ISSN: 1918-5901 (English) -- 1918-591X (Français)

 

2014: Volume 7, Issue 2, pp. 83-86

 

Un compte rendu de livre par

Salah Basalamah

Université d’Ottawa, Canada

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Mission Invisible: Race, Religion, and News at the Dawn of the 9/11 Era
Par Ross Perigoe et Mahmoud Eid
Vancouver: University of British Columbia Press, 2014. 315 pp.
ISBN: 9780774826488.

On pourrait penser que près d’une décennie et demie après les évènements tragiques du 11/9 Ross Perigoe et Mahmoud Eid reviennent avec une étude de cas surexploitée sans rien de neuf à nous apprendre. Pourtant, l’actualité ne cesse de démontrer la pertinence et l’opportunité de leur ouvrage, en plus du fait qu’il vient d’être sélectionné parmi les meilleurs ouvrages de 2014 dans l’hebdomadaire canadien the Hill Times (Malloy, 2014, décembre 15).

En effet, alors qu’au lendemain des décisions de relaxer les policiers impliqués dans la mort de Michael Brown et d’Eric Garner aux Etats-Unis la persistance du racisme sous le mandat du premier président noir de son histoire demeure l’un des plus grands paradoxes de l’état de droit américain, il n’est pas moins paradoxal de constater que des formes contemporaines de racisme soient identifiées dans les institutions médiatiques du pays où le multiculturalisme fait force de loi.

Par une nouvelle forme de racisme toujours plus pernicieuse et insensible à l’œil du lecteur non averti, la mission que le journal The Gazette de Montréal s’est donnée au lendemain des évènements du 11/9, selon Perigoe et Eid, fut d’aggraver l’invisibilité déjà existante d’une minorité pourtant dite “visible”.

Or ce n’est pas tant l’invisibilité de “l’ennemi musulman” que les auteurs considèrent comme l’objet de leur découverte que celle des nouvelles formes de racisme mises à l’œuvre dans certains médias. Le racisme—désormais produit par un processus de racialisation du religieux dans le cas musulman—est aujourd’hui de plus en plus sophistiqué, à peine perceptible si ce n’est à l’œil expert et équipé des outils de l’analyse critique du discours de nos chercheurs.
Ne pouvant se formaliser dans les formes de racisme plus directes d’antan, ces derniers ont cependant réussi à répertorier pas moins de sept catégories du “nouveau racisme” dont la caractéristique principale est à la fois d’être et de rendre invisible: le vocabulaire qui dépeint l’ennemi intérieur; le traitement des minorités par leur ignorance; leur quasi-inexistence dans la profession journalistique; leur racialisation par le biais de leur appartenance religieuse plutôt que par leur apparence; leur homogénéisation malgré leur diversité; leur effacement parmi les victimes (directes et collatérales) de la tragédie et enfin le déni de toute éventuelle accusation de racisme par une sorte de légitimation des peurs néanmoins racistes.

Ces résultats—agrémentés de recommandations que The Gazette et bien d’autres appareils de presse gagneraient à s’en inspirer—ne sont certes pas le produit d’une inspiration contemplative, mais bien celui d’une étude rigoureuse, systématique et exemplaire. En effet, au-delà de l’annonce et de l’application d’une méthodologie d’analyse détaillée et dénotant une maîtrise parfaite des instruments de mesure à la fois quantitative et qualitative des données du corpus (362 articles) sur une période de trois semaines (11-30 septembre 2001), il est à souligner que la structuration de l’analyse et de la démonstration dans son ensemble relève tout autant de l’ordonnancement logique des idées que de l’art architectural. Non seulement les dix chapitres sont intitulés selon un mode itératif et assonant (Mission + X-s/tion), embrassés par une introduction qui pose la question de la visibilité à laquelle répond la conclusion par le constat de l’invisibilité, mais l’ensemble de la démonstration se déploie dans une sorte de progression quasi-dramatique. De plus, même le corpus a été divisé selon une séquence tripartite progressive: “Stunned in Grief, Justifications of War, and Readying for War” (Perigoe & Eid, 2014: 27). Loin d’aliéner les chercheurs habitués au ton et à la rhétorique des textes universitaires traditionnels, il reste néanmoins que chaque mot associé à mission, si son sens n’est pas immédiatement perceptible, peut constituer une espèce d’indice-énigme pour comprendre le sens de l’argumentaire développé dans le chapitre en question.

