ÉTUDE - DE - CAS :
VertigO - La revue en sciences de l'environnement sur le WEB, Vol 1 No 1, Avril 2000

ÉTUDE - DE - CAS :

Aspects de la problématique développement et conservation en amazonie brésilienne.

Par Dalie Giroux1 et Nicolas Soumis,2
1 Département de sciences politiques, UQAM
2 Chaire de recherche en environnement CRSNG/Hydro-Québec/UQAM, UQAM


Depuis la fin des années 50, l'Amazonie brésilienne est devenue l'une des régions du monde les plus touchées par la confrontation entre la conservation de l'environnement et développement régional. Avec son territoire de 5 217 423 km2 et ses nombreuses ressources naturelles, elle semblait, aux yeux de bien des dirigeants brésiliens, pouvoir contribuer activement au redressement de l'économie nationale. Ainsi, au fil du temps, divers acteurs ont mis en chantier l'Amazonie et l'on modelé par le biais de différents programmes de colonisation et de développement. Certains de ces programmes, comptant parmi les plus ambitieux jamais vus, ont donné lieu à d'importantes transformations de la dynamique sociale et du milieu naturel de cette région.

Les institutions qui ont initié et géré le développement de l'Amazonie brésilienne forment une trame complexe. Au fur et à mesure de la prise de conscience du fait environnemental et, plus particulièrement, de certains problèmes inhérents au développement amazonien, ces institutions ont modifié leur rôle et plusieurs nouvelles entités visant cette fois la conservation de l'environnement sont apparues. Ces organismes sont devenus les principaux outils associés à la croissance de cette région et, parmi les mandats qui leurs sont confiés, il leur faut concilier les impératifs de la conservation du milieu et de sa biodiversité tout en répondant à la nécessité de subvenir aux besoins du développement humain sans cesse croissants.

Le présent texte opère une brève revue de la problématique développement / conservation en Amazonie, dans le double objectif de mettre en place les données de base d'une réflexion sur cette question et de mettre en cause certaines manières de comprendre l'enjeu complexe que constitue la conservation d'une région en développement économique et social. Il constitue de fait une incursion préliminaire au vaste continent que sont les études socio-environnementales brésiliennes.

Le discours touchant la problématique développement/ conservation de l'environnement en Amazonie mène souvent à une vision réductrice de celle-ci. Idées préconçues et slogans entendus ont beaucoup mis l'emphase sur une Amazonie environnementalement et socialement dévastée, tout en négligeant une approche permettant peut-être de mieux saisir les causes profondes du phénomène. Sont proposées ici quelques pistes susceptibles de permettre le développement d'une vision plus complète que celle couramment partagée.

D'abord, une description de la situation permettra d'identifier les facteurs politiques et économiques ayant menées au développement d'un territoire jusqu'alors pratiquement vierge. La deuxième section traite des principaux effets sociaux et environnementaux qui ont découlé du développement de ce territoire. Nous y verrons également comment, au fil du temps, la question environnementale a été intégrée. Enfin, quelques précisions concernant la structure des forces socio-politiques en jeu permettront de mettre en évidence certaines difficultés d'une interprétation unilatérale ou militante de la question amazonienne.

Description de la situation Pendant les quatre dernières décennies, l'Amazonie brésilienne (voir figure 1) a subi de très profondes transformations dues aux pressions anthropiques, attirant ainsi l'attention des groupes environnementaux et de la communauté scientifique internationale1 . Si l'on considère la situation du Brésil dans son ensemble, plusieurs causes sont à l'origine du développement problématique du Nord du pays. Entre autres pressés de sortir leur pays d'une situation économique précaire, maints dirigeants brésiliens ont perçu le développement de l'Amazonie comme étant une solution à plusieurs problèmes nationaux d'ordre économique, social et géopolitique (Hall, 1989). Concrètement, il était question de régler la dette nationale, de créer de l'emploi pour une main d 'œuvre souvent peu spécialisée, d'alléger le problème de la surpopulation de certains autres États du Brésil (Fearnside, 1987; Fearnside, 1990a) et enfin de répondre aux impératifs stratégiques d'occuper un vaste territoire vacant et contigu à plusieurs pays. Les arguments invoqués par le gouvernement brésilien pour légitimer l'entreprise de développement massif de l'Amazonie étaient essentiellement nationalistes : on se protégeait d'une part, par un investissement proactif, de la convoitise étrangère sur les abondantes ressources promises par le territoire amazonien; d'autre part, on se donnait les outils économiques du développement de l'économie nationale (Léna, 1999).

Cet immense territoire semble de prime abord offrir la possibilité d'y implanter de grandes populations et d'y développer champs de culture et pâturages. Avec ses nombreuses ressources minérales, végétales et animales, l'Amazonie offre par ailleurs une source abondante de matières premières, rendant ainsi l'exploitation de celles-ci prometteuse2 .

Carte de l'amérique du sud La hâte d'entreprendre l'exploitation des ressources de cette région rythme la modernisation brésilienne. Le Président Getúlio Vargas disait déjà en 1940 : " Tout le Brésil a les yeux tournés vers le Nord [Amazonie], avec le souhait patriotique d'aider à son développement. Et non seulement les Brésiliens, mais aussi les étrangers, techniciens et hommes d'affaires, viendront collaborer à cette œuvre, lui ajoutant leur expérience et leurs capitaux ". Quarante-six ans plus tard, le Président José Sarney soulignait encore la confiance de l'époque quant au potentiel amazonien : " Qui possède l'Amazonie n'a pas à craindre le futur ".

