qui embauchent le plus: 90% des employeurs issus de la filière STAPS embauchent des STAPS, 100% des anciens sportifs de haut niveau embauchent des STAPS et 75% des titulaires d’un BEES embauchent des STAPS. A l’inverse, seulement 47% des personnes sans aucune formation sportive embauchent des STAPS. On assiste là, à une sorte de parrainage ou d’esprit de cooptation de la part des anciens STAPS ou des sportifs.

 

Un sentiment de parrainage:

 

Le directeur d’un Décathlon explique: "Je ne vais forcément pas être objectif parce que j’en viens, aujourd’hui moi effectivement j’ai un avis très favorable sur quelqu’un qui vient du cursus STAPS. … j’en viens, donc je sais exactement ce que la personne a suivi comme formation et puis en tant qu’ancien étudiant, c’est vrai qu’on trouve ça sympa, … mais il s’avère que j’ai rarement été déçu."

 

Le mouton noir des STAPS, malgré lui:

 

La seule personne interviewée diplômée en STAPS qui n’a jamais embauché de diplômé en STAPS est le directeur de l’INF (Institut national de Football) à Clairefontaine, il explique que pour l’embauche "c’est la fédération qui décide ou la direction technique et ils prennent des gens confirmés" ; par contre, ils reçoivent des stagiaires qui observent les entraînements. Il embauche quand même des STAPS, mais à des postes de surveillants: "les seules personnes que l’on emploie et qu’on peut employer en dehors du monde fédéral ce sont les surveillants." Ils choisissent des STAPS parce que "ce sont des gens qui font du sport, qui savent ce que c’est que le sport et qui sont à même de mieux comprendre les états d’âme des jeunes qui sont là."

 

Leurs images des STAPS liées à l’appréciation des étudiants:

 

94% des professionnels ayant déjà embauché des STAPS ont une image positive de la filière, de ses débouchés et de ses étudiants. Seuls deux professionnels n’ont pas vraiment d’idée sur les STAPS, mais ils n’ont pas non plus une image négative des STAPS.

 

L’image des STAPS qu’ont les employeurs provient moins de la connaissance qu’ils ont de la filière STAPS (formation, débouchés…) que des étudiants STAPS qu’ils rencontrent. Quand les étudiants ont demandé aux employeurs ce qu’ils pensaient de la filière STAPS, ils répondaient presque systématiquement en parlant des étudiants et de leurs qualités relationnelles. Les employeurs appliquent à l’ensemble de la filière, l’image que renvoient les étudiants STAPS. Ce qui apparaît logique: on juge souvent un secteur par la qualité de ses produits…et les étudiants STAPS apparaissent comme les bons "produits" de la filière STAPS. Les étudiants STAPS sont perçus comme dynamiques: "c’est des gens qui ont l’habitude de la gestion des groupes, qui sont dynamiques, qui proposent plein d’activités, qui connaissent plein de choses, c’est vrai que c’est pas des gens introvertis, qui restent dans leur coin"(La responsable des ressources humaines d’une clinique psychiatrique), intéressants: "…le contact avec des étudiants STAPS me permet de me remettre à niveau et d’apprendre beaucoup de choses. … je n’ai qu’un vécu de Handball sans diplôme et je n’ai aucune honte à apprendre d’eux." (un président de club), avec de grandes qualités d’adaptation: "face à un public socialement défavorisé, ils savent tchatcher, être sociable, de temps en temps éducateur, de temps en temps sportif…"

 

5  Conclusion

 

Nous nous apercevons que les préjugés des étudiants STAPS n’étaient pas fondés et plutôt "paranoïaques". En effet, les professionnels du milieu sportif, qui seraient susceptibles d’embaucher des personnes issues de la filière STAPS, ont une opinion positive de la filière. D’ailleurs, plus de la moitié d’entre eux ont déjà embauché des personnes formées en STAPS et 86% seraient prêts à en embaucher d’autres s’ils en avaient les moyens.

