ISSN: 1918-5901 (English) -- 1918-591X (Français)

 

2014: Volume 7, Issue 1, pp. 21-34

 

Transparence et communication publique:
Étude du cas de la Ligue des États Arabes

Khaled Zamoum

Université de Sharjah, Émirats Arabe Unis

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Abstract:

This study determines the contours of the transparency public communication strategy adopted by the Arab States League. It is also a reflection on the nature and the challenge of the communicative strategy of the League, which seeks to adapt to local and international social and political changes, especially as this institution aims to promote a new approach based on citizens right to access public information. Various internal and external pressures around these information rights push the League for a change especially on the communication level to promote a new image based on respecting the right to knowledge, to participate and exchange. The analysis of the corpus consisting of a total of 107 documents and statements, and 51 activities related to the theme of transparency of public communication of the Arab States League, during the period between January 1st, 2000 and October 1st, 2010, leads to a statement that this institution does not have a structured and a coherent policy on public information. Indeed, the League’s language reflects its adherence to the official policy of the Arab countries.

Keywords: Arab States League; Crisis Communication; External Communication; Public Communication; Public Space; Transparency

Résumé:

Cette étude vise à déterminer les contours de la stratégie de transparence de la communication publique adoptée par la Ligue des États arabes. Il s’agit également d’une réflexion sur la nature et l’enjeu de la stratégie communicationnelle de cette Ligue qui cherche à s’adapter aux changements sociopolitiques locaux et internationaux; surtout que cette institution vise à promouvoir une nouvelle approche basée sur le droit d’accès des citoyens à l’information publique. Les différentes pressions internes et externes autour de ces droits d’informations poussent la Ligue à un changement sur le plan communicationnel afin de promouvoir sa nouvelle image basée sur le respect du droit du savoir, de participation et d’échange. L’analyse du corpus comprenant un total de 107 documents et déclarations et 51 activités en relation avec la thématique de transparence de la communication publique de la Ligue des États arabes entre le 1er janvier 2000 et le 1er octobre 2010 a permis de constater que cette institution n’avait pas une politique structurée et cohérente en matière d’information publique. En effet, le discours de cette Ligue reflète clairement l’adhésion à la politique officielle des pays arabes.

Mots-clés: Communication de crise; Communication externe; Communication publique; Espace public; Ligue des États arabes; Transparence

Introduction

La Communication publique est une exigence démocratique et un impératif de bonne gestion. (Sauvé, 2008: 3)

L’étude a été focalisée sur la thématique de la communication publique qui est une discipline en pleine évolution surtout avec le contexte de la crise, tout d’abord, économique en Europe et aux États Unis et, ensuite politique, dans certains pays du monde arabe. La complexité de ce contexte nécessite le recours aux programmes de communications publiques qui ont été déjà développés par la notion de société de relations publiques généralisées (Miége, 1995). Ces programmes ont pour objectif de développer des relations positives avec les médias et les citoyens surtout lors de crise (Coatney, 2012). D’ailleurs, ces programmes ont été intégrés depuis les années quatre vingt dans toutes les activités et les structures conceptuelles des institutions publiques du fait de leurs responsabilités informationnelles et communicationnelles (Lemaire & Zémor, 2008). Il faut ajouter qu’il est du ressort des différents appareils et institutions de l’État d’utiliser la communication publique afin de communiquer avec les citoyens, celle-ci est une composante de l’appareil étatique (Libois, 2002), mais aussi, selon Demers (2008) cette forme de communication peut être également utilisée par des organisations paraétatiques et des entreprises privées soucieuses de leur responsabilité sociale. En outre, il apparaît important qu’un certain nombre de données d’information soient transmises au public pour que ce dernier puisse participer à la vie collective et, ainsi, maintenir le lien social (Bourdieu, 1980). Dans ce même ordre d’idée, Zemor (2005) affirme que la communication publique est la communication formelle qui tend à l’échange et au partage d’informations d’utilité publique, ainsi qu’au maintien du lien social et dont la responsabilité incombe à des institutions publiques ou à des organisations investies de missions d’intérêt collectif. La nouvelle stratégie de la communication publique passe sans aucun doute par un discours transparent. En effet, la notion de transparence est plus que jamais un droit élémentaire de la “citoyenneté moderne”, du fait qu’elle représente un outil qui permet au citoyen de s’informer et de participer dans les activités politiques et sociétales ainsi que dans la gestion des affaires publiques (Patrick, 1990).

