Lucy Stone McNeece, Arts and Politics in Duras' "India Cycle." Gainesville: Florida University Press, 1996; 196 pp.; ISBN: 0813014700; LC Call no.: PQ2607.U8245Z783

Le texte critique de Lucy Stone McNeece aborde la problématique de la subjectivité par rapport à la culture postmoderne/postcoloniale en faisant appel à l'écriture durassienne dans laquelle les effets du discours du pouvoir sont dévoilés afin de postuler une nouvelle relation possible du sujet au langage et à l'histoire. Cette étude reprend six textes de Duras qui constituent un microcosme de toute son oeuvre que la critique littéraire a nommé "India Cycle": Le ravissement de Lol V. Stein (1964), Le vice-consul (1965), L'amour(1971), La femme du Gange (1973), India Song (1974) et l'épilogue Son nom de Venise dans Calcutta désert (1976). L'analyse des récits romanesques et cinématographiques du "cycle indien" tente d'illustrer comment Duras met en jeu les paradigmes, soit du colonialisme, soit de la culture capitaliste post-coloniale, afin de les défaire en révélant leur stratégies discursives qui visent à perpétuer le fantasme d'une identité collective fixée et permanente. McNeece propose que le message idéologique, désiré par les forces dominantes des structures sociales déjà mentionnées, s'élabore à l'intérieur de systèmes de représentation qui n'offrent qu'une image totalisante et réductive de l'expérience. A partir des représentations mimétiques encore favorisées par la culture contemporaine, la mythologie du sujet du savoir absolu est renforcée. Ainsi l'individu a l'illusion d'avoir accès à une identité cohérente et à une narration personnelle récupérable.

L'analyse maintient que le "cycle indien" de Duras figure le colonialisme afin de critiquer implicitement les enjeux des représentations "réalistes" de l'Occident qui, comme l'était l'empire colonial, est aussi investi dans le désir de construire une identité collective fondée sur le principe de l'inclusion et de l'exclusion, du Même et de l'Autre. Ce principe trouve son origine chez Platon, s'élargit jusqu'au colonialisme et évolue en faveur de la politique contemporaine répressive qui se cache derrière le masque du libéralisme démocratique. La thèse argumente que dans la société occidentale, contrairement à celle du colonialisme, la forme d'oppression est invisible tout en se situant derrière les représentations culturelles où la visée idéologique se communique d'une façon subversive en ayant comme projet l'établissement d'une identification entre le sujet et les normes sociales désirables, effaçant toute forme de diversité pour que l'ordre et les impératifs de la société néocoloniale soient garantis. Ce que Duras effectue en tant que combat face à cette manipulation de telles stratégies discursives est de non seulement mettre en relief l'existence d'un impérialisme idéologique, mais aussi de le combattre par un re-positionnement du sujet vis-à-vis du langage et du symbolique: "The India cycle is interdisciplinary and dialogic in its conception. Combining verbal and visual language it constitutes a reflection of these respective signifying systems in order to question the authority of representation generally" (20). Une grande partie de l'analyse considère la nouvelle configuration du signe quant à sa conceptualisation et à sa fonction opérées par Duras dans son collage intertextuel de récits et de films. Quitte à détruire la croyance dans le rapport immédiat et irrévocable entre le signe et son référent, soutenu par l'abondance des représentations réalistes de la culture contemporaine (terme utilisé de manière interchangeable avec la culture post-coloniale) qui cherchent à façonner une vision concrète de l'identité sociale - voire la classe moyenne - aux dépens d'autres expériences diverses, l'écriture durassienne fait surgir le signe opaque. L'étude illustre les manifestations textuelles et cinématographiques de ce signe opaque apparaissant au sein d'une structure signifiante complexe qui fait évoquer l'expérience hétérogène du sujet déniée par les représentations de la culture dominante. Par l'évocation de la matérialité du langage, sa sensualité et son rythme, et de la polyvalence du signe, Duras rejette la logique de la référence symbolique et restaure les sensations, le corps et l'histoire dans un processus métonymique de signification qui dévalorise la rigidité des associations métaphoriques et des définitions: "[d]ismantling the idealist system of value that supports the model of specular subjectivity and introducing a use of the sign based on metonymy, echo and trace rather than visualized action, the India Cycle points to an eventually decolonized plural subject -in-process able to read hidden signs and messages of its own culture" (9).

Alors qu'est problématisé le sujet centré qui adhère aux principes de l'identité et de la rationalité, certaines références sont faites aux théories psychanalytiques de Lacan et de Kristeva pour expliciter la polémique en jeu. Selon l'interprétation donnée, le sujet est re-positionné dans un espace de "shifting topoi" et agit comme filtre des significations mobiles. Un tel repositionnement rend possible la résistance à l'influence du discours idéologique qui veut conditionner les formes de perception afin d'encourager l'hégémonie de l'identité collective. C'est à travers le signe opaque tel qu'il se laisse voir dans l'écriture poétique de Duras que des traces hétérogènes se révèlent et qu'un effet décolonisant se produit, soit surtout dans la relation du sujet au symbolique et aux idéaux sociaux. Le système sémiotique de Duras incorpore des signes matériels qui permettent un détachement du langage par rapport aux liens statiques cristallisés par des normes culturelles, déconstruisant les investissements dans des identités illusoires qui donnent alors un sens factice de coïncidence de soi et donc du pouvoir.

La reconfiguration du sujet durassien dans un espace fluide et dynamique fournit l'occasion au sujet littéraire, mais de manière encore plus importante au sujet lecteur, de se décoloniser lui-même et, par la suite, de devenir son propre lecteur des signes et des messages émis par la multitude de structures sociales, politiques, et économiques qui l'entourent. L'approche analytique de McNeece explore la politique de la représentation dans la société contemporaine à travers une réflexion rigoureuse de l'expérience hétérogène et irrécupérable du sujet dans le "cycle indien". L'oeuvre critique enquestion discute d'une façon pertinente les nouvelles modalités d'interprétation telles que reflétées par l'optique durassienne face à la scène de l'écriture, une chambre noire d'échos, mais aussi face à la scène de la lecture.

Sherri Clendinning
University of Western Ontario


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