ISSN: 1918-5901 (English) -- 1918-591X (Français)

 

2011: Volume 4, Numéro 1, pp. 93-108

 

Minorité ethnique issue de l’immigration et communication communautaire:
Les spécificités du modèle intégrationniste français

Khaled Zammoum

Université de Sharjah, Emirats Arabe Unis

Texte intégral: PDF TDM: HTML PDF

Abstract:

The paper examines the fundamentals of French cultural and media policy for ethnic minorities of immigrant origin. Although the role of media in the integration policy is obvious, it was important to wonder if France has a media policy for those ethnic minorities and whether they have the right to access to communication and mass media means in French law. Through the analysis of several sociopolitical and cultural aspects of French texts, we found that the design of policy with regards to information and community or intra-ethnic communication was inspired by the French model of integration, which is based on Jacobin republican philosophy. The analysis shows that the lack of a media and cultural strategy of French authorities encouraged media frenzy about the problems of ethnic minorities, which involved lots of stereotypes that exploit the social and economic problems to accredit and strengthen the argument that minorities are a burden to the national economy. The results also show that it is necessary to reconstruct the political and media action towards French ethnic minorities, as we noted in this study that each ethnic community develops its own networks and communication and information spaces.

Keywords: Community Communication; Community Media; Ethnic Minority; Immigrant Communities; Policy Integration

Résumé:

Les fondements de la politique médiatique et culturelle française destinés aux minorités ethniques d’origine immigrée sont évoqués. Bien que le rôle des médias dans la politique d’intégration soit évident, il a été fondamental de se demander si la France a une politique médiatique pour ses minorités ethniques et, si ces dernières ont le droit à l’accès aux moyens de communication et d’information de masse dans la législation française. À travers l’analyse de plusieurs aspects sociopolitiques et culturels, nous avons constaté qu’en France, la conception de la politique en matière d’information et de communication communautaire ou interethnique a été inspirée du modèle français d’intégration qui se base sur la philosophie républicaine jacobine. L’analyse montre que l’absence d’une stratégie médiatique et culturelle des autorités françaises a favorisé une surmédiatisation des problèmes des minorités ethniques. De plus, elle montre que les médias sont généralement associés au fait de véhiculer les stéréotypes qui exploitent les conjonctures économiques et sociales pour accréditer et renforcer la thèse selon laquelle ces minorités constituent un fardeau pour l’économie nationale. Les résultats montrent également qu’il est nécessaire de recomposer la politique et l’action médiatique française destinée aux minorités ethniques, car nous avons relevé dans cette étude que chaque communauté ethnique développe ses propres réseaux et espaces de communications et d’informations.

Mots-clés: Communication Communautaire; Média Communautaire; Minorité Ethnique; Communautés Immigrées; Politique d’Intégration

Introduction

Cette étude s’inscrit dans le débat français quant à la prolifération des médias communautaires et de certains aspects socioculturels tels que le port du hijab et le nikab1 dans l’espace public et le repli identitaire. Ces derniers, s’expliquent en partie par le rôle joué par certains medias communautaires et des chaînes satellitaires islamistes. D’ailleurs, le débat public en France, lancé par le Président Nicolas Sarkozy sur l’identité nationale en 2010, ainsi que sur la laïcité et l’Islam en mars 2011 reflète cette inquiétude vis-à-vis du repli identitaire véhiculée par le discours médiatique adopté par certains médias communautaires.

Dans ce travail de recherche, il a été question de comprendre la philosophie républicaine du modèle médiatique français du fait de sa multidisciplinarité (ethnologie, sociologie et politique médiatique). Ceci nous a amené d’une part, à tenter de déterminer les liens entre l’aspect sociopolitique du modèle médiatique français et, d’autre part, de comprendre la nature de la communication ethnique afin de cerner les mécanismes d’adaptation des communautés ethniques ainsi que ceux liés à la résistance identitaire au sein de la société d’accueil.

Le terrain de l’étude, en France, se focalise sur les médias communautaires, de la parabole et de l’internet qui est en plein essor et, également, sur l’analyse de la politique médiatique destinée aux minorités ethniques.

L’objectif est de comprendre la nature de la politique française dans la gestion de l’information destinée aux communautés ethniques, notamment au travers des textes juridiques régissant ce domaine. Il est question aussi de présenter la nature et les espaces de communications ethniques et de comprendre le rôle de ces espaces dans la mutation des communautés ethniques dans le processus d’intégration. Enfin, les résultats de ce travail permettront d’entrevoir des perspectives de recherche dans le domaine de la communication ethnique en France.

Afin d’étudier la relation entre médias et politique d’intégration des minorités ethniques en France nous avons jugé utile de présenter la définition du concept de minorité qui est utilisée dans cet article. Minorité, désigne un groupe de personnes différentes par la race, la religion, la langue ou la nationalité du groupe plus nombreux au milieu duquel il vit. Ainsi, deux précisions doivent être apportées. Tout d’abord, un groupe ne constitue une minorité que s’il prend conscience de lui-même en tant que groupe différent des autres et, le plus souvent, socialement infériorisé, surtout s’il est considéré aussi par les autres. D’autre part, le terme de minorité a toujours une dimension sociale et politique. Souvent, une minorité constitue un groupe à la fois moins nombreux, moins considéré et moins puissant. La situation d’une ou des minorités varie selon la nature des régimes politiques et sociaux, et leur possibilité ainsi que leur volonté de reconnaître de manière formelle, l’existence des minorités.

