ISSN: 1918-5901 (English) -- 1918-591X (Français)

 

2013: Volume 6, Numéro 1, pp. 73-75

 

Un compte rendu par

Lise Boily

Université d’Ottawa, Canada

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Transferts de Pouvoirs
Par Eric Scherer
Cahier No. 3, Collection “Cahier de Tendances Médias de France Télévision”
France Télévisions, Paris: Printemps-Été, 2012. 100 pp.

Transferts de Pouvoirs (2012) s’inscrit dans la collection “Cahier de Tendances Médias de France Télévision”. Eric Scherer, Directeur de la Prospective, de la Stratégie numérique et des Relations internationales liées aux nouveaux médias est Directeur de cette collection.

Ce cahier d’analyses n’est pas une discussion théorique sur le virage numérique qui traverse nos sociétés. Il s’agit d’une démonstration habile des théories du changement à l’œuvre dans le paysage audiovisuel mondial. Pour reprendre Thomas Kuhn, un changement de paradigme se vit au quotidien et le processus en est irréversible; les usagers émigrent des marges pour occuper la position de centre: “Une fois que les utilisateurs ont pris le contrôle, ils ne le rendent jamais!” (Scherer, 2012: 5).

Cette réflexion en exergue, au début du Cahier et reprise de Dave Winer, un des pionniers du web américain, provoque un effet percutant qui est soutenu jusqu’à la fin du numéro tant par le choix des thèmes retenus que par la démarche méthodique dans la présentation des exemples choisis. Ces derniers contribuent à des analyses ponctuelles sur les mouvements technologiques et économiques qui influent sur la sphère médiatique tout en la transformant. On assiste ainsi à une radiographie des expérimentations d’avant-garde, à un balayage sur le déploiement de l’Économie créative avec la terminologie qui la caractérise. Cette publication illustre la manière avec laquelle cette dernière est en effervescence et constitue un levier important dans la restructuration économique mondiale. Des pratiques innovantes plus individuelles aux activités qui ont trait au réseautage social via les plateformes des médias sociaux, ces nouvelles pratiques médiatiques démontrent sans l’ombre d’un doute le “transfert de pouvoirs”.

Eric Scherer introduit le cahier avec un rappel sur la nature “subversive” d’Internet et en particulier la capacité exponentielle du numérique:

Les Mayas avaient donc raison! L’année 2012 marque la fin d’un cycle et la disparition progressive d’un monde. Car “le basculement de pouvoirs le plus important à l’œuvre actuellement ne se passe pas entre l’Occident et l’Asie, les États-Unis et la Chine, le Nord et le Sud, la Droite et la Gauche, mais entre les institutions et les individus, grâce au numérique”.

Avoir—enfin—le choix, pouvoir tout connaître—ou presque—du monde, pouvoir s’exprimer, innover, créer, échanger d’un bout de la planète à l’autre, s’organiser, sans passer par les intermédiaires traditionnels, actionne la révolution en marche. (Scherer, 2012: 10)

Ces transformations mobilisent ressources humaines et matérielles stimulant l’Économie créative. Ainsi s’ouvre l’ère du partage des connaissances où le “Co is King”. Ce nouvel adage renvoie aux oubliettes le précédent “Content is King”. Les nouveaux savoir-faire s’élaborent autour de la coproduction, de la cocréation, du codesign. La collaboration se voit interpellée du travail des idées aux productions artistiques et chacun devient “média”!

Des nouvelles formes d’interaction s’établissent, les règles du travail se redéfinissent et les professions sont réinventées. Les acteurs performants de cette complexité croissante sont les spécialistes de la Communication et de l’Information et de nouveaux acteurs comme les blogueurs, les journalistes citoyens et les activistes. L’interaction est mobile et transversale. Les médias traditionnels basculent devant la flexibilité qu’apporte la variété des “écrans”: ces derniers se profilent à titre de “compagnons”!

Internet comme catalyseur de changement nous plonge dans l’analyse de la révolution en cours, des perturbations engendrées, disruptives provoquant des phénomènes de dislocation. Comment conjuguer avec l’existence de mondes contigus et distincts? Alors, quel est le rôle des anciens médiateurs?

