VertigO - La revue en sciences de l'environnement sur le WEB, Vol 2 No 1 , Avril 2001

L'ACTUALITÉ

Étiquetage des OGM: un militant en procès

Par MARTIN PETIT,
Étudiant à la Maîtrise en éducation, Université du Québec à Montréal Chercheur à L'Institut de recherche et d'informations socio-économiques.



Martin Petit a été accusé de méfaits pour avoir posé, avec d'autres manifestants du Groupe Étiquetage volontaire collectif citoyen, des autocollants d'avertissement sur des boîtes de biscuits dans un supermarché. Cette manifestation pacifique s'est déroulée le 22 mai 2001 à Montréal (Québec, Canada). Ce texte donne quelques informations concernant le déroulement du procès tenu à Montréal les 14 et 15 février derniers.

Bonjour à vous,

Dès l'ouverture du procès, ils ont laissé tombé les accusations de voie de fait par intrusion. Après avoir passé une grande partie du mercredi (14 février) à piétiner sur des détails techniques, (changé trois fois de procureur de la couronne, deux fois de juge et de salle) nous avons entendu les témoignages de deux policiers présent lors de la manifestation dont l'un m'a arrêté tandis que l'autre, m'aurait vu en train d'apposer un autocollant sur une boîte de biscuits. Durant cette journée, le gérant du supermarché brillait par son absence, constituant un bon argument, pour la poursuite, de remettre la cause à une autre date. Ceci n'a heureusement pas eu lieu puisque Brewster Kneen (témoin de la défense) est arrivé spécialement de Colombie-Britanique la veille du procès afin d'y témoigner. Il fallait donc procéder. Durant cette première journnée d'audience, ils ont également projeté un vidéo montrant l'étiquetage effectué par une autre personne arrêtée mais ayant été relâchée sur les lieux, sans accusation. Selon ses calculs, elle aurait étiqueté quelque 250 produits alors qu'on m'accuse d'en avoir étiqueté seulement 2. Le fait est qu'ils ont des images de l'autre personne mais pas d'image de moi. À la fin du vidéo, on voyait tous les produits étiquetés - une vingtaine en tout - sur les quelques 250. Détail important: les policiers, tout en étant plus d'une quinzaine, utilisant les services d'un infiltrateur et ayant une caméra vidéo sur place, ont été incapables de garder une seule boîte étiquetée afin de la produire en preuve. Après une journée de pure perte de temps, le juge a ajourné et convoqué la suite pour le lendemain 9h00.

Le deuxième jour, le gérant du Supermarché est venu expliquer en cours qu'il ne savait pas vraiment à quel endroit étaient les boîtes «endommagées». Il a laissé entendre qu'elles étaient peut-être détruites (suite à l'incendie du commerce en question, 4 mois plus tard), pour ensuite dire qu'elles avaient peut-être été transférées à l'entrepôt, pour conclure qu'elles avaient peut - être été données à des œuvres de charité , prouvant ainsi que les produits n'avait pas été endommagés et étaient comestibles. Plus contradictoire que ca...

L'incohérence dans ses propos m'a permis de laisser planer un doute sur le fait qu'étant donné que seulement 20 produits auraient été «endommagés» sur les 250 étiquetés, qu'il serait tout à fait possible que ces boîtes aient été vendues sans qu'il en ait connaissance, comme on vend des boîtes bossées ou un peu endommagées. C'est possible, surtout s'il ne sait pas où elles sont.