Par ailleurs, dans son principe, l’Etat-Nation, élaboré en Europe au moment du nationalisme, il n’admet pas l’existence des minorités nationales ou culturelles ou communautaires et ignore les minorités religieuses. Les négociateurs du traité de Versailles se sont efforcés après la première guerre mondiale, sans d’ailleurs y parvenir, de reconstruire l’Europe sur le principe des nationalités et de supprimer les minorités à l’intérieur des Nations Européennes.

En outre, les médias sont reconnus comme pouvant jouer ayant un rôle fondamental dans le processus d’intégration et d’aculturation2 socioculturelle des minorités ethniques d’origine immigrée. Les travaux portant sur les médias et l’ethnicité abordent principalement les modes et les motivations de consommation des différents types de médias à disposition des minorités ethniques issues de l’immigration (Stella, 1999). Ainsi, les médias du pays d’accueil favorisent l’apprentissage des codes de la culture du pays d’accueil (Khan, 1992: 38). Le média ethnique qui se définit comme un média produit dans le pays d’accueil concilie deux finalités en visant une population minoritaire ou minorisée présente dans ce pays: la familiarisation aux normes et modes de vie du pays d’accueil et l’affirmation de l’identité ethnique du groupe d’immigrants (Herbert, 2009).

Méthodologie et Problématique

L’étude de la relation interactive entre les minorités ethniques issues de l’immigration et les médias suscite un débat de fond, essentiellement sur la place réservée au droit des minorités ethniques quant à l’accès aux moyens d’expression et d’information dans les législations des pays occidentaux. Par exemple, en France, la définition d’une politique plus réaliste en matière d’information et de communication communautaire ou interethnique est inspirée de la philosophie républicaine jacobine. Cette approche favorise un processus d’intégration des minorités ethniques qui passe par la fréquentation de l’école et la socialisation communautaire par le biais des médias.

L’arrivée du parti socialiste français au pouvoir (en 1981), les décisions de libéraliser la bande FM, puis en 1986, de privatiser le secteur de l’audiovisuel et le développement des moyens de transmission et de réception laissaient augurer une révolution et un changement significatif du paysage médiatique français.

L’arrivée et le foisonnement des chaînes de télévision satellitaire permettaient de donner une nouvelle forme, mais aussi une autre dimension à la circulation de l’information communautaire et interethnique. Malheureusement, l’absence d’une politique claire à l’égard des minorités s’est répercutée sur la prise en charges des besoins et des attentes en matière d’information et de communication de ces communautés. Deux explications peuvent être avancées, d’une part, le facteur historique: jusqu’en 1970, la France considérait les minorités qui sont issues de l’immigration, comme une population appelée à un retour rapide dans le pays natal. D’autre part, le facteur politique: aucune obligation n’est faite par les pouvoirs publics pour imposer la diffusion de programmes touchant aux préoccupations des minorités, ceci dans le souci d’assurer l’homogénéité de la société française. Cette dernière, ne reconnaît pas la communauté ethnique mais l’individu, lequel devrait nourrir un sentiment de citoyenneté républicaine. Etre Français, c’est parler la langue française et adhérer aux usages communs.

En outre, la France fait partie des pays occidentaux où le choix de l’intégration des minorités ethniques d’origine immigrée passe par le respect de l’égalité des chances entre les nationaux et les immigrés. Pour mettre en place cette politique, les médias représentent le seul moyen permettant d’atteindre les familles immigrées. En effet, les immigrés passent respectivement 120,2 et 132,4 minutes par jour devant leurs postes de télévision contre 101,7 minutes pour les français (CSA, 2009). Bien que le rôle des médias dans la politique d’intégration soit évident, il est fondamental de se demander: La France possède t-elle une politique médiatique pour les minorités ethniques issues de l’immigration?

Pour répondre à cette problématique, il est nécessaire de poser les trois questions suivantes: 1) Peut-on parler d’une politique Française relative aux besoins médiatique des communautés immigrée? 2) Quelle est la place réservée au droit de communautés immigrées quant à l’accès aux moyens d’expression et d’information dans la législation française? 3) Quels types de pratiques et de structures sont nécessaires, en matière de communication, pour déterminer la politique médiatique Française vis-à-vis des communautés immigrés?

Pour l’élaboration de cette problématique, nous nous sommes basé sur les constats relatifs au fait que, tout d’abord, en 1986, la libération du marché français de l’audiovisuel a permis à plusieurs communautés immigrées d’accéder à un produit médiatique spécifique, par le biais du câble ou de la parabole. Ensuite, qu’en France, la possibilité de réception des programmes des chaînes satellitaires pose le problème de la manipulation politique et religieuse des communautés immigrées et l’éventuel blocage du processus d’intégration, surtout que les médias des minorités ethniques sont à la fois des supports et des productions d’identités (Rigoni, 2010: 7-16).

Par ailleurs, les résultats d’études de recherche en sociologie de la communication nous ont permis de mieux asseoir notre problématique notamment dans la théorie de la “Spirale du Silence” (Lazar, 1997: 41). Cette théorie considère que la plupart des individus ont peur d’être isolés, quand ils formulent des opinions, ils essayent toujours de s’identifier aux opinions des autres ou de suivre l’opinion générale, celle de la majorité. D’après cet auteur, les mass-médias constituent la source principale de référence dans l’information du public. Il ajoute que lorsqu’un individu constate que son opinion n’est pas représentée par les médias, il se retire, quitte l’espace public et se replie sur lui-même dans l’espace privé. Ceci nous amène à penser que cet espace privé peut être assimilé à un espace communautaire dans le pays d’accueil se caractérisant par une attitude de repli identitaire ou la création de nouveaux réseaux d’information et de communication.

