Projet de loi modifiant le Code criminel (gangs)

Non à l'infraction de gangstérisme

Anne-Marie Rainville, avocate

La violence et la multiplication des activités criminelles de certains gangs au Canada et au Québec constituent une menace à la sécurité civile. Devant ces activités très médiatisées et poussé par l'opinion publique, le gouvernement fédéral a déposé le 17 avril 1997 le projet de loi C-95, Loi modifiant le Code criminel (gangs) et d'autres lois en conséquence. Le législateur veut dissuader les gangs et leurs membres à recourir à la violence dans la poursuite de leurs fins criminelles. Le projet de loi C-95 propose des mesures pour réprimer le gangstérisme en offrant aux corps policiers des moyens supplémentaires de lutte au gangstérisme et aux tribunaux des possibilités de le sanctionner plus sévèrement.

Le crime organisé n'est plus limité par les frontières d'un pays ni même d'un continent. Tant les transformations politiques dans les pays de l'Est que l'accès à des réseaux de communication instantanés et la possibilité de transiger rapidement d'énormes sommes d'argent par une simple puce modifient la stratégie des gangs entre eux ainsi que leurs rapports avec les autorités. Devant ces puissantes organisations criminelles qui font fi des frontières juridictionnelles, le Barreau reconnaît que tous les intervenants n'auront d'autre alternative que de travailler en étroite collaboration afin de parvenir à les mâter.

Malgré l'empressement d'agir du gouvernement, qui a déjà référé son projet de loi au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, le Barreau a tenu à formuler des commentaires dans le but de bonifier le projet de loi. Me Michel F. Denis a présidé les travaux du Comité permanent en droit criminel du Barreau pour la présentation du mémoire sur le projet C-95. Le Comité administratif du Barreau l'a approuvé le 24 avril 1997.

Des moyens déjà efficaces

Le Barreau rappelle que des dispositions ont déjà été adoptées dans un passé récent par le législateur fédéral pour réagir au crime organisé au Canada. Ainsi, les organisations policières ont maintenant la possibilité de recourir à des délateurs en offrant à ces derniers des garanties sur leur sécurité par le biais de la Loi sur le programme de protection des témoins. Les policiers disposent donc déjà d'un moyen supplémentaire au soutien de leurs enquêtes qui s'ajoute aux techniques traditionnelles que sont l'infiltration, la filature ou l'écoute électronique. Par ailleurs, des modifications ont aussi été apportées en 1995 aux règles de détermination de la peine établissant le principe qu'une peine doive être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Certains facteurs sont désormais considérés comme «aggravants» dans la détermination d'une peine.

Mise en garde

Dans son commentaire général, le Barreau du Québec fait état de ses craintes à l'effet que les objectifs mêmes du législateur ne soient mis en péril à certains égards par son projet de loi lui-même. Le Barreau redoute aussi que certaines dispositions portent atteinte aux libertés fondamentales et rappelle que dans toute poursuite criminelle, c'est un individu qui fait face à la justice.

Nouvelle infraction

Le point central de ce que propose le législateur est la création d'une nouvelle infraction, celle de participation aux activités d'un gang. Le Barreau du Québec n'est pas favorable à la création d'une telle infraction. Selon le Barreau, la création de cette infraction pourrait créer plus d'obstacles que de mesures telles que réclamées par les corps policiers à travers le Canada pour lutter contre le crime organisé. Le Barreau apprécie cependant le fait que le gouvernement fédéral ait écarté la possibilité de créer une infraction particulière dans le Code criminel pour la seule appartenance d'un individu à un gang. En dépit de cette volonté clairement identifiée, le Barreau craint que la création d'une offense de gangstérisme à l'article 1 du projet de loi ne crée plus de difficultés.

