No 3, 2010
La relation thérapeutique
selon la philosophie humaniste rogérienne en toile de fond de la
sexoanalyse
(english and spanish summaries)
Maria
Martinez Alonso
1, M.A.
Les affinités entre la
sexoanalyse et les approches
psychothérapeutiques telles que la psychanalyse, les psychothérapies
analytiques à court terme et l’approche cognitivo-comportementale sont
souvent évoquées dans la littérature sexoanalytique. L’approche
sexoanalytique, tout comme la psychanalyse, s’intéresse principalement
aux couches souterraines du psychisme appelé inconscient. Les thérapies
analytiques à court terme (ex. Balint) s’apparentent aussi à la
sexoanalyse par le rôle actif que joue le thérapeute dans ses
interventions: il guide le patient dans ses associations vers un
aspect conflictuel spécifique et identifié au départ, pour en arriver à
l’interprétation. Même si la sexoanalyse a plus d’affinités avec les
approches psychodynamiques, elle reconnaît la pertinence de certains
principes comportementalistes (p. ex. la modification de certaines
distorsions cognitives que le patient a de la sexualité). L’expérience
corrective dans le registre imaginaire dans la dernière phase de la
cure sexoanalytique (avec une éventuelle prescription de fantasmes)
s’inspire de ces approches comme de la technique de déconditionnement
(Crépault 2005, 2007).
Claude Crépault (1997, 2005)
nous dit que la sexoanalyse se
situe à la frontière de ces courants de pensée cherchant à intégrer les
réseaux conscient et inconscient. Elle se démarque de la psychanalyse
moderne et des approches analytiques par son objet primaire d’étude,
l’inconscient sexuel, et dans la place beaucoup moins prépondérante
qu’elle donne au transfert (et à son interprétation). Elle n’adhère pas
non plus à la perspective axée uniquement sur la modification des
comportements sexuels caractéristique de l’approche sexobehaviorale
(inspirée dans l’approche cognitivo-comportementale).
M’étant tout d’abord formée
à l’approche centrée sur la
personne (ACP) selon Carl R. Rogers à Zürich, et plus récemment à
l’approche sexoanalytique à Genève et Lausanne, je baigne dans ces deux
modèles. La question d’une pratique sexologique enrichie par une pensée
psychologique humaniste m’a poussée à réfléchir sur les points de
rencontre entre les écoles mentionnées ci-dessus dont notamment la
méthodologie clinique.
Sur cet aspect, on peut
définir la sexoanalyse comme une
méthode thérapeutique d’orientation psychodynamique s’adressant à la
prise en charge des difficultés liées à la sexualité et à la genralité,
mise au point par le professeur Claude Crépault au département de
sexologie de l’Université du Québec à Montréal dans les années
soixante-dix. L’approche centrée sur la personne (ACP), pour sa part,
est une méthode psychothérapeutique d’orientation humaniste s’adressant
à la prise en charge des troubles psychiques, développée par le
psychologue et psychothérapeute nord-américain Carl R. Rogers dans les
années quarante et cinquante.
Je centre dans cet article
toute mon attention sur la
méthodologie clinique : les caractéristiques du cadre thérapeutique, le
rôle du thérapeute dans la relation d’aide (les attitudes fondamentales
du thérapeute), la position du patient (en sexoanalyse) ou du client
(dans l’ACP), la relation d’aide et le processus thérapeutique favorisé
tels que les approches les articulent. J’aborde des concepts-clés comme
le regard positif «maternel» (l’acceptation inconditionnelle), le
regard positif «paternel» (le processus d’individuation), le sens
historique du symptôme, l’intégration de pulsions contradictoires (vers
une plus grande congruence) et le travail sur l’imaginaire (l’analyse
des rêves et la recherche des fantasmes)
Mon objectif n’est pas de
placer l’ACP parmi les autres
sexothérapies, mais d’attirer l’attention sur les nombreux points de
rencontre entre ces deux approches. Pour le psychothérapeute humaniste
rogérien, l’éclosion de la personnalité suppose une coordination de
plus en plus congruente de la sexualité et de la personnalité. Le
sexoanalyste donne une signification existentielle à la sexualité et
porte, donc, aussi son attention à la globalité de l’individu. Tous les
deux chercheront à comprendre le schéma sexuel et relationnel
strictement
individuel de chaque patient
Enfin, mon objectif est
aussi de montrer que la sexoanalyse se
situe à la frontière de la psychanalyse, de la théorie
cognitivo-comportementale et de l’approche centrée sur la personne.
Elle cherche à intégrer les réseaux conscient et inconscient avec une
philosophie humaniste de la relation thérapeutique en toile de fond.
BRÈVE PRÉSENTATION DE
L’APPROCHE CENTRÉE SUR LA PERSONNE (ACP)
Cette approche
psychothérapeutique s’inscrit dans
courant humaniste et elle
passe de se nommer
non-directive (1942) ou encore
le client (1951) à «approche
centrée sur la personne
(1961).
Carl R. Rogers, psychologue,
psychothérapeute humaniste,
chercheur et enseignant, a publié la majorité de ses textes de 1942 à
1987 (année de son décès) aux U.S.A. L’époque de la formation clinique
de Rogers est marquée par la première poussée du mouvement
psychanalytique sur la scène américaine (1920-1930). Il se laisse
néanmoins guider de plus en plus par ses observations et entretient sa
vue personnelle au sujet de la thérapie. Dans sa conception, le
thérapeute s’abstient d’utiliser des directives (questions,
interprétations, conseils, etc). Ce qui compte, c’est la présence de
certaines attitudes vis-à-vis du client et une certaine conception des
relations humaines. Rogers développe à partir de ses propres
expériences, de ses observations cliniques et de ses recherches
scientifiques sa méthode thérapeutique. Il utilise un langage
expérientiel, sensitif et phénoménologique. Reconnaître la position
centrale de la personne signifie lui accorder une position centrée et
l’accepter en tant que lieu privilégié de convergence, d’expérience et
d’autoréférence. La singularité et l’unicité de la personne en quête
d’aide (qu’il appellera « client » pour s’éloigner du modèle médical
d’expertise en vigueur à l’époque) sont très valorisées. Dans son
travail, Rogers découvre combien chaque personne dispose des
compétences nécessaires à son développement, si on lui en facilite
l’accès. La personne du client n’est pas un objet d’action
thérapeutique, il est un sujet avec son individualité. Le thérapeute
n’est pas le spécialiste qui va étudier un objet de science, il est une
personne en relation avec le client. Il s’agît d’un nouveau paradigme,
un modèle de développement et de croissance.
