Sabine Schrader, "Mon cas n'est pas unique". Der homosexuelle Diskurs in französischen Autobiographien des 20. Jahrhunderts. Stuttgart, Weimar: J.B. Metzler (M & P Schriftenreihe für Wissenschaft und Forschung); 1999; 325pp.; ISBN: 3476452158

 

L'œuvre de Sabine Schrader, intitulée Mon cas n'est pas unique, citation empruntée de l'autobiographie de Violette Leduc, est une recherche approfondie sur le discours homosexuel des autobiographies françaises du XXe siècle, comme l'indique le sous-titre. L'étude envisage d'éclairer les possibilités d'une écriture autobiographique qui ose toucher à l'" inavouable" (Philippe Lejeune) d'un tel projet, en mettant en scène ce que Marcel Proust à déconseillé à André Gide: "Vous pouvez tout raconter,... mais à condition de ne jamais dire Je.

Or, le travail de Sabine Schrader se lance dans un terrain vierge au niveau de la critique littéraire française. Ainsi l'enjeu propre est d'analyser la manière dont les homosexuels s'écrivent. Par-là il s'agit de découvrir les stratégies de la représentation de soi-même, les effets structurels et les ""topoi littéraires sous la perspective de l'homosexualité. En dégageant les facettes spécifiques d'un discours "homoérotique l'étude tente en s'intéressant au contexte historique de montrer comment l'individu aperçoit son identité et s'en assure à une époque donnée. L'analyse détaillée s'appuie sur trois textes autobiographiques, archétypiques d'une écriture gay et lesbienne du XXe siècle qui sont dans la tradition de Jean-Jacques Rousseau. Le premier texte qui brise le tabou postulé par Marcel Proust est justement celui d'André Gide: Si le grain ne meurt (1926). S'ensu"ivent, toujours sous le point de vue des archétypes, celui de Jean Genet Journal du voleur (1949) et celui de Violette Leduc La Bâtarde (1964).

Dans une première partie théorique Sabine Schrader développe une approche interdisciplinaire pour traiter d'un point de vue critique de questions autour du genre autobiographique, du canon littéraire, de la minor culture, de la culture of minorities, des conceptions de la réalité et de l'identité ainsi que du corps. À partir des idées de Philippe Lejeune (le genre autobiographique), de Clifford Geertz (la culture, les symboles), de Michel Foucault (l'analyse du discours), de Paul Ricœur (la narratologie) et de Annegret Heitmann (la réflexivité du genre) elle forge un outil de travail qu'elle noue aux approches du gender- et queer studies. L'identité sexuelle qui est au cœur des autobiographies en question est l'alliance discursive du sex (le corps), du gender (l'interprétation des rôles du corps), des pratiques sexuelles et du désir. L'axe de l'analyse au niveau du texte est la représentation du gender à partir de laquelle les conceptions du corps et du désir sont déduites. 

Dans une deuxième partie pratique Sabine Schrader applique son cadre théorique aux œuvres en rendant compte des stratégies narratives et de la construction imaginaire du narrataire. Par là elle interroge non seulement le fonctionnement du texte par rapport à la constitution de l'identité sexuelle mais aussi l'intention spécifique de ces trois auteurs, à savoir dire l' "inavouable" dans leur contexte historique. La recherche de l'identité est à la fois individuelle et collective. L'analyse de chaque œuvre est accompagnée d'un aperçu sur sa réception à l'époque. Elle souligne par exemple l'importance de l'existentialisme pour Jean Genet (Jean-Paul Sartre) et Violette Leduc (Simone de Beauvoir). Étude comparative, l'analyse des ces trois œuvres met en lumière les analogies et les différences des discours autobiographiques homosexuels. Ainsi les conceptions du gender, du sex, du désir et de l'Autre sont envisagées par rapport aux topographies, aux motives et aux jeux de masques d'un discours "homoérotique" qui se différencie dans une écriture gay (dans la tradition de l'autre, du mal) et dans une écriture lesbienne (dans la tradition du néant).
La dernière partie comporte la conclusion et une brève perspective sur la littérature autobiographique française dans le sillage d'André Gide, de Jean Genet et de Violette Leduc, dont la littérature du Sida des années 90 fait partie. Ici la question de l'amour et de la sexualité se pose autrement.
En somme, l'œuvre de Sabine Schrader ouvre une nouvelle voie pour les recherches autobiographiques homosexuelles en France. L'ouvrage, qui fait toute à fait autorité dans le domaine français, offre toute une gamme de perspectives autour d'une mise en relief d'une écriture gay et lesbienne. Les analyses des textes dont La Bâtarde de Violette Leduc est particulièrement remarquable sont accompagnées d'une bibliographie exhaustive qui se trouve à la fin.
Eva Werth
Université de Paris III (Sorbonne Nouvelle)