VertigO - La revue en sciences de l'environnement sur le WEB, Vol 3 No 1 , Avril 2002

LES AIRES PROTÉGÉES AU QUÉBEC :
PORTRAIT ET CONSTATS

Par BEAUCHESNE P., et GAUDREAU L.,
Direction du patrimoine écologique et du développement durable,
675, boulevard René-Lévesque Est,
Québec (Québec), G1R 5V7
Tél. : 418.521.3907 p. 4714, Fax : 418.646.6169
Courriels : patrick.beauchesne@menv.gouv.qc.ca, leopold.gaudreau@menv.gouv.qc.ca



Introduction
Une aire protégée est : « une portion de terre, de milieu aquatique ou de milieu marin vouée spécialement à la protection et au maintien de la diversité biologique, aux ressources naturelles et culturelles associées. Pour ces fins, cet espace géographique doit être légalement désigné, réglementé et administré par des moyens efficaces, juridiques ou autres » (UICN,1994).


Les aires protégées constituent l’un des moyens les plus efficaces pour protéger la diversité biologique et le maintien des processus écologiques essentiels à la vie. Elles permettent l’évolution dynamique des espèces sauvages à l’intérieur du processus de la sélection naturelle, et ce, à l’abri des pressions et des perturbations anthropiques. Elles procurent des bénéfices écologiques de première importance, comme la production d’oxygène, la création et la protection des sols, l’absorption et la réduction des polluants, l’amélioration des conditions climatiques locales et régionales, la conservation des nappes aquifères, la régularisation et la purification des cours d’eau et le maintien de la qualité visuelle des paysages. En résumé, les aires protégées préservent l’ensemble des potentiels écologiques des milieux.

Depuis près de quarante ans, on assiste à une progression rapide des superficies vouées à la conservation dans le monde. Des données de 1996 indiquent qu’il existe environ 30 300 aires protégées dans le monde qui totalisent 13,2 millions de km2 ce qui représente environ 10% de la superficie terrestre mondiale (Green et Paine, 1997 dans Québec 1999) (figure 1).

Le Québec compte plus de 1100 sites naturels reconnus comme aires protégées. Ces sites totalisent une superficie de 47 356 km2 soit environ 2,8 % de la superficie totale de la province (Ministère de l’Environnement, 1999). Ces aires protégées du Québec se répartissent à l’intérieur de 17 statuts juridiques différents.(figure 2). Parmi ces principaux statuts légaux au Québec on trouve : les réserves écologiques, les parcs québécois, les refuges fauniques, les habitats fauniques, les parcs et lieux historiques naturels, les parcs nationaux, les refuges d’oiseaux migrateurs et certains sites naturels privés.

Figure 1. Croissance cumulative de la superficie et du nombre d’aires protégées dans le monde de 1976 à 1996 (adapté de Green et Paine, 1997 dans Québec 1999), (tirée de http://www.menv.gouv.qc.ca/biodiversite/aires_protegees/portrait/index.htm.

La reconnaissance internationale des statuts légaux québécois d’aires protégées s’appuie sur la classification internationale de l’Union mondiale pour la nature (UICN,1994). Cette classification regroupe les aires protégées en six catégories qui se distinguent par leur encadrement juridique, leur vocation et les activités qui y sont permises (figure 3) (Ministère de l’Environnement, 1999).

Le Québec s’étend, du sud au nord, sur plus de 1950 kilomètres passant ainsi de la zone tempérée à la zone subpolaire. Suivant un gradient climatique latitudinal, cinq grandes zones de végétation y prennent place soit la forêt feuillue, la sapinière, la pessière, la taïga et la toundra. On ajoute aussi le fleuve St-Laurent comme entité biogéographique majeure. Chacune des entités se caractérise par des composantes particulières tant au niveau du climat, de la végétation, de la faune, de la géologie, des sols et conséquemment du fonctionnement intrinsèque des écosystèmes. Tous les agencements de ces composantes forgent la diversité biologique propre au territoire québécois.