 Cette perception d'une Amazonie riche, couplée à l'empressement de pallier au démarrage tardif de sa colonisation, a donné naissance à divers programmes de développement qui, selon certains, ont favorisé les avantages économiques à court terme, sans trop accorder d'attention aux conséquences à long terme (Hall, 1989). On a par exemple beaucoup misé sur l'implantation de méga-projets de développement ou d'exploitation des ressources, mais peu sur les conséquences environnementales ou sociales découlant de ceux-ci. Notamment, toujours après-coup, le caractère éphémère de plusieurs actions entreprises tant au niveau socio-économique qu'agro-écologique a été souligné par certains auteurs. Par exemple, l'élevage bovin - un important moteur du développement en Amazonie brésilienne - est fréquemment pointé du doigt comme étant la principale cause de détérioration de l'environnement de cette région (Serrão et Toledo, 1990; Léna, 1999). Par ailleurs, divers intérêts et capitaux, tant locaux qu'étrangers, ont été mêlés sans direction unique au sein de ce qui allait devenir l'une des courses au développement les plus critiquées de l'histoire.

 

Figure 1 : Situation de l'Amazonie légale (partie brésilienne de l'Amazonie) sur la carte de l'Amérique du Sud. Les neufs États brésiliens constituant l'Amazonie légale sont indiqués en minuscules.

États 1977/88a 1988/89 1989/90 1990/91 1991/92 1992/94b 1994/95 1995/96 1996/97
Acre 620 540 550 380 400 482 1208 433 358
Amapá 60 130 250 410 36 - 1208 433 358
Amazonas 1510 1180 520 980 799 370 2114 1023 589
Maranhão 2450 1420 1100 670 1135 372 1745 1061 409
Mato Grosso 5140 5960 4020 2840 4674 6220 10391 6543 5271
Pará 6990 5750 4890 3780 3787 4284 7845 6135 4139
Rondônia 2340 1430 1670 1110 2265 2595 4730 2432 1986
Roraima 290 630 150 420 281 240 220 214 184
Tocatin 1650 730 580 440 409 333 797 320 273
Amazoniec 21130 17860 13810 11130 13786 14896 29059 18161 13227

a : Moyenne de la décade
b : Moyenne de la biennale
c : Total des neuf États composant l'Amazonie brésilienne
(Tiré de INPE, 1999.)
Tableau 1.1 : Taux annuel de déforestation brute (en km2/an) en Amazonie brésilienne

 

États 01/1978 04/1988 08/1988 08/1990 08/1991 08/1992 08/1994 08/1995 08/1996 08/1997
Acre 2500 8900 9800 10300 10700 11100 12064 13306 13742 14203
Amapá 200 800 1000 1300 1700 1736 1736 1782 1782 1846
Amazonas 1700 19700 21700 22200 23200 23999 24739 26629 27434 28140
Maranhão 63900 90800 92300 93400 94100 95235 95979 97761 99338 99789
Mato Grosso 20000 71500 79600 83600 86500 91174 103614 112150 119141 125023
Pará 56400 131500 139300 144200 148000 151787 160335 169007 176138 181225
Rondônia 4200 30000 31800 33500 34600 36865 42055 46152 48648 50529
Roraima 100 2700 3600 3800 4200 4481 4961 5124 5361 5563
Tocatin 3200 21600 22300 22900 23400 23809 24475 25142 25483 25768
Amazoniea 1522000 377500 401400 415200 426400 440186 469978 497055 517069 532086

a : Total des neuf États composant l'Amazonie brésilienne (Tiré de INPE, 1999.) Tableau 1.2 : Superficie totale de la déforestation brute (en km2) en Amazonie brésilienne

Impacts environnementaux et sociaux du développement de l'Amazonie

Carte de l'Amazonie D'importants impacts ont découlé du développement accéléré de l'Amazonie brésilienne. De ceux-ci, c'est sans doute la déforestation qui a le plus fait couler d'encre (Hecht, 1982; Sioli, 1985; Fearnside, 1985a; Fearnside, 1987; Fearnside, 1990b). L'INPE, via l'analyse de photos satellites Landsat, estime qu'en moyenne, environ 12 000 km2 de forêt ont été perdus annuellement depuis le début des années 90 (voir tableau 1). En 1997, la portion défrichée de l'Amazonie brésilienne représentait 532 086 km2 (voir tableau 2 et figure 2), soit un peu plus de 10% de sa superficie totale en assumant que l'Amazonie brésilienne occupe un territoire de 5 217 423 km2 (INPE, 1999). Bien entendu, l'estimation de la portion défrichée varie sensiblement d'une source à l'autre, selon la méthodologie de télédétection et de calcul employée3 . Certains auteurs prendront en considération l'effet de bordure engendré par le fractionnement du couvert forestier alors que d'autres le négligeront. C'est ainsi qu'en 1986, Lovejoy et ses collaborateurs (1986, dans Bush, 1996) estimaient qu'entre 6% et 12% de la forêt primaire avaient été remplacée par une végétation de succession selon qu'ils prenaient en compte ou non l'effet de bordure.

