Al-Qaida a surpris plusieurs chercheurs et leaders de par son influence et ses forces de communications. Cette propagande présente depuis les trente dernières années est au coeur des analyses du chercheur et ancien journaliste de guerre germano-égyptien Abdelasiem El Difraoui. Dans Al-Qaida par l’image: La prophétie du martyre (2013), un ouvrage basé sur le recensement et le visionnement exhaustif de messages de groupe extrémiste, El Difraouinous soumet une analyse de l’organisation jihadiste Al-Qaïda à travers leurs productions audiovisuelles. Ce livre nous guide à travers la complexité identitaire de ces cellules nous permettant ainsi de comprendre les symboles identitaires, la mythologie, les mécanismes et les objectifs de propagande utilisés afin de créer la cosmologie de l’organisation.
L’auteur divise son ouvrage en trois grands thèmes: la propagande classique, la création du Grand Récit et l’eschatologie du martyre.
Propagande classique
Le jihadisme est à la base du mouvement quadiste. Prônant un jihad mineur, faisant appel à la force, Al-Qaida apporta aussi la notion du jihad global. Suivant l’idéologie de Sayyid Qutb, prônant un combat violent contre la jahillya et les juifs, Al-Qaida et son leader Ben Laden construisirent une idéologie, un récit et un mythe pouvant être diffusés à des fins de recrutement. Afin de bien saisir l’importance de ce matériel audiovisuel, El Difraoui propose d’étudier ces émetteurs afin d’observer la signification des symboles utilisés dans les messages émis. Dans la première partie, il suggère une approche historique de l’appropriation de l’idée du jihad global.
Selon l’auteur, comme le jihadisme global possède de vastes intentions et peut être repris au niveau individuel, les dirigeants de ces campagnes de propagandes devaient avoir une excellente connaissance du monde médiatique occidental. En effet, plusieurs grands concepteurs de cette propagande médiatique soit habitent ou résident présentement en Occident. De par ce fait, ils ont une grande connaissance de “l’autre” et sont à l’affut des médias occidentaux. Dû à ces connaissances et à la capacité d’adaptation du message audiovisuel, aujourd’hui nous retrouvons des formes du jihad global partout dans le monde, le rendant ainsi accessible à tous.
Puisque les dirigeants du jihad global veulent être perçus comme de “vrai musulman”, les symboles que s’approprient Al-Qaida tel que: la bannière, la calligraphie arabe, le Coran, les couleurs noir, blanc et vert, les armes, le globe terrestre signifiant l’aspect global, les noms de guerre, et les chants attachés au message véhiculé trouvent une base religieuse.
En décortiquant l’iconographie d’Al-Qaida avec l’aide de la méthodologie de Roland Barthes, ainsi qu’en prenant compte, tout comme le souligne Clifford Geertz, que mythe et religion ont tous deux un système de symboles dont la fonction est de susciter chez les êtres humains des “motivations et des dispositions puissantes, profondes et durables, en formulant des conceptions d’ordre général sur l’existence et en donnant à ces conceptions une telle apparence de réalité que ces motivations et ces dispositions semblent . . . réel” (El Difraoui, 2013: 299). L’auteur réussit à nous faire voir que la propagande fonctionne, mais qu’elle n’atteint pas l’objectif ultime du jihad global qui est de mobiliser les masses autour de l’idée de la prophétie du martyre. Ainsi comment l’audiovisuel des jihadistes est devenu l’un des plus importants de la dernière décennie?
Le Grand Récit
Dans la deuxième partie du livre, El Difraoui présente un survol des grandes guerres musulmanes et leurs impacts sur le type de propagande développée. En commençant avec la guerre afghane, qu’il qualifie de fondatrice des bases des connaissances médiatiques du jihad, l’auteur présente Abdallah Azzam, producteur de Sacrifice et conquête et de Khost les premiers films de propagande jihadiste. Selon El Difraoui, l’importance de ces vidéos “réside dans les éléments de symbolisme verbal et visuel propres aux jihadistes” (2013: 104). Ils seront la base du langage visuel des jihadistes.
L’idéologie jihadiste se transporta vers l’Angleterre avec les vagues migratoires de réfugiés et créa ce que l’auteur appelle le Londonistan qui deviendra un centre médiatique important pour l’organisation. Toutefois, ce ne sera que lors de la guerre en Bosnie que le culte du martyre s’installera au sein de l’idéologie. La défense des lieux saints et de l’idée de “croisés” fera son apparition au sein de l’audiovisuelle dans les mêmes années. De plus, tout au long dans années 1990, l’internet aidera la prolifération de l’idéologie.
Le retour de Ben Laden en Afghanistan au milieu des années 1990 sera primordial pour Al-Qaida. Selon El Difraoui, le développement d’une stratégie de propagande propulsa l’idée du jihad global. L’apogée aura lieu le 11 septembre 2001, lorsque les images des attentats feront le tour du monde. Ces images ont servit comme stratégie de recrutement, sans même devoir se les approprier. L’audiovisuel d’Al-Qaida comme facteur de cohésion ralliera les musulmans à l’idée de jihad global. La transmission de l’idéologie fut rapide et planétaire, et ce, grâce aux nouveaux médias. Ce sera en essayant d’intégrer le martyre suicide au sein du Grand Récit mythologique qu’Al-Qaida connaîtra son premier échec. La promotion du martyre suicide comme étant preuve ultime de sa foi ne fonctionnera pas comme espéré.
Le martyre
La dernière partie de cet ouvrage présente la faiblesse du projet de propagande d’Al-Qaida. El Difraoui explique que comme touts les vidéos quadistes se veulent une preuve irréfutable que ses membres obéissent aux lois mythiques du Coran, mais qu’en contrepartie l’idée de martyre suicide ne fait pas partie de la loi islamique, il fallait qu’il s’insère dans un nouveau mythe eschatologique. Pour y arriver, l’audiovisuel jihadiste présente sept éléments aidant à légitimer cet acte: 1) la conformité au récit d’origine; 2) L’existence d’un mal absolu légitimant l’acte du martyre; 3) la noblesse du martyre; 4) le voyage initiatique du martyre illustrant sa réflexion; 5) la mort du martyre n’est pas accidentelle; 6) le rîtes accompagnant la mort; et 7) la récompense de l’acte. Malgré la présence de ces éléments, des symboles coraniques tels le jardin la montagne, l’eau, le ciel et les auréoles ainsi que le symbolisme coranique entourant le leader, les jihadistes n’ont pas atteint leur but puisqu’ils sont perçus “par la majorité des musulmans . . . comme des ‘déviants’ appartenant à une secte égarée” (2013: 385).
Malgré que ce ne soit qu’au niveau la construction de l’eschatologie que le bilan de la propagande d’Al-Qaida connaisse un échec, l’organisation reste une menace pour l’avenir. “En détournant le grand récit de l’Islam . . . les propagandistes d’Al-Qaida ont complètement transformé la notion du martyre en islam” tout en introduisant la “mythologie du ‘Martyre kamikaze’” un concept jusqu’alors étranger aux traditions coraniques (2013: 391).
Suite à la lecture de l’ouvrage Al-Qaida par l’image: la prophétie du Martyre, El Difraoui réussit à présenter clairement et efficacement les mécanismes de propagande et de communication établis par les jihadistes. Son approche historique nous aide à comprendre la dynamique de ces mécanismes sur la situation au Moyen-Orient. En somme, cet ouvrage nous livre une analyse serrée de la cosmogonie et des symboles de l’organisation terroriste à travers ses messages vidéo et audio.