L’ACP repose sur deux
piliers: l’hypothèse sur la nature
humaine et sur le développement de la personnalité (la philosophie qui
sous-tend cette approche) et l’hypothèse sur la relation d’aide entre
le thérapeute et le client (la méthode).
Dans une pratique
thérapeutique issue de cette conception, les
connaissances cliniques sont nécessaires, mais elles ne suffisent pas
au processus de changement. Pour Rogers, l’individu possède en lui-même
des ressources considérables pour se comprendre, se voir différemment,
changer ses attitudes fondamentales et son comportement vis-à-vis de
lui-même et vis-à-vis des autres. Ces ressources peuvent être
exploitées dans un climat caractérisé par des attitudes psychologiques
facilitatrices exprimées par le thérapeute. L’empathie, la congruence
et l’acceptation positive inconditionnelle sont nécessaires et
suffisantes pour favoriser le processus de changement. Il revient au
thérapeute de créer cet espace d’accueil propice à la relation. Dans
cet espace commun, le client se sent libre d’évoluer.
Les travaux de Rogers ont
connu un grand succès dans les
années 1960 et 1970. Du point de vue historico-culturel, c’était un
temps où de grands changements en matière de politique sexuelle et des
droits civils ont eu lieu. Pour diverses raisons, Rogers s’est
toutefois peu étendu de façon explicite sur le sujet de la sexualité.
Les termes «sexualité» et «érotisme» apparaissent très rarement
dans ses écrits. Un rôle important motiva la conviction de la tradition
humaniste dans laquelle Rogers baignait, postulant que l’être humain
serait dans son comportement fondamentalement libre et non déterminé
fatalement par ses pulsions. L’être humain est pour lui plus que son
sexe anatomique ou le rôle auquel ce dernier le prédispose. La
globalité de l’être humain au-delà des aspects sexuels ou pulsionnels
lui paraissait plus importante, de même que l’accentuation de la
liberté (au-delà d’une prédominance des pulsions). Il se distancie
ainsi du paradigme psychanalytique très présent dans le contexte de
l’époque où il développe son activité clinique.
«Réinventer le couple»
(1972) est le seul livre de C. Rogers
dans lequel il tente d’étudier les relations intimes des couples et le
sujet de la sexualité. Il a ouvert une voie, d’autres sont venus
prendre le relais et approfondir certains aspects. C’est les thèses que
Schmid, auteur allemand prolifique, a prononcées autour de l’intimité
et de la sexualité que mon attention va porter tout particulièrement.
Peter Schmid (1996) tente de
comprendre la sexualité d’un
point de vue centré sur la personne, en particulier dans le cadre de la
tendance actualisante et du besoin de relation de l’être humain. Selon
Schmid, le développement de la personnalité, le devenir humain,
signifie toujours aussi «incarnation». Ce processus incarné trouverait
dans la relation sexuelle, en tant qu’expression corporelle de l’amour
et rencontre personnelle, son apogée. Une attitude positive vis-à-vis
de son corps est une condition importante à la liberté intérieure
vis-à-vis de la sexualité.
Les troubles sexuels sont
interprétés comme les différentes
formes d’un état d’incongruence ou de désaccord interne. L’individu
exprime à travers eux la relation qu’il entretient avec soi-même et
avec les autres. La sexualité est dans ce cas là plus au service de
l’exercice du pouvoir (fonction défensive, en langage sexoanalytique)
qu’au besoin d’union et de fusion avec l’autre (fonction complétive).
La sexualité peut ainsi répondre à un certain nombre de besoins
différents, comme dans l’absence d’un «intérêt génital». La question
centrale dans la thérapie est, selon Schmid (1996, p. 489): «In welcher
Art drückt dieser Mensch in seiner Sexualität seine Beziehung zu sich
und anderen aus?» ou de quelle manière cet individu exprime dans sa
sexualité sa relation avec soi-même et avec les autres?
Voici quelques autres
réflexions de P. Schmid autour des
notions de sexualité et de santé sexuelle.
1.
La sexualité englobe de façon unique les besoins et potentialités
fondamentaux de la personne. Elle est l’expression du besoin de
relation de l’être humain et joue un rôle central dans l’identité et/ou
l’aliénation de la personne. Elle a affaire avec l’individualité d’un
côté, la capacité à créer des liens de l’autre. Elle englobe plus que
«moi tout seul».
2. La sexualité est quelque chose de violent, une force primitive. Elle
a plusieurs fonctions et peut s’exprimer de façon multiple.
3. La sexualité est une des portes d’accès à l’être humain et à
l’exercice du pouvoir. La sexualité est par définition créative. Une
vie nouvelle peut en résulter.
4. Une sexualité congruente signifie la plus grande concordance
possible entre les expériences sexuelles et une symbolisation
correspondant au vécu (dans l’imaginaire).
5. Une sexualité épanouie est caractérisée par un mouvement dirigé,
elle n’est pas figée.
Enfin, Peter Schmid avance une définition de santé sexuelle qui est
très proche de celle développée par Claude Crépault. Une sexualité
congruente, épanouie et centrée sur la personne se caractérise par: un
mouvement tant physique que psychique (à l’opposé de la rigidité, de
l’endormissement, de la tranquillité), la créativité (à l’opposé de la
répétition et de la technique) et la diversité (au contraire de
l’uniformité).
En tant qu’expression du dépassement de soi (transcendance), la
potentialité sexuelle détiendrait une place particulière entre toutes
les potentialités humaines.
CONVERGENCES ET
DIVERGENCES ENTRE L’ACP ET LA SEXOANALYSE AUTOUR DE LA MÉTHODOLOGIE
CLINIQUE
L’ACP met l’accent sur la qualité de la relation entre le
psychothérapeute et le client. Dans cette rencontre particulière, le
facteur décisif de changement et de développement tient à trois
conditions de base nécessaires et suffisantes dans la personne du
thérapeute à l’égard de son client. C’est plus une philosophie, une
approche phénoménologique, qu’une technique. Elle affirme que
l’individu est socialement constructif ou créatif; qu’il possède
aptitude et tendance à la symbolisation consciente et adéquate de son
expérience vécue; qu’il possède aptitude et tendance à maintenir une
congruence entre l’image qu’il a de lui-même et son expérience; qu’il
aspire à un regard positif sur soi. Carl R. Rogers et les cliniciens
qui s’inscrivent dans cette approche font de la qualité de la rencontre
entre le thérapeute et la personne en souffrance leur sujet principal
d’intérêt. Il s’agit surtout d’un modèle relationnel.