Il faut noter que la compréhension du mécanisme de transparence dans les sociétés modernes est très complexe. Cependant ce mécanisme est en relation étroite avec la notion d’espace public (Habermas, 1992). Cet espace représente un contre-pouvoir aux institutions étatiques et permet une certaine liberté d’expression et de revendication sociopolitique nécessaire à la promotion du droit à l’information et à la participation dans la gestion des affaires publiques. Pour cela, le public doit être informé d’une manière claire et objective afin d’éviter tout dysfonctionnement des institutions publiques. Par ailleurs, il a été démontré par Heemsbergen (2013) que la transparence contribue à l’évolution des pratiques démocratiques.

L’objectif du mécanisme de transparence implique une stratégie de la communication publique de choix que ce soit sur le plan des enjeux, des risques et des décisions. La transparence doit faire partie intégrante de la stratégie de communication publique moderne, car elle consiste à promouvoir la cohérence du discours de l’organisation. De plus, cette forme de transparence est le sens même de l’anticipation dans la gestion rationnelle de l’information, car la communication publique fonctionne dans un sens de logique de relais ce qui garantie une circulation de l’information d’une manière cohérente. La Ligue des États arabes doit mettre en place un mécanisme de transparence, il s’agirait d’un plan s’appuyant sur la formulation d’une information objective, claire et cohérente, de favoriser la communication publique bidirectionnelle afin d’encourager une communication interactive et, enfin, de mettre en place des outils de gestion participative qui permettent une implication directe du public dans le processus de prise de décision surtout que les nouvelles technologies de l’information et de la communication permettent actuellement sa participation directe et interactive afin de garantir une gouvernance démocratique basée sur une communication transparente.

Approche méthodologique

Comme toute institution internationale, la Ligue des États arabes1 est censée avoir une stratégie de la communication publique qui défend les intérêts des citoyens surtout dans les domaines du droit de savoir et de participation. En réalité, cette Ligue représente officiellement les États; cela engendre une difficulté à cerner sa tache dans le domaine de l’action communicationnelle publique en relation directe avec les citoyens. Ainsi, depuis le début de l’année 2011, la Ligue est en quête d’une nouvelle stratégie communicationnelle publique qui se voudrait être en harmonie avec les idéaux du printemps arabe. Cette stratégie représente un réel défi pour la Ligue, car, depuis sa création, de nombreux changements sociopolitiques ont eu lieu dans certains pays arabes.

Depuis 2011, la Ligue vise à développer un capital communicationnel public plus pragmatique et proche des masses populaires afin d’améliorer son image. Ce processus de management communicationnel est long et périlleux et demande une volonté de changement basée sur la transparence de son action, le respect de la liberté de pensée et le droit à l’information.

Cet article vise à analyser et à comprendre les enjeux et les défis de la stratégie de transparence de la communication publique adoptée par la Ligue des États arabes et, cela, en se basant sur les aspects formels des moyens de communication. En particulier le journal interne, les communiqués de presse, les déclarations officiels et le site web de la Ligue.2 Nos principales sources sont les médias et le site web de la Ligue. Ainsi, un premier inventaire des moyens de communication a été effectué entre le 1 janvier 2000 et 1 octobre 2010 et, un second, entre le 17 décembre 2010 qui marque le début de la révolution tunisienne et le 27 novembre 2011 date d’adoption de la Ligue des sanctions contre le régime syrien.