Selon Serrão (1995), les principales causes responsables de la déforestation en Amazonie sont, dans l'ordre croissant, l'élevage (50%), l'agriculture migratoire traditionnelle (30-35%) et l'exploitation forestière (10%). Ces derniers chiffres montrent bien l'ampleur du rôle que jouent les activités agricoles dans la dégradation de l'environnement amazonien. Les conséquences de l'agriculture sur la terre ferme4 découlent de la combinaison entre les conditions pédologiques du milieu et le type de pratiques préconisées. Il est bien connu que la majorité des sols composant la terre ferme est constituée d'oxisols et d'ultisols5 (Day et Davies, 1986; Lucas et al., 1996). Ces types de sols sont caractérisés par des conditions édaphiques peu propices à l'établissement de cultures ou de pâturages6 . Les oxisols sont caractérisés par leur faible teneur en humus alors que les ultisols, bien que mieux pourvus en humus, sont très pauvres en phosphore.

 
Figure 1.2 : Carte de l'Amazonie légale reconstituée à partir d'images satellites Landsat (projet PRODES) superposées sur une carte de la végétation (projet RADAMBRASIL-FIBEG). Les zones déboisées durant l'année 1997 apparaissent en noir. Celles-ci forment un ensemble de point rappelant un croissant et sont surtout concentrées dans les États du Mato Grosso, du Pará, du Tocatins et du Maranhão. (Tirée de INPE, 1999.)

Oxisols et ultisols possèdent un faible pH (acide) qui diminue d'autant plus l'efficacité d'absorption du phosphore par les plantes (Fearnside, 1985b; Serrão, 1995). L'acidité de ces sols a également pour effet d'augmenter la phytotoxicité de certains éléments présents (Al3+, Fe2+ et Fe3+) en les rendant plus facilement disponibles aux plantes (Fearnside, 1985b).

L'agriculture sur la terre ferme a dû s'adapter aux mauvaises conditions édaphiques en développant des techniques permettant de restaurer momentanément la richesse des sols. Ces pratiques comprennent notamment le défrichage et le brûlage (slash-and-burn) de la forêt primaire ainsi que la jachère des sols cultivés. Lors du brûlage, les cendres générées retournent au sol le phosphore et divers autres éléments emmagasinés dans les végétaux en plus d'augmenter le pH du sol. Une fois le sol restauré, les cultures sont implantés. Au cours de la période d'exploitation qui suit, les nutriments du sol s'épuisent rapidement sous l'action combinée du prélèvement exercé par les plantes, de l'érosion, ainsi que du ruissellement et du lessivage causés par les pluies (Fearnside, 1985b; Juo et Manu, 1996). Jordan (1985) a d'ailleurs observé qu'en raison de la forte perméabilité des sols de la forêt primaire en Amazonie, le lessivage constituait la principale cause de perte en nutriments. Enfin, lorsque les nutriments du sol exploité sont épuisés ou encore rendus non-disponibles par l'action fixatrice des oxydes de fer (Bigham et al., 1978; Karim et Adams, 1984), les champs sont laissés en jachère. La jeune forêt de succession qui s'y implante sera à son tour défrichée et brûlée, recommençant ainsi le cycle.

L'agriculture sur brûlis constitue un mode d'exploitation traditionnel pratiqué depuis plusieurs siècles par les autochtones, puis par les caboclos7 . Depuis quelques décennies cependant, cette pratique a été reprise par les colons subventionnés par le gouvernement (pioneiros) ou les sans-terre (sem-terra)8 venus s'établir spontanément en Amazonie. Malgré le fait que les méthodes des colons et des sans-terre semblent comparables à celles pratiquées traditionnellement, elles comportent de profondes différences qui les rendent d'autant plus dommageables et peu durables. D'abord, de par leur nombre, les colons ont imposé une pression anthropique beaucoup plus forte que les autochtones ou les caboclos sur la forêt et ses sols. Ensuite, bien des producteurs partagent une vision extractiviste de la colonisation, davantage basée sur la spéculation et une vaste occupation à faible coût que sur la gestion durable des terres (Velho, 1985; Serrão et Toledo, 1990; Pichón, 1996; Léna, 1999). Ces producteurs préconisent le défrichement de nouvelles parcelles plutôt que la réhabilitation des sols déjà exploités par l'emploi de fertilisants ou en complétant de manière adéquate le cycle de jachère (Fearnside, 1985b; Fearnside, 1990a). Sur ce dernier point, les colons ont réduit de quatre à cinq fois la période de jachère par rapport aux autochtones, ne laissant pas aux terres le temps nécessaire pour regagner leur fertilité (Fearnside, 1985b; Juo et Manu, 1996; Scatena et al., 1996). Pour des raisons économiques enfin, la plupart des colons brésiliens ont pratiqué la monoculture concentrée sur de vastes étendues, rendant les plantations beaucoup plus vulnérables aux épidémies et aux invasions des insectes nuisibles (Fearnside, 1985b; Silva-Forsberg et Fearnside, 1995; Juo et Manu, 1996).