Figure 2. Répartition du nombre d’aires protégées au Québec, par désignation. (tirée de http://www.menv.gouv.qc.ca/biodiversite/aires_protegees/portrait/index.htm)

Cependant, la répartition des aires protégées actuelles ne permet pas de bien représenter toute cette diversité. Au nord, on compte peu de sites mais de très grande superficie alors qu’au sud, on retrouve un très grand nombre de sites de petite superficie essentiellement concentrés le long du fleuve Saint-Laurent. Ainsi, deux aires de mises bas du caribou en zone arctique totalisent à elles seules 56 % de la superficie totale des aires protégées. La zone de la pessière est une des entités biogéographiques les plus dépourvues en aires protégées (figure 4). Fortement sous pression par l’exploitation forestière, cette zone contient les dernières forêts vierges nordiques du Québec.

Quelques constats

Après plus de 100 ans d’efforts de conservation des milieux naturels, le Québec ferme, de très loin, la marche internationale au chapitre des aires protégées. Ainsi, les données mondiales fournies en 1997 par le World Conservation Monitoring Centre indiquent que la superficie moyenne internationale dédiée aux aires protégées était de 10 %. Au Canada, cette moyenne est présentement de l’ordre de 11 % et aux États-Unis, il faut plutôt parler de 12 %.

Il semble bien que malgré les énergies déployées par le Québec en faveur de la conservation, efforts que l’on peut qualifier d’importants depuis les années 1970, on ne parvient pas à atteindre les exigences mondiales en faveur de la protection de la biodiversité par un réseau d’aires protégées.

Figure 3. Les aires protégées au Québec selon les catégories de l’UICN. (tirée de http://www.menv.gouv.qc.ca/biodiversite/aires_protegees/portrait/index.htm).

Figure 4. Répartition de la superficie des aires protégées au Québec, par entités biogéographiques. (Tirée de http://www.menv.gouv.qc.ca/biodiversite/aires_protegees/portrait/index.htm.).

Les principaux constats qui caractérisent la situation des aires protégées au Québec sont :

1- Une représentation inadéquate de la diversité biologique dans le réseau des aires protégées :

À ce jour, les quelque 1100 sites protégés du Québec sont surtout confinés à sa partie méridionale et notamment de part et d’autre du Saint-Laurent (figure 5). La diversité biologique du nord du Québec, de la forêt boréale et du milieu marin par exemple, est très mal représentée dans le réseau actuel des aires protégées. Le réseau des aires protégées du Québec se caractérise surtout par la protection d’éléments rares et exceptionnels du territoire québécois. De plus, près de 85 % de toutes les aires protégées du Québec ont une superficie inférieure à 10 km2 (figure 6). Les spécialistes de la conservation estiment qu’un réseau d’aires protégées doit contenir plusieurs superficies minimales d’au moins 500 km2 et même de plus de 1000 km2 pour parvenir à préserver adéquatement des échantillons viables de la diversité biologique et maintenir les processus dynamiques des écosystèmes. Le réseau des aires protégées du Québec est largement centré sur le milieu terrestre; les milieux aquatiques, estuariens et marins y sont très faiblement représentés. Enfin, peu d’aires protégées au Québec s’inscrivent dans un contexte d’aménagement intégré régional garantissant ainsi une meilleure intégrité écologique aux sites protégés.

2- Un manque de concertation et de complémentarité dans le développement des aires protégées :

Les 17 statuts de conservation d’aires protégées du Québec sont octroyés et gérés selon des processus et une démarche sectoriels. Le réseau ne se caractérise pas spécialement par un effort commun, dans un esprit de collaboration, de complémentarité et de concertation. On remarque surtout l’absence d’obligation de partager un objectif commun, soit la sauvegarde de la diversité biologique, de partager une méthodologie commune pour évaluer la diversité biologique des sites et de plans régionaux intégrés d’aires protégées. Toutes ces conditions sont essentielles à l’identification des meilleurs sites et des meilleurs moyens de sauvegarde.

Figure 5. Répartition géographique des aires protégées au Québec.

Figure 6. Répartition des aires protégées au Québec par classe de superficie. (tirée de http://www.menv.gouv.qc.ca/biodiversite/aires_protegees/portrait/index.htm).

