ISSN: 1918-5901 (English) -- 1918-591X (Français)

 

2011: Volume 4, Issue 1, pp. 195-197

 

Un compte rendu de livre par

Isaac Nahon-Serfaty

Université d’Ottawa, Canada

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De la fraude: Le monde de l’onaa
Par Henri Atlan
Paris: Éditions du Seuil, 2010. 316 pp.
ISBN: 9782020967556.

Quelle serait la valeur de la “Vérité”? Cette valeur serait-elle absolue, et donc serait-il superflu de mettre ce “grand mot” entre guillemets? Est-ce qu’il y aurait une vérité absolue qui n’admettrait pas d’écarts, de “relativismes”? Henri Atlan, biologiste et philosophe, essaie de répondre à ces questions depuis une perspective hétérodoxe dans son ouvrage De la fraude: Le monde de l’onaa (Atlan, 2010). En faisant appel à un vieux concept talmudique (l’onaa), il entame une discussion à la fois philosophique et sociologique sur le problème du mensonge dans notre monde dominé par une propagande qui se déguise souvent en marketing et relations publiques.

Atlan nous introduit au concept de l’onaa en expliquant que, pour les rabbins du Talmud, il existe une claire parenté entre la fraude dans le commerce, dans les mesures et dans les transactions financières, d’une part, et la blessure verbale infligée par des paroles, voire par le mensonge, d’autre part. Quel est l’écart acceptable dans le commerce, dans les transactions financières? Quand y a-t-il fraude? La réponse rabbinique à cette question est que le seuil à partir duquel il y aurait des conséquences concrètes (dédommagement de la personne “blessée”, par exemple) est “le sixième” de la quantité (du prix, du poids, de la mesure). Pourquoi un sixième? L’auteur propose une interprétation kabbaliste axée sur la tradition mystique juive qui considérait le sixième comme la limite de tolérance du mal qui, au-delà, détruirait “l’ordre du monde”. Le “plus ou moins qu’un sixième” encadrerait le haut du sacré et l’absolu d’un coté, et le bas sans frein de la dissolution du vrai, de l’autre (2010: 177).

Or Atlan nous dit que dans l’herméneutique talmudique la notion de l’onaa passe du champ “matériel” au champ de la parole, par un “surcroît de signification” qui signalerait des parallélismes entre les échanges dans le marché et la communication entre individus dans l’agora ou l’espace public. Pour Atlan cette continuité entre le matériel et le “communicationnel” se fonde sur la tension entre la subjectivité individuelle et les intérêts de la société organisée autour de règles communes. “Quand l’échange est faussé, le dommage qui en résulte atteint à la fois l’individu lésé et la communauté dans l’organisation commune qui en assure la stabilité” (2010: 148).

L’étude d’Atlan suit une démarche magistrale qui passe de la discussion philosophique—dans laquelle l’auteur met à contribution le Spinoza du Traité de la réforme de l’entendement, Le Gai Savoir de Nietzche ou le Traité des vertus de Jankélevitch, entre autres—à l’analyse plus terre-à-terre de la réalité contemporaine de la “dissolution” dans le contexte des fraudes financières massives ou des fraudes scientifiques. Atlan s’occupe du problème de la “désacralisation” du monde, dans lequel les limites de l’onaa (le seuil du “sixième tolérable”) est largement dépassé par les techniques sophistiquées de la propagande et du lobbying.

Mais les choses sont encore plus compliquées car le mensonge généralisé n’est pas la simple généralisation de ce qui est contraire à la vérité . . . C’est en fait la dissolution totale du vrai dans le faux, ou du sacré dans ses caricatures dogmatiques. (2010: 254)

Atlan aborde certains problèmes majeurs de la big science “contaminée” par la machine de communication et de l’information dans un contexte d’énorme concurrence entre chercheurs et institutions publiques et privées en quête frénétique pour obtenir des ressources et aussi une certaine légitimé sociale. “[L]es méthodes de la propagande et des relations publiques ont pénétré de plus en plus la pratique des sciences en même temps que celle-ci devenait un travail collectif engagé dans les circuits de productivité économique” (2010: 273).

Le cas de l’industrie pharmaceutique illustre une nouvelle forme de “fraude verbale” par le phénomène connu en anglais comme disease mongering. Atlan, lui même un expert en bioéthique, se demande comment cette “magie verbale” fait apparaître des nouvelles doléances dans la sphère publique en coordination presque parfaite avec les “remèdes” pour ces pathologies (par exemple, le trouble connu comme “le syndrome de trouble de l’attention avec hyperactivité” et le médicament Ritalin pour “contrôler” ce syndrome).

L’autre cas qui mérite l’attention d’Atlan est celui du réchauffement climatique dans lequel, selon lui, l’écologie politique aurait pris le dessus sur l’écologie scientifique. On rentre ici dans le terrain de l’idéologie—qui a sans doute aussi un certain ton religieux—idéologie qui justifie une démarche de relativisation de la “vérité” pour le bien de la cause qu’elle préconise, soit le salut de l’humanité.

Ainsi, l’intrication de l’écologie scientifique à l’écologie politique favorise le dérapage de ce qui se présente comme une vérité établie dans des demi-vérités ou demi-mensonges le plus souvent involontaires ou manipulés pour les besoins de la cause comme de pieux petits mensonges. (2010: 291)

Atlan conclut que sa démarche s’inspire d’une recherche de la vérité, et pas nécessairement de la Vérité elle-même dans un “dévoilement numineux”. Son outil reste la raison, mais aussi l’expérience et ce qui reste d’héritage de traditions anciennes, juridiques et religieuses, en tenant compte des différences dérivées des contextes géographiques, linguistiques, culturels et sociaux.

C’est pourquoi les résultats de cette recherche sont aussi différents et l’universalité de la loi morale ne peut être elle aussi que construite à partir de ces différences. Mais cela vaut mieux que le règne cynique des techniques de la communication et de leurs spin doctors. (2010: 299)

La démarche d’Atlan serait en tout cas une quête antidogmatique qui se méfierait aussi bien du relativisme “dissolutif” que de la propagande totale.

À propos du réviseur

Isaac Nahon-Serfaty est professeur adjoint au Département de communication à l’Université d’Ottawa au Canada. Dr Nahon-Serfaty a plus de 25 ans d’expérience dans les domaines de la communication des soins de santé, la communication internationale, les relations publiques, et le journalisme. Il a fait la coordination du groupe de travail international s’intitulant “Cultural Dialogues, Religion and Communication” qui s’est tenu à l’Université d’Ottawa le 22 octobre 2009. Son essai Actualidad del mito de la Independencia: En búsqueda de sentido en la Babel fragmentada a gagné le prix Banesco “La Independencia de Venezuela: 200 años después”. Il est auteur de plusieurs articles et chapitre de livres à propos du discours public portant sur la santé et la maladie en français, anglais, et espagnol.

Pour citer ce compte rendu de livre:

Nahon-Serfaty, Isaac. (2011). [Compte rendu du livre De la fraude: Le monde de l’onaa]. Global Media Journal -- Canadian Edition, 4(1), 195-197.
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