Il faut signaler l’interférence dans la thématique relative à la communication publique avec la communication politique particulièrement lorsqu’il s’agit d’analyser et de comprendre le contexte des révolutions et de cette période de transition démocratique dans les pays arabes. Pour répondre à cette problématique, paraît nécessaire de poser les questions suivantes:

- Quels sont les indicateurs du point de vue organisationnel et structurel qui permettent de situer la nouvelle stratégie de transparence de la communication publique de la Ligue des États arabes?
- Quels sont les objectifs et les caractéristiques de la nouvelle stratégie communicationnelle publique de la Ligue?
- Quelle est la place réservée au droit des citoyens quant à l’accès à l’information de la Ligue?

Pour mieux cerner les aspects essentiels de notre sujet l’hypothèse suivante a été définie: l’absence d’une stratégie de transparence de la communication publique de la Ligue depuis sa création jusqu’à l’avènement du printemps arabe a contribué à véhiculer une image négative de cette institution.

Transparence de la communication publique: Outil de bonne gouvernance

La transparence dans la communication publique constitue un outil de bonne gouvernance surtout qu’elle permet un accès libre à l’information publique et au droit de savoir. De plus, la transparence ne se limite pas uniquement au niveau informationnel, mais aussi à la procédure de prise de décision et de la participation de la société civile ainsi que celle des médias dans les débats et les discussions sur les résultats et les performances des organisations publiques. De ce fait, ces dernières sont appelés à adopter une stratégie de bonne gouvernance ce qui les motivent à communiquer librement et avec plus de transparence. Il faut signaler l’existence d’une association transparence/gouvernance essentiellement du point vue de la gestion de l’information et de la divulgation des informations relatives à l’image de l’organisation.

De plus, l’exposition de l’organisation aux médias locaux et internationaux constitue un facteur supplémentaire pour qu’elle adopte une communication transparente, car ces moyens d’information et de communication de masse sont devenus de plus en plus des espaces de divulgations de l’information qui peuvent nuire à l’image de l’organisation. Par conséquent, les médias sont devenus un support et un allié incontournable qui poussent les organisations à adopter une stratégie de bonne gouvernance et de transparence dans la communication (Akhtar & Malla, 2000), par le fait que ces moyens de communication jouent un rôle primordial dans le débat public et ils représentent la plus importante source d’information et de débat sur les affaires publiques.

En ce qui concerne la circulation de l’information et des connaissances (Elissalde, Gaudet & Renaud, 2010), il faut noter que les nouvelles technologies de l’information et de la communication jouent un rôle relativement important dans l’adoption de la bonne gouvernance et de la transparence dans la communication publique, car l’Internet et les réseaux sociaux poussent les organisations publiques à développer un discours crédible et transparent. Actuellement, le grand public ainsi que la société civile exercent un pouvoir de contrôle et de critique de l’information qui circule par le biais des réseaux électroniques comme les réseaux sociaux et les sites Internet. Cela, représente un réel défi pour les organisations publiques pour adopter une communication transparente et favoriser une participation active de la société civile, des médias et du public dans la gestion des affaires publiques.

Les organismes de réglementation dans certains pays démocratiques imposent aux organisations publiques une transparence dans la communication publique du fait que le droit de savoir et le droit à l’information sont des droits essentiels à la bonne gouvernance et à la citoyenneté participative. Or, le citoyen a le droit de participer à la gestion des affaires publiques, à discuter et à communiquer librement avec les différents organismes publics. De ce fait, selon Cormier et Aerts (2006), la réglementation représente une nouvelle forme de pression qui impose aux organisations publiques une transparence dans la communication publique que ce soit sur le plan d’accès à l’information ou sur le plan de la gestion de l’information et la communication publique.