Dans le traitement sexoanalytique, le patient est amené à découvrir les
causes et les significations de son désordre sexuel par la parole et
l’insight affectif, le travail sur l’imaginaire érotique et la
centralité de la relation thérapeutique. Le changement va s’opérer via
l’imaginaire, et ensuite dans la réalité. Dans la thérapie inspirée de
l’ACP, l’objectif est de favoriser chez le client un processus
l’amenant vers un état de bien-être psychologique qui implique une
attitude non rigide face au concept de soi et des autres, une plus
grande capacité d’assumer ses responsabilités par rapport à lui-même et
les autres, vivre et apprendre des nouvelles choses, enfin aller vers
une diminution de ses blocages. La psychothérapie signifie
l’actualisation du potentiel présent chez le client grâce à une
rencontre interpersonnelle propice à l’épanouissement. Plus que la
technique, le facteur décisif de changement thérapeutique repose sur la
qualité de la relation. Les deux approches privilégient la parole et
l’insight affectif, le travail sur le vécu émotionnel et sur
l’imaginaire, ainsi que la relation d’aide entre le thérapeute et le
patient/client. C’est au niveau de la qualité de la relation
thérapeutique et du processus de changement déclenché chez le patient
que la sexoanalyse et l’ACP semblent converger.
Au niveau de la méthodologie, je vais tenter d’expliquer comment cette
approche apporte au travail sexoanalytique une réflexion approfondie et
riche sur la relation thérapeutique. Certaines attitudes intérieures
profondes du thérapeute en combinaison avec la technique sexoanalytique
permettent au patient de dépasser les blocages qui entravent son
épanouissement et de poursuivre son chemin vers un accomplissement
personnel et sexuel plus harmonieux.
Autrement dit, l’expérience «corrective» dans (ou via) l’imaginaire du
patient est considérablement facilitée par l’expérience «corrective»
qu’il expérimente («experiencing») dans sa relation avec le thérapeute
(et finalement à soi-même). Le rôle de l’intersubjectivité («analyse du
transfert» en langage psychodynamique ou «relation d’aide» dans la
conception rogérienne) mérite d’être approfondi dans la pensée et dans
la pratique sexoanalytiques.
Je porte mes réflexions sur les convergences et les divergences dans 1)
le cadre thérapeutique (ou «setting»), 2) le rôle du thérapeute, 3) la
position du patient, 4) les indications et contre-indications de la
thérapie, et 5) le processus thérapeutique.
Setting et durée du
traitement
La sexoanalyse et l’ACP sont des thérapies à moyen terme dépendant de
la nature du problème, de la force des résistances et de la motivation
du client. Crépault mentionne même un nombre de 25 à 125 séances
(Crépault, 1997) et plus tard de 50 à 75 (Crépault, 2007). Les deux
approches privilégient les entretiens individuels en face à face (d’une
durée de 50 minutes, une ou deux fois par semaine). L’entretien
individuel permettrait en sexoanalyse d’accéder plus facilement à la
dynamique érotique, au monde fantasmatique et à l’inconscient sexuel.
Crépault (2007) écrit n’avoir jamais expérimenté la sexoanalyse avec
les couples et suggère une combinaison du modèle systémique et du
modèle sexoanalytique. Bouchard (1999) fait des expériences
intéressantes avec les couples en sexoanalyse. C. Rogers (1972) écoute
des couples parler de leur mariage, de leurs difficultés, mais n’entame
pas un suivi thérapeutique avec eux. Il concentre son activité clinique
sur la thérapie individuelle et sur les groupes de rencontre (Rogers,
1970). Suivant la tradition rogérienne, l’ACP se pratique dans les
groupes de psychothérapie (Schmid, 1996). Auckenthaler (1983), parmi
d’autres auteurs, propose dans les années septante un model théorique
sur la psychothérapie avec les couples centrée sur la personne.
Rôle du thérapeute
Les deux approches s’entendent sur le rôle initial du thérapeute:
faciliter le processus thérapeutique avec une attitude «centrée sur la
personne». Crépault (1997) conseille une attitude «centrée sur la
technique» (dans mes mots), c’est-à-dire plus directive dans les phases
avancées du traitement et, en particulier, dans le travail sur
l’imaginaire érotique. Rogers (1957) insiste sur la centralité des
attitudes intérieures fondamentales du thérapeute et d’une « atmosphère
» de chaleur humaine tout au long du processus.
Le thérapeute est confronté a un défi majeur en thérapie:
l’installation d’une bonne alliance de travail avec la personne en
quête d’aide. Lorsqu’il s’agit de sexualité, sujet intime par
excellence, les principes, les pratiques morales «acceptables et
normales», les préjugés, les tabous et les dogmes représentent une
difficulté non négligeable. Le poids des coutumes, de l’éducation ou de
la religion peut renforcer la gêne et la résistance au changement.
Souvent, tout se joue lors des séances initiales. La réciprocité de
confiance entre patient et thérapeute sera la garantie de la réussite,
une base très solide. Christian Bonaventure (2005) souligne :
«L’amener
(le patient) à un espace de liberté, de fluidité verbale, contourner ce
que les psychanalystes appellent un Surmoi tyrannique doit aider à
augmenter la confiance de la relation patient-thérapeute et permettre
d’avaliser plus facilement un projet thérapeutique. […] L’aide que nous
devons apporter au patient ne se résume pas exclusivement à une
résolution de problème, mais enveloppe l’être humain dans une dimension
plus globale, plus humaniste. » (p.189).
Crépault insiste sur
l’importance de créer un espace de
confiance propice au dévoilement de l’intimité affective et sexuelle.