Pour mieux cerner les différents aspects essentiels de notre problématique de base et déterminer les objectifs du sujet, nous avons défini les trois hypothèses dont la première se rapporte au fait que le passage de l’immigration d’une classe de travailleurs temporaires à des familles installées définitivement en France a favorisé le développement de multiples formes d’expression communautaire et d’activités culturelles et médiatiques. La seconde, à l’absence d’une stratégie sur le plan politique et médiatique des autorités publiques françaises a favorisé une surmédiatisation des problèmes des communautés immigrés. La troisième, à la multiplication des chaînes satellitaires qui diffusent sur le territoire français ne répond pas à une nécessité culturelle ou communautaire mais à des choix politiques des pays d’origine.

Dans une première étape, nous avons essayé d’apporter quelques éléments de réponses quant à la nature de la politique médiatique Française destinée aux minorités issues de l’immigration, nous en développerons les raisons dans la première partie de ce texte. Dans une deuxième étape, nous tenterons d’analyser les défis socio-culturelles de cette politique médiatique.

Minorités Ethniques et le Modèle Intégrationniste Français

L’intégration est un processus spécifique qui favorise la participation active à la société d’accueil tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales, en les prenant en compte sans les exalter, en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété. C’est sur les ressemblances qu’une politique d’intégration met l’accent sur l’égalité des droits et des obligations pour rendre solidaires les différentes composantes ethniques et communautaires (FAS, 1993, février 10: 17).

L’intégration est le passage préliminaire vers l’assimilation qui reste l’objectif primordial de toute politique vis-à vis des immigrés. Cette étape transitoire permet à l’individu d’entrer dans le nouveau corps social avec des mécanismes d’adaptation et d’utilisation de ses atouts socioculturels et, progressivement, de se détacher de son identité culturelle.

Les sociologues de l’immigration distinguent deux étapes dans le processus d’intégration. Ainsi, c’est la nécessaire accommodation de la première génération d’une immigration qui prépare, rend possible l’adaptation de la seconde à la société qui connait une certaine homogénéité. “L’idéologie intégrationniste présente la société française comme homogène et unitaire en dehors de toutes divisions et conflits sociaux” (Bouamama & Roux, 1992: 187).

En France, selon le droit Romain, “l’Etat précède la Nation” et a pour rôle l’harmonisation nationale. Ceci dit, la philosophie républicaine ne tolère pas le droit à la différence puisque toutes les personnes sont égales devant la Loi. Ainsi, dans le discours politique, la notion d’intégration est synonyme d’égalité et se démarque ainsi du modèle américain de ghettoïsation et d’exclusion.

Dans l’intégration des minorités ethniques issues de l’immigration, Schnapper (2007: 140) distingue les deux options, la première, nécessite une acculturation souvent brutale, cible les individus qu’elle prive de leurs références identitaires et communautaires. L’intégration de la génération née dans le pays d’accueil, donne parfois lieu à des mouvements de xénophobie souvent liés aux rivalités culturelles et sociales avec la population locale. Elle a toutefois l’avantage d’évoluer à long terme. La deuxième option consiste en une intégration collective qui aboutit à un processus d’acculturation sur trois ou quatre générations. Si elle protège des traumatismes, elle renforce par contre la conscience communautaire et contribue à ce que les particularités entre les groupes évoluent, ou soient réinterprétés comme des divisions ethniques et sociales, avec le risque d’accentuer les oppositions collectives.

Faut-il rappeler que la politique d’intégration en France passe généralement par l’accès des immigrés aux droits sociaux, leur participation progressive – celle de leurs enfants surtout – à la vie civique? C’est l’accès à la nationalité qui fait de l’immigré un citoyen.

Le modèle Français d’intégration est controversé, pour certains observateurs, “l’intégration est souhaitable, possible et même probable, mais elle n’est pas encore de l’ordre du constat sociologique” (Weil, 1991: 308). Pour d’autres, ce modèle a été le générateur de l’échec scolaire des enfants issus de l’immigration et des problèmes des banlieues. Faut-il remettre en cause le système d’intégration qui sous-entend l’assimilation ou réfléchir à des approches empiriques, élaborer une politique de terrain pour les communautés immigrées? Ainsi, un modèle de pluralisme interculturel et intercommunautaire peut-il être un exemple pour la politique française?

Les droits culturels et à l’Information

L’Europe connaît une ancienne et grande diversité ethnique majoritairement issue des anciennes colonies, elle est caractérisée par des traits communs du point de vue des origines géographiques, culturelles et ethniques. Si les besoins, les conditions et les mécanismes d’adaptation dans l’espace socioculturel d’accueil sont presque identiques, les stratégies culturelles et médiatiques diffèrent d’un pays à un autre, selon la philosophie des droits culturels et à l’information adoptés. Celle-ci propose soit d’intégrer ces communautés ethniques dans la société d’accueil pour en faire des citoyens à part entière (le modèle français) soit de préserver l’auto-organisation culturelle en privilégiant les rapports à l’intérieur de la communauté tout en préservant ses structures (le modèle britannique).