Pouvoir institutionnel et mécanisme de transparence

L’analyse du corpus comprenant un total de 107 documents et déclarations et 51 activités en relation avec la thématique de la transparence de la communication publique de la Ligue des États arabes qui s’étendent sur une période entre 1 janvier 2000 au 1 octobre 2010 a permis de constater que cette institution n’avait pas une stratégie cohérente en matière d’information et de la communication publique. En effet, le discours de la Ligue reflète clairement son adhésion à la politique officielle des pays arabes. De plus, la question de la communication est gérée par un département de relations publiques qui traite directement avec les medias gouvernementaux, sans se soucier des attentes en matière d’information du grand public. Enfin, la question de l’image et de la transparence de cette institution ne se pose même pas du fait qu’elle perçoit des cotisations et des fonds de tous les pays membres ce qui lui garantit une situation financière relativement confortable. Notre analyse du corpus a démontré que la stratégie de la communication de la Ligue a été directement inspirée des différents modèles idéologiques qui gouvernent le monde arabe; or cette institution n’envisage guère à une participation citoyenne dans les débats politiques et dans la gestion des affaires publiques, alors qu’en réalité la philosophie de la communication publique est orientée vers la participation active des citoyens dans la gestion des affaires de la société. Cette vision de transparence de la communication publique n’existe pas dans le discours et la pratique de la Ligue.

Les résultats de l’analyse mettent en évidence l’aspect bureaucratique dans la gestion de la communication publique par la Ligue. En fait, l’organisation du système communicationnel ne permet pas une transparence et une flexibilité dans la circulation et la gestion de l’information. D’ailleurs toute action, déclaration ou échange d’information doit être supervisé et géré par le bureau politique de la Ligue. Cela représente un fardeau bureaucratique qui encombre l’action et l’interaction directe et simultanée avec les médias et le grand public. Notant que la communication publique nécessite souvent une rapidité dans la déclaration afin d’aider le public à comprendre et à décoder le flux d’information (Schenkler & Herrling, 2004). Dans le même ordre d’idée, nous avons remarqué que les informations émises par le service de presse de la Ligue et publiées sur son site web et diffusées par les médias sont les déclarations officielles des responsables de cette Ligue. Ainsi, il s’agit d’une instrumentalisation directe des services de communication afin de passer les messages officiels sans permettre au même service d’analyser ou de commenter ces déclarations. Cette politique de relais d’information et de contrôle directe sur le contenu et la politique de la communication publique ont fait perdre à la Ligue toute crédibilité auprès de l’opinion publique.

En ce qui concerne le mécanisme de circulation de l’information, le modèle “point à point” de Claude Shannon (Bougnoux, 2001: 33) est adopté par cette institution et, il consiste à favoriser une communication unidirectionnelle et linéaire ainsi, ni la relation entre les interlocuteurs ni le contexte ne sont pris en considération. En fait, ce modèle défavorise le mécanisme de rétroaction du public. D’ailleurs son avis en matière d’information politique n’est pas toujours connu, du fait que cette institution n’accorde pas d’importance à la réalisation d’enquête de terrain pour déterminer les attentes de l’opinion publique. De ce fait, ce mécanisme de circulation de l’information adopté par la Ligue consacre d’une part, le dogme du pouvoir institutionnel sur le droit des citoyens à la participation dans la prise des décisions et, d’autre part, il ne favorise pas une politique transparente dans la gestion de l’information publique.

Durant la période d’étude, 376 activités ont été comptabilisées en matière de la communication publique dont 219 sont consacrées essentiellement au monde arabe ce qui représente 58.2% de l’ensemble des activités de la communication publique recensées (Tableau 1). Ce pourcentage démontre l’importance, du moins sur le plan quantitatif, qu’accorde la Ligue à sa nouvelle stratégie de la communication publique en relation avec son contexte arabe.

En réalité, cette nouvelle approche communicationnelle représente une étape importante dans la relation et l’interaction de la Ligue avec son environnement sociopolitique et, par rapport, à la question du droit de savoir des citoyens qui a été longtemps ignoré. Il faut noter que ces différentes activités et programmes de communication publique ne sont pas un outil suffisant pour affirmer que la Ligue est entrain d’adopter une politique de transparence. En fait, la notion de transparence est beaucoup plus large et englobe des aspects structurels, fonctionnels et participatifs dans la conception et la gestion de l’information publique.

Les communiqués de presse de la Ligue des États arabes

Le Tableau 1 montre que les communiqués de presse en relation avec la situation dans le monde arabe occupent la première position avec 34.7% de l’ensemble des activités de la communication publique. Cela démontre que la Ligue porte un intérêt particulier à la question de la communication externe destinée aux médias.

