VertigO - La revue en sciences de l'environnement sur le WEB, Vol 3 No 1 , Avril 2002

TOURISME ET PARCS NATIONAUX :
IMPACTS SUR LES COMMUNAUTÉS LIMITROPHES - LE CAS DE TADOUSSAC

Par GAÉTAN POULIN,
Msc environnement



Introduction

    Les préoccupations croissantes pour la protection des espèces et des milieux naturels ont donné lieu à la création des parcs de conservation. Les communautés locales qui voient arriver ces nouveaux voisins et partenaires d’importance sont souvent démunies pour gérer les conséquences des changements soudains d’usages territoriaux. De fait les impacts d’une telle juxtaposition territoriale sont encore mal connus, peu d’études ayant été consacrées à ce sujet jusqu’ici.

Cette étude s’inscrit dans une recherche cadre sur les impacts sociaux de la création de deux parcs de conservation et de récréation, l’un terrestre et l’autre marin, dans la région du Saguenay, réalisée entre 1994-1998, qui a révélé que l’implantation des parcs modifiait, à différents degrés, directement ou indirectement, l’économie locale, le tourisme, les conditions et le cadre de vie, la mobilisation et la dynamique des communautés adjacentes, la gestion et l’usage des ressources territoriales, ainsi que la protection de l’environnement (Fortin et Gagnon, 1999 et Ga-gnon, 1999).

Les résultats présentés ci-après traitent de façon plus spécifique de ces deux derniers points en brossant un portrait analytique et évolutif de la gestion territoriale et environnementale à Tadous-sac sous l’influence combinée de l’expansion du tourisme et de l’implantation des parcs de conservation et de récréation. La problématique est abordée sous l’angle du développement local, par l’évaluation des changements au zonage municipal sur une période de treize ans, soit entre l’application des plans de 1982 et de 1995.

Il convient avant tout de souligner l’importance et la nécessité des programmes de conservation par la délimitation de parcs ou d’aires protégées, stratégie à laquelle nous nous rallions dans l’ensemble. En effet, la disparition des espèces et la dégradation des habitats au cours des dernières décennies justifie à elle seule de telles interventions territoriales dans une perspective de protection des milieux biophysique et socioéconomique qui sont, à toutes fins utiles, indissociables pour en arriver à un développement viable. Mais comme nous l’avons fait remarquer, cette conversion d’usage territorial entraîne des conséquences indéniables dans les communautés avoisinantes.

L’objectif de cette recherche est d’évaluer les externalités du récréotourisme et des parcs de conservation sur la viabilité du développement à Tadoussac. Nous tentons pour ce faire de déterminer la nature des interventions concrètes de gestion territoriale à Tadoussac depuis l’implantation des parcs de conservation et de cerner le rôle que ceux-ci et le récréotourisme jouent dans la dynamique du développement. Plus précisément, nous tentons de répondre aux questions suivantes : Quelles sont les principaux changements d’orientation du développement à Tadoussac ? Le développement tient-il compte des caractéristiques permanentes de son milieu ? Le développement à Tadoussac montre-t-il des signes de viabilité ou plutôt de précarité ? Comment le développement est-il influencé par la présence des parcs ?

Le territoire d’étude

Tadoussac constitue un site des plus représentatifs pour cette étude puisque la municipalité est partiellement enclavée et morcelée par les parcs, une partie de son territoire ayant été vouée à la conservation. La majorité de son périmètre est adjacente au territoire des parcs et ces derniers jouent ainsi un rôle majeur dans la recomposition territoriale (fig. 1). En effet, leur surface combinée est plus de 25 fois supérieure à celle de la municipalité. De plus, c’est vers cette localité que convergent les activités récréotouristiques d’observation des mammifères marins en expansion constante depuis le début des années 1980, auxquelles s’ajoutent l’achalandage des visiteurs des parcs terrestre et marin.

Figure 1 : Municipalité de Tadoussac, parc de conservation terrestre (en vert) et parc de conservation marin (en bleu foncé).

À la confluence du fjord du Saguenay et du fleuve Saint-Laurent, dans la municipalité régionale de comté (MRC) de La Haute-Côte-Nord. Tadoussac est en quelque sorte la porte d’entrée de la Côte-Nord. C’est là en effet que se poursuit la route 138 qui s’est interrompue sur la rive droite du Saguenay, déterminisme naturel que les routiers ne peuvent contourner qu’en empruntant le traversier. Au-delà de ce point de rupture de charge s’ouvre un autre monde qui fascine le voyageur depuis le début de la colonie.

Tadoussac, le plus ancien établissement français en Amérique, fut fondé en 1599 par Pierre de Chauvin, sous Henri IV. La situation géographique particulière à la rencontre de deux grands écosystèmes aquatiques a depuis longtemps fait de Tadoussac un lieu de rencontres commerciales et de plaisance. En effet, avant la venue des Européens vers 1535, plusieurs nations amérindiennes s’y rencontraient chaque été principalement pour faire la traite des fourrures, commerce auquel les « blancs » se sont mê-lés dès leur arrivée (Pierre et Bélanger, 2000).

En 1839, alors que Tadoussac ne compte que 80 habitants per-manents, le commerce de la fourrure avait été délaissé graduellement pour faire place à l’exploitation commerciale de la forêt avec l’arrivée de Sir William Price. Peu après, la vocation touristique de Tadoussac se manifeste dès 1850 à la faveur de l’engouement pour les croisières par bateaux à vapeur et le tou-risme d’été dans ce paysage majestueux et encore sauvage. Tadoussac devient un site touristique reconnu avec la construction du premier Grand Hôtel en 1864. Dans les années 1950, les fameux grands « bateaux blancs » bondés de touristes ont peu à peu fait place à l’automobile (Picard, 1983a).

