VertigO - La revue en sciences de l'environnement sur le WEB, Vol 3 No 1 , Avril 2002

LES ZICO :
DES AIRES PROTÉGÉES ?

Par BENOÎT LIMOGES, Biologiste,
Coordonnateur du programme québécois de conservation des ZICO,Union québécoise pour la conservation de la nature Courriel : limoges@mediom.qc.ca



     En 1985, l'organisme Birdlife International lançait, en Europe, le programme des Zones importantes pour la conservation des oiseaux (ZICO). Depuis, ses partenaires établis dans plus de 100 pays ont réussi à créer un réseau international ayant pour but :

  1. d'identifier un réseau de sites considérés cruciaux pour les oiseaux ;
  2. de protéger les sites qui en ont le plus besoin.
Ce programme a été implanté au Canada en 1996 par deux organismes nationaux : Études d'oiseaux Canada, qui est chargé de la désignation des sites ZICO, et la Fédération canadienne de la nature (FCN), qui s’occupe du volet conservation (www.ibacanada.com).

1- La désignation

Déjà, le statut de ZICO a officiellement été attribué à plus de 500 sites au Canada. Un site est désigné ZICO s'il répond à l'un des critères suivants :

Une centaine de sites ont été désignés comme ZICO au Québec. Ils figurent sur le site Internet du programme ZICO canadien . Cette désignation n'a aucun effet juridique, mais veut plutôt inciter les décideurs et les promoteurs à respecter la valeur patrimoniale du site. Cependant, la désignation d'une ZICO amène souvent, par la suite, une protection légale. Le prestige d’une ZICO peut aussi faciliter la mise en marché d’activités écotouristiques.

2- Le programme de conservation de l'UQCN

En parallèle avec ce processus de désignation, dans chaque province des organismes ont pour mandat de développer des activités de conservation dans certains de ces sites. Au Québec, c'est l'Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN) qui agit à titre de responsable du programme ZICO . En collaboration avec la FCN, cet organisme travaille avec les intervenants locaux à améliorer la protection des sites choisis et à les mettre en valeur. Ce programme de conservation est appuyé financièrement par la Fondation de la faune du Québec, Hydro-Québec, la Société de la faune et des parcs du Québec et le programme des partenariats du millénaire du Canada.

Parmi le large éventail de sites d'importance pour les oiseaux au Québec, l'UQCN en a sélectionné un certain nombre où des activités de conservation, menées en partenariat avec des organismes du milieu, pourraient réduire certaines menaces qui pèsent sur les populations d’oiseaux et leurs habitats.

Pour chacune des ZICO sélectionnées, un plan de conservation est élaboré en collaboration avec les communautés locales. Dans un premier temps, l’UQCN s’associe à un organisme du milieu intéressé à prendre le leadership dans la conservation de la ZICO. Cet organisme a la responsabilité de contacter les intervenants et d'organiser les rencontres. Ce processus de planification communautaire réunit la plupart des corporations et des propriétaires touchés par la ZICO. Il permet d'identifier les actions de conservation à entreprendre et les partenaires qui pourraient participer à l'atteinte des objectifs. Une fois complété, le plan de conservation sert à mobiliser les ressources humaines et à favoriser l'obtention des ressources financières et matérielles nécessaires à la mise en œuvre des activités planifiées.