L’analyse sémiotique du contenu d’une grande partie de ces communiqués de presse reflète la position officielle de la Ligue qui vise à recomposer sa stratégie politique tant sur le plan du discours officiel que sur le plan des activités de la communication publique. C’est dans cette optique qu’une grande partie de ces communiqués de presse abordent les positions vis-à-vis des enjeux sociopolitiques et économiques, ainsi que la question palestinienne d’une manière pragmatique afin de se conformer avec les ambitions et les revendications du public. En réalité, l’analyse du contenu de ces communiqués de presse ne reflète pas une politique de transparence de la Ligue, surtout qu’une partie de ces communiqués ignore les différentes opinions et approches vis-à-vis de certains sujets politiques. De plus, ces communiqués de presse n’accordent pas beaucoup d’intérêt à citer le contexte dans lequel le sujet a été débattu.

Communication publique électronique: Espace public virtuel

La technologie de l’information a été un facteur déterminant dans l’adoption de la Ligue d’une nouvelle stratégie communicationnelle qui consiste à favoriser une visibilité accrue de son action en matière de la communication publique sur le web. En général, la communication publique électronique de cette institution occupe la deuxième place avec 25.6% de l’ensemble des activités recensées du fait qu’une grande partie de la population participe activement dans les différents débats sur les réseaux sociaux et utilise l’Internet comme un espace public virtuel afin d’exprimer ses idées et ses préoccupations.

Tableau 1: État de la communication publique de la Ligue des États Arabes
(du 17/12/2010 au 27/11/2011)

Moyens de communication

Total*

Fréquence relative

Total**

Fréquence relative

Communiqués de presse

133

35.4

76

34.7

Conférences de presse

25

6.6

15

6.8

Séminaires

10

2.7

0

0

Entrevues

44

1.7

29

13.2

Communications sur Internet

86

22.9

56

25.6

Publication bulletins d’information

11

2.9

6

2.7

Réunions avec des représentants
(société civile et citoyens)

21

5.6

15

6.8

Publication de rapports

9

2.4

4

1.8

Participation aux débats
(chaînes audiovisuelles)

17

4.5

12

5.5

Visites de terrain

14

3.7

6

2.7

Expositions

5

1.3

0

0

Récompense

1

0.3

0

0

Sondage d’opinion

0

0

0

0

Communication sur les réseaux sociaux

0

0

0

0

Campagne d’information

0

0

0

0

Total

376

100

219

100

* Total des communications utilisées
** Nombre d’activités en relation avec le printemps arabe

La communication publique de la Ligue sur le web vise à lui permettre de présenter sa politique locale et internationale et de véhiculer une nouvelle image axée sur sa capacité d’action et de mobilisation en faveur de la paix civile.

Dans cette logique le site web de la Ligue est devenu l’outil de communication et d’information le plus détaillé sur son action dans les différents domaines. D’ailleurs, l’ensemble des communiqués de presse, des interviews, des déclarations officielles, des conférences de presse et des différentes formes d’actions publiques de la Ligue sont publiés et diffusés sur son site officiel.

L’analyse globale du site a démontré que l’ensemble des activités et des discours de la Ligue visent à montrer sa capacité à s’adapter à cette nouvelle réalité et à défendre le droit à l’information dans le monde arabe.

Par ailleurs, il s’agit de remarquer que la nouvelle stratégie de la communication de cette institution sur le web a évolué significativement par rapport à sa politique médiatique globale. En réalité, cette stratégie ne dispose d’aucune vision en matière de la communication interactive notamment dans celle faisant partie des réseaux sociaux. D’ailleurs, le Tableau 1 démontre clairement l’absence de la communication de la Ligue sur les réseaux sociaux, alors que ces espaces virtuels sont devenus des “espaces protestataires” (Camau & Geisser, 2003: 51) ou de “‘cyber dissidence’ en référence aux internautes qui contestent et font entendre très ouvertement leurs idées sans pour autant appartenir à aucune organisation politique ou militante” (Lecomte, 2009: 201).