Le peu de considération pour la durabilité des pratiques agricoles sur la terre ferme constitue un problème majeur. La rapide déplétion des éléments nutritifs du sol ou la dégradation des conditions pédologiques - entre autres l'augmentation du compactage des sols par le piétinement du bétail et leur érosion due à l'absence de racines profondes (Fearnside, 1985b) - obligera un jour ou l'autre les producteurs à considérer l'abandon de leur parcelle de terre en raison de leur appauvrissement. Ce dernier phénomène, couplé à l'arrivée continuelle de nouveaux colons en Amazonie brésilienne, contribue à la déforestation du territoire.

Véritable boîte de Pandore, la perte du couvert forestier peut engendrer plusieurs effets néfastes pour l'environnement. En effet, il faut compter entre autres la perte et le morcellement des habitats naturels, l'intensification du phénomène d'érosion due à l'absence de racines, l'augmentation de la température des sols due à l'absence de couvert forestier et diverses perturbations micro-climatiques (Fearnside, 1985b; Bush, 1996; Uhl et al., 1997). Bien que la déforestation demeure préoccupante, les connaissances actuelles semblent indiquer qu'il n'y aurait pas encore de dommages très graves ou irréversibles au niveau régional amazonien (Eden, 1990; Léna, 1999). Cela serait en partie dû au fait que l'Amazonie brésilienne est pendant longtemps restée coupée du reste du pays, surtout à cause de l'absence de route terrestre jusqu'à récemment (Hall, 1989) 9 .

Les conséquences du développement amazonien ne s'arrêtent pas seulement aux impacts environnementaux. Les projets de colonisation et d'industrialisation sont souvent venus modifier profondément la trame socioculturelle déjà en place ainsi que la répartition ou l'occupation du territoire alors existante. Sur le plan social, le développement de l'Amazonie s'est opéré de pair avec une augmentation des tensions au sein de certains groupes ethnoculturels et en occasionnant le déplacement de populations déjà établies (Hall, 1989; Hébette, 1989). Certaines facettes des programmes de développement, leurs multiples revirements ainsi que la radicalité des changements opérés semblent parfois s'être mal adaptées aux paramètres sociaux déjà en place même si, d'un autre point de vue, ils réglaient certains problèmes tels que la surpopulation et le manque d'emploi vécus par d'autres États brésiliens plus au sud. Il faut voir que bien souvent, les nouveaux projets sont venus se greffer à un cadre prédéterminé sans nécessairement l'intégrer de manière harmonieuse. La cohabitation d'intérêts parfois fort diversifiés, voire opposés, au sein d'un même territoire ou axés sur l'exploitation de la même ressource est aussi à la base de certaines frictions entre les acteurs impliqués, nouveaux arrivants comme ceux initialement présents.

La modification de la dynamique de certains secteurs économiques traditionnels engendrée par leur intégration au sein d'un processus de capitalisation est également un facteur ayant mis en rapport des visions et des intérêts différents, engendrant quelquefois des conflits violents entre les divers groupes impliqués. La nouveauté de la question environnementale a par ailleurs causé des frictions sociales due à la superposition d'anciens modes de répartition des terres et les impératifs environnementaux des nouvelles réglementations, notamment à travers la gestion des titres de propriété et la volonté de capitalisation des petits propriétaires.

Les populations amérindiennes de l'Amazonie brésilienne voient leur situation particulièrement changée par les grands projets de développement. Sans entrer dans les détails, soulignons que leurs réseaux de production et d'échanges sont transformés et leurs territoires traditionnels changent de statut, devenant des réserves extractivistes à propriété collective, des zones protégées ou encore la propriété d'exploitants forestiers. Certains auteurs estiment que le mode de vie amérindien même est menacé (Brunelli, 1990). Il est à tout le moins évident que l'entrée forcée dans la modernité a été le moteur d'une acculturation progressive des différents peuples amérindiens parsemant le territoire amazonien. Des frictions entre les diverses ethnies ainsi que, dans certains cas, l'élimination rapide de petites populations dans les affrontements armés se sont également produit pendant la première période des grands projets de développement. Les grands propriétaires fonciers, essentiellement pour des guerres d'usage de terres dont le statut est ambigu, ont régulièrement opposé aux Amérindiens de l'Amazonie des milices armées. La propriété des terres amérindiennes, quoique protégée constitutionnellement depuis 1934, et par un chapitre entier de la nouvelle constitution de 1988, n'est ni reconnu par les autorités et acteurs sociaux locaux, ni assurée par l'État. Soulignons enfin que les différents plans d'aides aux peuples amérindiens touchés par les grands projets demeurent souvent lettre morte, leur action se limitant à un énoncé de principe dont les effets tardent à se manifester (Brunelli, 1990).

Contexte socio-politique

La nécessité d'harmoniser le développement amazonien avec la préservation de l'environnement est reconnue à la fois par les scientifiques - de plus en plus nombreux à se pencher sur la question, par les environnementalistes et aussi par ce qu'il convient d'appeler la communauté internationale. Les causes de la déforestation sont identifiées, des solutions, telle la création de zones de conservation, sont avancées pour assurer la protection des forêts, et il semble qu'un consensus émerge à propos du sort du patrimoine commun brésilien que sont les forêts amazoniennes. Il faut voir par ailleurs que les acteurs socio-économiques brésiliens se trouvent dans un autre ordre de préoccupations dont il convient de prendre acte pour reconstituer tous les éléments de la problématique.