Brewster Kneen a témoigné mais pas en tant qu'expert et le juge se réserve évidemment le droit de rejeter son témoignage. Il a été très clair concernant le système d'approbation de la bouffe au Canada: il est allé plus loin que le rapport de la Société royale du Canada en disant clairement que la population ne pouvait plus compter sur le gouvernement pour sa sécurité alimentaire. Voilà pourquoi des gens décident maintenant d'agir. Par ailleurs, Éric Darier (Greenpeace Canada) a été entendu en tant qu'expert mais, comme dans le cas de Brewster, son témoignage ne sera sans doute pas retenu. Éric est venu expliquer que d'autres citoyens avaient réalisé des actions similaires ailleurs (même pire dans le cas de champs en Angleterre qui ont été coupés. Dans cette cause, deux jurys différents de douze personnes ont refusé de reconnaître la culpabilité de 28 militants de Greenpeace ayant participé à la coupe d'un champs de mais transgénique). L'important c'est qu'ils aient parlé au juge. Même si le juge essaie, il ne peut pas faire abstraction de ces informations. Un peu déçu que ces témoignages n'aient pas été repris un tant soit peu par les médias, leur authenticité ayant été, selon moi, un des moments forts, même s'ils ne seront pas retenus. Les médias ont peu parlé des témoignages de Brewster Kneen et de Éric Darier puisqu'ils touchaient directement à la logique et aux intérêts des entreprises biotechnologiques. Nous savons que celles-ci sont actuellement de très bons clients publiciatires dans les médias. De plus, les médias sont généralement frileux relativement à la publication de propos pouvant porter atteinte à la réputation des entreprises, malgré que ceux-ci soient véridiques et appuyés par des faits.

Par la suite, Marie-Eve Lamy est venue expliquer au juge que cette action en était avant tout une de sensibilisation et d'information. Elle a expliqué que personne n'avait eu peur des gens présents, que les échanges étaient sympathiques et conviviaux et que plusieurs personnes avaient trouvé ridicule qu'on arrête des gens tentant d'informer la population et décidant de bouger devant l'inaction et la complaisance du gouvernement. Elle a également souligné que les personnes trouvaient démesurées les mesures policières déplacées contre notre effort citoyen. Je crois que son témoignage remet en question l'intention criminelle qu'on cherche à nous faire porter.

Enfin, Marie-Michelle Poisson est venue expliquer comment elle avait étiqueté quelque 250 produits, se faisant demander environ 3 à 4 fois de quitter les lieux. Mais six mois ayant passé depuis l'action d'étiquetage et son arrestation, elle ne subira pas de procès, ni aucune accusation sera portée contre elle. Il faut dire que Marie-Michelle a l'air beaucoup plus sage et respectable que moi, le jeune étudiant au cheveux long. Me souvenant que le procureur de la couronne pouvait me poser toutes sortes de questions sur d'autres engagements ou actions déjà faites, je n'ai pas témoigné.

La journée, et le procès du même coup, s'est terminée par mon plaidoyer et celui du procureur de la poursuite. J'ai réalisé le mien en soulignant fortement que je me demandais comment le procureur avait pu dire «On ne fait pas le procès des OGM mais celui de Martin Petit qui a endommagé deux boites de biscuits dans un supermarché» alors qu'on a utilisé, je vous le rappelle, plus de quinze policiers, un infiltrateur et une équipe de caméra vidéo (en passant, elles ne m'ont pas filmé parce que quelqu'un avait oublié de charger les piles de la caméra et que, branché dans le mur, elles ne pouvaient atteindre les rangés où j'étais...). J'ai également fait une charge en règle contre les multinationales de l'agro-business mais le juge ne semblait plus vraiment intéressé à ce stade.

Une chose demeure: je n'ai pu déposer dans le cadre du procès les 37 documents que nous avions synthétisé avec page de présentation-résumé tout simplement parce que je n'ai pas témoigné. En revanche, je l'ai personnellement remis au juge et au procureur, ce qui est possible, puisque le juge le lira (c'est ce qu'il a dit...) après son jugement. Vous auriez dû voir la visage du procureur de la couronne quand le juge m'a demandé de lui remettre la boîte contenant les deux dossiers et de lui garder jusqu'au verdict. Celui-ci se tiendra le 27 mars prochain.

Le jugement devant un juge, tel qu'il s'est déroulé le 14 et 15 février, ne permet pas d'impliquer la population dans une décision hautement politique. Au Québec, les accusés doivent commettre un méfait dépassant 5 000 $ pour avoir droit à un jury civil, un détail qui entrera sûrement en ligne de compte lors de l'organisation des prochaines actions.

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VertigO no 1, vol 2