L’approche de la Ligue sur le web est intéressante du point de vue de sa visibilité et de son image, mais elle ne favorise pas forcement une adoption d’une politique de transparence qui consiste à encourager un débat direct avec le grand public, d’exposer les différents avis et opinions et de communiquer les informations au public.

Communication interactive et transparence de la communication publique

La dernière décennie est celle de l’explosion de l’utilisation de la communication interactive dans la gestion et l’organisation des affaires publiques (Demers, 2008). Les organisations recourent à toutes les nouvelles technologies d’information et de communication afin d’assurer leur mission de communication et d’organisation, de sorte que la participation du citoyen dans la gestion des affaires publiques soit prise en considération et dans la mesure où les citoyens exigent de leurs institutions de la transparence et de l’écoute (Zamoum, 2008).

De quelle manière la communication interactive a-t-elle influencée la stratégie de transparence de la communication publique de la Ligue des États arabes? La communication interactive est-elle perçue comme un outil de communication ou plutôt comme un outil actif de mise en œuvre des politiques institutionnelles?

En se référant au Tableau 1, deux tendances en matière de communication sont à noter, d’une part celle d’une “communication unidirectionnelle” (Grunig & Hunt, 1984: 65) très présente dans les programmes de la Ligue et, d’autre part, celle d’une “communication bidirectionnelle asymétrique”3 faiblement représentée dans ses activités et programmes.

Nous avons noté que par rapport à l’ensemble des activités de la Ligue en matière de communication publique 6.8% sont consacrées aux réunions avec des représentants de la société civile et des citoyens pour débattre des différents sujets en relation avec les problèmes du monde arabe et 5.5% aux débats télévisés afin de débattre des programmes sociopolitiques et culturels adoptés par la Ligue. Ces résultats montrent l’intérêt que porte la Ligue à la participation de la société civile dans les débats et, cela, dénote sa nouvelle approche à l’égard des organisations non gouvernementales et aux leaders de l’opinion publique arabe.

Les résultats de cette étude ont montré l’absence de l’utilisation de sondage d’opinion comme outil de communication afin de comprendre l’avis et les attentes des citoyens. Le même constat est à noter pour l’utilisation de campagne d’information qui est un bon outil de communication et de sensibilisation du public sur des sujets importants notamment durant cette période cruciale.

Il apparaît selon notre analyse globale que la Ligue n’accorde pas assez d’importance à la communication interactive et bidirectionnelle, aux questions liées à l’implication, à l’écoute et à la participation du public et de la société civile dans le débat sur sa politique. De plus, son site web ne contient pas d’outil ou d’option de la communication interactive; alors que ces éléments représentent les fondements et les bases d’une politique communicationnelle transparente qui pourraient permettre au public d’exprimer ses idées, ses attentes et de participer à l’enrichissement du débat public.

Transparence et communication de crise

La communication de crise est un outil (Schultz & Raupp, 2010) très important dans la gestion de n’importe quelle crise (Jin, 2009). Elle nécessite une “planification du flux d’information” (Schoenberg, 2005: 5), des ressources humaines et des techniques et, cela, impose aux institutions une coordination parfaite afin de gérer une situation sensible (Center & Jackson, 2003). La transparence doit être une composante de la communication de crise, car elle peut jouer un rôle crucial dans la gestion des conflits et des crises du fait de sa capacité à mobiliser les médias et l’opinion publique.

De par la nature de la crise qui sévit dans certains pays du monde arabe la Ligue est supposée avoir un plan de la communication de crise. Or, notre analyse de la stratégie de la communication de crise de la Ligue pendant notre période d’étude a démontré clairement qu’elle avait besoin d’un plan d’organisation et de coordination à tous les niveaux et, essentiellement, celui de la coordination entre le discours politique officiel et l’action médiatique. Dans ce contexte, l’exemple le plus marquant c’est le moment où son secrétaire général monsieur Amr Moussa a critiqué publiquement, le 25 mars 2011 les bombardements de la coalition sur la Libye. Moussa a estimé qu’ils s’écartaient de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l’ONU; alors qu’un communiqué de presse de la Ligue a approuvé l’intervention militaire de la coalition en déclarant: “Nous travaillons en coordination avec l’ONU pour protéger la population civile en Libye” (Alarabia, 2011, mars 12). Ce double langage reflète l’ambigüité de son discours public pendant la période de la crise libyenne.

