VertigO - La revue en sciences de l'environnement sur le WEB, Vol 3 No 2 , Octobre 2002



L’EFFET DE SERRE ET LA RARETÉ DE L’EAU CRÉENT UNE HAUSSE DU PRIX DES ALIMENTS.

Par LESTER R. BROWN,
Earth-Policy Institute,
État-Unis, courriel: lesterbrown@earth-policy.org
(texte traduit de l’anglais par Jacques Bougie, courriel : jacques.bougie@sympatico.ca)



     Lundi le 12 août, le département Américain de l’Agriculture (USDA) révisait à la baisse l’estimé de la production mondiale de céréales pour l’année 2002. La prévision mondiale estimée à 1904 millions de tonnes le mois dernier est maintenant à 1821 millions de tonnes ce qui représente un déficit actuel de 83 millions de tonnes de céréales.

Cette baisse précipitée a causé une augmentation accélérée des prix du blé et du maïs sur les marchés mondiaux. Récemment, le prix du blé à être livré en décembre a augmenté de 2.83$ à 3.70$ le boisseau - un accroissement de 31%. Et ce n’est qu’un début. L’augmentation du prix des céréales entraînera très probablement l’augmentation du prix des dérivés des céréales tels que le pain et les pâtes.

Il s’agit d’un troisième déficit annuel consécutif pour la production mondiale de céréales. En l’an 2000, le déficit était de 35 millions de tonnes ; en 2001 de 31 millions de tonnes. Le déficit combiné des trois dernières années, totalisant 149 millions de tonnes, est responsable du plus bas niveau de céréales en 30 ans! De façon générale, on observe des baisses records aussi bien pour le blé, le riz que le maïs.

Trois facteurs clés ont contribués à une réduction des récoltes en 2002. D’abord, un prix bas des céréales sur le marché lors de la plantation, ensuite, un surplus de chaleur en champs et finalement, une baisse du niveau des nappes phréatiques. Le premier facteur est conséquent d’une tendance généralisée de la baisse des prix céréaliers sur plusieurs années consécutives. Ces baisses ont découragé les fermiers à améliorer leurs terres et à investir dans de nouvelles techniques de production. De plus, il semble que les fermiers aient cessé de produire sur des terres marginales.

Pendant cette même période, les fermiers ont été confrontés aux plus hautes températures enregistrées dans l’histoire --- températures qui ont stressé les cultures et contribuées à la diminution des récoltes. À titre d’exemple, notons les températures moyennes de septembre et novembre 2001 qui ont été les plus hautes enregistrées en 134 ans. Mentionnons également que les mois suivants, de décembre, janvier, février, avril et mai ont été les 2e plus chaud de l’histoire. Dans plusieurs pays la hausse des températures a été combinée à une baisse des précipitations ce qui a créé une situation de sécheresse.

Les trois principaux producteurs mondiaux de céréales, soit les États-Unis, l’Inde et la Chine ont tous vu leurs cultures céréalières être stressées par la chaleur. Même les cultures irriguées ont souffert d’une évaporation accrue et d’un stress calorique. Il est important de savoir que toute température dépassant la barre des 32 degrés Celsius peut faire souffrir les récoltes.

Le plant de maïs, qui est une culture très productive aux États-Unis avec 70% des céréales récoltées, est particulièrement vulnérable à la chaleur. Dans un champ en stress calorique, les feuilles de maïs s’enroulent afin de réduire les pertes d’eau par évaporation. Dans de telles conditions, la photosynthèse décline et le plant passe d’un mode de croissance à un mode de survie, réduisant ainsi la récolte.

En Inde, une vague de chaleur atteignant les 45 degrés Celsius, en mai, a causé la mort de plus d’un millier de personnes. De plus, la mousson de cette année a été tardive et plus faible qu’à l’habitude. Ces précipitations moindres ont mené à une diminution de l’estimée la récolte de riz, la faisant passer de 90 millions à 80 millions de tonnes.

Dans un même temps, les fermiers pompent de plus en plus d’eau afin de subvenir à la demande alimentaire mondiale sans cesse croissante. Dès lors, on remarque que le niveau des eaux souterraines tend à être de plus en plus bas. En Chine, en Inde et aux États-Unis, le niveau des nappes phréatiques est maintenant en baisse dans les régions agricoles importantes. En Chine, 70% de la récolte céréalière provient de terres irriguées alors qu’en Inde on parle de 50% et qu’aux États-Unis on atteint presque 20%.