C’est le rôle initial du thérapeute. Il doit établir une bonne alliance
de travail par son écoute bienveillante, son empathie, son respect des
résistances, son humilité, son enthousiasme, son aisance à parler des
choses sexuelles, sa capacité de confrontation et sa maturité
psychologique. Il se pose comme «soi auxiliaire» qui va accompagner
quelqu’un d’autre dans son voyage intérieur et l’aider à voir plus
clair. Le sexoanalyste questionne, écoute attentivement, suggère des
hypothèses, suscite des interrogations. Il favorise la libre
association concentrant son attention sur le désordre sexuel et il
resitue le matériel historique par rapport à la problématique sexuelle.
La sexoanalyse ne nie pas le rôle du transfert dans l’évolution
thérapeutique, mais elle ne vise pas à des changements structuraux de
la personnalité.
Selon C. Crépault (2007)
l’analyse systématique des réactions
de transfert risquerait de perdre de vue la problématique sexuelle et
d’ouvrir la porte à la psychothérapie. Cette position est actuellement
sujet de débat en sexoanalyse. Certains auteurs ont proposé une posture
inspirée des théories de l’intersubjectivité. Medico (2007) parle de la
séance thérapeutique comme un espace intersubjectif. Cet espace serait
une construction commune qui a lieu entre le patient et le thérapeute,
un lieu privilégié de changement. Ce concept peut inclure des aspects
transférentiels, mais il s’appuie sur une vision différente de la
relation thérapeutique: «C’est ici (dans le processus relationnel) plus
l’expérience d’être compris et d’être en relation que le retour des
modes relationnels du passé qui est important».
Ces réflexions rejoignent la
pensée phénoménologique et
humaniste de l’ACP. Pour C. Rogers (1951), un facteur décisif du
changement thérapeutique et de développement est la qualité de la
relation entre le patient et le thérapeute. Le rôle de ce dernier est
tout au long de la thérapie de favoriser chez lui et chez son client
trois attitudes intérieures profondes. Elles permettront à la personne
en quête d’aide de dépasser les blocages qui entravent son
épanouissement et de poursuivre son chemin vers un accomplissement
personnel plus harmonieux. Cette rencontre est en soi thérapeutique.
Ces attitudes fondamentales
et indissociables que le
thérapeute centré sur la personne s’efforce de vivre dans la relation
avec son client sont:
-
«L’acceptation
et la
considération positive
inconditionnelle» de la personne en quête d’aide, de qui
et de ce
qu’elle est ici et maintenant, de ses sentiments, de ses émotions, de
son vécu immédiat, avec ses difficultés et ses caractéristiques
particulières. La libre expression des sentiments est encouragée. Le
thérapeute n’entrave pas le flot d’hostilité et d’anxiété, le sentiment
d‘inquiétude ou de culpabilité, l’ambivalence ou l’indécision. Il
favorise ainsi l’insight : une façon de voir plus clair en soi-même et
de s’accepter. Le thérapeute amène le client à une plus grande
acceptation de certains ressentis et vécus, de la manière la moins
jugeant possible. Il s’agit de renforcer son estime de soi et
d’explorer sans peur sa propre histoire. La relation thérapeutique est
un lieu de reconstruction.
- «L’empathie
centrée sur la personne»,
c’est-à-dire la capacité d’entrer dans le monde de l’autre, de le
comprendre avec justesse et dans toute sa complexité, ainsi que de
pouvoir lui communiquer cette compréhension. L’empathie, c’est se
laisser résonner au monde du client. Le thérapeute s’attache et répond
à ce qui fait sens en son client, «ce» quelque chose de vital autour
de quoi s’articule son expérience profonde (« experiencing ») : voilà
le défi de la réponse empathique. Le client doit percevoir cette
compréhension empathique que lui porte le thérapeute. L’empathie
s’attache particulièrement au «reflet des sentiments».
- «La
congruence», c’est-à-dire une perception de son propre
vécu en
tant que thérapeute qui est en relation avec la personne en quête
d’aide. Cette ouverture implique de l’authenticité de la part du
thérapeute, c’est-à-dire la capacité à être soi-même, en tant que
personne, en contact avec tout ce qui se passe en soi et capable de le
communiquer, si cela est aidant pour l’autre.
Dans le champ de la psychothérapie, tant sur le plan pratique que sur
le plan théorique, ces conditions nécessaires et suffisantes au
développement de la personne, posées en 1957 par Rogers comme postulat,
constituent le fondement d’un changement de paradigme anthropologique
et thérapeutique. Le thérapeute cherche à favoriser l’actualisation du
potentiel présent grâce à une rencontre interpersonnelle.
Comme le
sexoanalyste, le thérapeute rogérien favorise la libre association, ne
formule pas d’interprétations, respecte chaque client comme un cas
unique, peut susciter des interrogations qui pourront être propices à
la prise d’insight. Il est empathique et authentique, a une conception
positive et libérale des relations humaines, une maturité émotionnelle
et une bonne compréhension de soi. Il adopte un langage simple et
métaphorique, évoque le contenu affectif des verbalisations du client
et vise les «insights affectifs». Le sexoanalyste recadre le matériel
historique par rapport à la problématique sexuelle, il reste dans le
champ sexuel. Le psychothérapeute rogérien vise à des changements de la
personnalité et porte son attention à la globalité de l’individu.
Merleau-Ponty (1945) rappelle que le corps visible est sous-tendu par
un schéma sexuel strictement individuel avec des zones érogènes
accentuées. Le thérapeute doit être à l’écoute de l’autre pour capter
cette perception secrète du corps.
Position du client/patient
La sexoanalyse et l’ACP laissent une grande place à l’individuation.
Les deux approches se centrent sur les ressources internes de la
personne. Le thérapeute fait confiance au patient/client dans sa
capacité de se comprendre Il favorise chez son patient une référence
croissante à soi-même comme source d’évaluation. Il adopte une position
de facilitateur et non pas d’autorité. Il doit éviter de s’enfermer à
l’intérieur d’un modèle théorique trop rigide.
Chaque client ou patient porte en soi une théorie et le thérapeute est
suffisamment intuitif pour comprendre les idiosyncrasies. Le thérapeute
doit essayer de rentrer dans son cadre de référence et de l’accompagner
là où il est. Il le suit de très près, s’efforce de le comprendre comme
le patient se comprend (capacité empathique). Le thérapeute va à son
rythme et le soutient dans cette démarche. Le changement prend corps
dans ce champ interactionnel thérapeute/client. Selon Lamboy (2003), la
relation thérapeutique s’appuie sur le pouvoir de l’interaction.