Processus de sélection des sites du programme de conservation

Les sites prioritaires au Québec ont été identifiés par un comité aviseur composé d'un représentant des organismes suivants : le Service canadien de la faune (SCF), la Société de la faune et des parcs du Québec (FAPAQ), l'Association québécoise des groupes d'ornithologues (AQGO), la Fondation pour la sauvegarde des espèces menacées (FOSEM) et l'Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN). La sélection de ces sites prioritaires a été influencée par :
  • le dynamisme des communautés locales et des intervenants déjà en place ;
  • l'importance des menaces ;
  • le caractère naturel du site ;
  • l'importance biologique du site ;
  • la présence d'espèces aviaires en péril ;
  • et la tenure des terres.
Les premiers sites sélectionnés ont été :
  • ZICO des Battures-aux-Loups-Marins ;
  • ZICO du Banc-de-Portneuf ;
  • ZICO du Canal-de-Beauharnois ;
  • ZICO des Marais-de-Saint-Timothée ;
  • ZICO du Marais-de-Saint-Étienne ;
  • ZICO du Massif-du-Mont-Gosford ;
  • ZICO de Tadoussac ;
  • ZICO de la Baie-de-Gaspé ;
  • ZICO de la Pointe-Saint-Pierre-et-de-l'Île-Plate ;
  • ZICO de l’Île-aux-Grues ;
  • ZICO des Îles-aux-Perroquets
  • ZICO de l'Île-à-Calculot.
3- La situation dans les douze ZICO

Un survol des activités de l'UQCN dans les douze ZICO où elle est impliquée vous est proposé. Il tentera d'illustrer comment un statut biologique et non légal comme celui de ZICO peut amener à la création de véritables aires protégées, là où c'est nécessaire.

Dans la ZICO de la Baie-de-Gaspé, il existe déjà une aire protégée, le parc national Forillon. Mais le maintien de la biodiversité de ce parc dépend en partie de problématiques situées en dehors de ce territoire protégé. C'est le cas de la Sterne pierregarin qui fréquente le parc mais qui niche sur la pointe de Sandy Beach appartenant au ministère des Ressources naturelles du Québec. Cela a justifié l'implication du parc Forillon dans un projet visant à sauvegarder la colonie de sterne qui décline depuis plusieurs années. Parmi les suspects qui pourraient être coupables de cette diminution du nombre de nids de sternes, notons la compétition et la prédation par les goélands. En effet, les populations de goélands ont beaucoup augmenté durant les dernières décennies à cause de certaines activités humaines, dont les déchets de pêche et domestiques. Cette augmentation des populations de goélands a eu des effets néfastes sur plusieurs colonies de sternes tout autour du Golfe Saint-Laurent. Menées par le Comité de protection de la santé et de l'environnement de Gaspé, des actions sont en cours pour exclure les goélands d'une partie de la pointe et pour élucider les causes exactes de cette diminution. Mais le futur de ce site qui comprend aussi un vaste marais est incertain. Bien qu'affecté à la conservation par la MRC et la municipalité, aucun statut de protection n'y a encore été accordé. Des démarches en ce sens sont initiées.

Limitrophe à la précédente ZICO, celle de la Pointe-Saint-Pierre-et-de-l'Île-Plate consiste en une longue pointe et une petite île située à l'extrémité nord de la municipalité de Percé. S'y retrouve une des dernières forêts naturelles côtières non protégées de la Gaspésie. Les propriétaires se sont pris en main et ont décidé qu'ils ne voulaient pas de mise en valeur mais de la préservation. Une alliance avec la société Conservation de la nature permettra peut-être de sauver ces paysages uniques en Gaspésie. L'île Plate, appartenant à Transport Canada qui y a un phare automatique, accueille quant à elle une colonie d'oiseaux. D'accès difficile, cette île a une vocation de conservation. Peut-être pourrait-elle être intégrée au Parc Forillon ?

Figure 1. Le corridor Migratoire de la rive du Saint-Laurent

Depuis 1984, en Minganie, la population ressent une frustration suite à l'établissement de la réserve de parc national de l'archipel de Mingan. Ceux-ci se sont sentis dépossédés lors de l'acquisition par le gouvernement fédéral de «leurs îles». L'établissement de ZICO dans cette région se fait donc avec une population réfractaire à toute nouvelle perte de droits d'usages. Mais, les colonies d'oiseaux étant pour la plupart situées dans une aire protégée, les actions de l'UQCN dans cet endroit visent plutôt des actions complémentaires, notamment la recherche et l'éducation. Seules deux îles appartiennent encore à des individus de la communauté locale. Accueillant d'importantes colonies d'oiseaux, ces îles pourraient être acquises pour éliminer diverses menaces. Il est prématuré de se prononcer sur le statut qu'elles pourraient obtenir mais il est certain que la communauté sera impliquée dans leur gestion.