La structuration initiale du champ des luttes politiques autour du développement de l'Amazonie était étrangère à la question environnementale. Alors que les groupes écologistes étaient à peu près inexistants au Brésil avant les années 80 (Viola, 1988; Léna, 1999), l'opposition interne au développement de l'Amazonie était limitée. En effet, il semble que l'entreprise rencontrait les intérêts nationaux énoncés par l'État, mais aussi d'une pléthore d'acteurs socio-économiques. Les entreprises minières et forestières, le secteur de la construction publique, les spéculateurs, les exploitants de bois, les grands éleveurs - qui devinrent rapidement le fer de lance de la colonisation amazonienne, mais aussi de la population en général, séduite à la fois par la rhétorique nationale-populiste et par les emplois créés par l'ouverture d'une nouvelle frontière intérieure, tous ont appuyé le projet, espérant la réalisation de leurs intérêts économiques immédiats (Léna, 1999).

La contestation des divers aspects du projet était donc mineure avant les années 80, c'est-à-dire, à partir du moment où les acteurs locaux ont stratégiquement uni leurs intérêts entre eux, mais aussi avec des organisations non-gouvernementales, des scientifiques et des organismes de protection de l'environnement. L'association des peuples de la forêt, composée de seringeiros (collecteurs de latex), de ribeirinhos (riverains) et des différents peuples amérindiens d'Amazonie, constitue par exemple un ensemble de groupes sociaux traditionnellement opposés entre eux pour l'occupation des terres, et qui se sont associés stratégiquement pour défendre des intérêts divers sous une même bannière (Brunelli, 1990).

Les peuples amérindiens ont par ailleurs particulièrement bien intégré leurs revendications avec celles de différentes organisations locales et internationale, mêlant revendications territoriales et environnement (IPF, 1997). Cependant, les visions respectives des groupes autochtones et environnementalistes demeurent traversées par des conceptions radicalement différentes de la conservation. Les premiers défendent la biodiversité pour des raisons politiques, économiques, religieuses, esthétiques et morales, c'est-à-dire en fonction d'une lutte fortement structurée par la défense des acquis de groupe, alors que les seconds défendent une biodiversité beaucoup plus complète, qui inclut difficilement une activité économique minimale (voir la contribution de Redford et Stearman (1993) à ce sujet). L'engagement des groupes autochtones envers la protection de la biodiversité est stratégique, alors que celui des conservationnistes vise la protection de la biodiversité pour sa valeur propre.

Les oppositions initiales au développement étaient donc éparses et provenaient de la bourgeoisie brésilienne qui s'opposait à la dictature. À partir de 1974, la critique s'est cristallisée autour de la question du favoritisme fiscal envers les grands propriétaires terriens. Ceux-ci présentaient pour les militants politiques classiques la figure type de l'ennemi de classe, traditionnellement dominants dans les régions rurales et influents auprès du gouvernement brésilien. La critique éthique et scientifique provenant de l'extérieur du Brésil dénonçait de son côté l'élevage comme la principale cause de déforestation (Léna, 1999). On note aussi une politisation des petits cultivateurs amazoniens par les communautés de base de l'Église catholique, qui enseignait les préceptes de la théologie de la libération (Cousineau, 1996; Corten, 1999). La convergence des intérêts partiels des différents acteurs autour de la dénonciation de l'élevage et des propriétaires marque un moment important de la constitution d'une critique dont la façade est uniforme, mais qui ne s'avère en fait que recoupement stratégique où les militants classiques intègrent graduellement dans leur discours le développement durable et où les écologistes ajoutent à leurs revendications la nécessité d'améliorer les conditions de vie des habitants de l'Amazonie.

Devant ces faits, il semble impératif de souligner deux écueils communément rencontrés dans la littérature sur le développement amazonien. D'abord, il faut voir que les politiques brésiliennes de développement dans les années 60 et 70 n'ont pas failli aux principes d'une gestion durable du développement, dans la mesure où de tels enjeux (épuisement des ressources, gestion écosystémique, développement durable) étaient inexistants à cette époque. Quelque entorse aux principes de développement durable ne peut être diagnostiquée ici : il faut plutôt espérer de rétablir l'état des rapports pour comprendre les causes structurelles du problème actuel. Un mode de développement antérieur a structuré la forme actuelle des problèmes sociaux et environnementaux qui n'était pas informé de l'agenda écopolitique que l'on connaît aujourd'hui.