La question des droits culturels et à l’information ne suscite ni le même intérêt ni le même débat au sein des sociétés européennes. Les visions sont différentes selon que l’on se trouve en France, en Allemagne ou en Grande-Bretagne ce qui influence l’image des communautés ethniques présentée sur la scène publique et particulièrement médiatique respective (Hargreaves & Mahdjoub, 1997). La construction de l’Europe, nécessitant une harmonisation institutionnelle des politiques face à la question des droits culturels et à l’information, les pays européens ont songé à coordonner leur action. La première initiative dans cette optique a concerné le droit à l’Information. La première tentative remonte à l’année 1979 au cours de laquelle un bilan sur ce sujet a été réalisé dans quelques pays européens au profit du Conseil de la Coopération Culturelle Européen (Ducoli & Remiche, 1979: 11). Ce rapport suggérait trois principes fondamentaux: 1) de rendre possible l’accès des médias aux communautés immigrées et aux minorités, 2) de mettre à la disposition de communautés immigrées des moyens leur permettant de s’informer dans leurs langues sur leurs pays d’origine mais aussi d’approfondir leur propre culture, 3) d’aider les sociétés d’accueil à mieux connaître les communautés immigrées et les minorités en leur faisant découvrir et admettre la mémoire de ces communautés comme faisant partie de son histoire, et enfin 4) de promouvoir la compréhension dans une société pluriculturelle et pluriethnique.

Il est clair que la reconnaissance des droits culturels et à l’Information et, de façon plus globale à l’espace médiatique pluriculturelle et pluriethnique est un élément de base d’une politique d’accueil positive, c’est dans cet objectif que des propositions ont été émises lors du Colloque de Noordwjkerhout (Irlande) qui a été organisé le 29 novembre 1988 sous l’égide du Conseil de l’Europe.

Par ailleurs, on ne peut évoquer la question des droits culturels et à l’information en Europe et particulièrement en France sans parler de la Convention sur la Protection et la Promotion de la Diversité des Expressions Culturelles adoptée par le gouvernement américain en 2005. En réalité, cette Convention américaine s’est inspirée de la philosophie du modèle politico-culturel américain qui tolère la diversité ethnoculturelle; le modèle français est différent de cette vision multiculturelle. En effet, en France, la diversité culturelle et ethnique n’est pas reconnue dans l’espace public. La politique de citoyenneté actuelle prolonge l’histoire; la nation française est l’héritière de la centralisation politique et culturelle menée pendant des siècles par la monarchie et renforcée par la légitimité révolutionnaire et la tradition Jacobine; elle impose l’unité nationale et limite le droit à la reconnaissance politique des corps intermédiaires (Schnapper, 1992: 114). En France, selon le Droit Romain, l’Etat précède la Nation et a pour rôle l’harmonisation nationale. Ceci dit, la philosophie républicaine ne tolère pas le droit à la différence puisque tous les gens sont égaux devant la loi. Ainsi, dans le discours politique, la notion d’intégration est synonyme d’égalité et se démarque ainsi du modèle américain de ghettoïsation et d’exclusion.

Depuis 1980, les manifestations des beurs qui sont des jeunes français de la nouvelle génération, en majorité, d’origine maghrébine ou ethnique, ont secoué la scène sociopolitique française et visaient à faire évoluer l’opinion vis-à-vis de la question du droit à la différence culturelle et revendiquait plus d’égalité. Cette conception nouvelle, mise en avant lors de la marche d’égalité Marseille—Paris de 1983 à travers le mot d’ordre pour “l’égalité et contre le racisme” aurait reçu un appui des partis communiste et socialiste et de différentes associations communautaires et culturelles. Ce mouvement issu “du peuple de banlieues”, phénomène de société, revendique la diversité socioculturelle au sein d’une société qui, figée sur elle-même, ignore le multiculturalisme et le droit à la différence culturelle et ethnique. Une nouvelle génération de slogans est revendiquée par les jeunes de la nouvelle génération beurs: “Vivons ensemble avec nos différences”, “Droits à la différence”, “Vivons ensemble avec nos ressemblances quelles que soient nos différences”. Ces slogans mettent en évidence l’importance de l’aspect multiculturel de cette génération beurs partagée entre deux cultures: française et d’origine. Cela laisse penser que le modèle français d’intégration est en perte de vitesse au profit des idées du modèle communautariste connu, particulièrement dans les pays anglo-saxons, en Suède, en Allemagne et au Canada. Celui-ci est fondé sur l’utilité et l’importance de la reconnaissance des facteurs culturels et, bien entendu, identitaire de chaque minorité de la société.

Si pour de nombreux sociologues libéraux, l’individu est un acteur important dans la société, pour les communautaristes celui-ci a des liens sociaux important au sein de sa communauté. En effet, la sociologie durkheimienne met l’accent sur l’idée “organique et mécanique”, de la communauté et de la société, du progrès technologique qui pousse les individus à quitter la communauté pour se fondre dans la société. La nouvelle citoyenneté ne dépend pas des individus comme disent les libéraux, mais doit retourner aux liens organiques de la communauté (Wilson & Gutiérrez, 1995). Le processus de changement, la diversité socioculturelle créent une hétérogénéité qui apporte à la société une certaine vitalité par l’utilisation rationnelle du principe de complémentarité dans le tissu social qui a besoin des apports de tous ses éléments constitutifs et considère les différences comme finalement positives.

Pour les communautaristes, la diversité culturelle et ethnique est perçue comme un apport, un gain pour l’ensemble de la société. Ce modèle reconnaît à la communauté le rôle de noyau autour duquel tous ses éléments se retrouvent, s’organisent pour préserver des références identitaires, prévenir ou amortir un éventuel choc culturel avec les autres communautés en vue de préparer, de réussir à mener sans heurt vers l’intégration. Ce système socioculturel tient compte du facteur temporel puisqu’il ne prévoit la réalisation de cet objectif majeur qu’après la troisième ou la quatrième génération (Wieviorka, 2005).

Image de l’Immigration dans la Sphère Politico-médiatique Française

Depuis le début des années 1980, la question de l’immigration a pris une autre dimension et a attiré l’attention de nombreuses sphères dans la société française, dont bien évidemment celle des médias publics. En effet, l’immigration devenue, ces dernières années et pour de multiples raisons, un sujet de préoccupation politique (Weil, 2004) et donc de débat a alimenté abondamment la presse écrite, parlée et les médias lourds qui lui consacrent régulièrement des dossiers entiers.

