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LR/RL


Jeanne Nyirahabimana

Université Nationale, Butare

Présence Africaine :
paradoxes en Occident


La revue Présence Africaine (désormais P.A.), depuis sa création en 1947, s’est avérée être une tribune d’expression de l’élite négro-africaine. Elle a contribué à la promotion et à la reconnaissance des écrivains négro-africains en publiant leurs oeuvres dans ses pages et a permis aux intellectuels de tous bords, tant occidentaux que négro-africains, de s’exprimer sur la culture, la politique, l’histoire, la philosophie, l’économie, etc., du monde noir. Les Africains avaient eu à s’exprimer dans d’autres revues comme La revue du monde noir, l’Etudiant noir, mais ces revues qui semblaient tournées plus vers la diaspora que vers l’Afrique disparaîtront très vite. P.A. fut donc le premier organe créé par un africain, qui donnait à l’élite négro-africaine l’occasion de s’exprimer. Malgré les moyens modestes et de nombreuses difficultés, elle va traverser des décennies et s’imposer comme une grande référence du discours du savoir négro-africain. Elle doit sa longévité non seulement à sa politique éditoriale, mais aussi à la ténacité de son fondateur, le sénégalais Alioune Diop.

Naissance de la revue à Paris

Le premier numéro paraît en novembre 1947, simultanément à Paris et à Dakar. Cependant, l’idée de fonder cette revue remonte longtemps avant cette date, en 1942, et est née d’un besoin profond de s’exprimer, éprouvé par l’élite noire de Paris. Une élite déracinée, vivant un paradoxe existentiel :

Ni blancs, ni jaunes, ni noirs, incapables de revenir entièrement à nos traditions d’origine ou de nous assimiler à l’Europe, nous avions le sentiment de constituer une race nouvelle, mentalement métissée, mais qui ne s’était pas fait connaître dans son originalité et n’avait guère conscience de celle-ci (Diop « Niam n’goura » 8).

En effet, dans cet Occident troublé, qui vit une grande crise de ses valeurs, l’homme noir sent le besoin de prendre la parole, pour dire qui il est, pour redéfinir et se réapproprier ses propres valeurs. Mais, paradoxalement, parmi les collaborateurs sollicités par Alioune Diop, figurent les français. Parmi les personnalités noires, je citerais Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Richard Wright, Paul Hazoumé, Jacques [fin page 29] Rabemananjara, Albert Béville et Guy Tirolien. Quant aux intellectuels français je citerais André Gide, Paul Rivet, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Emmanuel Mounier, Michel Leiris, le RP Maydieu, et Théodore Monod. Le tour de force d’Alioune Diop est d’avoir pu réunir autour de sa revue des hommes d’horizons si divers, aux opinions parfois très divergentes. Les divergences d’opinion donneront lieu à des éclats remarquables. C’est ce genre d’éclats entre Aimé Césaire et René Depestre qui sont à l’origine du débat autour des conditions d’une poésie nationale chez les peuples noirs[1]. Mais il faut dire qu’ils soutiennent tous la même cause, en l’occurrence l’émancipation du monde noir en lui assurant une présence au monde, d’où le nom de la revue Présence Africaine. Alioune Diop confie à ce propos :

Le noir qui brille par son absence dans l’élaboration de la cité moderne, pourra, peu à peu, signifier sa présence en contribuant à la récréation d’un humanisme à la vraie mesure de l’homme. Car il est certain qu’on ne saurait atteindre à l’universalisme authentique si, dans sa formation, n’interviennent que des subjectivités européennes. Le monde de demain sera bâti par tous les hommes. (« Niam n’goura »13)

En outre, la présence des Français dans le comité de patronage ne pouvait qu’être bénéfique, puisque gage de crédibilité. En effet, la revue paraît dans des conditions assez difficiles, à « une époque où fonder une revue équivaut à un voyage au coeur d’incertitudes sans nombre » (Mel 77). Plusieurs revues fondées par les noirs, avant P.A., n’avaient pas pu durer à cause des problèmes financiers, commerciaux, rédactionnels, politiques, voire policiers. La Revue du Monde Noir ne sortira que six numéros entre le 20 novembre 1931 et le 20 avril 1932. Légitime Défense ne fait paraître qu’un seul numéro, le 1er juin 1932. Quand à la revue l’Etudiant Noir, elle a vu le jour en 1934, mais force est de constater qu’elle n’a laissé aucune trace après sa disparition. P.A. n’était pas à l’abri des problèmes qu’ont connus ces revues, mais elle a survécu grâce à la perspicacité de son fondateur qui a su s’entourer – le comité de patronage en témoigne – et qui a su surtout jouer la carte de la prudence. C’est dans ce sens que dès le premier numéro, il précise que sa revue « ne se place sous l’obédience d’aucune idéologie philosophique ou politique » pour la protéger des foudres de la censure et lui éviter ainsi une mort précoce. C’est aussi au nom de l’indépendance de la revue qu’Alioune Diop refuse de se laisser « domestiquer » par le pouvoir français, en confiant sa revue à une maison d’édition. Selon Lilyan Kesteloot, P.A. [fin page 30]