Ensuite, le développement économique de l'Amazonie ne s'est pas fait explicitement en défaveur de certaines portions de la population. Une trame complexe d'intérêts divers structure le champ politique à l'intérieur duquel se joue la question du développement amazonien. Des intérêts convergeaient au départ du projet de développement, situation que l'intronisation récente de la question environnementale a fortement restructurée. L'exemple amérindien évoqué plus haut est témoin de cette réorganisation des forces et des enjeux. Il faut concevoir l'Amazonie comme un artefact, une construction sociale, où les différents intérêts qui structurent le champ politique sont en lutte pour imposer une représentation particulière de cet artefact. L'impérative nécessité de la conservation des forêts vierges et l'exclusion sociale causée par les politiques de crédits agricoles favorisant les éleveurs bovins sont quelques unes de ces représentations, qui ne doivent pourtant pas camoufler la complexité du phénomène, à la fois pour mieux comprendre la situation et, plus loin, intervenir adéquatement. Les coalitions entre les habitants de l'Amazonie et les groupes environnementaux apparaissent fragiles quand il s'agit pour les uns de capitaliser la pratique de l'agriculture par des techniques extensives et pour les autres de créer des zones de préservation. Le travail d'élaboration de politiques d'intervention ne peut faire l'économie d'une étude approfondie des habitudes socio-économiques des populations en place et des nécessités du développement d'infrastructures (routes, système de transport, marchés, services d'éducation et de santé) permettant d'améliorer les conditions de vie des travailleurs et cultivateurs de l'Amazonie. Il faut par ailleurs compter avec les joutes entre les éleveurs, les petits cultivateurs et les sans-terres, les enjeux électoraux (ce sont les gouvernements fédérés qui ont le pouvoir de déclarer une zone protégée), ainsi qu'avec les ambiguïtés du régime foncier. L'ensemble de ces facteurs pris en compte, que nous ne reproduisons ici que partiellement et partialement, une véritable étude demandant un autre espace de discussion, il devient impossible de tabler sur une intervention unilatérale favorisant à fort prix social et économique l'impératif de conservation.

Conclusion

Il était question ici non pas de délimiter un objet d'étude, mais de mettre en place certains éléments sous-tendant la problématique développement / environnement au Brésil. Il s'agissait également d'ouvrir quelques pistes pour alimenter la recherche de solutions viables afin de réguler une intrusion anthropique massive dans une région encore relativement intacte. Quelques traits caractéristiques permettent de définir la situation. D'abord, les impératifs économiques de l'essor amazonien sont ceux d'un pays en voie de développement. Cela signifie que les motifs politico-économiques priment plus souvent qu'autrement sur les autres exigences d'ordre conservationniste. Aussi, bien que la question environnementale soit effectivement au centre des préoccupations politiques nationales depuis les années 90, il n'est pas trop téméraire d'avancer l'hypothèse que la conservation de l'environnement soit un objectif secondaire dans les actions que posent les instances brésiliennes. Celles-ci sont en effet aux prises, question de volonté politique ou non, avec un cadre politico-juridique antécédent peu flexible qui rend encore difficile l'introduction de la cause environnementale dans son fonctionnement.

Par ailleurs, il est remarquable qu'au-delà d'une certaine image projetée par la littérature scientifique sur le sujet, les habitants de l'Amazonie ne sont souvent que stratégiquement engagés envers la protection de l'environnement. Bien que les contacts soient de plus en plus nombreux entre les groupes de défense de l'environnement, les équipes de recherche et les différents peuples et sociétés amazoniens, il demeure un écart important entre le consensus apparent quant à la protection de l'environnement et les objectifs et motivations de chacun de ces groupes. Ce sont là deux exemples de nuances de la problématique amazonienne et qui demeure trop souvent éclipsée par les discours uniformisants sur le sujet.

Bien entendu, et comme il a été démontré, les instances responsables autant du développement que de la conservation de l'environnement n'ont pas toujours eu la volonté et/ou les outils nécessaires à une gestion adéquate de ces deux aspects. Les conséquences négatives - tans sociales qu'environnementales - découlant d'un certain laxisme institutionnel, de luttes politiques, de la corruption, de visions opposées et de changements parfois radicaux ne peuvent être négligées. Seulement, il s'agit maintenant de faire la part des choses, de mieux comprendre les multiples facettes du contexte brésilien et surtout, de cesser de trouver un coupable dans le seul but de le blâmer.

Diverses solutions, tant politiques que scientifiques, ont été avancés par de multiples intervenants afin de concilier ce qui apparaît comme étant deux faits incontournables en Amazonie : d'une part, l'établissement et le support des populations humaines dans des conditions acceptables, tout en leur fournissant les outils nécessaire à une autonomie et une certaine prospérité économique et, d'autre part, à l'harmonisation du fait humain avec la protection des éléments biotiques et abiotique du milieu.

Le présent texte est tiré d'une note de recherche ayant pour objectifs la description et l'analyse à travers deux études de cas du rôle des organismes gouvernementaux et ONG (brésiliens et étrangers) impliqués, ainsi qu'une recension des diverses solutions politiques et scientifiques suggérées pour la réconciliation du développement et de la conservation dans la région étudiée. Sans être un traitement exhaustif de la question, cette note de recherche offre une introduction générale à la problématique amazonienne via ses aspects politiques et scientifiques. Référence à la note de recherche : Giroux, D. et N. Soumis, Portrait de la problématique développement/ environnement en Amazonie brésilienne. Note de recherche. Département de Science politique, UQAM, à paraître en 2000.