La vocation touristique de Tadoussac est toutefois demeurée centrale et elle a connu un regain fulgurant à partir des années 1980 avec un nouvel engouement cette fois-ci pour les croisières d’observation des mammifères marins. Mais que ce soit pour le commerce des fourrures, l’exploitation forestière, l’industrie touristique ancienne ou actuelle, Tadoussac a toujours joué le rôle de plaque tournante de ces activités en raison de sa situation géopolitique naturelle privilégiée, ce qui a continué de caractériser son développement singulier dans sa région. Le point à retenir est que chacune de ces vagues de développement local s’est appuyée et s’appuie encore sur des ressources naturelles épuisables qui requièrent une gestion intégrée pour assurer la viabilité de leur exploitation.

La courte saison des moissons touristiques

Une part importante du territoire municipal de Tadoussac est occupée par les parcs de conservation ou est en contact direct avec ceux-ci. En effet, Parc Saguenay occupe 15 % des 55,3 km2 terrestres et Parc Marin – St-Laurent occupe 100 % des 140 km² d’extension municipale en milieu aquatique. Cette proximité entraîne l’exclusion de certaines activités humaines ou industrielles jugées incompatibles aux objectifs de conservation, ce qui favorise davantage le développement de la vocation touristique déjà privilégiée depuis une centaine d’années dans cette localité.

En hibernation huit mois par année, Tadoussac s’active à toute vapeur pour ramasser la manne touristique en été. Les visiteurs sont là de juin à septembre avec une pointe fin juillet – début août. Une saison relativement courte somme toute. Les touristes viennent d’un peu partout, Europe, Asie, mais surtout du Québec, de l’Ontario et des États-Unis. Leur nombre estimé est passé de quelque 30 000 au début des années 1980 à plus de 300 000 en 1995 (Canada, 1997). Voilà la réponse à l’invitation lancée à l’échelle mondiale aux « écotouristes » de venir voir s’ébattre les grands mammifères marins à Tadoussac, site également célèbre par son importance dans l’histoire de l’Amérique.

Les commerçants sont fébriles. Ils veulent leur part des quelque 17 millions de dollars de retombées économiques annuelles (Ca-nada, 1997). Le moteur de cet afflux monétaire est sans contredit l’attrait que produisent les activités d’observation en mer (AOM). Mais ce sont surtout les industries d’aval de l’hébergement, de l’hôtellerie et de la restauration qui sont profitables aux Tadoussaciens, la majorité des pourvoyeurs d’excursions n’ayant pas leurs assises principales dans la localité (Bussières, 1997).

Si les affaires sont bonnes pour les bars et les restaurants, le nombre de ceux-ci est toutefois limité par l’expertise et les investissements initiaux requis. Mais côté hébergement, il est en effet plus facile d’offrir un lit au visiteur que de tenter de satisfaire ses exigences gastronomiques. L’investissement peut, à tout le moins, être limité. Le logement de qualité existe certes, mais il n’est pas rare de voir littéralement des « chambres de fortune » aménagées dans un sous-sol, la chambre des enfants, une vielle roulotte ou même un hangar. Rareté oblige, le visiteur s’en ac-commode pour une nuitée car, en période de pointe, il n’y a pas un lit de disponible à moins de 200 kilomètres à la ronde. La difficulté de se trouver un logement pour quelques mois pendant la saison touristique témoigne d’ailleurs de l’avantage économique que le locateur retire du marché de l’hébergement à très court terme1 .

Mais voilà, dans cette dynamique, le territoire de Tadoussac est ainsi soumis à de fortes pressions pour la conversion de ses usa-ges traditionnels vers le commerce et la villégiature. En raison de la morphologie côtière en gradins, l’espace constructible est limité et convoité, particulièrement dans le centre du village où la vue sur la mer est imprenable. Ce dernier point constitue un atout touristique de grande valeur pour les nouveaux promoteurs qui, dorénavant, viennent aussi de l’extérieur et qui sont prêts à in-vestir considérablement pour profiter de ce commerce lucratif.

Un développement axé sur la commercialisation du produit « paysages naturels » aux frontières des parcs de conservation

La problématique généralement observée dans les communautés voisines des parcs de conservation et de récréation débute par une affluence touristique (Hales, 1991; Solecki, 1994; Page et al., 1996, in Fortin et Gagnon, 1999). L’affluence touristique amène ensuite un excès des capacités de support locales qui se traduit par la prise de risques environnementaux et socioéconomiques. En effet l’économie locale tente tant bien que mal de s’adapter à cette nouvelle réalité en se spécialisant dans l’industrie touristique. Il s’ensuit une hausse des valeurs foncières, la construction dans des zones à risque de mouvement de terrain et une déstructuration socioéconomique.

Ces conséquences peuvent se définir comme externalités, soit les effets externes, positifs ou négatifs, produits par toute activité d’un organisme, non comptabilisés de l’intérieur, mais assumés par d’autres personnes ou par la communauté (Québec, 1998). Les externalités des activités de conservation sont premièrement positives par le rayonnement des principes de conservation des sites et des espèces vivantes à l’extérieur des limites des parcs. Mais ces derniers, en protégeant une belle nature intacte, créent indéniablement un attrait touristique et dès qu’il y a attrait touristique, il y a commercialisation et affluence, ce qui constitue la principale externalité négative de la conservation.

La promotion du tourisme dans les parcs de conservation donne à penser que les stratégies de développement économique peuvent parfois faire obstacle aux objectifs de conservation, car les parcs nationaux sont généralement victimes de leur popularité. Ce paradoxe depuis longtemps reconnu tient au fait que « dès qu’un territoire reçoit le label de parc national, les visiteurs s’y précipitent » (Lachaux, 1980). Puisque la vocation des parcs n’est pas de recevoir cet achalandage qui varie selon la localisation, celui-ci se répercute dans les communautés avoisinantes.