n’avait rien à voir avec les luxueuses revues coloniales, miroirs complaisants des bienfaits de la mère-patrie à ses enfants d’outre-mère : mauvais papier d’après-guerre, irrégularité de la parution, coquilles émaillant les textes, autant d’indices de difficultés pécuniaires qu’Alioune Diop conjurait in extremis par des appels désespérés. Chaque fois jouait la solidarité des amis et on sauvait l’oeuvre de celui qui avait créé pour les siens cet organe de réflexion.... (Kesteloot 207)

Confier la gestion de la revue à une quelconque maison d’édition française revenait à renoncer à la direction de la revue et Alioune Diop n’était pas prêt à vendre son âme. Il choisira de garder sa liberté et de continuer à s’arranger avec des moyens modestes.

Les raisons d’être de Présence Africaine

Dans l’éditorial du premier numéro intitulé « Niam n’goura ou les raisons d’être de Présence Africaine » Alioune Diop explique le « pourquoi et le comment » de la revue. Cet éditorial est à la revue ce qu’est « la préface originale » à un livre. Cette dernière « a pour fonction cardinale d’assurer au texte une bonne lecture » (Genette 83). Ainsi donc cet éditorial donne le bon usage de la revue et, partant, fixe au lecteur de la revue un contrat de lecture.

« Niam n’goura » est le début du proverbe toucouleur « Niam n’goura vana niam m’paya » dont la traduction est « Mange pour que tu vives », et non « mange pour que tu engraisses ». Le choix de ce proverbe – qui fait partie de la culture populaire toucouleur – est en soi suggestif de la ligne d’orientation de la revue qui met l’accent sur la culture négro-africaine. Et si l’on se fie à la signification de ce proverbe, la morale qui en découle est qu’on se nourrit pour vivre et que cela suppose manger ce qui est nécessaire et utile à la santé. Et avec sa revue, Alioune Diop entend nourrir ses lecteurs, surtout la jeunesse africaine qui manque d’« aliment intellectuel » et qui « court le risque de s’asphyxier ou de se stériliser, faute d’avoir une fenêtre sur le monde » (« Niam n’goura » 8). Outre le proverbe toucouleur, la couverture de la revue est ornée d’un masque dogon (Mali), choisi par Michel Leiris, ce qui renforce cette volonté de promouvoir l’originalité des cultures africaines. La culture négro-africaine occupe donc une part importante dans P.A. et ce n’est pas pour rien que la revue porte le sous-titre de « revue culturelle du monde noir ». Jusque-là c’est la culture occidentale qui prévaut et qui étouffe les autres. Alioune Diop veut alors montrer qu’il existe une culture africaine et entend la réhabiliter. A ce sujet V.Y. Mudimbe affirme : « The Présence Africaine of Alioune Diop is, from its conception, a manifesto and a program. It wishes [fin page 31] to bring in the very center of the French power and culture what was being negated in colonies, that is, the dignity of otherness » (xvii). Le sens de la colonisation n’est rien d’autre que la négation des autres cultures. Comme on peut le lire clairement dans l’éditorial du nº24-25 de mars 1959 – intitulé « Notre politique de la culture » – « Parmi les péchés capitaux du colonialisme, l’un des plus nocifs, pour avoir été admis pendant longtemps, sans discussion avec l’Occident, fut la notion de peuples sans culture » (P.A. 5)[2]. La phase de négation fut suivie de l’imposition de la culture occidentale d’où la politique d’assimilation menée par la France dans ses colonies et contre laquelle se dresse P.A., car « la culture, ce n’est pas un simple ensemble d’œuvres, de normes pouvant fonctionner automatiquement sous tous les climats, à toute époque. Il faut à ces oeuvres, ces normes, un sujet qui les éclaire du feu de ses passions, de ses aspirations, de son génie ». Cependant, pour le fondateur de P.A., réhabiliter la culture africaine, voire noire, ne signifie pas rejeter en bloc la culture occidentale, combattre le racisme par le racisme, la violence par la violence. Il préconise de confronter les deux cultures dans le but d’en retirer ce qu’il y a de meilleur et de là son mot d’ordre, à savoir le dialogue des cultures car « le dialogue est le propre de l’homme. Le silence de l’un porte tort aussi au partenaire » (P.A., « L’homme » 5). L’Occident a besoin de l’Afrique pour se revigorer et en revanche l’Afrique a besoin de l’Occident pour s’intégrer dans le monde moderne. Et c’est ensemble qu’ils peuvent façonner la culture universelle. Cette idée de l’humanisme universel est explicitée dans « Niam n’goura » :