Le problème des minorités ethniques issues de l’immigration soulève la question de la représentation de ces communautés: Quelle place et quelle image en donnent les médias? Il faut se rendre à l’évidence, que les médias sont généralement associées à des stéréotypes classiques qui exploitent les conjonctures économique et sociale pour accréditer, renforcer la thèse selon laquelle ces populations constituent un fardeau pour l’économie, un handicap pour le développement du pays d’accueil (Calves, 2004). L’impératif d’audience, d’audimat pousse les médias dans une recherche permanente du scoop et l’immigration constitue pour une partie de la presse source, un vivier inépuisable. Les sujets tels que la violence, la délinquance, l’intégrisme, l’immigration clandestine, le chômage qui font l’actualité ou défrayent régulièrement la chronique de nombreux pays à travers le monde, sont en France rarement traités de façon objective, neutre. Le fait divers, banal, auquel peut se trouver même accidentellement mêlé un étranger, est souvent amplifié et dramatisé pour être orienté et exploité.

Relier presque automatiquement des événements, exclusivement négatifs, aux banlieues même lorsqu’ils ne s’y sont pas déroulés, en mentionnant l’adresse ou le pays d’origine du ou des délinquants lorsqu’ils sont magrébins. Arabes ou Africains à pour l’artifice qui consiste à distinguer “le bon émigré”, de préférence travailleur dans un chantier ou employé à la mairie de Paris, dont on reconnaît l’utilité pour la société, du “mauvais émigré” généralement symbolisé par le jeune black ou beur, chômeur sans qualification, le plus souvent violent, ne fait que renforcer le caractère xénophobe de ces attaques.

Episodiquement, notamment à l’approche de rendez-vous électoraux, ce sont de véritables campagnes qui sont orchestrées contre ces populations dont la présence est présentée comme la cause, et le départ la solution définitive à tous les problèmes, tous les maux de la société française.

L’image, la caricature, les titres accrocheurs, le choc des mots, l’amalgame, la provocation et toutes les techniques journalistiques sont utilisées par une partie de la presse pour influencer et convaincre les citoyens fragilisés par une situation professionnelle, matérielle ou psychologique précaire. Pour Boubeker (1999: 41), l’image de l’immigration a radicalement changé avec l’avènement historique du mouvement beur en 1981. Au lendemain de la “Marche de l’égalité”, le 3 décembre 1983, ces jeunes ont fait la Une de la presse nationale.
Les revues “Sociétés” et “Modes de Vie” donnent une dimension symbolique à l’irruption officielle de cette génération, véritable “catégorie médiatique”. Cette période est marquée par les revendications de la génération beur.

Un autre sujet alimentait les médias, celui de l’islam en France. Avec les attentats terroristes de 1995, l’élection de députés du Front National aux législatives de 1996, le développement de l’immigration clandestine, et les réformes du code de la nationalité, la violence dans les banlieues et la question beur passent du discours politico-médiatique au rang de priorité juridique et sécuritaire.

Une nouvelle approche politico-médiatique a été mise en place dès la fin des années quatre vingt afin de favoriser l’action de sensibilisation que devraient jouer les médias dans l’évolution de la société vers plus de tolérance et de respect des minorités ethniques ce qui est le préalable à tout processus de l’intégration.

Des voix antiracistes s’élèvent pour dénoncer les intentions de ceux qui en ont fait un enjeu politique, recentrer le débat pour le dépassionner mais les affaires du hidjab et le port du nikab dans les espaces publics et surtout les révolutions en Tunisie, Egypte, Libye, les soulèvements populaire en Algérie et au Yémen ramènent la question de l’immigration au centre de l’actualité.

Depuis 1991, non seulement la question de l’immigration n’est plus à la une des médias, mais un véritable silence radio est fait sur se passe dans les banlieues ainsi que sur l’immigration clandestine affirment certains militants associatifs.

Malgré la polémique politico-médiatique, l’immigration n’apparaît pas comme un sujet majeur d’information. Les minorités ethniques font partie intégrante de la réalité française, mais il ne peut y avoir de reportage sur les mouvements sociaux importants qui touchent aujourd’hui la société, dans les secteurs secondaire et tertiaire notamment, sans que la composante immigrée ne soit intégrée dans l’image télévisée. Ce sont toujours des images de magrébins et de noirs qui sont choisies pour illustrer les nombreux reportages consacrés au temps de crise et de chômage.

D’ailleurs, les termes d’immigration et d’immigré ont fini par avoir une connotation négative, synonymes de problèmes, d’insécurité et de chômage. Les débats autour de la sécurité, du rôle de la police et des bavures policières, ou de la violence dans les lycées impliquent souvent l’image des minorités ethniques issues de l’immigration. De ce fait, les médias ont une certaine responsabilité dans la montée du Front National.

Les propos, les discours et les images accentuent les stéréotypes dominants dans la société et favorisent une image négative des minorités ethniques issues de l’immigration à travers une sous—représentation et une interprétation sociale systématiquement tendancieuse, défavorable de l’immigration.

Il est aisé de vérifier que les minorités ethniques issues de l’immigration n’apparaissent que dans les émissions d’actualité à travers des situations jamais à leur avantage mais sont par contre peu présentes dans les émissions de divertissement et de fiction. De même, les professionnels d’origine étrangère sont très rares derrières les caméras de la télévision française.