Bibliographie

Anderson, A. B., et E. M. Ioris. 1992. "Valuing the rain forest : Economic strategies by small-scale forest extractivists in the Amazon estuary". Human Ecology. 20(3) : 337-369.
Barbosa, L. C. 1993. "The "greening" of the ecopolitics of the world-system : Amazônia and changes in the ecopolitics of Brazil". Journal of Political and Military Sociology. 21(1) : 107-134.
Brunelli, G. 1990. "Étrangers sur leurs terres : Amérindiens et développement en Amazonie brésilienne". Recherches amérindiennes au Québec. 20(2) : 51-88.
Day, J. A., et B. R. Davies. 1986. "The Amazon river system". In The ecology of river systems, sous la dir. de B. R. Davies et K. F. Walker. Chapitre 8. p. 289-317. Dordrecht, Pays-Bas : Dr W. Junk Publishers.
Fearnside, P. M. 1985a. "Environmental change and deforestation in the Brazilian Amazon". In Change in the Amazon Basin : man's impact on the forest and rivers, sous la dir. de J. Hemming. Chapitre 6. p. 70-89. Manchester, G.-B. : Manchester University Press.
Fearnside, P. M. 1985b. "Agriculture in Amazonia". In Key environments : Amazonia, sous la dir. de G. T. Prance et T. E. Lovejoy. Chapitre 21. p. 393-418. New York : Pergamon Press.
Fearnside, P. M. 1987. "Deforestation and international economic development projects in Brazilian Amazonia". Conservation Biology. 1(3) : 214-221.
Fearnside, P. M. 1990a. "Estimation of human carrying capacity in rainforest areas". Trend in Ecology and Evolution. 6(6) : 192-196.
Fearnside, P. M. 1990b. "Predominent land use in Brazilian Amazonia". In Alternative to deforestation : step toward sustainable use of the Amazon Rain Forest, sous la dir. de A. B. Anderson. p. 233-251. New York : Columbia University Press.
Furch, K. 1997. "Chemistry of várzea and igapó soils and nutrient inventory of their floodplain forests". In The Central Amazon Floodplain, sous la dir. de W. J. Junk. Ecological Studies. Volume 126. Chapitre 3. p. 47-67. Berlin : Springer-Verlag.
Hall, A. L. 1989. Developing Amazonia. Deforestation and social conflict in Brasil's Carajás programme. New York : Manchester University Press. 295 p.
Hecht, S. B. 1982. "Agroforestry in the Amazon Basin : practice, theory and limits of a promising land use". In Proceedings of the International Conference on Amazonian Agriculture and Land Use Research, sous la dir. de S. B. Hecht. 331-371. Cali, Colombie : CIAT Series 03E-3(82).
Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais (INPE). 1999. "Monitoramento da floresta amazônica brasileira por satélite. 1997-1998". Brasília : Ministério da Ciência e Tecnologia. 22 p.
Intergouvernmental Panel on Forests (IPF). 1997. "Declaration and proposal for action". Conférence tenue à Leticia, Colombie, du 9 au 13 décembre 1996. Indigenous Affairs. Numéro 1 : 23-26.
Léna, P. 1999. "La forêt amazonienne : un enjeu politique et social contemporain". Autrepart. 9 : 97-120.
Bush, M. B. 1996. "Amazonian conservation in a changing world". Biological Conservation. 76 : 219-228. Lucas, Y., D. Nahon, S. Cornu et F. Eyrolle. 1996. "Genèse et fonctionnement des sols en milieu équatorial". C. R. Acad. Sci. Paris. 322(série IIa) : 1-16.
Oth, J. D. 1999. "La perte de biodiversité à Madagascar : causes et incitatifs pervers". Mémoire, Montréal, Institut des Sciences de l'environnement, Université du Québec à Montréal, 119 p.
Pichón, F. R. 1996. "Settler agriculture and the dynamics of resource allocation in frontier environments". Human Ecology. 24(3) : 341-371.
Pouyllau, M. 1994. "Entre géopolitique et déforestation : l'évaluation par imageries satellitaires de la dégradation environnementale dans le Bassin amazonien (cas du Brésil et du Venezuela)". Lusotopie. Numéros 1-2 : 93-102.
Prance, G. T., W. A. Rodrigues et M. F. da Silva. 1976. "Inventário florestal de um hectare de mata de terra firme km 30 da Estrada Manaus-Itacoatiara". Acta Amazonica. 6(1) : 9-35.
Redford, K. H., et A. M. Stearman. 1993. "Forest-dwelling native Amazonians and the conservation of biodiversity : Interests in common or in collision ?". Conservation Biology. 7(2) : 248-255.
Secretaria de Comunicação de Governo da Presidência da República (SECOM). 1997. "Reforma agrária - Compromisso de todos". Brasília : Presidência da República.
Serrão, E. A. 1995. "Desenvolvimento agropecuário e florestal na Amazônia : proposta para o desenvolvimento sustentável com base no conhecimento científico e tecnológico". In Amazônia : desenvolvimento econômico, desenvolvimento sustentável e sustnetabilidade de recursos naturais, sous la dir. de José Marcelino. Universidade e Meio Ambiente. Volume 8. Chapitre 3. p. 57-104. Belém : UFPa/NUMA.
Serrão, E. A., et J. M. Toledo. 1990. "The search for sustainability in Amazonian pastures". In Alternatives to deforestation. Steps toward sustainable use of the Amazon rain forest, sous la dir. de A. B. Anderson. Chapitre 13. p. 195-214. Columbia : Columbia University Press.
Sioli, H. 1985. "The effects of deforestation in Amazonia". The Geographical Journal. 151(2) : 197-203.
Skole, D., et C. Tucker. 1993. "Tropical deforestation and habitat fragmentation in the Amazon : Satellite data from 1978 to 1988". Science. 260 : 1905-1910.
Uhl, C., P. Barreto, A. Veríssimo, E. Vidal, P. Amaral, A. C. Barros, C. Souza Jr, J. Johns et J. Gerwing. 1997. "Natural Ressource Management in the Brazilian Amazon". BioScience. 47(3) : 160-68.
Worbes, M. 1997. "The forest ecosystem of the floodplains". In The Central Amazon Floodplain, sous la dir. de W. J. Junk. Ecological Studies. Volume 126. Chapitre 11. p. 223-265. Berlin : Springer-Verlag.