Le département d’agriculture des États-Unis confirme qu’au Texas, en Oklahoma et au Kansas le niveau des nappes phréatiques a baissé de 35 mètres ( 100 pieds). Ce qui a pour résultat que certains fermiers des grandes plaines du sud pompent maintenant de l’air au lieu de l’eau. Même des États tels que le Nebraska et le Colorado sont confrontés à une récolte appauvrie malgré le fait que la majorité de champs de maïs se trouvent en zone irriguée.

Les récoltes de blé chinois n’échappent pas à la tendance. Après avoir atteint une production maximum de 123 millions de tonnes en 1997, les récoltes ont chuté au cours de quatre des cinq dernières années. Cette année la production sera seulement de 92 millions de tonnes. Dans la région du nord de la Chine, là où se récolte le plus de blé, les fermiers dépendent de l’irrigation pour compenser le manque de pluies. La perte de cette eau d’irrigation suite à une baisse du niveau des aquifères ou par détournement vers les villes, est lourde de conséquence pour les fermiers et leurs récoltes. En périphérie de Beijing, par exemple, ont interdit aux fermiers l’accès aux bassins de rétention et aux réservoirs parce que toute l’eau emmagasinée est utilisée pour satisfaire les besoins grandissants de la ville.

Les fermiers de la planète sont-ils capables de combler ce déficit de 83 millions de tonnes et de nourrir adéquatement la population mondiale ? Après avoir atteint un maximum de 732 millions d’hectares cultivés en 1981, la superficie céréalière mondiale a chutée à 660 millions d’hectares. Les États-Unis, ont perdu environ 10% de leurs terres céréalières à la fin des années 80, car trop sensibles à l ‘érosion. La Chine plante maintenant des arbres sur un dixième de ses terres céréalières pour contrer l’avancée des déserts.

La seule grande région cultivable et non encore exploitée se situe dans le Cerrados Brésilien. Il s’agit d’une vaste savane semi-aride au sud du bassin Amazonien. Par contre, cette terre est de fertilité moyenne et requiert des applications massives de chaux pour neutraliser son acidité et de fertilisants pour maintenir sa productivité.

Il est de plus en plus difficile d’augmenter le rendement des terres cultivées. Une augmentation des prix céréaliers entraînait autrefois une irrigation accrue des terres cultivées. Cet effet d’entraînement n’est plus disponible maintenant, suite à une baisse des nappes phréatiques. Les fermiers réagissaient aussi à une augmentation des prix en fertilisant davantage les sols. L’usage des fertilisants étant déjà à son maximum, même dans les pays occidentaux, il est difficile d’en utiliser davantage.

Nous sommes maintenant face à un défi. Par le passé, il était facile de récupérer d’une mauvaise récolte mondiale présentant un déficit annuel de 20, 30 ou 40 millions de tonnes. Un déficit de 83 millions de tonnes, c’est une autre affaire. Et nous ne sommes pas au bout de nos peines. Avec l’augmentation prévue des températures pour les années à venir, les fermiers auront sans doute beaucoup de difficultés à combler cet immense déficit et à nourrir 3 milliards de personnes additionnelles, d’ici l’an 2050.

En vertu de ces constats, il est temps d’accorder une attention toute particulière aux changements climatiques et à l’explosion démographique.



DE LA RUE NOTRE-DAME AU BOULEVARD A-720:
QUEL FUTUR POUR QUEL PROJET ET QUELLE VILLE?

Par FRANÇOIS GAGNON, LUC FERRANDEZ, et PATRICIA CLERMONT,
Association Habitat Montréal

     L’étrangement nommé projet de «Modernisation de la rue Notre-Dame» proposé l’année dernière par le Ministère des Transports du Québec (MTQ) devait relier par un nouveau tronçon autoroutier en tranchée le Tunnel Louis-Hyppolite Lafontaine au tronçon de l’autoroute Ville-Marie se terminant – en venant de l’ouest – au pont Jacques-Cartier. Lors des audiences publiques menées par le Bureau d’Audiences Publiques en Environnement, le projet du MTQ a été supporté par les élus locaux et la majorité des acteurs économiques mais a été vertement critiqué par la plus grande part de ceux qui ont décidé d’y faire entendre leur voix – citoyens, organismes préoccupés par la qualité de l’air, par la défense du transport en commun, par les questions d’environnement, par l’accès au fleuve, par le développement urbain et… par la Ville de Montréal.

