VertigO - La revue en sciences de l'environnement sur le WEB, Vol 3 No 1 , Avril 2002

L'ACTUALITÉ

LE PROJET DE CONSTRUCTION DE LA CENTRALE THERMIQUE DE MELOCHEVILLE :
APRÈS HYDRO-QUÉBEC, THERMO-QUÉBEC?

Par NICOLAS SOUMIS, candidat au doctorat en sciences de l’environnement, UQAM
et DALIE GIROUX, candidate au doctorat en science politique, UQAM



     Le 2 octobre dernier, Hydro-Qué-bec rendait public son projet de construction d’une centrale au gaz naturel à cycle combiné de 800 mégawatts à Melocheville. Le début des travaux est prévu pour 2003 alors que la mise en opération de la centrale se fera en 2006. D’emblée, la décision d'Hydro-Québec, une société dont l’expertise est essentiellement hydroélectrique, peut surprendre. Elle suggère par ailleurs de questionner les impacts environnementaux d’un tel projet, particulièrement devant la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) responsables des changements climatiques. Rappelons qu’au cours de la dernière année, l'entité que l'on convient d'appeler communauté internationale a fait d'importants efforts pour s’entendre sur les mécanismes d’application du Protocole de Kyoto visant la réduction des émissions de GES. Allant d’une certaine façon à l’encontre de ces efforts, le Gouvernement québécois qui s’est présenté à Bonn lors de pourparlers comme un modèle en matière de contrôle des émis-sions de GES annonce maintenant qu’il appuie Hydro-Québec dans le développement de l’énergie thermique au Québec, une filière reconnue pour émettre plus de GES que la production d’hydroélectricité.

Dans un contexte où la communauté internationale s’est engagée dans la lutte au réchauffement climatique, certains aspects reliés à la production d’énergie à grande échelle doivent être éclairés. À l’aune des faits qui seront discutés dans ce texte, nous suggérons que le «virage thermique» qu’entame Hydro-Québec va non seulement à l’encontre d’une logique environnementalement responsable alors qu’il augmentera les émissions de GES du Québec, mais que celui-ci entre é-ga-lement en contradiction avec le discours officiel de cette société d’État.

Comparaison des filières énergétiques sur la base de leurs émissions de GES

Il est d’abord important de souligner que l’hydroélectricité est responsable de l’émission d’une certaine quantité de GES. En effet, depuis maintenant près d’une dizaine d’années, plusieurs équipes de chercheurs à travers le monde sont parvenues à démontrer que les réservoirs hydroélectriques émettaient des GES lors de leur mise en eau et au cours de leur exploitation. Selon les connaissances scientifiques actuelles, les GES proviendraient essentiellement du métabolisme respiratoire des bactéries aquatiques. Lorsqu’elles puisent l’énergie nécessaire à leur survie, les bactéries assimilent les molécules organiques présentes dans l’eau et les dégradent en produisant certains gaz dont le gaz carbonique (CO2) et le méthane (CH4). Ce sont ces gaz qui, en diffusant vers l’atmosphère, contribuent aux changements climatiques de la même façon que le font les gaz d’échappement des voitures.

Ceci étant établi, il demeure qu’en raison des conditions géologiques et climatiques du Nord du Québec, l’hydroélectricité qui y est produite engendre beaucoup moins de GES que les centrales thermiques. Tel que l’indique la figure ci-contre comparant les émissions de différentes filières (en kilotonnes d’équivalents de CO2 par térawattheure généré : kt eqCO2·TWh-1), il appert que l’hydroélectricité produite en milieu boréal génère en moyenne environ 34 fois moins de GES qu’une centrale au gaz naturel à cycle combiné et 65 fois moins qu’une centrale au charbon.

Une nouvelle centrale thermique ?

Dans une capsule parue il y a quel-ques mois dans son bulletin Hydro-Contact, Hydro-Québec se targuait de produire une électricité propre en citant les centrales thermiques en contre-exemple. Cet argument est d’ailleurs couramment employé dans le discours de cette société afin de valoriser la filière hydroélectrique. Tel que nous venons de le voir, si les réservoirs hydroélectriques boréaux génèrent une certaine quantité de GES, les filières thermiques en génèrent bien davantage. Ainsi, quand Hydro-Québec annonce la construction d’une nouvelle centrale thermique dans les prochaines années, elle compromet d’abord l’esprit d’un principe environnemental visant la réduction ou à tout le moins la stabilisation des émissions de GES. Maintenant, Hydro-Québec prévoit utiliser les combustibles fossiles qu’elle dénonçait jusqu’à présent afin de promouvoir l’hydroélectricité, ajoutant la contradiction au laxisme environnemental. Pour justifier cette diversification des filières de production d’électricité, Hydro-Québec rappelle la faible hydraulicité de ses réservoirs (niveau d’eau exceptionnellement bas dans les réservoirs de la Baie James depuis quelques années dû manque de précipitations), l’augmentation de la demande énergétique, ainsi que le prix abordable et l’abondance du gaz naturel.