Le Barreau s'oppose fermement à ce que la preuve d'appartenance à une bande criminalisée soit présentée avant la preuve de l'infraction, la première risquant d'influencer la seconde. L'article 11 du projet de loi est très clair à ce sujet: la participation aux activités d'un gang rend un individu coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal de 14 ans qui pourra être purgé consécutivement à la peine prévue pour l'acte criminel à l'origine de l'accusation. Le Barreau allègue qu'en conséquence, un individu sera puni trois fois pour un même crime: pour le crime lui-même, pour sa participation aux activités d'un gang et comme facteur aggravant dans la détermination de la peine par le jeu de l'article 17 du projet de loi. De plus, selon le Barreau, si on considère l'aspect procédural de cette disposition, il faut s'attendre à voir des méga procès qui tenteront d'établir la présence d'un gang.

Le Barreau croit que les objectifs du projet de loi peuvent être rencontrés sans un nouveau crime de gangstérisme. Si le fait qu'un individu appartient à un gang est dévoilé après que l'individu a été reconnu coupable de l'infraction, il s'agira de considérer cet événement comme un facteur aggravant au moment de déterminer la peine. Il recommande donc au gouvernement fédéral de ne pas créer un nouvel acte criminel de participation aux activités d'un gang et d'écarter complètement l'article 11 du projet de loi.

Écoute électronique

Le deuxième commentaire spécifique du Barreau concerne les nouvelles modalités d'écoute électronique proposées par le projet de loi. D'après le projet de loi, l'article 186 du Code criminel serait modifié pour prévoir qu'une autorisation d'écoute électronique ou son renouvellement pourra être valide pour des périodes de plus de 60 jours ou d'au plus un an chacune. Le Barreau rappelle que «l'interception de communications privées demeure une intrusion importante dans la vie privée des gens» et recommande que toutes les mesures soient prises pour éviter des conséquences irréparables sur la vie privée. À cet effet, une première autorisation d'écoute électronique pourrait être accordée pour un délai maximal de 60 jours, ce qui, compte tenu de la pratique actuelle, donnerait assez de temps pour juger de la pertinence de l'écoute. Une vérification judiciaire serait ensuite faite afin de déterminer si l'interception des communications privées est toujours justifiée et, le cas échéant, un renouvellement serait accordé pour une période prolongée d'au plus six mois.

Substances explosives

L'article 2 du projet de loi C-95 prévoit la possession ou la garde d'une substance explosive. Le législateur impose une peine consécutive quand la possession, la garde ou le contrôle d'une substance explosive sera reliée à un gang. Le Barreau affirme toutefois que l'article 718.2 du Code criminel permet de considérer cet élément comme une circonstance aggravante par le juge au moment de déterminer la peine. Malgré la volonté du législateur de préciser son intention de sévir dans ces cas, le Barreau ne croit pas que cette disposition ait des effets spectaculaires et pense plutôt que son objectif peut être rencontré par d'autres dispositions.

Libération conditionnelle

L'article 18 du projet de loi fait en sorte qu'un détenu, relié à un gang, ne pourra être admissible à une libération conditionnelle totale avant d'avoir purgé le moindre de la moitié de sa peine ou 10 ans. Le Barreau rappelle au législateur que le juge a déjà le pouvoir de rendre une telle ordonnance et «regrette que le législateur ne fasse pas confiance au système de libération conditionnelle tel que déterminé par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition». Le Barreau ajoute qu'il ne faut pas oublier que notre système judiciaire juge un individu et que le système correctionnel est constitué de professionnels formés pour évaluer la réhabilitation de cet individu.

Ordre de garder la paix

Dans le but de limiter les activités illégales des chefs et des membres de gangs, le projet de loi C-95 prévoit que le juge pourra maintenant imposer une ordonnance de garder la paix à toute personne susceptible de commettre un acte de gangstérisme. Le Barreau doute de l'efficacité réelle de cette disposition compte tenu de la preuve requise et vu la structure des organisations criminelles qui sauront bien la contourner.

Le Barreau reconnaît que le projet de loi C-95, Loi modifiant le code criminel (gangs) et d'autres lois en conséquence pourra ajouter des moyens pour contrer le crime organisé. La situation demeure toutefois complexe et plus que jamais, les organisations criminelles savent s'adapter aux nouvelles technologies, aux nouveaux moyens de communication.

Journal du Barreau - fin d'article volume 29 - numéro 14 - 1er septembre 1997 page précedente...vers le haut de la pagepage suivante