En sexoanalyse et dans l’ACP, le patient définit lui-même le cadre de
sa thérapie, évaluant ce qui est raisonnable et possible et respectant
son économie psychique. L’association libre lui donne une grande
liberté. Il peut se sentir acteur de sa propre vie et réalisateur de
ses objectifs à travers ses productions (oniriques et fantasmatiques en
sexoanalyse).
Merleau-Ponty (1945) écrit: «Dans le temps de la relation, le monde
du thérapeute et celui du client sont étroitement liés. Ils existent
dans un tissage relationnel complexe, fait d’une multitude d’échanges
et par la résonance implicite à ces échanges» (p. 208).
Indications et
contre-indications
Les deux approches soulignent la présence d’un contact psychologique,
l’aptitude à l’insight et à la pensée symbolique, une anxiété ou une
vulnérabilité renvoyant à un conflit intrapsychique et la motivation au
changement, comme étant des conditions pour une indication de la
thérapie.
La cure sexoanalytique vise à l’acquisition d’une meilleure
santé sexuelle. Elle est indiquée quand ces conditions sont réunies
(Crépault, 2007):
-
Présence d’un trouble de la fonction érotique ou de la genralité
suffisamment sévère (« désordre sexuel malin »), c'est-à-dire qui
résulte d’une perturbation dans le processus d’individuation sexuelle
ou d’un conflit sexuel important.
- L’aptitude à l’insight: le patient
doit être capable d’introspection, de réfléchir «de l’intérieur» sur
le sens de ses affects, de ses attitudes, de ses conduites, de sa
problématique sexuelle.
- L’aptitude à la fantasmatisation: la cure
sexoanalytique repose en grande partie sur l’analyse des scénarios
fantasmatiques et des contenus oniriques sexuels. Elle n’est pas à
conseiller aux personnes avec une vie imaginaire très pauvre et qui
sont incapables de mentaliser leurs affects et de se les représenter
sous forme de fantasmes.
- La motivation au changement: celle-ci rend le pronostic plus
favorable. Elle peut être renforcée par une bonne alliance de travail.
Plus le désordre sexuel engendre une égodystonie et une souffrance
intérieure, plus la motivation au changement est forte.
- Absence de psychopathologie sévère: troubles majeurs de la
personnalité ou une incapacité de différencier le réel de l’imaginaire
et réciproquement.
Rogers (1957) définit aussi un ensemble de conditions qu’il juge
nécessaires à l’amorce d’une modification positive de la personnalité
et dont la combinaison semblerait suffire à l’ouverture d’un tel
processus:
-
Un
contact psychologique entre le thérapeute et son client.
- Une discordance intérieure, une vulnérabilité ou une anxiété chez le
client.
- Une concordance intérieure - congruence - ou une véritable intégrité
relationnelle chez le thérapeute.
- Une considération - ou un regard - inconditionnellement positif chez
le thérapeute.
- Une compréhension empathique du système de références propre au
client et la volonté de lui faire partager cette compréhension chez le
thérapeute.
- La perception, au moins embryonnaire, par le client de la
compréhension empathique et de la considération positive
inconditionnelle du thérapeute.
Biermann-Ratjen, Eckert et Schwartz (1997), auteurs très prolifiques et
représentatifs de l’ACP en langue allemande, soulignent l’importance de
la question de l’indication en thérapie. Ils estiment que la thérapie
centrée sur la personne est indiquée, quand les conditions suivantes
sont présentes chez le client: a) présence d’un trouble psychique qui
résulte d’une «incongruence» (état de discordance entre l’évaluation
d’une expérience vécue et le concept du Moi ; b) capacité d’apercevoir
une partie de cette incongruence; c) capacité d’entrer en relation au
moins en partie avec soi même (introspection); d) motivation au
changement et e) capacité d’apercevoir les attitudes d’aide du
thérapeute (trois attitudes de base).
Processus thérapeutique
Les changements en thérapie en sexoanalyse et dans l’ACP se font
graduellement. La personne en quête d’aide est invitée à rentrer dans
un processus composé de plusieurs étapes.
Crépault (1997) les a
définies comme suit:
1)
Phase
d’évaluation.
L’objectif est d’établir
s’il y a une indication à la cure sexoanalytique. Il faut évaluer la
nature et la sévérité du désordre sexuel, l’aptitude à l’introspection,
la capacité fantasmatique, la force du «Moi», la motivation au
changement. Crépault (1997) précise qu’une attitude empathique du
thérapeute est particulièrement importante pendant cette
phase: il
doit explorer sans être intrusif, respecter les résistances, être à
l’écoute du ressenti, du désarroi, de la souffrance intérieure» (p.
255).
2) Phase de
clarification. Le but est d’explorer en profondeur
l’histoire sexuelle: le développement de la sexualité, de la
genralité, des relations amoureuses, des perceptions de l’autre sexe.
3) Phase
d’analyse de la signification du désordre sexuel. Elle
porte
sur le décodage de la signification actuelle et du sens historique de
la problématique sexuelle. Crépault (2007) souligne le souci de décrire
les phénomènes sexuels avant de passer à leur interprétation.
4) Phase
de l’expérience corrective sur l’imaginaire. Le terrain
est maintenant
propice à une expérience «corrective», à un travail de réintégration
sur l’imaginaire et d’appropriation dans le réel.
Carl R. Rogers n’a
pas spécifié de phases ou d’étapes à parcourir en thérapie. En dehors
d’une évaluation initiale de l’indication d’une thérapie selon les
critères de l’ACP, la «tâche» du thérapeute est d’offrir à son client
les attitudes psychologiques profondes qui caractérisent la relation
d’aide. Par sa façon d’écouter et de répondre, il va lui permettre de
développer des aptitudes, à percevoir de plus en plus finement son
expérience immédiate. En l’aidant à repérer comment se forment et
s’articulent les événements dans son champ de conscience, leur lien
direct avec ce qu’elle vit, la personne avance à son rythme. Au cours
de cette démarche, elle arrive à se repositionner de façon plus
adéquate en fonction d’une évaluation personnelle facilitée par le
thérapeute. Le processus de changement démarre dès que le client se
sent vraiment entendu, qu’il sent que le thérapeute l’a rejoint dans
son cadre de référence et qu’il est encouragé à se définir par rapport
à son lieu d’évaluation interne. Rogers (1961) suggère qu’à partir de
ce moment le changement se produit de son propre fait. Il s’agît
davantage de le laisser s’opérer.