Cette humanité aujourd’hui comprend deux groupes distincts : d’une part une minorité d’êtres agissants, productifs, créateurs : l’Europe. En face d’elle, les hommes d’outre-mer, beaucoup plus nombreux... Personne, du reste, n’a le privilège d’avoir maîtrisé l’Histoire et le Progrès ; ce sont là des forces déclenchées par l’infatigable activité de l’Européen – mais qui échappent souvent à son contrôle. – Raison de plus, pour qu’au lieu de quelques centaines de millions de cerveaux qui se chargent de penser, de diriger et de féconder le monde, tout en assumant des milliards d’« outre-merriens », on souhaite la transformation de ces hommes d’outre-mer en cerveaux adaptés à la vie moderne et partageant la responsabilité de penser et d’améliorer le sort du genre humain. (Diop 9)

Le ton de la revue est « étonnamment modéré et contraste même avec celui des collaborateurs européens » (Kesteloot 208), ce qui vaudra à Alioune Diop d’être la cible des défenseurs farouches de l’originalité africaine ou d’autres idéologies partisanes qui l’accusaient d’être trop [fin page 32] complaisant envers l’Occident et de défendre « des causes suspectes » (Mel 91). Lilyan Kesteloot trouve dans cette prudence et les réserves émises par Alioune Diop une teinte d’ironie dans la mesure où la suite des articles va prouver que la revue était « nettement engagé et ne renonçait en rien aux exigences de ses prédécesseurs » (210).

Dès le début, la revue affiche ses couleurs, à savoir qu’elle est une revue culturelle et que, comme l’affirme Alioune Diop dans « Niam n’goura », elle « ne se place sous l’obédience d’aucune idéologie philosophique ou politique. Elle veut s’ouvrir à la collaboration de tous les hommes de bonne volonté (blancs, jaunes ou noirs), susceptibles de nous aider à définir l’originalité africaine et de hâter son insertion dans le monde moderne » (7). Pour Alioune Diop la proclamation des valeurs noirs ne ne signifiait pas repli sur soi dans un chauvinisme stérile, mais plutôt une ouverture à l’autre. Une revue relativement inoffensive, dirait-on, qui faisait tout pour ménager les susceptibilités du maître. Ici je tiens à rappeler que le contexte de l’époque n’était pas des plus paisibles. Toute initiative visant la promotion des peuples colonisés était mal vue et sévèrement réprimée. Et en Afrique le vent de la décolonisation commençait à souffler, de plus en plus de voix s’élevaient pour réclamer plus de justice et d’égalité. Aussi cette déclaration de « non-alignement » était-elle une bonne tactique pour la survie de la revue. D’autres revues fondées par des noirs avant P.A. n’avaient pas fait long feu à cause de la virulence de leurs prises de position qui ne plaisaient pas aux autorités françaises. Alioune Diop se gardera du mieux qu’il le pourra – du moins c’est ce qu’il affirme – de se laisser « domestiquer ». Cependant, son tour de force est d’avoir pu réunir autour de son projet des blancs et des noirs qui ne partageaient pas nécessairement les mêmes convictions religieuses, idéologiques etc. Et comme je l’ai déjà souligné, la participation des Français a contribué à donner à sa revue la crédibilité qu’elle n’aurait pas pu avoir si elle avait été uniquement l’affaire des Noirs. Néanmoins, comme le fait remarquer très justement Frédéric Grah Mel, « la participation des Français est en effet si vigoureuse à travers Présence Africaine qu’elle conduit parfois le lecteur à se demander si les rédacteurs africains ne devaient pas simplement servir de figurants aux côtés d’une certaine élite intellectuelle française bien pensante qui avait trouvé dans la revue une tribune adéquate pour exprimer ses propres préoccupations sur l’Afrique » (83-4). En effet, dans le premier numéro, les articles de fond sont signés par les Français alors que les noirs se contentent de présenter les morceaux de fiction. Pour une revue qui prétendait donner la parole aux Nègres et surtout aux Africains un organe d’expression, ce premier numéro est on ne peut plus choquant. Cependant, le contexte étant ce qu’il était, cela se comprend d’autant plus [fin page 33] que, si on en croit Iwiyé Kala-Lobé, on avait écrit à la rédaction pour « conseiller que les Africains se limitent à la publication de fables et de contes africains » (« Lorsque » 76). Et si on y réfléchit, qui mieux qu’un français aurait pu convaincre le monde occidental que « le noir est un homme » ?[3]