L’auteur analyse ce phénomène des migrations numériques tout en en dégageant les enjeux sociaux et économiques. Par un jeu habile d’inversion sémantique, il positionne les nouveaux joueurs qui sont en longueur d’avance sur les anciens. L’atomisation des auditoires par la présence des médias sociaux estompe la position de centre qu’occupaient les médias traditionnels. Pour l’auteur, le mariage d’Internet avec les médias traditionnels vient créer de nouveaux emplois en compensation de ceux disparus; un certain équilibre s’établit mais les défis se multiplient avec les tendances marquées vers la prolifération des tablettes et du smartphone qui sont en pleine explosion et qui représentent les vecteurs-clés des grands sommets internationaux qui démontrent l’amplitude du phénomène; que ce soit celui de Las Vegas, de Barcelone ou de Cannes. L’économie créative y gagne le terrain et ne cédera pas sa place.

Reprenant le débat entre “natifs numériques” et “immigrants numériques”, Scherer valorise le savoir-faire de ces derniers dans l’élaboration de stratégies qui faciliteront les premiers à devenir d’habiles agrégateurs de contenu. Ces nouvelles applications s’immiscent jusque dans les pratiques professionnelles de la Communication que l’auteur ne néglige pas de traiter. Abordant le phénomène du journalisme 3.0, Scherer y met en garde d’une forte dépendance à l’endroit des géants du web. Cette mise en garde n’élimine en rien la reconnaissance que l’auteur accorde au pouvoir de la créativité dans la réinvention des pratiques médiatiques ainsi que dans la redéfinition de règles inédites pour assurer le dynamisme d’un journalisme innovant.

La lecture de ce numéro illustre avec pertinence le phénomène d’inversion de la “sphère publique” auquel nous confrontent les transformations, voire les mutations en cours qui se développent au sein de la médiasphère. À l’époque où Habermas précisait le concept de “sphère publique” comme le lieu même de formation et d’expression de l’opinion publique, les médias y étaient mobilisés seulement lorsqu’ils souhaitaient donner une plus grande amplitude à son expression. Les médias n’étaient qu’un simple outil de la sphère publique. Aujourd’hui l’outil est devenu la sphère publique en soi. Les utilisateurs ont pris le contrôle et les nouveaux usages ne cessent de se développer.

De nouveaux enjeux se profilent au niveau de la gestion habile des phénomènes que provoque cette inversion. Cette mutation requiert une mobilisation de la créativité ainsi qu’un nouveau mode d’action.

L’Internet: une technologie subversive mais c’est précisément à ce lieu de disruption que commence le travail du créateur qui anticipe l’innovation. Comme le rappelle John Howkinsdans son livre The Creative Economy, nous sommes passés du paradigme de l’efficacité productive à celui de l’intensité créative, nous pouvons parler d’une transition paradigmatique où la créativité devient centrale aux activités économiques. Scherer fait la démonstration de ce changement de régime dans l’industrie de l’audio-visuel, car les nouvelles pratiques médiatiques font partie intégrante de l’économie créative. Les grands principes qui les encadrent sont la démocratisation des moyens de production et de diffusion, la référence à une culture du remix et du mash up, ainsi que l’accent mis sur le partage et la gratuité des contenus.

Transferts de pouvoirs apporte un contenu d’avant-garde qui prime par la qualité d’analyse et de synthèse. Nous sommes confrontés à une prospection mesurée. Ce cahier positionne les enjeux pour la créativité tout en dégageant ses effets exponentiels sur l’innovation dans divers secteurs des industries culturelles et dans des pratiques professionnelles comme celle du journalisme. À la fin d’une telle lecture, il est bon de rappeler ce praticien de bonne guerre que fut Churchill: “Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne vous prenne à la gorge”.

À propos de la réviseure

Lise Boily est professeure titulaire au Département de Communication de l’Université d’Ottawa et Research Fellow associée à MosaiC, Centre de recherche et de transfert sur le management de la création dans la société de l’innovation aux Hautes Études commerciales de Montréal (HEC). Depuis les années 1970, elle apporte son expertise et assure la direction de recherches à titre de consultante à diverses organisations. Elle fait partie du comité scientifique Cognition et Communication de la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) à Paris et est membre du Comité d’experts qui a contribué à la préparation du Rapport mondial sur la diversité culturelle de l’UNESCO (2009).

Pour citer ce compte rendu:

Boily, Lise. (2013). [Compte rendu de Transferts de pouvoirs]. Global Media Journal -- Canadian Edition, 6(1), 73-75.

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