BEAUX MOTS DITS

La reine vierge et le roi qui changea le temps

Jacques R. Roy, j.c.q.

On vote des lois, on les amende, on les abroge. Par une loi, disait-on jadis, on peut tout faire si ce n'est de changer un homme en une femme. Des lois successives dans le temps promulgueront Elisabeth, fille d'Henri VIII et d'Anne Boleyn, reine d'Angleterre de 1558 à 1603, «bâtarde» puis légitime puis vierge. Walter Raleigh, courtisan et favori d'Elisabeth première, n'allait-il point nommer la Virginie (Virginia) en l'honneur de sa reine vierge? L'air de la présente ère se distinguerait du temps élisabéthain, où le parlement pouvait tout faire ou presque, en raison des chartes actuelles imposant des restrictions à la prolixité des élus. Cependant le législateur québécois peut maintenant, ce à quoi la grande Elisabeth, dans sa virginité et sa magnificence, ne pouvait prétendre, autoriser le directeur de l'état civil à changer la mention de sexe d'un majeur célibataire sur son acte de naissance en certaines circonstances.

Une loi qui dure et perdurera

Charles IX, fils de Catherine de Médicis et petit-fils de François 1er, régna en France au temps de la reine vierge d'Angleterre. Ce roi Charles IX, il y a de cela plus de quatre cents ans, promulga une loi jamais abrogée, jamais modifiée depuis. Cette loi régit encore toutes les contrées et les royaumes. Cette même loi va continuer de régir et les vivants présents et ceux à venir. Charles IX, responsable, en 1572, du massacre de la Saint-Barthélémy, changea aussi le cours du temps en décrétant le premier janvier comme jour débutant désormais l'an nouveau au lieu du premier avril où le zodiaque nageait alors avec les poissons. Serait-ce en souvenir de ces temps révolus que nos gouvernements nous font commencer leur année financière le jour du poisson d'avril?

Faux amis dans l'espace

Toutes sortes d'expressions ont trait au temps. Il peut s'agir du temps en musique qui sera fort ou lent, ou bien du temps mort en sport où l'arbitre interrompt un match, ou du temps en mécanique avec un moteur à deux temps, ou du temps-temps comme point dans une succession avec un avant et un après. Pour en parler à certains moments du temps, on fait appel parfois, à des anglicismes, locutions propres à la langue anglaise, parfois à des faux amis, mots semblables par leur forme mais ayant maintenant un sens différent suite à leur évolution au sein de deux civilisations différentes comme pamphlet, banqueroute. C'est ainsi qu'on dira improprement à date au lieu de «à ce jour, jusqu'ici, jusqu'à maintenant». Il pourra nous arriver de parler de l'agenda de l'assemblée au lieu de l'ordre de jour de l'assemblée en oubliant que le mot agenda signifie un carnet destiné à noter ce que l'on doit faire.

Certains, nés surtout avant que la princesse Diana ne le soit née, s'y perdent quand ils se pointent à un rendez-vous galant et qu'on leur apprend que leur belle de céans reçoit de nombreux appointements sans savoir qu'ils ne sont alors que victimes de faux amis. Il devait s'y méfier, autrefois, le client à qui son avocat disait: «Venez en aucun temps car je peux vous voir en aucun temps». N'importe lequel avocat, aujourd'hui, porteur du syndrome de Singapore ou non, invitera plutôt son client à venir n'importe quand car il peut le voir en tout temps.

Les calendes grecques

Chez les Romains, le mot «calendes» signifiait le premier jour de chaque mois et les calendes étaient le jour d'échéance des dettes. Comme les Grecs n'avaient point de calendes, on pouvait alors et on peut toujours renvoyer aux calendes grecques. Ici, hier, notre code civil parlait d'année de calendrier et maintenant, correctement d'année civile. Les Romains et les Grecs avaient certes leur façon de dire et de faire quand ils érigèrent le Colisée de Rome ou l'Acropole d'Athènes mais à Montréal, si un jour on bâtissait un nouveau stade de baseball, il faudrait parler non pas de cédule des travaux mais du calendrier des travaux. Pour payer ce nouveau stade, comme pour l'ancien d'ailleurs, il faudrait prévoir non une cédule de versements mais simplement un échéancier sans qu'on ne puisse garantir si avec un tel instrument, ce serait ou non moins coûteux.

Furieuse et agressive mégère

Celui qui sème par tous les vents, le Larousse, nous révèle que dans la mythologie, une furie c'est chacune des trois divinités infernales chargées d'exercer sur les criminels la vengeance divine. Ces divinités répondent aux doux noms de Mégère, Tisiphone et Alecto.

Il nous arrive, à l'occasion, d'utiliser des vocables suggérant une certaine fureur dans le langage juridique bien que nous ne voulions point exprimer un sentiment hostile ou agressant. On dira d'une avocate qu'elle est agressive parce qu'elle fait preuve d'une belle énergie, alors qu'il faudrait parler d'une avocate dynamique. N'hésitant point à monter à la charge, on parlera à tort d'assaut au lieu de voie de fait, assaut indécent au lieu d'attentat à la pudeur, assaut sexuel au lieu d'agression sexuelle. Quand un accusé d'agression sexuelle confie à son avocat, en attendant le retour du jury avec son verdict, qu'il se sent anxieux, il ne faudrait point que l'avocat se réjouisse immédiatement en pensant au double sens du mot anglais «anxious» que son client éprouve une hâte fébrile alors qu'il ressent plutôt une crainte frôlant l'angoisse à la pensée de ce verdict qui va tomber.

Journal du Barreau - fin d'article volume 29 - numéro 17 - 15 octobre 1997 page précedente...vers le haut de la pagepage suivante