Dans ce même ordre d’idées, le manque d’expérience et de professionnalisme de la Ligue dans la gestion de la communication de crise face aux événements du printemps arabe est flagrant; le fait le plus important est le temps non négligeable qu’a pris son département des relations publiques à communiquer ses positions et ses déclarations officielles et, pourtant, une crise se gagne avant son émergence (Schultz & Raupp, 2010).

La stratégie de la communication de crise de la Ligue consiste à prendre le temps et à attendre l’évolution de la situation et d’écouter les différents avis nationaux et internationaux afin d’exprimer sa position vis-à-vis des évènements du printemps arabe. D’ailleurs, cette approche communicationnelle en temps de crise est critiquée par les médias arabes, la société civile et les mouvements sociaux en relation avec le printemps arabe, du fait que la logique de gestion de la communication de crise consisterait à prendre l’initiative pour informer et communiquer la position et la vision de la Ligue le plus vite que possible afin d’éviter tout amalgame ou critique inutile. Dans ce contexte, le 19 janvier 2011 en commentant la révolution tunisienne Amr Moussa affirme que: “Des citoyens arabes sont dans un état de colère et de frustration sans précédent” (Agence France Presse, 2011, janvier 20). Alors que le déclenchement de la révolution tunisienne a eu lieu le 17 décembre 2010. Il faut remarquer que la déclaration d’Amr Moussa est survenue un peu plus d’un mois, le 19 janvier 2011, après le début de la révolution tunisienne.

Tout au long de notre étude nous avons remarqué que la gestion de la communication de crise par la Ligue a été axée sur deux aspects: le rapport aux médias étrangers et les communiqués de presse. Il apparaît que cette institution accorde beaucoup plus d’importance à communiquer avec les médias étrangers qu’avec les médias arabes; d’ailleurs la plus grande partie des interviews et des déclarations ont été accordées aux médias étrangers. Cela, s’explique en partie par le fait que la Ligue a besoin d’exprimer sa politique et sa démarche à l’opinion publique internationale. De plus, la Ligue est consciente du fait que l’opinion publique arabe est très critique et n’accorde que très peu de crédibilité à la plupart des médias arabes.

Nous avons relevé que la Ligue utilise plus les communiqués de presse au détriment d’autres outils de la communication de crise tels que les réseaux sociaux, les réunions avec des représentants de la société civile et des citoyens, les conférences de presse et les campagnes d’information. Les communiqués de presse représentent 34.7% de l’ensemble des activités de la communication publique. En réalité ces communiqués de presse ne peuvent pas être efficaces s’ils ne sont pas intégrés dans une stratégie de gestion et d’organisation de la communication de crise. De plus, ils ne peuvent pas répondre à tous les questionnements et les critiques des médias et du public.

D’autre part, l’utilisation des campagnes d’information en temps de crise représente un outil de communication et de sensibilisation utile surtout pour expliquer la position de l’organisation et de défendre ses intérêts. Notre analyse du corpus (Tableau 1) a démontré que la Ligue n’a pas utilisé les campagnes d’information durant la période d’étude pourtant très marquée par les différentes crises. Malheureusement le même constat est à noter à-propos de l’utilisation des réseaux sociaux dans la gestion de la crise du printemps arabe (Tableau 1). Ces moyens de communication de masses sont utilisés par les communicateurs en temps de crise car ils permettent un flux d’informations ciblées et une interactivité communicationnelle simultanée avec le public visé.

Le rôle et l’impact des réseaux sociaux dans la gestion et l’évolution de crise, particulièrement d’ordre sociopolitique, sont primordiaux du fait que le public en temps de crise n’est plus récepteur de l’information, mais un réel acteur dans l’instrumentalisation et l’utilisation de cette information.