Une autre tactique qui aura bien servi la revue est son lieu d’implantation qui est Paris. A l’époque, la ville lumière est une plaque tournante culturelle mondiale. Et bien qu’Alioune Diop affirme viser la jeunesse africaine, son premier public est le monde occidental auquel il veut faire découvrir l’originalité de la culture négro-africaine et c’est d’ailleurs dans ce cadre que la revue est rédigée en français. Plus tard, elle intégrera l’anglais et le portugais pour toucher le public anglophone et lusophone, mais la revue reste fondamentalement francophone. Alioune Diop explique ce choix comme suit :

Aussi notre revue se félicite-t-elle d’être française, de vivre dans un cadre français, bien qu’elle s’adresse – encore une fois – à tous les hommes de bonne volonté.... La langue par laquelle elle s’exprimera, dans notre revue, ne manquera pas de dévoiler de nouveaux thèmes pittoresques et moraux, des formes inédites de sensibilité. Serait-il téméraire d’ajouter qu’elle pourrait même enrichir la civilisation européenne ? (« Niam n’goura » 13)

La langue de la colonisation devenait la langue de libération, celle de la réhabilitation des valeurs africaines. Mais les fondateurs de la revue avaient-ils vraiment le choix ? Le français ne s’imposait-il pas d’emblée ? Les visées panafricaines et internationales de la revue n’imposaient-elles pas une langue ayant une grande audience internationales ? Un autre élément qui explique cette volonté d’éloignement par rapport à l’Afrique, c’est Jacques Howlett qui le donne : « S’installer en Afrique c’était tôt ou tard s’attacher à un Etat, s’exposer aux pressions d’une politique, et particulariser un propos qui d’entrée de jeux se voulait unitairement africain et non pas national. Sans doute cette position reste discutable mais qui peut dire ce qui se serait passé si la revue avait été simplement sénégalaise, camerounaise ou congolaise » (41).

En 1955, après la conférence de Bandoeng, un changement s’opère dans les colonnes de la revue. La revue qui s’était proclamée « revue culturelle » commence à se préoccuper du politique. Ce n’est pas une démission dans la mesure où Alioune Diop et ses collaborateurs se rendent compte qu’il n’y a pas de libération culturelle authentique sans libération politique préalable. L’indépendance politique est donc une donnée primordiale sur laquelle la revue se donne le devoir d’insister : [fin page 34]

On ne conteste plus guère la primauté du politique. Quelques esprits attardés répètent encore cependant que le développement économique d’un territoire doit être la première condition de son accession à l’indépendance. Comme si le développement économique ne supposait pas une option politique d’abord et une souveraineté politique. Le politique est nécessaire au culturel comme l’époux et l’épouse. Mais le politique ne suffit. Il s’appauvrirait, s’il ne se nourrissait de valeurs culturelles. (P.A., « Politique et culture » 4)

Après cette prise de conscience, apparaissent dans la revue des articles sur la situation politique des pays africains, allant de longs articles d’opinion jusqu’aux petites annonces.

Pour conclure cette rubrique, je dirais que la politique éditoriale de P.A. peut se résumer en un seul mot, à savoir le dialogue. Le dialogue constructif et fructueux qui s’oppose au silence stérile qui a longtemps caractérisé l’Afrique.

Conclusion

La dénomination Présence Africaine énonce sans équivoque la raison d’être de la revue, en l’occurrence sortir le continent noir de son mutisme. Autrement dit, devant l’occident hégémonique, on opposait la présence d’une autre altérité, celle des noirs, écrasée, dominée. Bien que Alioune Diop se défend de n’appartenir à aucune idéologie, il cache mal son adhésion à la négritude, à travers les nombreuses liminaires qu’il a signé lui-même. Le mouvement de la négritude, n’en déplaise à ses détracteurs, a permis aux noirs d’affirmer leur identité. Les fondateurs de la négritude ont récupéré le mot nègre et en ont fait le mot fétiche de leur combat. Comme l’affirme Jean-Paul Sartre, le noir « insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de ‘ nègre ’ qu’on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme noir, en face du blanc, dans la fierté » (« Orphée » 11). Dans une interview que Césaire a accordée à René Depestre, il explique qu’il a choisi ce terme parce que « c’était un mot défi. C’était un peu une réaction de jeune en colère. Puisqu’on avait honte du mot nègre, eh bien, nous avons repris le mot nègre. Je dois dire que lorsque nous avons fondé L’Etudiant Noir, je voulais, en réalité l’appeler L’Etudiant Nègre, mais il y a eu une grande résistance dans le milieu antillais... » (Depestre 165). Ce mot semblait donc choquant, violent et ces étudiants l’ont choisi puisqu’« il y avait une volonté de défi, une affirmation violente dans le mot nègre et dans le mot négritude ». Le mouvement sera critiqué, taxé de raciste. Un mouvement anti-raciste raciste car il axait son [fin page 35] combat sur la race. Mais c’était une tactique, choisie sciemment, pour battre les maîtres sur leur propre terrain. Comme le fait remarquer Bernard Mouralis :