L’effet de déversement est d’autant plus important quand le zo-nage du parc ou de la communauté voisine ne prévoit pas de zone tampon à cet effet. Il en résulte des aménagements et des affectations d’usages conflictuels séparés par une frontière administrative imperceptible de part et d’autre. Les écosystèmes sont donc affectés par cette proximité contradictoire qui favorise par contre le développement de l’industrie touristique aux limites du parc. La gestion des parcs interdit le prélèvement des ressources natu-relles mais permet à l’industrie touristique de s’alimenter à même les paysages naturels. Ceux-ci deviennent alors un produit commercial que nous exportons virtuellement aux touristes étrangers. Nos ministères concernés en font d’ailleurs grande promotion (Bella, 1987). Les paysages et les espèces vivantes, ont une valeur esthétique, foncière, utilitaire et écologique dont les communautés locales ont traditionnellement disposé, mais qu’elles partagent maintenant avec l’industrie touristique à des fins éco-nomiques par l’intermédiaire de la création d’aires de conservation (Makowski, 1990).

Dans ce contexte, les pourvoyeurs de récréotourisme appuient le développement de leurs entreprises sur l’accès aux aires protégées. La demande des consommateurs pour ce type de produits touristiques s’est accrue partout dans le monde plus vite que la capacité des gestionnaires des aires protégées et des communautés à y faire face. Ces derniers s’en remettent d’ailleurs de plus en plus au secteur privé pour la gestion des services. Mais voilà, le secteur privé cherche avant tout à générer des profits. Cette exploitation du produit « territoire » ajoute donc un stress tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des aires protégées (Charters et al. 1996).

Récréotourisme vs écotourisme

La conjonction des impératifs de protection du territoire et la flambée de la demande des récréotouristes pour ces mêmes ter-ritoires est une tendance qui pourrait théoriquement être conciliée si un véritable écotourisme était mis en place au lieu d’un tourisme de masse présenté sous le couvert du récréotourisme (Hiernaux-Nicolas, 1999). L’écotourisme n’est efficace à soutenir les efforts de conservation que si des programmes spécifiques sont prévus pour en affecter une partie des revenus à la protection des écosystèmes (Burger, 2000). Aussi, puisque l’affluence accroît les pressions sur le territoire, le récréotourisme dans sa forme actuelle a peu de potentiel pour la protection de l’environnement contrairement à la perception générale (Isaacs, 2000). Tel est le cas sur notre site d’étude.

Un virage commercial pour profiter des retombées touristiques

Nous avons répertorié les changements notables sur le territoire, en comparant les deux plans de zonage dressés en 1982 et en 1995 et en les rapprochant avec les propositions d’aménagement du cadre écologique de référence pour le territoire de Tadoussac. Rappelons que les plans de zonage municipal constituent un moyen concret pour l’administration locale de gérer les activités sur son territoire par la désignation de secteurs réservés par exemple à l’habitation, au commerce ou à la conservation. Ces affectations sont principalement faites d’après des caractéristiques physiques du sol, de sa propriété légale et de la sécurité civile. Pour sa part, le cadre écologique de référence (CER) est aussi une méthode de découpage du territoire, mais qui se fonde surtout sur les caractéristiques permanentes du milieu, selon une approche écosystémique. Cela permet de déterminer la capacité de support de chaque unité écologique délimitée et d’y proposer éventuellement un type de développement ou d’activité qu’elle peut porter (Québec, 1997).

Tadoussac a été la première municipalité de la Côte-Nord à se doter d’un plan de zonage, en 1982. Le territoire fut alors décou-pé en 34 zones de six usages différents. Dans l’ensemble, le plan de 1982 se caractérise par l’affectation de la majeure partie du territoire en périphérie aux fonctions peu utilisées de l’agriculture, de la forêt et de la récréation. C’est au centre, dans la couronne autour de la grande baie de Tadoussac, que le décou-page est le plus complexe avec des zones plus petites réservées à l’habitation, au commerce et aux services publics. Une organisation spatiale concentrique s’observe avec une place centrale qui correspond à la rue des Pionniers, où se situent les institutions et les édifices publics. De part et d’autre se trouvent des zones d’habitation homogènes, suivies de zones mixtes qui agissent comme tampon avec celles du commerce qui se concentre essentiellement dans le secteur de la traverse. Il y a donc un continuum progressif entre les diverses fonctions territoriales (fig. 2).

Figure 2 : Affectation des usages territoriaux selon le plan de zonage de 1982.

Le portrait change en 1995 avec un nouveau plan de zonage qui reconnaît d’emblée la priorité au développement touristique (Urbatique, 1995). Cela se traduit par des modifications de la structure concentrique fonctionnelle du plan de 1982. Notons également l’arrivée du parc de conservation terrestre qui vient protéger l’essentiel du littoral, mais également réduire l’espace constructible, ce qui reporte les pressions du développement ailleurs sur le territoire municipal. De façon générale, les espaces peu utilisés réservés à la forêt, à l’agriculture et à la récréation demeurent en périphérie, mais c’est le centre qui accueille les principaux changements. L’intégrité et la connectivité des fonctions habitation et commerce sont considérablement défaites et une nouvelle fonction, la villégiature, vient remplacer partiellement l’habitation. La place centrale est éclatée par l’éparpillement des zones institutionnelles et publiques, les surfaces agricoles sont diminuées et les zones commerciales quittent partiellement la traverse pour s’étendre le long de la route 138, sur la grande baie et au centre du village (fig 3).

Figure 3 : Affectation des usages territoriaux selon le plan de zonage de 1995.

