VertigO - La revue en sciences de l'environnement sur le WEB, Vol 2 No 2 , AOctobre 2001

L'ACTUALITÉ

Est-ce que le développement hydroélectrique à petite échelle est environnementalement préférable ?

Par ÉRIC DUCHEMIN,
Ph.D., Consultant en Environnement



     Durant les derniers mois le gouvernement québécois s’est prononcé pour la création d’un nouveau programme de développement de petites centrales hydroélectriques. Ce programme prévoit la production de 435 MW, soit près de la moitié du potentiel québécois non-développé en petite hydroélectricité (862 MW). Cette quote-part accordée dépasse largement la limite de 150 MW recommandée par la Régie de l’Énergie dans son Avis de décembre 1999 (A-99-02, www.regie-energie.qc.ca). On peut se questionner sur un tel choix, mais on doit reconnaître que le gouvernement du Québec suit la tendance continentale en ce qui concerne l’augmentation de la production d’énergie électrique. Nos voisins de la Nouvelle-Angleterre ont construit pour 3 500 MW de centrales thermiques durant les deux dernières années, tandis que dans l’ensemble des État-Unis, 67 000 MW de capacité de production ont été rajoutés sur le réseau électrique, et 70 000 MW sont en construction. Cela représente, une augmentation de la capacité de production états-uniennes de 18% depuis 1998.

Bien que les structures socio-économiques québécoises dépendent d’une augmentation de la production d’énergie électrique évaluée à 1,2 % par année , soit des besoins d’environ 500 MW par année, nous devons en tant que société nous donner les moyens de juger au niveau socio-économique et environnemental le bien fondé de tout programme de développement énergétique. Avec les avancées technologiques actuelles de nombreuses autres possibilités énergétiques s’offrent à nous. Que ce soit par la production d’énergie à partir des ressources éoliennes, par la production solaire dans un contexte d’électrification décentralisée ou encore par l’efficacité énergétique, il est possible de générer à partir d’énergie «vertes» des quantités non négligeables d’électricité. Par exemple, à partir de deux projets réalisés dans un quartier de Laval et à Métabetchouan (au Lac St-Jean), Négawatts Production Inc. estime qu’un programme québécois d’économie d’énergie léger permettrait d’économiser environ 600 MW à un coût inférieur à celui de l’énergie provenant de centrales de production traditionnelle.

Le bien fondé relatif d’un programme de petites centrales hydroélectriques sur le développement socio-économique des communautés a été longuement discuté lors des audiences de la Régie de l’énergie. Selon les intervenants, les opportunités de développements socio-économiques étaient soit importantes ou soit négligeables. Cette dichotomie provenait principalement du regard porté sur la problématique. Au niveau régional le programme permettrait aux petites communautés un certain développement, tandis qu’au niveau du Québec d’autres options énergétiques devaient être retenues. Toutefois, de la majorité des mémoires présentés, on peut conclure qu’à court et moyen terme l’énergie produite servira aux exportations mais qu’à long-terme elle satisfera à la demande énergétique québécoise, et ce, avec des impacts environnementaux mineurs. Cependant, il faudrait évaluer ces impacts avant de statuer leur absence. Une telle évaluation n’a pas été retenue dans l’Avis.

Pour permettre une évaluation environnementale du programme, le ministère de l’environnement du Québec a abaissé de 10 MW à 5 MW le seuil d’assujetissement des projets hydroélectriques à des audiences publiques. Ceci pourrait déclencher l’examen public de 31 des 36 projets qui sont sur la table des promotteurs. En revanche pour différentes raisons cela n’est pas suffisant :

  1. Contrairement aux grands développements hydro-électriques, les petites centrales ont des impacts difficilement mesurables, ce qui ne veut pas dire inexistants. La littérature scientifique démontre hors de tout doute que le développement hydroélectrique a des impacts sur les écosystèmes en aval et en amont des ouvrages. Les impacts et leur importance varient selon les caractéristiques des ouvrages. Le développement de plusieurs petites centrales hydrauliques risque, au minimum, d’avoir le même effet environnemental que le développement d’un grand barrage produisant 435 MW. Effectuer les évaluations barrage par barrage fera uniquement ressortir les incertitudes des recherches scientifiques environnementales sur de tel aménagement.

  2. On aimerait que l’effet environnemental du programme soit dilué spatialement, mais en réalité il touche l’ensemble de l’écosystème du bassin versant aménagé, le bassin du fleuve St-Laurent dans le cas présent. En aménageant les tributaires de cet écosystème on risque de déstabiliser son équilibre écologique.

  3. Chaque rivière, par ses caractéristiques physiques (débits d’eau, apport en éléments nutritifs, etc.) a son importance écologique pour le milieu récepteur. Réaliser des projets sans considérer l’importance de chacune des rivières pour l’ensemble peut conduire à un déséquilibre écologique important.

Pour ces différentes raisons, il est important que le gouvernement recommande d’effectuer une évaluation environnementale de l’ensemble du programme. Une telle audience permettra d’évaluer et d’illustrer les impacts environnementaux que causera un tel programme. En outre, il permettra de faire prendre conscience au citoyen que le développement de petites centrales hydroélectriques n’est pas uniquement du ressort des régions touchées par les développements. Actuellement les différentes intervenants économiques impliqués dans le dossier privilégient une approche régionale. Le Saint-Laurent, dont le cours sillonne les basses–terres, risque d’être atteint par leurs actions. Enfin, une évaluation permettra de déterminer le bien fondé de chacun des projets pour l’ensemble de l’écosystème. Devons-nous permettre un développement régional sans considérer les impacts potentiels sur l’ensemble du territoire? Et n’oublions pas que dans ce programme on prévoit aménager des rivières ayant un potentiel hydroélectrique et non uniquement des ruisseaux avec de faibles débits.


VertigO no 2, vol 2