3- Manque d’intégration des aires protégées dans les processus d’affectation du territoire et de gestion des ressources :

Le réseau des aires protégées est constitué majoritairement de terres du domaine de l’État et son développement devra encore s’y réaliser prioritairement. Or, toutes ces terres sont rarement libres de tout droits d’utilisation. Il existe sur celles-ci des droits relatifs à l’utilisation des ressources forestières, minières, énergétiques et fauniques ainsi que des droits d’utilisations foncières à des fins d’utilités publiques, récréatives ou commerciales. Plusieurs de ces droits s’exercent souvent sur une même parcelle de territoire. Créer une aire protégée dans ces conditions signifie modifier à chaque fois l’ensemble de cette réalité de droits et de privilèges. Par ailleurs, l’importance des ressources naturelles exploitables est telle que le territoire public est de plus en plus sollicité et fait l’objet d’usages de plus en plus nombreux. Enfin, la question autochtone s’inscrit dans cette réalité puisque le contrôle, le partage et l’accès aux ressources et au territoire sont parmi les enjeux de plusieurs des revendications autochtones.

Les engagements et orientations du Gouvernement du Québec

En juin 2000, le gouvernement du Québec adoptait un ensemble de principes et d’orientations en vue de doter le Québec, pour la première fois, d’une Stratégie sur les aires protégées. Cette dernière vise prioritairement à augmenter significativement le nombre d’aires protégées au Québec et surtout d’en arriver à une meilleure sauvegarde de la diversité biologique.

Par cette décision, le gouvernement du Québec reconnaît de façon formelle l’importance des aires protégées comme moyen fondamental pour le Québec de rencontrer ses engagements en regard de la diversité biologique et du développement durable. Mais plus encore, il reconnaît explicitement que les aires protégées sont essentielles pour sécuriser l’accès aux marchés extérieurs pour ses produits à base de ressources naturelles et pour consolider et développer de nouvelles formes d’économie d’avenir, tel l’écotourisme.

Le gouvernement du Québec décidait aussi d’augmenter de façon significative la superficie à consacrer aux aires protégées. Si le Québec, en 100 ans, n’est parvenu à protéger que 2,8 % de son territoire, il fixe maintenant à 8 % la superficie du Québec qui devrait être réservée à des fins d’aires protégées et ce, d’ici 2005.

Pour s’assurer que cette augmentation puisse véritablement garantir la sauvegarde de sa diversité biologique, le gouvernement exige que le réseau québécois des aires protégées soit dorénavant axé sur la protection d’échantillons représentatifs de toute sa diversité biologique, qu’elle soit terrestre, aquatique, estuarienne ou marine.

Enfin, le gouvernement demande que le réseau des aires protégées fasse une place aux sites naturels privés et que l’on développe les moyens pour faciliter ce type de conservation. En ce sens, le gouvernement souhaite lever les contraintes actuelles qui s’exercent sur les individus et les organismes privés qui s’impliquent en conservation volontaire de milieux naturels. Déjà, un nouvel outil légal est en vigueur pour stimuler les efforts de conservation et d’intendance privée puisqu’en juin 2001, le gouvernement du Québec adoptait la Loi sur les réserves naturelles en milieu privée. Cette loi permet à un propriétaire de demeurer à la fois propriétaire de son terrain et de consacrer celui-ci à un usage de conservation pour un terme minimal de 25 ans via une entente avec le ministre de l’Environnement.

Un défi collectif de taille

Pour donner suite aux orientations de conservation sur les aires protégées fixées par le gouvernement du Québec, la société québécoise doit dès maintenant s’engager à atteindre les trois grands objectifs suivants :

Pour ce faire, le gouvernement du Québec a confié au ministre de l’Environnement le soin de coordonner les travaux d’un comité interministériel chargé d’identifier les sites candidats pour fins d’aires protégées et d’analyser les solutions et actions nécessaires afin de minimiser les impacts socio-économiques de l’établissement du réseau des aires protégées pour que le Québec puisse demeurer économiquement et socialement compétitif. L’heure n’est plus maintenant à savoir quels sont les problèmes qui affectent l’expansion du réseau d’aires protégées, mais aux solutions pour donner suite aux engagements historiques en leur faveur pris par le gouvernement du Québec en juin 2000.


Références

GREEN, M.J.B et J. PAINE. 1997. State of the world’s protected areas at the end of the twentieth century. World conservation monitoring entre. Cambridge, U.K. 29p pages.

MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT DU QUÉBEC, 1999. Portrait synthèse sur les aires protégées. 42 pages.

MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT DU QUÉBEC, 1999. Aires protégées au Québec : Contexte, constats et enjeux pour l’avenir. 61 pages.

UICN, 1994. Lignes directrices pour les catégories de gestion des aires protégées. Commission des parcs nationaux et des aires protégées de l’Union mondial.



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