Ainsi, le plan de 1995 compte 59 zones et 10 usages comparati-vement à 34 zones et 6 usages en 1982. Il y a donc eu fraction-nement du zonage comme le précise le tableau 1.

Pour y voir plus clair, un regroupement a été fait, en trois catégories, soit l’habitation, le commerce et le primaire. Le primaire est constitué des zones qui ont entraîné peu ou pas de construction d’infrastructures, telles l’agriculture, la récréation, la forêt et la conservation. Nous remarquons qu’en 1995, la fonction commerciale a triplé son nombre de zones, l’habitation est demeurée à peu près au même nombre et le primaire a augmenté de dix zones en raison principalement de l’arrivée du parc de conservation terrestre. Cela illustre le virage commercial des orientations d’aménagement du territoire (figure 4).

Figure 4 : Évolution du nombre de zones municipales selon les deux plans.

L’examen de la situation du point de vue des surfaces dévolues à chacun des trois groupes d’usages révèle pour sa part que l’importance accordée à la fonction commerce a non seulement triplée mais plus que décuplée. L’habitation qui avait gagné deux zones accuse en réalité une diminution de près du quart de sa surface réelle. De plus, malgré l’arrivée de Parc Saguenay, la fonction primaire conserve à peu près la même superficie. Cette analyse confirme donc nettement le virage commercial adopté dans le zonage de 1995 pour profiter des retombées touristiques (figure 5).

Figure 5 : Superficie des grands types d’usages selon les deux plans.
Figure 6 : Dimension moyenne des zones municipales selon les deux plans.

Le fractionnement du zonage et le virage commercial se reflète également dans la comparaison des surfaces moyennes dévolues à chacun des groupes d’usage. La surface moyenne pour le com-merce a ainsi quadruplé, la surface moyenne de la fonction habitation a été réduite du tiers et celle du primaire a été réduite de moitié. Cela confirme la pratique du zonage d’accommodation (spot zoning) et renforce les observations précédentes (figure 6).

En somme, les principaux changements de zonage municipal entre 1982 et 1995 sont le fractionnement et la dispersion des usages, surtout dans la couronne centrale, l’inclusion des zones de conservation avec l’arrivée du parc terrestre et le passage de la fonction habitation à la fonction commerce, ce qui explique la stagnation des effectifs de population. De fait, ces informations se confirment par la baisse de diversité de commerces locaux annoncés, l’escalade des valeurs foncières, la tertiairisation de l’économie principalement vers le récréotourisme spécialisé dans les excursions d’observations en mer, l’hébergement et la restau-ration. La perte d’intégrité et de connectivité des zones de même usage pose certains problèmes de cohabitation ou de voisinage de par leur incompatibilité intrinsèque, comme c’est le cas notam-ment entre la fonction commerciale qui accueille bars et restaurants et la fonction habitation qui y perd en quiétude. Quelques cas de ces conflits d’usages ont mené à des disputes entre fa-milles qui ont parfois même été portées devant les tribunaux. Cela confirme une certaine détérioration des rapports socio-communautaires conséquente aux changements de gestion territoriale.

* Le plan de 1982 comprend 34 zones plus l’estran qui n’était pas zoné.

Comparaison des choix d’aménagement aux propositions du cadre écologique de référence Mais qu’en est-il de l’application de cette planification à la réalité biophysique du territoire ? Pour le savoir, nous avons évalué l’adéquation de chacun des plans de zonage par rapport aux ca-ractéristiques permanentes du territoire, par comparaison aux propositions d’aménagement selon le cadre écologique de référence.

Une autre façon de voir le territoire est de l’observer au moyen du cadre écologique de référence (CER) qui en illustre la réalité physique. Globalement, le territoire de Tadoussac comprend trois grands affleurements rocheux entrecoupés de deux vallées dont celle la plus à l’ouest qui inclue la grande baie de Tadoussac et l’essentiel du cadre bâti. Quant à la vallée de l’est, incluant le secteur des dunes, elle est principalement vouée à la conservation. C’est dans ces deux vallées que se retrouvent les principaux risques de mouvement de terrain (Dallaire, 1993).

À cette représentation physique du territoire nous avons superpo-sé tour à tour les plans de zonage de 1982 et de 1995 pour examiner le type de terrain que recoupe chacune des zones. Par exemple une des zones agricoles de Tadoussac comprend une grande partie d’affleurements rocheux, des terrains en pentes assez abruptes, une portion avec risques de mouvement et seulement 39% de dépôts meubles potentiellement propices à l’agriculture. Voilà sans doute pourquoi la seule entreprise agri-cole productive de Tadoussac ne s’y est pas installée. Le savoir local fait ainsi preuve d’une expertise que les aménagistes gagneraient manifestement à intégrer à leur planification.

Cet exercice a été fait pour toutes les zones afin d’en déterminer les contraintes et les capacités, d’après les paramètres physiques que sont les types de dépôts de surface, la topographie, la morphologie, la déclivité, l’hydrographie, le drainage, tout en tenant compte des infrastructures déjà installées.

Nous avons ainsi déterminé un coefficient d’adéquation au CER pour chaque zone municipale, formulé comme suit :

où :

Note :

Corresponds à la superficie du territoire de comparaison

Les résultats obtenus démontrent que, dans l’ensemble, les deux plans de zonage sont peu adaptés aux réalités physiques du terri-toire. L’agriculture et l’habitation demeurent faiblement adaptées dans les deux plans et le récréo-forestier s’améliore quelque peu par la récupération de zones inappropriées à d’autres activités. Ce sont surtout les zones d’affectation commerciales qui affichent une baisse d’adéquation en 1995 (voir tableau 2).