 

Ils ont une connaissance assez approfondie de la formation STAPS: presque la moitié d’entre eux sont capables de citer l’ensemble des matières enseignées en STAPS. Quant aux débouchés de la filière, ils sont comme les étudiants, ils pensent spontanément au professorat d’EPS, après quoi ils en citent quelques autres tels: éducateurs sportifs ou entraîneurs. Leurs connaissances sur les débouchés ne sont pas plus mauvaises que celles des étudiants STAPS.

 

Lorsqu’on essaie de caractériser les employeurs réels par rapport à l’ensemble des personnes interviewées, on s’aperçoit que la tendance à embaucher des étudiants STAPS est liée davantage à la formation des employeurs qu’à leur connaissance approfondie de la filière.

 

La formation professionnelle des employeurs paraît déterminante. Les personnes interviewées qui ont eu une formation sportive sont 90% à avoir embauché des personnes issues de la filière STAPS, alors que les autres ne sont que 47%. On pourrait y voir un esprit de corporatisme propre aux personnes formées dans le milieu sportif, et un sentiment encore plus présent chez les STAPS qui se cooptent pour les postes.

 

En revanche, la connaissance approfondie de la filière STAPS, mis à part pour ceux qui en sont issus, n’est pas plus élevée chez ceux qui embauchent que chez les autres. Les professionnels interviewés ont une très bonne image des STAPS, malgré une connaissance superficielle de la filière. Ils jugent cette filière en fonction de l’image que les étudiants rencontrés leur renvoient. Comme ils trouvent les étudiants STAPS dynamiques, avec de grandes qualités relationnelles et d’adaptation, et pouvant favoriser de manière très positive un travail en équipe, ils ont alors une image positive de la filière STAPS.

 

C’est (aux étudiants) STAPS, que revient le rôle d’informer et de faire découvrir leur filière par un esprit d’initiative, en allant informer leurs futurs employeurs sur leur filière et sur les équivalences de leurs diplômes. En effet, si les professionnels ont une opinion très positive des STAPS, mieux informés, ils pourront accompagner leurs idées de faits et embaucher davantage de personnes issues de la filière STAPS.

 

La filière STAPS dans sa forme moderne nous apparaît hantée par de vieux démons: une culture de déclassement entretient chez les étudiants un doute à priori sur la valeur et la reconnaissance professionnelle des savoirs qu’ils acquièrent au cours de leur formation.

 

Le sur-investissement symbolique et professionnel du professorat apparaît alors, comme une survivance d’autant plus résistante que va croissante la difficulté arithmétique de réussir le concours du CAPEPS. Pourtant, nous pouvons penser que, dans un avenir proche, qui correspond à la durée nécessaire à une génération de diplômés, pour faire sa place dans le monde du travail, un feed-back positif viendra du secteur privé, qui confirmera la légitimité et la lisibilité d’une filière, qui n’est déjà plus uniquement professionnalisante. Pour autant à ce jour, cette filière n’est pas encore perçue comme définitivement universitaire parce "qu’en cours d’installation" dans la société et dans le vaste secteur privé du travail. A terme, on peut penser que le rapprochement des représentations des acteurs de la filière avec les attentes du monde du travail offrira aux STAPS une cohérence et légitimité qui lui manquent encore.

 

Références bibliographiques:

 

Abric, Jean-Claude. Pratiques sociales et représentations. Paris : Presses universitaires de France, 1994, 251 pages.

 

Durkheim, Emile. "Représentation et représentation collective", Revue de métaphysique et de morale, no.6, 1898, p.273-302.

 

Camy, Jean, Le Roux, Nathalie (dir.). L’emploi sportif en France: situation et tendances d’évolution. Etude réalisée par le RUNOPES pour le MEN (ministère de l’Education nationale). Géménos, Co-Edition AFRAPS-RUNOPES, 2002, 423 pages.

 

Giret, Emilie. Les effets de la massification de la filière STAPS sur le recrutement des étudiants, sur leur réussite universitaire et sur leur devenir professionnel. Suivi sociologique de quatre cohortes d’étudiants de 1986 à 2000. Thèse de doctorat non publiée, Université Paris XI, Orsay, 2004, tome I, 380 pages.