La ZICO du Banc-de-Portneuf englobe une longue pointe de sable qui s'avance dans l'estuaire du Saint-Laurent, une entité géomorphologique unique dans la région. Fréquentée l'automne par une multitude d'oiseaux de rivages, cet attrait touristique est visité selon les saisons par les populations locales ou par les ornithologues amateurs venus des grands centres. Mené par le Comité ZIP de la rive nord de l'estuaire, un exercice communautaire de planification a permis de décider de donner un statut de protection à cet écosystème unique, mais un statut qui permet le maintien de certaines activités traditionnelles comme la cueillette de myes et de fruits sauvages. Le banc de sable appartenant au ministère des Ressources naturelles, le statut qui semble faire consensus est celui de refuge faunique. Il permet la gestion locale des activités avec l'aide des agents de protection de la faune de la Société de la faune et des parcs du Québec.

La ZICO de Tadoussac est localisée dans le secteur des dunes du parc du Saguenay, qui est le partenaire associé de l'UQCN pour cette ZICO. Le territoire de la ZICO englobe les postes d'observation de l'Observatoire d'oiseaux de Tadoussac qui dénombre plus de 17 000 rapaces d'une douzaine d'espèces à chaque automne alors qu'ils fréquentent le corridor migratoire de la rive nord du Saint-Laurent (figure 1). La principale menace qui a été déterminée pour ces oiseaux est la présence des tours de communication construites à l'intérieur d'une bande de cinq kilomètres le long de la rive nord du Saint-Laurent. En effet, les oiseaux migrateurs peuvent heurter ces structures en hauteur lorsque la visibilité est mauvaise. De plus, les nuits de brume, les oiseaux qui passent à proximité des lampes installées au sommet de ces tours sont désorientés et peuvent se frapper sur les tours ou les haubans. On estime à 5 millions le nombre d'oiseaux qui se tuent sur les tours en Amérique chaque année (www.towerkill.com). Une étude débutera cet automne pour préciser l'ampleur des mortalités associées aux tours de communication sur la Côte-Nord. Une aire protégée aérienne pourrait éventuellement être créée. Mais sa nature exacte reste à préciser.

La ZICO de l'Île-aux-Grues englobe le plus grand haut marais insulaire du Saint-Laurent. Ce marais a été choisi par les Râles jaunes, une espèce rare et menacée, non seulement pour nicher en petit nombre, mais aussi pour s'y rassembler en grand nombre au mois d'août pour muer. Plusieurs autres espèces en péril s'y retrouvent. Ce marais appartient à une trentaine de propriétaires, surtout des agriculteurs qui avaient l'habitude d'y faucher du foin salé pour leurs vaches. Mais l'agriculture est en régression, les agriculteurs fauchent de moins en moins, les herbaçaies peuvent s'embroussailler et ces terres pourraient perdre les habitats qui en font une ZICO. En l'absence de fauchage, une gestion de la végétation s'impose. La conservation de ces terres privées pourrait se faire par intendance privée, c'est-à-dire que les propriétaires pourraient prendre des ententes avec un organisme faunique, comme la Corporation de la sauvagine de l'Isle-aux-Grues, et/ou avec le ministère de l'Environnement pour s'assurer à long terme de conserver ce paysage qui pourraient devenir la première aire protégée québécoise de catégorie V, telle que définie par l'Union mondiale pour la nature (UICN).

La ZICO des Battures-aux-Loups-Marins est un îlot en face de Saint-Jean-Port-Joli. Son propriétaire est un excellent gardien de la communauté aviaire qui s'y reproduit et qui y migre. L'UQCN entend l'aider à améliorer les habitats qui s'y trouvent en échange d'une entente de premier droit de refus, laquelle permettrait à un organisme de conservation d'acquérir l'île si elle devenait à vendre.