J’ai repéré dans les processus
thérapeutique certains concepts-clé partagés par la sexoanalyse et
l’ACP que j’aimerais aborder avec vous.
a) Le regard positif
«maternel»: vers l’acceptation inconditionnelle
La sexoanalyse et l’ACP évoquent le besoin psychologique fondamental de
l’être humain de se sentir suffisamment aimable. La mère initialement
va apporter à l’enfant cet amour et cette valorisation. Elle doit être
suffisamment aimante et devenir source de valorisation narcissique. Je
vais parler de « regard positif maternel ». Carl R. Rogers (1961)
précise que cet amour devrait être un amour inconditionnel. Ne pas être
aimé pour ce qu’on est équivaut à une non-existence ou une existence à
travers les autres. Le « soi montré » sera une falsification du « vrai
moi » (Crépault, 1997). Le thérapeute amène le client à une plus grande
acceptation de certains ressentis et vécus, de la manière la moins
jugeante possible. Le client arrive à renforcer son estime de soi et à
explorer plus librement sa propre histoire.
b) Le regard positif
«paternel» : vers le processus d’individuation
La sexoanalyse parle d’une pulsion d’individuation. L’individuation est
nécessaire à la maturation et elle doit être activée par cette force «
maturationnelle » interne. La crainte d’être abandonné peut entraver ce
mouvement d’individuation. Si cette anxiété d’abandon est prédominante,
l’individu ira jusqu’à sacrifier son identité personnelle pour
conserver ses liens privilégiés et fusionnels avec les parents réels ou
symboliques. Le sexoanalyste évite de créer un lien de dépendance avec
son patient. Comme indiqué ci-dessus, il évite à ce titre d’interpréter
le transfert de façon systématique.
L’ACP s’inscrit indéniablement dans une démarche d’autonomisation: le
client est invité à trouver sa propre définition et à se relier à son
«autorité interne». Au cours de la thérapie, il peut se réapproprier sa
vie partant de ses propres repères et se détachant peu à peu de
références externes.
Le sexoanalyste et le psychothérapeute rogérien
peuvent aider avec leur regard respectueux le patient/le client dans
son processus d’individuation. Ils éviteront de (re)créer le lien de
dépendance que le patient/client a l’habitude de vivre avec les autres.
La personne est amenée à vivre une sorte d’intimité psychologique en
thérapie, à tisser un lien profond avec le thérapeute. Elle fera
l’expérience de se sentir respectée dans son individualité sans avoir à
craindre d’être envahie et attaquée dans son identité personnelle
(«anxiété de réengloutissement» dans le langage sexoanalytique). Une
référence croissante à lui-même comme source d’évaluation est très
favorisée.
Comme Crépault (1997) l’indique: «S’individualiser, c’est se prouver
qu’on peut en partie se suffire à soi-même, qu’on peut s’aimer à partir
de ses réalisations personnelles, qu’on peut être son propre public»
(p. 25).
Et dans la même lignée Carl Rogers (1961): «L’individu en vient à
ressentir que son lieu d’évaluation réside en lui-même. Il se tourne de
moins en moins vers les autres en quête d’une approbation ou d’une
désapprobation.» (p.34).
Cette fonction d’encouragement à l’individuation et l’autonomie chez
l’enfant, comme chez l’adulte, peut être qualifiée de regard de type
«paternel».
c) Sens historique du
symptôme
En sexoanalyse, le trouble sexuel est mis en relation avec l’histoire
sexuelle et les conflits qui ont pu en résulter. Le retour sur le passé
est encouragé dans la mesure où il situe la souffrance dans l’histoire
personnelle et dans le cadre de référence du client. Ceci permet de
mieux cerner les facteurs ou situations qui ont contribué à la
formation des anxiétés inhérentes au désordre sexuel et aux conflits
intrapsychiques. Si la sexoanalyse situe le facteur décisif de
changement dans le «remodelage» de l’imaginaire, l’ACP attribue le
moteur d’évolution à la relation d’aide telle que C. Rogers l’a
définie. Je pense que dans la cure sexoanalytique le changement est
aussi activé en grande partie par la rencontre entre le thérapeute et
le patient. Cette rencontre privilégiée permet à la personne une
symbolisation adéquate du vécu et du ressenti dans l’ici et maintenant:
elle se sent profondément comprise.
Pour le sexoanalyste, la prise
d’insight concernant les causes probables du désordre sexuel a surtout
pour effet d’atténuer les résistances au changement. Dans la thérapie
centrée sur la personne, le contexte dans lequel cet insight
est
expériencé»
2 permet en soi l’ouverture au
changement.
d) L’intégration de
pulsions contradictoires: vers une plus grande
congruence
L’intégration ou non-intégration de pulsions (ou de parties
du Moi) contradictoires pour arriver à une plus grande congruence
interne est un critère recherché de maturité sexuelle et de bien être
psychologique dans les deux approches. Crépault (1991) qualifié la
non-intégration des érotismes fusionnel et antifusionnel comme un
désordre sexuel…souvent négligé. Il écrit:
«Dans
l’approche sexoanalytique, la maturité sexuelle est vue comme
l’aboutissement d’une série d’intégrations: intégration des bons et
des mauvais objets internes, intégration des besoins de fusion et
d’individuation, intégration des bonnes et des mauvaises imagos
maternelles et paternelles, intégration des composantes masculines et
féminines de la personnalité, intégration des érotismes fusionnel et
anti-fusionnel dans le lien hétérosexuel» (p. 185).
La sexoanalyse et l’ACP parlent du besoin de l’enfant (et de l’adulte)
de se sentir aimé et accepté par les personnes significatives. Les
parties (émotions, sensations, pensées, pulsions) « niées » de sa
personne par l’entourage vont être refoulées ou déformées par le sujet.
Il s’opère alors une sorte de «clivage», d’incongruence interne, qui
protège, mais qui, en même temps, est source de grande souffrance.
Selon Crépault (1997), «le soi montré sera une falsification du vrai
soi » (p.25). Cet éloignement progressif de l’enfant de son noyau
central d’identité est un concept central dans la théorie du
développement de la personnalité de C. Rogers.
Une partie importante du travail thérapeutique consiste en
l’intégration des pulsions (émotions, sensations, etc.) contradictoires
dans l’expérience que le patient/client fait de lui-même. La
sexoanalyse passe par un travail de compréhension de la genèse des
clivages. Les attitudes de base du thérapeute, telles que Rogers les a
décrites, facilitent ce travail d’intégration.