1 Cette inquiétude naît avec une préoccupation croissante, au plan international, des effets du développement humain sur l'environnement. Il s'agit d'un des effets marquants de la mise à l'agenda de la question environnementale au sein de ce que Immanuel Wallerstein appelles le système-monde(Barbosa, 1993).

2 La biodiversité végétale est estimée à 235 espèces d'arbres par hectare dans la région de Manaus (Prance, Rodrigues et da Silva, 1976). Par ailleurs, le potentiel forestier de l'Amazonie brésilienne s'élève à quelques milliards de m3 de bois de haute qualité (Uhl et al., 1997). Quant aux réserves minérales, le sol du Carajás renferme environ 18 milliards de tonnes de minerai ferrugineux, soit la plus grande réserve connue au monde. Enfin, avec ses 2,2 milliards de tonnes de bauxite, l'Amazonie est également la première réserve mondiale en ce minerai dont on tire l'aluminium (Hall, 1989).

3 L'estimation de la perte du couvert forestier s'est effectuée selon diverses méthodes allant de la simple mesure in situ à la télédétection satellitaire, en passant par l'aérophotographie. Les technologies récentes apportent souvent des données plus justes et permettent de relativiser l'état actuel de la déforestation en Amazonie (Pouyllau, 1994). Cependant, peu importe l'origine des données, leur traitement demeure une étape cruciale qui peut biaiser leur interprétation. D'autres part, certaines limites technologiques peuvent aussi affecter la précision des résultats. Par exemple, certains auteurs ont démontré que les satellites AVHRR utilisés en 1995 avaient tendance à surestimer les surfaces déboisées (Skole et Tucker, 1993). Par ailleurs, le satellite Landsat utilisé lors du projet PRODES (de 1988 à aujourd'hui), avec sa résolution au 1:250 000, ne peut détecter les altérations du couvert forestier inférieures à 6,25 hectares (INPE, 1999).

4 Une précision s'impose ici : nous spécifions terre ferme (terra firme) parce qu'il existe en Amazonie brésilienne, le long des systèmes dits d'eau blanche, un autre type de milieu où s'est implantée l'agriculture. Ces milieux, étant en fait des plaines d'inondation (localement appelées várzeas), jouissent de conditions pédologiques beaucoup clémentes que la terra firme. Pour plus de détails sur les várzeas et l'agriculture s'y pratiquant, le lecteur est prié de se référer à des ouvrages tels que ceux de Day et Davie (1986), Furch (1997), Worbes (1997), Fearnside (1985b) et Fearnside (1990b).

5 Selon la taxinomie pédologique employée par l'USDA (United States Department of Agriculture). Les auteurs cités utilisent plutôt la classification brésilienne et parlent alors de latosols (oxisols) et de sables blancs podzoliques (ultisols).

6 Le paradoxe apparent de sols pauvres supportant une végétation aussi luxuriante que la forêt amazonienne s'explique par le fait que la majeure partie des nutriments présents sont liés à la biomasse végétale et à la matière organique en décomposition. L'assimilation et le recyclage des nutriments par les végétaux présents est extrêmement efficace si bien que le sol, dénué de sa biomasse végétale, demeure un réservoir relativement pauvre en nutriments (Sioli, 1985; Day et Davies, 1986).

7 Les caboclos sont des métis lusophones ayant un faible revenu financier. Ils ont adopté un style de vie paysan et démontrent une grande polyvalence quant à leurs stratégies de survie (pêche, agriculture, extractivisme).

8 On compte environ 4,8 millions de familles sans-terre au Brésil. Les sem-terra englobent divers groupes : sans-emploi, petits propriétaires dépossédés de leurs terres en raison d'ambiguïtés sur les titres de propriétés, gens évincés de leur propriété par l'implantation de grands projets (agricoles ou hydroélectriques), etc. Les sem-terra, à la recherche d'un nouveau site où s'établir, vont souvent tenter d'occuper des zones déjà occupées ou désignées - propriétés privées, réserves naturelles ou indigènes, créant ainsi certaines tensions éloquemment illustrées par les événements de Pontal do Paranapanema ou de l'État du Pará (SECOM, 1997).

9 La création de routes ne mène pas nécessairement à une utilisation plus intensive du territoire. Dans une étude effectuée à Madagascar, on a remarqué que les cultivateurs s'installaient généralement aux abord des routes récemment tracée, évitant ainsi de s'avancer plus profondément dans les terres vierges et permettant un commerce avec des villes plus éloignées qui réduit de ce fait la nécessité d'une culture de subsistance étendue (Oth, 1999). Il serait intéressant d'étudier l'impact effectif des routes sur le développement en Amazonie brésilienne, certains auteurs ayant justement suggéré de développer le système routier amazonien pour favoriser le développement de petits réseaux commerciaux entre les communautés de manière à renforcer les économies locales (Anderson et Ioris, 1992; Pichón, 1996).


VertigO no 1, vol 1