La ZICO du Massif-du-Mont-Gosford englobe toutes les terres situées au-dessus de 780 mètres d'altitude de ce massif qui constitue le plus haut sommet du Sud du Québec. Cette ZICO est l'habitat de nidification d'une espèce en péril encore inconnue des ornithologues il y a quelques années, la Grive de Bicknell. Cette espèce apprécie les forêts rabougries des sommets, mais aussi les forêts en régénération qui repoussent suite à l'exploitation forestière. Ce territoire fait partie de la Forêt habitée du mont Gosford qui est géré dans une optique de développement multiressource par un OSBL associé à la municipalité de Woburn et à la ZEC Louise-Gosford. Sensible à la cause de la grive, les intervenants locaux veulent en connaître davantage sur ses exigences écologiques avant de protéger quoi que ce soit, surtout que la préservation intégrale pourrait ne pas favoriser l'espèce à long terme. Pour l'instant des études sont en cours par le Service canadien de la faune. Cet îlot de forêt boréale dans le Québec méridional abrite d'autres espèces inusitées à ces latitudes. Ce potentiel touristique pourrait être mis en valeur.

Trois ZICO se retrouvent dans le parc régional du canal de Beauharnois, lequel est géré par Vélo-Berge, un comité étroitement associé à la MRC : la ZICO du Canal-de-Beauharnois, la ZICO du Marais-de-Saint-Timothée et la ZICO du Marais-de-Saint-Étienne. Alors que la première est la propriété de la Voie maritime du Saint-Laurent, les deux autres appartiennent à Hydro-Québec qui les louent à l'organisme Canards Illimités. Dans ce vaste territoire de plus de vingt kilomètres de long, des aires qui ont été affectés à la conservation jouxtent des zones industrielles et des autoroutes. Les espèces vivantes et les caractéristiques naturelles y sont inégalement protégées par divers statut : on y retrouve une zone d'interdiction de chasse, des boisés protégés par le schéma d'aménagement de la MRC… Le statut de parc régional permet, quant à lui, de gérer les activités récréotouristiques. L'UQCN y a fait le pari que la construction d'infrastructures de mise en valeur comme les pistes cyclables permettront à la population de connaître et d'apprécier les caractéristiques naturelles du parc et, par le fait même, qu'une volonté populaire de conservation se dessinera dans les prochaines années. Le temps devrait favoriser l'application d'un statut approprié à la valeur écologique des ces vastes espaces dont l'avenir est encore incertain, un cas rare à proximité de Montréal.

Il est souvent difficile de justifier la création d'aires protégées auprès de ceux qui pourraient perdre des droits ou des opportunités. Souvent des populations vivent en harmonie avec les ressources biologiques avec lesquelles elles cohabitent depuis des siècles. Pour ces personnes, la création d'aires strictement protégées ne vient alors pas renforcer l'esprit de développement durable dont elles faisaient montre. Mais l'attribution d'un statut biologique comme celui de ZICO est une voie à privilégier car il permet, dans un premier temps, de reconnaître les qualités de bons gardiens de la biodiversité des propriétaires, puis dans un deuxième temps, de sensibiliser les décideurs et les populations. Le processus de planification communautaire associé au programme de conservation des ZICO de l'UQCN permet aussi à la société civile de se concerter et de transmettre un message clair aux autorités sur le type de statut et la superficie à protéger.

Malheureusement, par le passé, plusieurs aires protégées ont été établies sans le consentement des populations locales. Cela constitue des expériences négatives qui nuisent aujourd'hui à l'établissement de nouvelles aires protégées. Bien connaître les impacts sociaux et économiques associés à la création d'aires protégées permettrait plus facilement de persuader ceux qui ont été échaudés par le passé.



VertigO no 1, vol 3