Un virage risqué au plan environnemental

Dans le second plan de zonage, la fonction commerce s’est en effet déplacée graduellement vers des zones davantage à risque de mouvement de terrain, en raison particulièrement de certains nouveaux projets de construction de villégiature donnant sur la baie ou sur le fleuve. Ces risques viennent surtout de la morpho-logie en gradin et du caractère côtier de Tadoussac.

Les secteurs à risques de mouvement de terrain représentent une problématique d’aménagement des plus concrètes à Tadoussac. En effet, le cadre écologique de référence reconnaît sur le terri-toire de comparaison 30 unités comportant des risques de mou-vement de terrain, sur une surface totale de 4,85 km², soit plus de 22 % du territoire. L’importance de ce déterminisme naturel est à lui seul le plus grand facteur limitant les options d’aménagement à Tadoussac.

Les sites à risques de mouvement de terrain se situent surtout dans la vallée ouest où se concentre la municipalité. La présence d’une si grande proportion de terrain à risque est imputable avant tout au paysage en gradins de Tadoussac, à son caractère côtier et à son histoire géomorphologique. De cette configuration résultent les trois types de mouvements de terrain potentiels qui rendent les unités vulnérables, soit les éboulements, les coulées d’argiles sensibles et la reptation (Miller, 1973). Entre les paliers succes-sifs de ce paysage en gradins, il y a des versants2 plus ou moins abrupts susceptibles de subir un mouvement de leur couche superficielle de terrain. Ces déplacements sont provoqués par l’érosion due à l’action de l’eau combinée aux caractéristiques des dépôts de surface affectés – composition, granulométrie, pente, drainage.

Le principal moteur de cette dynamique demeure la gravité, mais l’érosion au pied des talus, les précipitations abondantes sur de courtes périodes et les actions humaines – notamment par la suppression du couvert végétal stabilisateur de terrain ou l’apport supplémentaire en eau souterraine – agissent comme agents déclencheurs (Landry, 1992). Relief prononcé, dépôts côtiers caractéristiques – argile marine recouverte de tills glaciaires – et intensification des interventions anthropiques, Tadoussac réunit les éléments généralement responsables de l’érosion due aux mouvements de terrain. Ces phénomènes sont observables à plusieurs endroits à Tadoussac et on continue pourtant d’y couper des arbres pour améliorer la vue sur le large (Poulin, 2000).

Pour évaluer les risque d’aménagement dans ces zones selon les plans municipaux, nous avons calculé un coefficient de vulnérabilité pour chacune des zones des deux plans municipaux en fonction du pourcentage de leur surface qui est occupée par des terrains à risque de mouvement comme l’illustre le tableau 3.

La fonction habitation quitte quelque peu les secteurs à risque en 1995 mais sa vulnérabilité demeure au-dessus de 20 %. L’agriculture comporte toujours près de 40 % de surface à risque et le récréo-forestier plus de 25 %, ce qui est « tolérable » puisque ces fonctions ne sont à toutes fins utiles pas utilisées comme nous l’avons déjà souligné. Mais c’est surtout les zones com-merciales qui, à cause de la villégiature, connaissent le plus grand changement entre 1982 et 1995, puisque les nouveaux développements se font davantage vers des secteurs à risque près de la côte, ce qui multiplie par cent leur degré de vulnérabilité.

Cette analyse met en lumière un effet défavorable du fraction-nement du zonage identifié plus haut, soit la prise de décisions d’aménagement comportant des risques environnementaux. Le plan de zonage de 1982 est mieux adapté à la réalité géophysi-que du territoire de Tadoussac que ne l’est celui de 1995, surtout en raison de l’expansion vraisemblablement peu contrôlée de la fonction commerciale dans des secteurs à risque de mouvement de terrain. Soulignons que la probabilité des mouvements de terrain s’étale sur plusieurs décennies, voire même un siècle (Strahler, 1992). En l’absence de tels événements de « mémoire d’homme » les décideurs prennent souvent des risques environnementaux en délimitant des zones vouées aux aménagements immobiliers dans des secteurs vulnérables aux mouvements de terrain.

Enfin, il faut remarquer que la présente étude et le CER de Ta-doussac ont été élaborés dans une démarche de recherche et que les avis des firmes d'experts ont préséance sur nos résultats. Il n’en demeure pas moins que les calculs sont rigoureux et qu’ils s’appuient sur des principes généralement reconnus pour ce type de problèmes. Les zones vulnérables aux mouvements de terrain selon le CER ont été délimitées en tenant compte de la présence de cicatrices d’érosion, des agents d’érosion, de la nature des dépôts et de la pente, facteurs auxquels sont attribués un degré de vulnérabilité selon le gradient observé (Dallaire, 1993). Le territoire constructible de Tadoussac est donc lourdement hypo-théqué par ses caractéristiques côtières qui lui confèrent une vulnérabilité aux mouvements de terrain. Les terrains étant con-voités surtout dans le périmètre urbanisé, l’explosion du commerce et de la villégiature ainsi que l’implantation de Parc Sa-guenay ajoutent aux pressions pour la construction dans les secteurs à risque en amplifiant la rareté des terrains. Tadoussac prend ainsi plus de risques socio-économiques et environnementaux en étendant ses fonctions habitation et villégiature commerciale vers des secteurs vulnérables.

Tableau 3 : Vulnérabilité aux mouvements de terrain des cinq groupes d’usages des plans de zonage de 1982 et 1995 en regard des con-traintes du territoire selon le CER.