Bien qu’il n’y ait pas eu d’évaluation formelle de la gestion de la communication de crise de la Ligue, notre analyse a démontré que cette gestion est plutôt traditionnaliste et bureaucratique: elle nécessite une évolution et sa remise en question.

De plus, il est nécessaire de mettre en place une cellule de professionnelle en communication de crise qui serait en mesure de coordonner les différents services concernés, en fournissant les informations et les conseils pertinents aux responsables de la Ligue.

Conclusion

L’exigence d’une évolution de la stratégie de la communication publique de la Ligue des États arabes s’est imposée particulièrement avec les changements sociopolitiques locaux et internationaux. Ainsi, la communication publique doit être un instrument d’échange de l’information publique dans le monde arabe afin de permettre une participation active et positive des citoyens dans la gestion des affaires publiques.

Cependant, les exigences de la transparence de la communication publique de la Ligue lui imposent de s’ouvrir de plus en plus vers le monde extérieur et de communiquer avec les différents acteurs publics et d’être à l’écoute de l’opinion publique et de la société civile en développant un espace de discussion civique comme il a été défini par Rieffel (2005).

L’ensemble des résultats de cette étude démontrent que la stratégie de transparence de la communication publique adoptée par la Ligue vise essentiellement à garantir une visibilité médiatique de son action et ses différents programmes et non une réelle crédibilité et objectivité. Cependant, cette approche reflète l’ambiguïté et l’absence de politique communicationnelle publique claire basée sur le respect des droits des citoyens à l’information, à la participation dans les débats publics. Or, une stratégie de communication transparente favorise une approche fondée sur “un système ouvert sur la communication avec le public” (Bessières, 2010: 71), une proximité et un échange de l’information avec les citoyens (Adler & Towne, 1991).

Le bilan des insuffisances en matière de gestion et d’organisation de la communication publique, mais surtout le désir sincère de les corriger peuvent constituer pour la Ligue le socle d’une politique d’information transparente et réaliste à destination de l’opinion publique.

Ces constats sont autant d’arguments, de preuves qui militent en faveur de la mise en place d’une structure de professionnelle en communication publique afin de gérer l’image et les rapports avec les différentes composantes de la société civile.

De plus, l’action de la communication publique de la Ligue en matière de politique de transparence doit s’appuyer sur des instruments de management public (Bessières, 2010) qui visent à mettre en place un programme de gestion, de recherche d’efficience et d’évaluation de l’ensemble de ses activités dans le domaine de la communication publique. Cette action managériale (De La Broise & Brulois, 2010) consiste à développer une nouvelle approche dans la gestion de l’information et de l’image de la Ligue en utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication essentiellement interactive et bidirectionnelle telles que les blogs, les wikis et les réseaux sociaux. De plus, la stratégie de transparence de la communication publique de la Ligue doit être basée sur un discours clair et une action concrète.

Notes

1 La Ligue des États arabes est une institution qui a été fondée le 22 mars 1945 et regroupe 22 pays arabes. Son siège officiel se situe au Caire en Egypte. Son rôle est de cordonner une action commune en matière politique, économique, culturelle et sociale entre ses membres (Gresh & Vidal, 2003).

http://arableagueonline.org.

3 La bidirectionnalité asymétrique: ce modèle proposée par Grunig et Hunt (2004) est basé sur une écoute et une prise en compte réelle des attentes et des intérêts des publics.

Bibliographie

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À propos de l’auteur

Khaled Zamoum est spécialiste en communication. En 1998, il a soutenu sa thèse de Doctorat en Science de l’Information à l’Université de Paris II (France). Actuellement il est enseignant-chercheur à l’Institut de Communication (Université de Sharjah). Il est consultant-chercheur en information à l’Union des Radiodiffusions des États Arabes. Ses travaux portent sur les mutations socioculturelles des médias dans la société de l’information.

Pour citer cet article:

Zamoum, Khaled. (2014). Transparence et communication publique: Étude du cas de la Ligue des États Arabes. Global Media Journal -- Canadian Edition, 7(1), 21-34.

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