VIGNETTE
CLINIQUE: GEORGES
Le parcours en sexoanalyse de Georges m’a surpris et touché davantage.
Cette thérapie m’a permis de comprendre une fois de plus le poids de la
rencontre entre thérapeute et patient dans le processus de changement
de ce dernier. Georges a dépassé la soixantaine et la souffrance qui le
motive à consulter l’accompagne depuis l’adolescence. Marié depuis 36
ans, il décrit une absence de sensibilité et de sensations («comme
entrer dans le vide») au niveau du gland aussitôt qu’il pénètre sa
femme. Une rapide perte érectile survient se soldant par une incapacité
de jouissance. Cette situation perdure depuis sa jeunesse et il se dit
dans une impasse psychologique. Il consulte pour se «libérer de
certaines obsessions autour de la femme et du sexe» et pour «faire la
paix avec soi-même». Georges, ingénieur, se décrit comme un homme très
correct et respectueux. Sa libido lui posse un grave problème moral,
car il est fréquemment «assailli par ses vieux tourments» qui le
poussent a des activités masturbatoires qu’il vit avec beaucoup de
culpabilité vis-à-vis de sa femme.
Dans le fil de la thérapie, Georges
reconstruit son histoire de vie et repère des éléments clés du
développement de sa sexualité et de sa genralité. Il exprime ses
frustrations en relation avec la stricte éducation reçue de ses
parents, débordés avec une fille atteinte d’un grave handicap dès la
naissance. Georges, l’enfant, n’existe pas à côté de sa sœur, qu’il
déteste. La honte est un sentiment qu’il connaît bien. À propos d’un
père hautement discipliné et droit, d’éthique élévée et bien maîtrisé,
il dira: «ma mère, très pudique et peu affectueuse, n’aimait pas les
choses du sexe et il la respectait». Enfant solitaire, enfant trop
sage. Il découvre assez tôt les plaisirs de la masturbation, symbole du
pêché pour ses parents. Ainsi grandi-t-il, «autiste» avec les filles,
jusqu’à son mariage à 25 ans. Avec sa femme il aura pour la prémière
fois des relations sexuelles complètes à deux reprises. Elle devient
enceinte les deux fois. Après la naissance de leurs deux fils, la
sexualité du couple est et reste inexistante. De façon sporadique, il
se livre à «l’amour tarifé» et teste la pénétration vaginale avec les
prostituées, sans succès. Il repart déçu de lui-même, se sent
«handicapé sexuellement» et honteux.
Dans nos séances, Georges développe entièrement confiance en moi, dans
la relation, qui devient veritablement thérapeutique pour lui. Il vient
«se confesser» avec moi et «se vide». Ceci l’aide à se calmer, à
déconflictuer et à déculpabiliser sa sexualité. Nous explorons ses
rêves, ses fantasmes érotiques, ses visites aux prostituées. Lui, qui
vit dans une grande privation d’échanges affectifs et sexuels
satisfaisantes, découvre dans notre rencontre une sorte d’échange qui
le soulage. Je l’écoute avec véritable intêret, avec une acceptation
inconditionnelle, et il se sent compris pour la première fois de sa
vie. Il se sent exister. Il dira que la thérapie est son petit jardin
secret, «plein des mauvaises herbes mais le mien!».
Graduellement
Georges comprend mieux sa rélation à ses parents. Il peut valoriser
certains aspects de son couple. Le sexe devient moins inquiétant et
moins culpabilisant et il retrouve une réconciliation avec soi-même. Il
est apaisé. La culpabilité qui l’amenait à l’impensable et au non
ressenti cède la place à l’empathie vis-à-vis de soi. Et soudainnement
l’impossible devient possible: à 61 ans, il éjacule avec jouissance
pour la premiere fois avec une femme, une prostituée. Il dira qu’il
était concentré sur ses sensations, dans son corps, «dans la
perception et non pas dans le schéma». Aussi, elle s’est sincèrement
intéressée à lui. Il s’est senti exister dans ses yeux.
Le traitement sexoanalytique s’est étalé pendant six mois (23 séances).
Georges ne pouvait pas concevoir au début du traitement qu’une femme
puisse s’intéresser à lui et l’aimer pour lui-même. Son image de la
sexualité chez la femme était conditionnée par son vécu avec sa mère.
Sa perception du désir sexuel chez les femmes et de sa capacité à les
satisfaire sexuellement s’est modifiée au fil des séances. Il a
l’impression qu’il a tourné «la page noire de son existence».
CONCLUSION
«En tout cas la prise de
conscience, dans les traitements psychiques,
resterait purement cognitive, le malade n’assumerait pas le sens de ses
troubles qu’on vient de lui révéler sans le rapport personnel qu’il a
noué avec le médecin, sans la confiance et l’amitié qu’il lui porte et
le changement d’existence qui résulte de cette amitié. Le symptôme
comme la guérison ne s’élaborent pas au niveau de la conscience
objective ou thétique, mais au-dessous. »
Merleau-Ponty (1945, p. 201)
L’objectif central en sexoanalyse est d’amener le patient à comprendre
la genèse de son trouble sexuel et les facteurs inconscients qui
contribuent à son maintien pour ensuite faire une expérience adaptative
(«corrective») sur l’imaginaire et le réel, afin de rétablir la
fonctionnalité sexuelle et de permettre l’acquisition d’une meilleure
maturité et santé sexuelle.
L’ACP met l’accent sur le processus de
réorganisation susceptible de se produire chez le client, si les
conditions sont «facilitatrices». En l’écoutant au plus proche de ce
qu’il vit et en l’aidant à rejoindre en lui ce qui va dans le sens de
sa transformation, l’ACP vise à mobiliser les ressources inhérentes à
la personne. L’expérience «corrective» a lieu dans la rencontre
thérapeutique telle qu’elle est définie par Rogers (Schmid, 1996). La
dimension interpersonnelle retrouve ainsi toute son importance dans le
processus de changement.