Espace Identitaire et Formes de Communication Communautaire en France

Les moyens d’expression dont disposent les minorités ethniques issues de l’immigration ont pratiquement permis à chaque communauté de développer des circuits de communication parallèle. Ainsi un espace d’expression communautaire est “un espace identitaire” et de socialisation3 que constituent les cafés, les marchés hebdomadaires mais aussi les lieux de culte est un cadre privilégié d’échange de nouvelles et d’informations; c’est le même rôle que jouent les associations communautaires à travers leurs activités. Les commerces fréquentés par la communauté, les locaux de l’association servent parfois aussi de relais de distribution de publications: de brochures gratuites et de journaux communautaires.

Un constat s’impose: Le désintéressement des médias publics et privés à l’égard des minorités ethniques issues de l’immigration, l’absence de supports de communication et d’information de masse qui leur soient réservés a fait naitre chez ces populations le besoin profond de créer leurs supports communicationnels propres et adaptés à chaque communauté.

Le Défi de la parabole en France

La télévision joue un rôle majeur dans les changements socioculturels (Gillespie, 1995); la marginalisation des minorités ethniques issues de l’immigration dans les grilles de programmes des chaînes de télévision et dans les stations de radiophoniques françaises a favorisé le recours aux médias du pays d’origine et cela par le biais des radios communautaires, de la presse communautaire, du câble et de la parabole. Devant ce constat qui va à l’encontre de la politique d’intégration française, les autorités publiques sont confrontées au fait de freiner le phénomène de la parabole, alors que du point de vue technique les images satellitaires ne peuvent être arrêtées.

Le progrès technologique a permis à certaines minorités ethniques issues de l’immigration d’avoir accès aux moyens de communication et d’information de communautaires. En effet, la parabole est devenue le moyen le plus pratique pour garder le contact avec le pays d’origine. Depuis 1980, l’expansion des chaînes câblées, a rendu possible l’accès aux programmes thématiques et spécifiques. Ceci a remis en question le choix médiatique mais aussi la relation entre la culture d’origine et le vécu quotidien des immigrés illustré par ce titre de presse: “Les Arabes vivent chez nous, mais le soir ils rentrent chez eux” (El Amrani, 2005, décembre 20: 48). Une enquête du CSA a montré que sur plus de dix millions de paraboles installées en France, les familles immigrées en détenaient plus d’un million environ (CSA, 2009). Ainsi les populations originaires du Maghreb peuvent tous les jours capter les chaînes algériennes, tunisiennes, marocaines, africaines et même égyptiennes ou turques.

N’étant soumis à aucune restriction, ce vecteur de réception échappe au contrôle des pouvoirs publics, ce qui se traduit par une prolifération d’antennes paraboliques sur les façades des HLM des banlieues. En 2009 plus de 6800 000 foyers d’immigrés d’origine arabe étaient équipés d’antennes individuelles, soit 48% du parc français (CSA, 2009). Aujourd’hui, la question fait l’objet d’un débat dans l’espace public entretenu par une partie de la presse à travers des titres révélateurs tels que: “Parabole d’Allah”, “Les paraboles les relient à Dieu”, “L’arabo-islamisme à domicile”, “Ces images inarrêtables”.

L’influence de la parabole sur les communautés immigrées a suscité une polémique dans laquelle deux tendances s’opposent, la première assure que cette menace venue du ciel risque de créer problème et de réduire à néant tous les efforts d’intégration de ces populations dans la société. Elle explique qu’alors que l’Etat-Nation, que le modèle républicain travaillent à l’intégration culturelle des ces communautés, à une meilleure homogénéité de la Nation, la parabole leur propose un ordre culturel différent qui entretient l’attachement des anciens, encourage le retour des plus jeunes à la culture d’origine. En plus de ce danger qui pèse sur le processus d’intégration, les municipalités et les offices d’HLM s’inquiètent des dégâts occasionnés aux façades, du percement de nouvelles fenêtres, des détériorations des parties communes et de l’étanchéité des terrasses et des problèmes de sécurité engendrés. Cela s’est concrétiser par le décret du 29 octobre 1993 qui oblige les particuliers à déposer une demande d’autorisation de travaux avant l’installation d’une parabole de plus d’un mètre de diamètre.

L’autre tendance qui se veut rassurante, explique que la réception des ces programmes ne présente aucun danger pour la simple raison que dans les pays arabes le monopole de l’audiovisuel est détenu par les pouvoirs politiques qui l’utilisent comme un instrument de propagande à des fins de politique locale exclusivement. En août 2008, la Fédération Nationale Autonome de la Police a alerté le Ministère de l’intérieure pour dénoncer la chaîne “Muslim TV”, chaîne pakistanaise à thématique religieuse. Selon cette Fédération, les programmes de cette chaîne représentait un danger car on y voit des imams barbus prêchant la bonne parabole, la version arabe de ces prêches constituaient de véritables diatribes antioccidentales qui ne ressortent pas dans la traduction française. Visionnée plusieurs jours de suite par les journalistes de télésatellite, “Muslim TV”, cette chaîne se rapproche plus de l’émission diffusée sur France 2, Jour du seigneur, qui aborde des sujets communs et sans danger pour la société française.

Sur le plan juridique, la loi est claire: le droit à l’antenne est institué par la loi du 2 juillet 1996. La liberté à l’information est un droit consacré par les textes fondamentaux tels que la Déclaration des Droits de l’Homme de 1948, la Convention Européenne de la Sauvegarde des Droits de l’Homme de 1950, et la Directive Communautaire de 1989. Les autorités ne peuvent pas réagir comme ces pays autoritaires qui interdisent la possession d’antennes paraboliques. La question est beaucoup plus compliquée telle qu’elle se présentée au public. En effet, les chaînes françaises diffusées par satellite sont reçues dans tout le Grand Maghreb. En Algérie seulement, plus de 85% des foyers sont équipés de parabole pour recevoir les chaînes françaises particulièrement. L’enjeu est important et une prise de décision n’est pas simple.