En plus des résultats ainsi obtenus, il est à noter que l’une des plus importantes contributions de cet ouvrage—le dévoilement des subtilités discursives du nouveau racisme—converge vers des préoccupations par ailleurs similaires dans les publications les plus récentes, notamment dans les domaines des médias (Fleras, 2014; Johnson & Enomoto, 2013), de l’enseignement supérieur (Ahmed, 2012 ; Cote-Meek, 2014; Heer et al., 2012; Henry & Tator, 2013) ou encore dans celui de la politique (Lopès, 2014; Razack, 2013). En effet, si l’on prend le seul cas de ce dernier, on constate que l’ouvrage de Perigoe et Eid recoupe à la fois les domaines du politique et du médiatique en ce qu’il met en cause non seulement les idéologies qui sous-tendent les complexes politico-financiers qui possèdent les organes médiatiques en amont, mais également la manière par laquelle ces idéologies se traduisent dans le discours journalistiques en aval. En ce sens, les auteurs soulignent plus d’une fois que dans le corpus analysé, les journalistes n’imitent pas moins les positions des leaders politiques qu’ils ne les confortent par une rhétorique discursive qui trahit leurs propres positions.

Une telle mise en cause des politiques éditoriales idéologisées de certains médias pose cependant la question de l’existence des codes d’éthique journalistiques et de leur application, ainsi que des recours à disposition contre les traitements médiatiques biaisés. Or, bien que le chapitre 10 ait systématiquement évalué le niveau de succès de The Gazette à remplir ses devoirs d’équité à la fois envers ses lecteurs “blancs” et musulmans, il demeure que les auteurs ont étrangement passé outre le traitement de la question dans sa dimension éthique, voire plus précisément déontologique. En effet, si les résultats des analyses ont abouti aux constats d’échec qu’ils ont faits, il n’en reste pas moins qu’aucune vérification n’a été faite auprès de la CRTC ou du Conseil de presse du Québec pour savoir si des plaintes avaient été déposées dans le même sens ou des blâmes attribués à The Gazette en particulier durant la période analysée. Si l’on devait ne pas faire l’économie d’une recommandation pour des changements systémiques dans le processus éditorial du journal incriminé, ce serait celle de la responsabilisation éthique de ce dernier et l’utilisation des voies de recours existantes par le public lésé. Mais les pistes de recherche qui pourraient prolonger cette recherche sont nombreuses, et certaines excellentes ont déjà été signalées par les auteurs en conclusion.

En somme, cet ouvrage se distingue à la fois par le courage de la dénonciation dont il se fait la voix (moins l’affect) et la justesse de la mise en cause (tout aussi dégagée) d’une tendance raciste dans certaines pratiques journalistiques en tant d’épreuve. Mais l’épreuve, n’est-elle pas continue et l’histoire répétée?

Bibliographie

Ahmed, Sara. (2012). On being included: Racism and diversity in institutional life. Durham, NC: Duke University Press.

Cote-Meek, Sheila. (2014). Colonized classrooms: Racism, trauma and resistance in post-secondary education. Black Point, NS: Fernwood Publishing.

Fleras, Augie. (2014). Racisms in multicultural Canada: Paradoxes, politics, and resistance. Waterloo: Wilfrid Laurier University Press.

Heer, Jeet, Ma, Michael C.K., Bhandar, Davina, & Gilmour, R. J. (Eds.). (2012). “Too Asian?”: Racism, privilege, and post-secondary education. Toronto: Between the Lines.

Henry, Frances & Tator, Carol. (2013). Racism in the Canadian university: Demanding social justice, inclusion, and equity. Toronto: University of Toronto Press.

Johnson, Geneviève Fuji & Enomoto, Randy. (2013). Racism, racialization and anti-racism in Canada and beyond. Toronto: University of Toronto Press.

Lòpez, Ian Haney. (2014). Dog whistle politics: How coded racial appeals have reinvented racism and wrecked the middle class. Oxford: Oxford University Press.

Malloy, Kate. (2014, décembre 15). The Hill Times’ list of the best books in 2014. The Hill Times. Consulté le 15 décembre 2014 de http://www.hilltimes.com/100-best-books/2014/12/15/the-hill-times-list-of-the-best-100-books-in-2014/40576.

Razack, Sherene. (2013). Casting out: The eviction of Muslims from Western law and politics. Toronto: University of Toronto Press.

À propos du réviseur

Salah Basalamah est actuellement professeur agrégé à l’École de traduction et d’interprétation à l’Université d’Ottawa. Ses domaines de recherche vont de la philosophie au droit de la traduction en passant entre autres par le postcolonialisme, les Cultural Studies, les Conflict Studies et les philosophies sociale et politique. Il est l’auteur de l’ouvrage Le droit de traduire: Une politique culturelle pour la mondialisation (2009) aux Presses de l’Université d’Ottawa. Il a également traduit vers le français l’ouvrage de Fred A. Reed: Images brisées, paru en 2010 à Montréal chez VLB, sur l’histoire de l’iconoclasme en Syrie.

Pour citer ce compte rendu de livre:

Basalamah, Salah. (2014). [Compte rendu du livre Mission invisible: Race, religion, and news at the dawn of the 9/11 era]. Global Media Journal -- Canadian Edition, 7(2), 83-86.

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