 

Giret, Emilie, Lefèvre, Brice et Michot, Thierry. (à paraître). "Les effets de la massification de la filière STAPS sur le recrutement des étudiants et sur leur réussite universitaire". Science et Motricité

 

Jodelet, Denise (dir.). Les représentations sociales. Paris : Presses universitaires de France, 1994, 447 pages.

 

Michon, Bernard. "Eléments pour une histoire sociale des enseignants en éducation physique et sportive". STAPS, no.8, 1983, p.12-28.

 

Michon, Bernard. "Esquisse d’une histoire sociale de la formation des enseignants en EPS". Education physique et sport en France 1920-1980. AFRAPS, 1995, p.199-211.

 

Moscovici, Serge. La psychanalyse, son image, son public. Paris : Presses universitaires de France, 1961, 651 pages.

 

Sansot, Pierre, Leroux, Henri. "La pensée interprétative". In M. Guillaume (Ed), L’état des sciences sociales en France, p. 39-42. Paris: La Découverte, 1985.

 

Seners, Patrick. "La formation des enseignants". In L’EPS, son histoire, sa genèse. Paris : Vigot, 1999, p.259-278.

 

Simonot, Michel. "Entretien non-directif, non-structuré: pour une validation méthodologique et une formalisation pédagogique". Bulletin de psychologie, no.343, tome 33 (fasc.1-3), 1979, p.155-164.

 

Wladimir, Andreff et Nys, Jean-François. Economie du sport. Paris : Presses universitaires de France, Que-sais-je?, 1996, 128 pages.

 

Ministère de l’Education nationale. « Les sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) ». Note d’information, Paris, août 2001, 6 pages.

 

Ministère de l’Education nationale. « Premières estimations de la rentrée 2003 dans l’enseignement supérieur ». Note d’information, Paris, décembre 2003, 4 pages.

 

Ministère de l’Education nationale (1984-2004). Repères et références statistiques. Paris, Edition 1984, 1985, 2003.

 

Notes:

 

[1]: Centre d’information et d’orientation (600 centres dépendant du ministère de l’Education nationale)

 

[2]: En 1979-1980 il y avait 7420 étudiants inscrits en STAPS, en 2003-2004 il y en a 48500. Ces chiffres viennent des repères et références statistiques et des notes d’information (publication de l’EN) des années concernées.

 

[3]: Filière universitaire en Administration, économie et gestion

 

[4]: Historiquement le professorat d’EPS est resté, jusqu’au début des années 90, le principal débouché professionnel de la filière STAPS. Mais le nombre de postes au CAPEPS n’ayant pas augmenté dans les mêmes proportions que celui du nombre des étudiants de la filière, le pourcentage de chance d’obtenir le CAPEPS a fortement diminué. 1979-80= 480 postes, en 2003 1330 postes. (X 2, 7). En 2004 = 780 postes (X 1, 6) les effectifs ont eux été multipliés par 6, 5. D’après les syndicats (SNEP, SNESUP), l’EN annoncerait 350 postes pour les années 2005 et 2006.

En 1991-92, 41% des présents aux concours du CAPEPS ont été admis alors qu’en 2002-2003, ce taux est tombé à 18%.

 

[5]: Etudiants en deuxième année de DEUG STAPS de l’université d’Evry Val d’Essonne

 

[6]: Nous avions délibérément écarté du choix la possibilité d’interviewer des professionnels de l’Education nationale car on ne peut pas les qualifier de potentiels employeurs. En effet, pour travailler comme professeur d’EPS à l’Education Nationale, il faut réussir le concours du CAPEPS.

 

[7]: Tous ceux qui souhaitaient devenir professeur d’EPS devaient trouver un second projet professionnel.

 

[8] : Les étudiants étaient placés en condition réelle de recherche d’emploi : sans soutien, ni recommandation de la part de l’enseignant.

 

Notice bibliographique

 

Giret, Emilie, Michot, Thierry. " Les étudiants en STAPS face à leurs employeurs - Etude comparée des représentations portées sur la filière STAPS par des étudiants en STAPS et leurs employeurs potentiels ", Esprit critique, Hiver 2006 - Vol.08, No.01, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr

 

 

 

 

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