Les deux approches se retrouvent dans une conceptualisation
expérientielle du sexuel. Ils centrent leur attention sur une
compréhension de la sexualité telle qu’elle est vécue intérieurement
par la personne. Prendre en compte la personne dans sa subjectivité, la
respecter dans son individualité et idiosyncrasie, l’encourager dans
une démarche d’autonomisation, voilà ce qui les caractérise. Je pense
que la sexoanalyse met en priorité les valeurs de la philosophie
humaniste: les attitudes d’écoute, de non-jugement, de compréhension
empathique, de respect de la personne, d’authenticité, de non-pouvoir
sur l’autre, du droit à exister sur la base de ses propres aspirations,
etc. En dehors d’un modèle médical pathologisant où le thérapeute se
situe comme «autorité», elle s’efforce d’encourager le patient dans
sa démarche d’autonomisation. Le sexoanalyste aide le patient à trouver
une solution qui pourra harmoniser son inconscient et son conscient,
son imaginaire et sa réalité, ses fantasmes et ses rêves. Il lui permet
de prendre des décisions en fonction de ses capacités et de ses
ressources et de trouver tout simplement un mieux-être sexuel, et non
une perfection sexuelle. C. Crépault (2005) propose de:
«Soulager
progressivement la personne de ses souffrances sexuelles en la libérant
de ses conflits, lui donner la possibilité qu’Éros puisse circuler
librement en elle sans l’aliéner pour autant, l’aider à être
suffisamment à l’aise avec sa genralité et son rapport à l’autre sexe.»
(p.18).
L’«aide», selon l’approche centrée sur la personne, est le fait de
favoriser la croissance personnelle. Cette croissance se fait
d’«elle-même», lorsque deux personnes parviennent à se rencontrer dans
l’esprit de l’empathie, du non-jugement et de l’authenticité. Aider le
client à se vivre d’une manière qui le satisfait profondément et à
s’exprimer pleinement équivaut à l’aider à devenir soi-même. En langage
sexoanalytique cela signifie sortir de la rigidité des réponses, de
l’image de soi et de l’image de l’Autre, pour arriver à une plus grande
souplesse dans l’imaginaire et dans le réel. C’est l’objectif
thérapeutique principal. La polyvalence est favorisée: sortir des
scénarios rigides. L’espace particulier à la relation thérapeutique se
manifeste comme l’ouverture d’un espace créateur dans lequel le
processus de changement prend place.
Je souhaite finir ma réflexion avec les mots suivants de Peter Schmid
(1996) qui sont tellement proches du langage sexoanalytique:
«Une
sexualité humaine réussie tend vers une sexualité qui libère
véritablement, qui respecte et estime la personne du partenaire et la
sienne propre, qui vise à la transcendance de soi. La sexualité est
franchissement des limites. L’image adéquate n’en est pas le cercle
fermé, mais la spirale ouverte qui s’élève» (p. 508).
NOTES
1. Psychologue spécialiste
en psychothérapie FSP, pca.acp.
Thérapeute praticienne EMDR.
Sexologue clinicienne ASPSC. Sexoanalyste senior ISS / IIS. Présidente
de l’Institut Suisse de Sexoanalyse.
2. Il revient à Gendlin, ancien collaborateur de Rogers et fondateur du
Focusing, d’avoir conceptualisé la notion d’experiencing. Elle est la
réceptivité intérieure d’un corps vivant, une appréhension de soi
première, sensitive, expérientielle, inédite.
RÉFÉRENCES
Auckenthaler, A. 1983. Klientenzentrierte
Psychotherapie mit Paaren. Stuttgart: Kohlhammer
Biermann-Ratjen E.-M.,
Eckert J. et Schwartz H.-J. 1997. Gesprächspsychotherapie.
Stuttgart: Kohlhammer.
Bonaventure, C. 2005. «La
sexoanalyse: un cheval de Troie dans
la sexologie moderne». In C. Crépault et J. Lévy Nouvelles perspectives en
sexoanalyse. Sainte-Foy: Presses de l’Université du
Québec. p. 181-189.
Bouchard, R. 1999.
«Sexoanalyse individuelle et sexoanalyse de
couple». In C. Crépault et H. Côté Imaginaire
et sexoanalyse. Explorations de l’inconscient sexuel.
Montréal: I.R.I.S., p. 87-94.
Crépault, C. 1991. «La
non-intégration des érotismes fusionnel
et antifusionnel: un désordre sexuel négligé». In Contraception, fertilité et
sexualité. vol. 19, no 2, p. 181-187.
Crépault, C. 1997. La
sexoanalyse. Paris : Payot.
Crépault, C. 2005.
«Nouvelles hypothèses en sexoanalyse» In C.
Crépault, et J. Lévy Nouvelles
perspectives en sexoanalyse. Sainte-Foy: Presses de
l’Université du Québec. p. 11-31.
Crépault, C. 2007. Les
fantasmes, l’érotisme et la sexualité. Paris: Odile
Jacob.
Lamboy, B. 2003. Devenir
qui je suis: une autre approche de la personne. Paris :
Desclée de Brouwer.
Medico, D. 2007. «Réflexions
sur la sexoanalyse, quelle
épistémologie pour notre pratique?» In Revue internationale de
sexoanalyse, no 1. En ligne. (revue.sexoanalyse.com).
Merleau-Ponty, M. 1945. Phénoménologie
de la perception, Paris : Gallimard.
Rogers C. R. 1972. Réinventer
le couple. Paris: Robert Laffont.
Rogers, C. R. 1942. Counselling
and Psychotherapy. Boston: Houghton Mifflin.
Rogers, C. R. 1951. Client-Centered
Therapy: Its current practice, implications and theory.
Boston: Houghton Mifflin.
Rogers, C. R. 1957. «Les
conditions nécessaires et suffisantes
d’une modification thérapeutique de la personnalité». In Journal of Consulting Psychology,
vol. 21, no 2, p. 95-103.
Rogers, C. R. 1961. On
becoming a person, Boston: Houghton Mifflin
Company.
Rogers, C. R. 1970. On
Encounter Groups. New York: Harper and Row.
Rogers, C. R. et Sanford
Ruth. 1942. «Client-centered
psychotherapy». In H. Kaplan et B. Sadock Comprehensive Textbook of
Psychiatry. Baltimore, p. 1482-1501.
Schmid, P. F. 1996.
"Intimität, Zärtlichkeit und Lust.
Sexualität: Transzendenz der Person“. In P. F. Schmid Personzentrierte
Gruppenpsychotherapie in der Praxis. Paderborn:
Junfermann, pp. 487-508.