Effets des principaux changements d’orientation du développement à Tadoussac Tadoussac a été et est encore un territoire plutôt « ressources » étant peu habité et peu aménagé. Ces ressources sont au-jourd’hui les paysages commercialisables au plan touristique. L’ensemble des changements observés est le résultat des nou-velles orientations des politiques de développement et de gestion du territoire appliquées au zonage et aux règlements d’urbanisme de 1995. Ces nouvelles orientations de développe-ment ont été motivées par deux tendances complémentaires – parfois conflictuelles – soit la volonté des gouvernements pro-vincial et fédéral de protéger ce territoire patrimonial par la création de parcs de conservation, ainsi qu’une volonté de l’entrepreneuriat et de l’administration locale d’effectuer un virage commercial vers le récréotourisme.

En effet, Tadoussac s’est retrouvée au début des années 1980 devant la nécessité de gérer un boom touristique dont les ci-toyens et les promoteurs ont cherché à tirer profit à la faveur de l’engouement croissant pour l’observation des mammifères marins. Conséquemment, cette dynamique qui s’est mise en place a exercé des pressions sur l’administration locale pour qu’elle adapte sa gestion territoriale afin d’accommoder l’industrie touristique. Il faut dire que les gestionnaires munici-paux d’alors voyaient également des possibilités de retirer de ces activités de nouvelles sources des revenus (Fortin et Gagnon, 1997, 1999). À Tadoussac les changements territoriaux se sont faits par la pratique du zonage ponctuel dit d’accommodation (spot zoning), c’est-à-dire par la création de zones de petite étendue où sont apportés des amendements ou dérogations aux règlements de zonage3 .

C’est ainsi que se sont opérés – et que continuent de s’opérer – les changements territoriaux que nous avons répertoriés, à la faveur du développement commercial et au détriment de la fonction habitation.

Le développement tient-il compte des prérogatives du territoire qui le porte ?

Nous avons trouvé selon notre méthodologie que les deux plans de zonage sont très peu adaptés au territoire en raison de la désignation d’usages dans des secteurs qui n’ont pas le potentiel adéquat ou qui présentent même des contraintes importantes pour certains usages. Dans le plan de 1982 les principales inadéquations vont à l’habitation et à l’agriculture dont une bonne partie des superficies gagnerait en passant à la fonction conser-vation qui est alors inexistante. Cela a été corrigé quelque peu par l’inclusion de zones vouées à la conservation en 1995. Toutefois, dans ce deuxième plan, la délimitation de zones de villé-giature commerciale dans des secteurs à risque de mouvements de terrain est principalement responsable de la baisse d’adéquation.

Ces changements ont été motivés par la volonté des promoteurs, avec l’accord des autorités concernées, de planifier le développement de projets d’hébergement touristiques dans les secteurs côtiers prisés par les villégiateurs mais risqués au plan environnemental. Ainsi, il semble bien que les changements d’orientation de développement à Tadoussac tels que concrétisés dans le deuxième plan de zonage municipal ont peu tenu compte des caractéristiques permanentes du milieu.

Les modifications du zonage s’inscrivent-elles dans une démarche de développement viable ?

Nous venons de voir que certaines orientations de gestion du développement à Tadoussac représentent des risques pouvant causer des dommages considérables. Ceux-ci sont pressentis à eux seuls comme suffisants pour entraîner à long terme une dégradation des milieux biophysiques, sociaux et économiques, ce qui constitue un impact négatif direct du virage commercial des politiques d’aménagement vers l’industrie touristique. Comme l’ont soutenu Jacobs et Sadler (1990) : « le maintien de l’intégrité écologique territoriale est une des composantes es-sentielles d’un développement viable » .

Outre les risques environnementaux, les changements décrits ci-dessus ont des impacts sur le développement socio-économique et sur la qualité de vie de ses habitants. En effet, la stabilité de l’organisation spatiale urbaine, la cohésion des usages territo-riaux de même nature, le maintien de l’espace habitation, d’une place centrale et du réseau fonctionnel territorial correspondent à des indicateurs proposés pour un cadre de gestion fondé sur la notion de développement viable en milieu urbain (Gariépy, Domon et Jacobs, 1990). Or, les changements territoriaux mesu

rés à Tadoussac indiquent une détérioration de ces facteurs. Cela peut entraîner des impacts sur la qualité de vie locale car l’organisation sociale de la communauté s’en trouve perturbée. Ainsi, la déstructuration spatiale notamment par le spot zoning peut mener à une perte de cohésion socio-communautaire par l’adjonction d’usages territoriaux non planifiés et parfois incompatibles qui se traduit dans certains cas par des conflits entre citoyens. D’autres indices permettent également de remettre en cause la gestion du développement à Tadoussac au plan de sa viabilité. Même si nous n’avons pas approfondi l’étude de fac-teurs économiques, une constatation sommaire des commerces et services annoncés révèle la disparition du seul service médical et de plusieurs magasins et spécialités, parallèlement à l’arrivée de nombreux restaurants, bars, hôtels, auberges et surtout d’entreprises récréotouristiques. Cela confirme le virage commercial que nous avons décelé dans le zonage et illustre aussi la surspécialisation économique locale dans le secteur tertiaire, qui plus est, dans le récréotourisme, l’hébergement et la restauration, en aval des activités d’observation en mer (ibid.).

Ainsi malgré les importantes retombées économiques locales de ce type spécifique de récréotourisme, la vigueur actuelle du développement économique local tient au maintien de l’engouement des touristes pour les excursions en mer. Rien n’indique toutefois que cette tendance se poursuivra. Bien au contraire, plusieurs visiteurs sont déçus de se retrouver parmi autant de bateaux autour des souffles de rorquals qui sont en quelque sorte captifs dans la configuration naturelle du chenal Laurentien (Michaud, 1997). Les campagnes anti-harcèlement des animaux menées par les groupes écologistes pourraient faire basculer l’opinion publique tout comme ce fut le cas de l’industrie de la fourrure qui a par la suite connu un déclin. Si cela arrivait au « produit baleine », Tadoussac se retrouverait en fâcheuse position ayant misé exclusivement sur ce virage récréotouristique. Ce manque de diversité économique, qui pourrait constituer une autre piste de recherche exclusive, peut difficilement être associé à un développement viable.

