Directrice de campagne à la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, Heidi Rathjen a participé à la 10e Conférence mondiale sur le tabac ou la santé du 24 ou 28 août à Beijing.
par Heidi Rathjen
L'accueil solennel que les autorités chinoises ont réservé aux délégués à la conférence de Beijing n'avait rien de démesuré en regard de l'épidémie tabagique en Chine - mais comportait aussi son lot de contradictions.
C'est le président chinois Jiang Zemin en personne qui nous a souhaité la bienvenue dans le Grand palais du peuple, situé en face de la place Tian'anmen. Nous avons aussi eu droit à un véritable traitement de faveur lors de nos déplacements en autobus : la circulation, d'habitude chaotique, a été déviée pour nous laisser passer à une vitesse plus « convenable » pour des invités étrangers. C'est d'un il sceptique que nous avons constaté l'absence totale de publicité de produits de tabac dans toute la ville - publicité abondamment présente avant notre arrivée selon nos conversations limitées avec les citoyens chinois.
L'État chinois a donc pris la Conférence mondiale très au sérieux, ce qui n'a rien d'étonnant quand on connaît l'étendue du tabagisme en Chine. Environ 320 millions de Chinois fument, dont presque les trois quarts des hommes. Les Chinois consomment 1,7 billions (soit 1 700 milliards) de cigarettes à chaque année, ce qui représente près du tiers de la consom-mation mondiale. Parmi les fumeurs chinois actuels, 100 millions décéderont à cause du tabac.
En même temps, l'État chinois est d'une certaine façon la plus grande compagnie de tabac au monde. La fabrication de cigarettes chinoises est réservée aux entreprises d'État, et ce monopole compte pour plus de 10 % des recettes publiques. On ne se gêne pas non plus pour exporter le problème : le numéro un chinois de l'exportation vend environ 650 millions de cigarettes à l'étranger.
Le gouvernement chinois se retrouve donc en conflit d'intérêts, ce qui explique peut-être la discordance profonde entre, d'une part, la détermination affichée par le président et le ministre de la santé publique et, d'autre part, le manque d'efforts apparents pour lutter conter l'épidémie - à l'exception de cette élimination soudaine (et temporaire ?) de la publicité des produits du tabac. Certains lieux, comme les hôpitaux, les gares et les écoles, ont été désignés sans fumée. Mais comme peut en témoigner le petit groupe de Canadiens qui ont attendu pendant deux heures à la porte 22 de l'aéroport de Beijing, ces consignes sont peu ou pas respectées.
Néanmoins, la décision d'accueillir une conférence internationale sur la question est, en soi, un pas significatif dans la lutte contre le tabagisme et aura inévitablement des effets positifs sur les autorités chinoises. Il ne reste qu'à espérer que les changements de mentalité provoqués par cette conférence déboucheront sur des progrès réels plutôt que de se perdre dans la lourdeur institutionnelle comme cela a été le cas, dans un autre domaine, pour le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro.
En plus des montagnes de statistiques et d'études épidémiologiques, des interminables débats sur les pourparlers américains en vue d'un règlement à l'amiable avec l'industrie, de même que des nouvelles perspectives sur la cessation, une vingtaine de présentations et d'ateliers offraient des conseils pour la lutte contre l'industrie du tabac sur le terrain public et politique.
La première étape d'une stratégie efficace est, bien sûr, de prendre conscience des manuvres de l'industrie du tabac, dont on connaît l'étonnante capacité d'adaptation aux différences nationales et culturelles. Par exemple :
Encore plus pertinents pour nous furent les exemples de stratégies politiques et les campagnes médiatiques qui ont fait progresser la lutte contre l'industrie. En voici quelques-uns :
Depuis plusieurs mois, les médias et les militants antitabac parlent beaucoup des États-Unis, où il y a un déblocage sans précédent dans le dossier du tabac. Pourtant, rien n'y est encore assuré : les pourparlers entourant un éventuel règlement à l'amiable tournent de plus en plus à la controverse. À Beijing, on a pu constater que la lutte contre le tabagisme est beaucoup plus avancée en Australie, où des mesures impressionnantes et apparemment irréversibles ont été prises il y a quelque temps et où l'on commence maintenant à enregistrer des baisses de consommation considérables. C'étaient donc les délégués australiens, fleur à la boutonnière, tête haute, presque euphoriques et en grand nombre, qui étaient les vedettes incontestées de la conférence.
Les appuis populaires et les ressources sur lesquels les militants australiens peuvent compter sont d'autant plus solides qu'ils ont réussi à isoler l'industrie du tabac en lui enlevant ses alliés traditionnels ; la volonté politique existe donc pour financer convenablement la lutte contre le tabagisme.
C'est en remplaçant les commandites de tabac qu'on est parvenu à éliminer chez les organisateurs d'événements culturels et sportifs l'envie de se porter à la défense de l'industrie, ce qui a privé l'industrie de l'accès privilégié aux décideurs politiques que lui procuraient les invitations à assister gratuitement aux grands événements. Les contacts informels aux premières loges ou en coulisses sont choses du passé.
Mon plus grand souhait en quittant cette conférence ? Qu'en 2001 à Chicago ce soit la délégation du Québec qui vole la vedette avec une nouvelle loi provinciale, vigoureuse et sans précédent, qui empêche la promotion du tabac, protège les non-fumeurs et réduit l'accès aux mineurs. D'ici là, nous avons du travail à faire...