elle est la conséquence directe d’une histoire spécifique marquée par une violence exceptionnelle. Elle est donc à la fois le constat de cette histoire et la réponse des peuples noirs à celle-ci. La Négritude, telle qu’elle est formulée, par ses premiers promoteurs, dans les années 30 n’a rien d’une évasion ou d’un repliement narcissique. Elle pourra par la suite le devenir et faire l’objet d’une critique virulente par des écrivains comme C. A. Diop, Marcien Towa, S. Adotevi qui s’attacheront à souligner le caractère dépassé et démobilisant d’une idéologie qui ne leur paraît plus correspondre aux problèmes de l’Afrique actuelle. (85)

Au départ l’accent est mis sur la culture pour prouver au monde occidental que le noir est un homme à part entière et qu’il a une culture qui lui appartient et qu’il entend la lui faire découvrir. L’oeuvre de la négritude est donc polémique dans ce sens qu’elle se dresse contre le discours occidental. Pour le nègre, écrire c’est être ; c’est se poser en s’opposant. P.A., nous l’avons déjà souligné, constitue un moyen pour accomplir ce dessein de la négritude. C’est pour briser le silence du monde noir que la revue est fondée. Ainsi l’ordre colonial, qui accorde le monopole du discours aux occidentaux, se trouve renversé. C’est pourquoi la revue dérange dans ses débuts et que ses fondateurs doivent rechercher la protection dans la collaboration des hommes de culture française.

 


Notes

[1]. Le débat autour d’une poésie nationale fut organisé de 1956 suite à une lettre de René Depestre.

[2]. Dans certains numéro des liminaires signés dans Présence Africaine.

[3]. C’est le titre de l’article de Georges Balandier paru dans le tout premier numéro en 1947. [fin page 36]

 


Références

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Dadié, Bernard, « Franchir la ligne... pour s’affirmer. » Mélanges, Présence Africaine 1947-1967. Paris : Editions Présence Africaine, 1969 : 39-70

Depestre, René, « Une lettre de René Depestre. » Les Lettres françaises 573 16-23 juin 1955 : 1-5

Depestre, René, Pour la révolution pour la poésie. Ottawa : Éditions Leméac Inc., 1974

Diop, Alioune, « Niam n’goura ou les raisons d’être de Présence Africaine » Présence Africaine 1 nov.-déc. 1947 : 7-14

Genette, Gérard, Seuils. Paris : Seuil, 1987

Howlett, Jacques, « Esquisse d’une histoire de la politique culturelle de Présence Africaine. » Mélanges (Présence Africaine 1947-1967). Paris : Éditions Présence Africaine, 1969 : 41-6

Kala-Lobé, Iyiwe, « Notre politique de la culture », Présence Africaine. Paris : Editions Présence Africaine, mars 1959 : 5-9

___, « Politique et culture ». Présence Africaine, ns 26. Paris : Editions Présence Africaine, juin-juillet 1959 : 3-4

___, « L’homme a besoin des hommes ». Présence Africaine nos. 5. Paris : Editions Présence Africaine, déc. 1955 - janv.1956 : 3-7

Kesteloot, Lilyan, Histoire de la littérature négro-africaine. Paris : Karthala-AUF, 2001

Mel, Frédéric Grah, Alioune Diop : le bâtisseur inconnu du monde noir. Abidjan, Paris : PUCI, ACCT, 1995

Mouralis, Bernard, Contre-littératures. Paris : PUF, 1975

Mudimbe, V.Y., The Surreptitious Speech : Présence africaine and the politics of otherness, 1947-1987. Chicago : U of Chicago P, 1992

Sartre, Jean-Paul, « Orphée noir. » Présence Africaine 6. Paris : Editions Présence africaine, 1949, 9-14

Semujanga, Josias, « Et Présence Africaine inventa une littérature. » Présence Africaine156. Paris : Editions Présence Africaine, 1997 : 17-34