Cette situation confirme par ailleurs des résultats de la recherche cadre élargie dans laquelle s’inscrit la nôtre et qui avait pour but d’évaluer les principaux impacts sociaux4 des parcs de conservation du Saguenay dans 15 communautés limitrophes. Huit grandes familles d’impacts ont ainsi été identifiées sur l’économie locale, la mobilisation des acteurs, la dynamique de la communauté, le tourisme, les conditions et le cadre de vie, la gestion et les usages du territoire, ainsi que la protection de l’environnement (Gagnon, 1997). Si toutes ces familles d’impacts peuvent être mises en évidence à Tadoussac, notre approche a pour sa part révélé des liens directs avec les derniers points, notamment le cadre de vie, la gestion du territoire et la protection de l’environnement comme nous venons de le voir.

Notons enfin que les paysages et les espèces vivantes sont les ressources sur lesquelles s’appuie le développement économique basé sur l’industrie récréotouristique à Tadoussac. En principe l’observation ne mène pas à l’épuisement de ces ressources, mais en réalité l’affluence touristique génère d’autres impacts que l’afflux de capitaux. Les visiteurs font grande utilisation des infrastructures de transport, d’aqueduc, d’égout et des services de collecte des déchets sans compter les conséquences éventuelles du dérangement des animaux – ce qui augmente la pression tant sur les milieux naturels que sur les infrastructures municipales et qui exige des aménagements spéciaux pour répondre à ces de-mandes accrues. Le récréotourisme a donc des impacts au niveau des coûts économiques, environnementaux et sociaux. Ces impacts sont en fait des externalités de ces activités puisqu’ils sont assumés en grande partie par la municipalité qui, comme nous l’avons démontré, oriente sa gestion territoriale en conséquence sans toutefois en retirer d’avantages concrets pour assurer la viabilité de son développement. Les pressions de l’entrepreneuriat sont grandement responsables de cette orientation5 .

Qu’en est-il de l’influence des deux partenaires majeurs que sont les parcs de conservation et de récréation ?

Deux grands parcs de conservation et de récréation terrestre et marin, sont venus influencer la dynamique sociospatiale de la communauté en renforçant sa vocation touristique. Puisque ce sont les retombées économiques du récréotourisme qui motivent la majorité des changements, toute intervention en ce sens induit donc dans la gestion locale une tendance à la conversion des usages territoriaux pour s’adapter aux exigences de l’industrie touristique et pour en tirer profit. Dans cette optique, la venue des grands parcs de conservation est une intervention territoriale majeure qui conforte et catalyse même la vocation récréotouristique à Tadoussac.

D’ailleurs, comme nous l’avons relevé, l’administration des parcs de conservation et de récréation fait en quelque sorte la promotion des grands espaces pour le tourisme. Ainsi, bien que résolument nécessaire, la conservation génère-t-elle, outre l’impact positif de la protection du territoire, d’autres externalités qui se manifestent par l’affluence de visiteurs que doivent absorber les communautés limitrophes, en l’occurrence Tadoussac. Ainsi, nous croyons qu’en plus de la protection des écosystèmes pour le maintien de la biodiversité et dans les limites des aires protégées, les parcs de conservation doivent aussi capitaliser sur leurs externalités positives – les influences de conservation – en cherchant par tous les moyens à s’adjoindre la participation de la communauté locale dans un effort de gestion intégrée et de prise en charge de toutes ses externalités. L’administration des parcs a davantage les moyens de prendre les devants dans cette démarche participative. Elle y a également tout intérêt car, en cas de crise, par exemple une catastrophe naturelle comme celles que nous avons évoquées plus haut, la communauté locale serait encore moins encline à participer au projet de conservation des parcs si elle apprenait après coup les dangers inhérents au développement incontrôlé vers le récréotou-risme qu’elle a dû assumer toute seule, sans en être prévenue. En conséquence, la gestion des territoires parcs et municipalité est indissociable, car les caractéristiques et le devenir de ceux-ci sont intimement liés. Cette intégration est reconnue comme essentielle au projet même de conservation car la détérioration environne-mentale à l’extérieur de la zone protégée menace éventuellement l’intégrité écologique interne (Canada, 2000). C’est donc tout le territoire qui est à protéger et non seulement celui des parcs de conservation, contrairement à la perception qui semble être commune au sein de la communauté, parmi les dirigeants locaux et même l’administration des parcs6 .

En conclusion

Nous avons voulu faire ressortir les principales caractéristiques territoriales de Tadoussac pour évaluer les changements qui ont marqué l’évolution de son développement local dans le contexte des parcs de conservation. L’approche que nous avons retenue, soit celle de l’analyse spatiale diachronique, a montré que la communauté locale s’est vue aliéner une partie de son territoire qui a été reconvertie soit à la conservation soit à l’accueil touristique. Cela a entraîné la disparition des espaces centraux et des lieux de rencontre. Or ces derniers sont nécessaires aux pratiques territoriales culturelles qui créent l’appartenance des commu-nautés à leur milieu, qui lui permettent de l’habiter véritablement, ce qui est une condition essentielle du développement local viable (Gagnon, 1994).