Dans l’ensemble, ce débat traite les questions de réception satellitaire alors qu’il coïncide avec les révolutions populaires dans des parties du monde arabe et principalement au Grand Maghreb. Par ailleurs, ce débat a permis d’engager à long terme une remise en cause de la philosophie d’intégration des minorités ethniques issues de l’immigration au sein de la société française.

La France ne pourra pas enrayer la prolifération des paraboles en raison des progrès technologiques, de plus les équipements vont se miniaturiser et le prix d’achat diminue. Face à cette inquiétude, le débat sur les chaînes satellitaires et particulièrement arabophones est l’un des problèmes qui nécessite la mise en place d’une stratégie politico-médiatique de la classe politique française.

La France possède tout un système de télédiffusion qui permet une meilleure prise en charge des besoins communautaires dans le domaine médiatique, du divertissement et d’acculturation. En revanche, la multipolarité politique et culturelle de la question des minorités ethniques issues de l’immigration suscite toute une inquiétude des pouvoirs publics sur les effets des programmes médiatiques communautaires sur le processus d’intégration.

La solution qui peut être préconisée est d’accroitre et améliorer l’offre de programmes à destination des minorités ethniques issues de l’immigration sur les réseaux câblés et le hertzien terrestre, ainsi il faudrait également promouvoir les espaces d’expression culturelle surtout sur les chaînes publiques et favoriser une coproduction tous genres confondus, et enfin augmenter la visibilité des minorités ethniques issues de l’immigration dans les fictions télévisuelles. Une autre possibilité c’est de créer une chaîne franco-arabe destinée aux communautés maghrébines en France.

Espace Associatif Communautaire

Depuis l’abolition en octobre 1981, du décret Daladier, avril 1939, qui restreignait la liberté des associations des minorités ethniques issues de l’immigration, plus de 9000 associations ont été tolérés, dont 2000 d’entre-elles sont financées par le FAS (FAS, 2009: 27).

Le mouvement associatif des minorités ethniques issues de l’immigration a été très important après l’arrivée des familles en France. Il est du aux nouveaux besoins en matière: d’éducation, d’information, de festivités communautaires et de divertissement.

Sociologiquement, chaque groupe ethnique ou culturel a toujours besoin de s’identifier aux valeurs identitaires du village ou du pays d’origine. Les principes communs et l’intérêt du groupe communautaire dans une société d’accueil renforcent le lien social par le besoin de garder le contact direct entre les membres de la communauté.

“Le mouvement beur” des années 1980, a donné une importance à l’esprit collectif. Il fut la conséquence de leur besoin d’expression et de revendication de leurs droits et de la reconnaissance de leurs problèmes. En ce qui concerne les associations d’immigrés, l’aspect communicationnel est mis en valeur par des activités diverses: de loisirs collectifs, d’expression identitaires, d’enseignement de la langue d’origine et sportives.

Le premier objectif fixé par les fondateurs, est de donner à la communauté un vecteur d’expression et un espace de rencontre afin de prendre connaissance des informations sur le pays d’origine et d’en garder les liens permanents.

En d’autres termes, l’association devient un moyen et espace d’information et de communication et d’expression par excellence. Ainsi, depuis la vague de libération de la bande FM en 1981, les radios destinées aux différentes communautés ethniques ont un statut associatif, donc des radios au service des associations communautaires.

En plus de ces lieux et moyens d’information et de communication et d’expression communautaires, chaque communauté immigrée a développé des circuits parallèles représentant un second espace d’expression communautaire. Ces circuits que l’on pourrait qualifier de primaire ont été renforcés par les moyens technologiques modernes.

La Presse Ecrite Communautaire Arabe

D’autre part, il faut noter que depuis la fin du 19ème siècle, la France a toujours favorablement accueilli la naissance d’une presse en langue arabe. Aujourd’hui, plusieurs journaux et revues édités à Paris sont vendus dans plusieurs pays arabes. Les plus connus sont: “El Moustakbel el Arabi” et Hebdo-Maghreb, deux hebdomadaires d’information. Ce dernier est spécialement destiné à la communauté maghrébine, mais plus particulièrement à la communauté algérienne installée en France.

L’ensemble des journaux communautaires arabes s’intéresse essentiellement aux informations politico économiques et culturelles en provenance du monde arabe, mais réserve des articles aux activités culturelles, artistiques et sociales de la communauté arabe installée en France.

La question suivante primordiale pour une étude plus élaborée sur le phénomène de communication et d’information communautaire: Peut-on parler de communication communautaire comme un fait sociologique et communicationnel? D’autre part, peut-on déterminer les contours de la stratégie communicationnelle communautaire spécifique à chaque communauté?

Le constat le plus évident est le manque et même l’absence, de support de communication et d’information pour la grande majorité des communautés immigrées, ainsi que le désintéressement des médias publics et privés français à leurs égards. Ceci a impulsé chez ces communautés immigrées un besoin de créer d’autres supports communicationnels adaptés à leurs besoins.