Bien entendu, devant ces argu-ments pratiques et économiques, étoffés de surcroît par une promesse de création d’emplois, la question des GES générés par la future centrale est évacuée. Au taux d’émission estimé pour une centrale au gaz naturel à cycle combiné (511 kt eqCO2·TWh-1), la centrale du Suroît, qui assurera une production annuelle moyen-ne de 6,5 térawatt-heures (TWh), produira annuel-le-ment environ 3,3 mégatonnes (Mt) d’équivalents CO2. Soit un peu plus que les émissions annuelles du complexe hydroélectrique de La Grande (2,6 Mt eqCO2) qui lui, génère 78 TWh par année (huit centrales hydroélectriques). Autrement dit, quinze fois moins d’énergie produite pour le même coût environnemental.

Qui décide de l’avenir énergétique ?

Le fait le plus troublant dans ce dossier demeure la façon dont Hydro-Québec interprète et présente la conjoncture actuelle pour ouvrir la voie aux combustibles fossiles. Il y a d’une part le problème de l’hydraulicité des réservoirs de la Baie James qui remet sérieusement en question la pérennité de la ressource hydroélectrique et sa capacité à répondre aux besoins énergétiques. Appuyé par les relevés pluviométriques des dernières années, Pierre Tessier (P.D.G. de Gaz Métropolitain) prévoit l’incapacité prochaine de l’hydroélectricité à répondre à la demande énergétique en hausse (Le Téléjournal, Radio-Canada, 16/10/2001). À cet égard, il est à noter que plusieurs projets hydroélectriques présents et futurs de la société d’État ne visent pas la mise en eau de nouveaux réservoirs, mais plutôt la dérivation de nouvelles rivières (Sault-aux-Cochons, Portneuf, Manouane, East-main, Rupert) pour suppléer à l’alimentation des réservoirs actuels. Compte tenu de ce fait, il est impératif de se demander combien de centrales thermiques sont envisageables si le problème du niveau d’eau persiste dans les réservoirs.

D’autre part, il y a les arguments économiques et technologiques. Quelle ampleur prendra la nouvelle vocation thermique d’Hydro-Québec qui, dans son plan stratégique 2002-2006, prévoit l’implantation de centrales thermiques «afin de profiter pleinement des occasions d'affaires rentables sur les marchés de gros au Québec et en périphérie1» ? Alors que la demande énergétique américaine est croissante, Hydro-Québec pourra répondre (partiellement) à celle-ci, et ce sous prétexte de régler un problème environnemental en remplaçant des centrales américaines au charbon par des centrales québécoises au gaz naturel. L’abandon de la construction de centrales au gaz comme celle de Melocheville risque éventuellement de faire rater au Québec une percée plus importante dans le marché énergétique américain. Il est peut-être économiquement plus avantageux de compter sur le gaz naturel que sur le développement de technologies nouvelles moins polluantes… Comme le rappelait Louis-Gilles Francœur (Le Devoir, 3/10/2001), étant principal actionnaire de Gaz Métropolitain avec 40% des parts, Hydro-Québec bénéficiera doublement de la production d’électricité à partir du gaz naturel au Québec en empochant des gains non seulement sur la vente de l’électricité produite, mais également sur la vente du gaz nécessaire à la production de cette électricité. Ces bénéfices ne seraient probablement pas aussi intéressants si Hydro-Québec décidait plutôt d’augmenter l'investissement dans le développement de filières moins polluantes comme l’énergie éolienne.

Mais quel coût environnemental et même social auront à payer les Québécois en regard du développement de la filière thermique au Québec ? Comment expliquer aux citoyens (dont les représentants à l’Assemblée nationale, qui ont appuyé en juillet dernier à Bonn le Ministre Boisclair dans sa déclaration de soutien au Protocole de Kyoto) et aux groupes environnementaux que le Gouvernement et Hydro-Québec ont décidé de changer radicalement de cap sans le moindre débat public? Il serait de mise, à travers la gestion de cette décision complexe et contestée, d'informer adéquatement les citoyens en ce qui concerne la production d’électricité, service qui, s’il peut anesthésier le sens critique par le confort qu’il procure, ne comporte pas moins certains coûts environnementaux.

Une étape importante de cette tâche informative consiste à mettre à jour les contradictions qui opposent la logique de l'intérêt économique et celle de la rationalité environnementale. Une fois l'affrontement des logiques établi, un débat sur leur hiérarchisation pourrait permettre de prendre de front, d'une manière collective, non seulement les responsabilités conséquentes aux objectifs canadiens contractées dans le Protocole de Kyoto qui visent une réduction de 6% des GES, mais a fortiori la possibilité d’une réduction absolue des émissions québécoises.

Ces responsabilités environnementales doivent demeurer au cœur de la discussion publique sur la construction d'une centrale thermique au gaz naturel, surtout lorsque le Québec se permet de faire la leçon aux autres provinces en matière d'émissions de GES. Notons à cet effet qu'à vouloir vendre de l’électricité québécoise sur le marché américain, ce sera le Québec qui devra un jour assumer les éventuelles taxes sur les émissions de carbone. Un débat public sur les coûts environnementaux de la production d'énergie au Québec pourrait enfin permettre de considérer sérieusement l'option d'une révision de la stratégie d’expansion d’Hydro-Québec et de l'associer à l’application de certaines recommandations émises par l’Association Canadienne de l’Électricité (ACE) telles que l’abaissement de la demande énergétique et l’exploitation de technologies nouvelles moins polluantes.

1-Information et citation tirées du Plan stratégique 2002-2006 d’Hydro-Québec disponible en ligne sur le site de la société à l’adresse suivante : http://www.hydroquebec.com/publications/fr/plan_strategique/2002-2006/index.html.


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