Les changements sociospaciaux que nous avons mis en évidence à l’échelle locale s’inscrivent dans une tendance dualiste à la conservation et au récréotourisme insufflée par une économie mondiale en manque de paysages naturels suite à la dégradation globale de l’environnement. Ces changements sont assumés par la communauté locale qui ne peut que compter sur la solidarité de ses membres pour se réapproprier la gouvernance de son terri-toire en cherchant à prendre une part entière au processus déci-sionnel d’aménagement avec ses nouveaux partenaires de l’industrie touristique et de l’administration des parcs. Mais les moyens dont disposent les parties pour faire valoir leurs points de vue sont démesurés. Des rapports de force déséquilibrés s’établissent et la communauté se sent souvent démunie face à l’envahissement implacable du tourisme et à la réglementation des parcs de conservation. Même si certains en tirent maintenant leur gagne-pain, les citoyens se sentent dépossédés de leur terri-toire. Soit ils renoncent à leur appartenance, soit ils se révoltent comme quelques événements l’ont rappelé vivement7 .

Les conversions d’usages territoriaux axées sur la recherche de profits privés à court terme et menant à une déterritorialisation sociale ne sont pas uniques à Tadoussac. De fait, ils se produisent dans plusieurs communautés voisines de développements ré-créotouristiques dans le monde (Page. 1996). Le zonage municipal a justement pour but de maîtriser le développement des espaces en tenant compte de leurs caractéristiques biophysiques, des aspirations des communautés locales et des activités endogènes pratiquées. Cet exercice devrait donc s’appuyer sur la réalité terrain, sur une vision consensuelle du développement viable et sur des décisions de compromis entre les prérogatives des acteurs locaux.

Nous croyons que la même logique devrait également s’appliquer à la gestion des aires protégées. Par le passé, les parcs de conser-vation ont parfois été délimités en fonction du statut foncier ou de pressions politiques, sans compréhension ni connaissances adéquates de l'inventaire écologique et du contexte socio-économique local, ce qui explique, en partie, le peu de participation effective des populations aux projets de conservation (Schaeffer, 1991). Ainsi, seules ces connaissances spécifiques du territoire et des communautés qui l’habitent peuvent permettre d’adapter l’aménagement territorial dans une optique de développement viable.

Nous mettons de l’avant la nécessité de préserver les espèces et les habitats naturels contre la dégradation de l’environnement. Nous voulons néanmoins attirer l’attention sur les relations qui nous semblent exister entre les stratégies d’implantation des aires protégées et l’affluence touristique conséquente dans les commu-nautés locales voisines. Nous soutenons également la pertinence de la planification écologique pour une gestion territoriale inté-grée et les avantages d’utiliser comme outil d’analyse un système d’information territorial (SIT) composé d’un cadre écologique de référence et d’un système d’information géographique. Utilisés conjointement ces outils permettent d’arrimer les stratégies de conservation et de développement à la réalité terrain.

Des questions subsistent. Il aurait été en effet intéressant de met-tre en lumière nos résultats par des analyses plus poussées des facteurs, démographiques, socioéconomiques et culturels. Mais cela aurait demandé une toute autre méthodologie qui déborde le cadre de la présente recherche. Ainsi, plusieurs autres pistes sont ouvertes à des études complémentaires, particulièrement dans le domaine des impacts sociaux. Dans l’éventualité de ces recher-ches, l’ajout au système d’information territorial de l’analyse multicritère pour évaluer les différentes options d’aménagement et l’établissement d’un processus de tables de concertation avec les acteurs locaux nous paraissent être des voies à privilégier.

Nous terminons sur cette réflexion à propos du développement : « Comme tout autre phénomène humain territorial, le développement est un fait de culture. Or les objectifs du développement étant tournés vers la communauté, l’individu y contribue par ses réalisations quelles qu’elles soient. En ce sens, les projets de développement territorial n’ont de chances de réussite que s’ils parviennent à mobiliser les énergies tant locales qu’exogènes. D’une culture cohérente et forte découle la réalité collective, le sentiment d’appartenance territoriale et la stimulation pour la mise en place et l’appui aux projets des partenaires du dévelop-pement local » (Vachon, 1993).


Références

1 Observations terrain dans la municipalité de Tadoussac à l’été 1997 et entrevues d’approche auprès de résidents, de commerçants et de décideurs locaux (Poulin, 2000).

2 Le terme versant est utilisé au sens générique et comprend les portions de talus, de ravins, de sillons, de dépressions, de chenal et de cirques

3 Étant donné l'obligation qu'ont les conseils municipaux de respecter la règle de l'uniformité à l'intérieur de la zone, les adoucissements et les exemptions au règlement général doivent être consacrés par amendements. Souvent ces amendements visent de petites étendues; on parle alors de (...) spot zoning (Comptes rendus. Congrès sur la méthodologie de l'aménagement et du développement, 1977, p. 204).

4 Conséquences pour les populations humaines de toutes actions privées ou publiques qui modifient les façons de vivre des personnes, de travailler, de se divertir, de communiquer, de s’organiser pour combler leurs besoins et d’appartenir à leur communauté. Le terme inclut également les impacts culturels comprenant des changements de normes, de valeurs et de croyances qui guident et expliquent leur compréhension d’eux-mêmes et de leur société (Guidelines and Principles for Social Impact Assessment, Impact Assess-ment Bulletin, Vol. 12. N° 2, 1994, p. 107).

5 Les réunions du conseil municipal auxquelles nous avons assisté à l’été 1997 nous ont permis de constater que les demandes des commerçants étaient multiples pour obtenir des dérogations « mineures » au zonage afin d’installer des commerces à proximité de l’achalandage touristique. Nous avons aussi constaté que des décisions ad hoc à cet effet étaient prises à l’extérieur des assemblées régulières par le conseil restreint. Les entrevues informelles que nous avons menées auprès de dirigeants, de commerçants et de citoyens ont également confirmé ces pratiques.

6 Entrevues, Poulin 1997.

7 Cas de désobéissance civile et d’affrontement avec l’administration des parcs rapportés dans les journaux.


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VertigO no 1, vol 3