Conclusion

L’instabilité d’une politique à l’égard des minorités ethniques issues de l’immigration s’est répercutée sur la prise en charges des besoins et des attentes en matière d’information et de communication de ces communautés. Les principaux facteurs pouvant être prépondérant se rapportent, en premier lieu au facteur historique: avant 1970, la France considérait les minorités ethniques issues de l’immigration comme une population appelée à un retour imminent au pays natal. En second lieu au facteur politique également du fait qu’aucune obligation n’est faite par les pouvoirs publics pour imposer la diffusion de programmes traitant des minorités ethniques issues de l’immigration, ceci dans le souci d’assurer l’homogénéité de la société française. Cette dernière, ne reconnaît pas la communauté mais l’individu (Coulet, 2010: 2), lequel devrait nourrir un sentiment de citoyenneté républicaine. “Etre Français”, c’est parler la langue française et adhérer aux usages communs. En troisième lieu, le facteur médiatique est à prendre en considération par le biais de l’analyse de la représentation des minorités ethniques issues de l’immigration dans les médias français est souvent associée à des stéréotypes négatifs liés au racisme et à la xénophobie (Todorov, 2008). En effet, l’image des minorités ethniques issues de l’immigration reste celle qui est souvent véhiculée par les mass-médias. Enfin, en quatrième lieu, le facteur Communautaire par le recours des minorités ethniques issues de l’immigration à d’autres moyens d’information et de communication et d’expression est dû, au moins en partie, au désintéressement des médias français à leurs attentes. Nous avons constaté que l’utilisation de ces moyens est l’expression d’un système d’activité socioculturelle qui se fond sur un système d’organisation qui permet à l’information de circuler d’une manière simple et efficace par le biais des rencontres: dans le marché hebdomadaire, le bistro communautaires, les visites familiales et les activités socioculturelles. Il apparaît que ce mode d’organisation représente un second espace public qui exprime le besoin d’information sur l’actualité touchant leur communauté en France et celle du pays d’origine. Il s’agit de rappeler que dans le cas des minorités ethniques issues de l’immigration, généralement l’information dans le pays d’origine est assurée par la communication orale et dans le cadre de réseaux sociaux (marché hebdomadaire, cafés et autres). Pour s’informer sur la situation du pays d’origine, ce schéma est très souvent remis en place par la communauté une fois installée en France. Nous pensons qu’il est nécessaire de recomposer l’action médiatique destinée aux minorités ethniques issues de l’immigration afin de prendre en charges les besoins spécifiques de celle-ci.

Nous pensons que les médias communautaires représentent un droit élémentaire qui doit être institutionnalisé en France et dans tous les pays appartenant au Conseil Européen, notamment à la suite d’expériences médiatiques destinées aux minorités ethniques issues de l’immigration qui ont été concluantes dans certains pays et qui fournissent des modèles du respect du pluralisme culturel. Le Royaume-Uni est parmi les premiers pays à réaliser des programmes audiovisuels et à lancer une chaîne de télévision depuis 1982, “channel 4”, pour les minorités ethniques issues de l’immigration. En Allemagne, la question des immigrés a été un sujet d’intérêt pour l’audiovisuel: la chaîne de télévision publique ZDF a été la première à s’intéresser à eux par la diffusion dés l’année 1963 d’émissions en langue étrangère sous-titrés en allemand. Au Pays-Bas, la télévision publique est caractérisée par un système unique dans lequel, il n’y a aucune obligation législative dans les cahiers de charges de diffusion d’émissions pour les minorités ethniques issues de l’immigration, mais la télévision diffuse des émissions destinées à ces communautés.

Par ailleurs, d’autres réseaux se sont développés, ainsi les chaînes de télévision des pays d’origine sont devenues accessibles par abonnement aux chaînes câblés ou par la parabole ou sur internet.

Ce sont les technologies de l’information et de la communication tels: l’internet et les réseaux de télécommunications numériques qui bouleversent les rapports interactifs entre les médias et minorités ethniques, du fait que ces derniers sont en mesure de recevoir, par exemple dés le matin les journaux et informations de leurs pays d’origine.

L’évolution des technologies de l’information et de la communication devient un support du pluralisme de tout genre (Barker, 1999). La prise en compte de cette réalité permettrait de comprendre l’évolution du mode de fonctionnement socioculturel de ces communautés immigrées face à cette évolution spectaculaire des techniques d’information et de communication transnationale.

Notes

1 Le niqab est un voile couvrant le visage de la femme à l’exception des yeux. Il est porté par certaines musulmanes, en tant que prolongement vestimentaire du hijab.

2 L’acculturation peut se définir comme l’ensemble des changements culturels résultants des contacts continus et directs entre deux groupes culturels indépendants. Les individus se situent à différents niveau d’adaptation empruntant des éléments à leur culture d’origine et / ou à la culture du pays d’accueil (Berry, 1980).

3 En psychologie sociale, la socialisation désigne le processus par lequel les individus intègrent les normes, les codes de conduite et les valeurs de la société à laquelle ils appartiennent (Tônnies, 1996). La socialisation peut être vue sous l’angle du conditionnement où l’individu devient dépendant de la société.

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Àpropos de l’auteur

Khaled Zamoum est spécialiste en sociologie de la communication; il a soutenu, en 1998, une thèse de Doctorat en Science de l’Information à l’Université de Paris II (France). Actuellement il est enseignant-chercheur à l’Institut de Communication (Université de Sharjah). Il est également consultant-chercheur en information à l’Union des Radiodiffusions des Etats Arabes. Ses travaux portent sur les mutations socioculturelles des médias dans la société de l’information. Il s’intéresse également aux médias communautaires en France.

Pour citer cet article:

Zammoum, Khaled. (2011). Minorité ethnique issue de l’immigration et communication communautaire: Les spécificités du modèle intégrationniste français. Global Media Journal -- Canadian Edition, 4(1), 93-108.
Texte intégral: PDF TDM: HTML PDF

 

 

 
 

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