Il est impossible d’en faire ici complètement le tour et de leur rendre complètement justice, mais les arguments avancés par le MTQ et ceux qui défendaient ou donnaient leur aval au projet étaient essentiellement de deux ordres. D’abord, la construction d’un nouveau tronçon autoroutier était selon eux «nécessaire» et «urgente» pour assurer la fluidité de la circulation entre l’est de Montréal et le centre-ville. Dans cette perspective, la construction aurait permis d’améliorer la compétitivité et la productivité des industries de l’est montréalais; d’assainir la qualité de l’air (une meilleure fluidité, éliminant les arrêts-départs, aurait réduit la pollution atmosphérique); d’améliorer la desserte en transport en commun (en offrant des voies réservées partiellement en site propre jusque dans l’est de l’agglomération); d’agrandir la surface des espaces verts pour les quartiers limitrophes du projet et d’y réduire la circulation de transit, etc. D’autre part, ce projet était défendu par plusieurs acteurs (élus locaux, Collectif en Aménagement Urbain Hochelaga-Maisonneuve notamment) au nom d’une realpolitik : il était impossible pour eux que l’axe Notre-Dame, déjà un axe de transit très important, devienne autre chose qu’une autoroute. Devant cette «inévitabilité», ceux-là avaient décidé d’accepter – avec parfois des réserves mineures - le projet du Ministère des Transports du Québec.

La diversité des oppositions au projet rend également impossible de rendre compte de l’ensemble très hétéroclite des arguments qui ont mené au rejet du projet par les commissaires du BAPE. Il n’est pas faux de dire, toutefois, que les arguments les plus fréquents et les plus dommageables pour le projet portaient sur le caractère viable et durable de la solution du MTQ. En effet, selon les prédictions très optimistes du MTQ lui-même, les gains de fluidité allaient être annulés dès 2011 – moment où les augmentations de déplacements motorisés induits par la nouvelle infrastructure allaient à nouveau dépasser sa capacité théorique et résulter en des vitesses de circulation comparables à celles constatées aujourd’hui… à la différence près que c’est près du double de véhicules qui auraient été pris dans les bouchons en question. La solution du MTQ allait donc avoir des effets bénéfiques pendant quelques années tout au plus, la fin de la construction de l’autoroute en question étant prévue pour 2006. Les opposants ont donc réussi à convaincre les commissaires que, dès ce moment: 1) la plupart des effets positifs du projet allaient disparaître : de nouveau, on assisterait au débordement de la circulation de transit dans les quartiers limitrophes, les pertes de temps pour les camions desservant les industries seraient aussi grandes, le caractère partiel des voies en site propre ferait en sorte que la compétitivité du transport en commun ne serait pas optimale et : 2) la construction d’une autoroute n’était pas nécessaire à plusieurs des objectifs que se donnait le MTQ à travers ce projet : requalification des quartiers limitrophes et plus particulièrement de la rue Ste-Catherine, agrandissement des espaces verts dans ces quartiers, limitation des débits de circulation en voiture privée vers le centre-ville, etc. Bref, c’est dans cet esprit que la commission du BAPE a recommandé au gouvernement de réexaminer sa solution en collaboration avec les représentants de la Ville de Montréal qui avaient, en lieu et place de l’autoroute, proposé un projet de nouveau développement urbain dans lequel s’insérait un axe de transport.

Les négociations qui ont eu lieu à la suite du rapport du BAPE au sein d’un comité d’experts formé par la Ville et le MTQ ont été difficiles pour mener au projet actuel - qui respecte plus ou moins les volontés exprimées par la Ville aux audiences : le projet d’autoroute du MTQ étant pour lui une clé afin de pouvoir commencer le processus devant mener à la construction d’un nouveau pont sur la Rivière des Prairies en direction de Laval (d’ailleurs maintenant enclenché), il n’allait pas lâcher prise aussi facilement. Après quelques mois d’inertie, les négociations ont ainsi donné forme à un projet qui est passablement différent de ce que la Ville avait souhaité mais qui correspond quand même à quelques uns des principes énoncés au BAPE. Le véritable danger du projet actuel vient de ce que le contrôle du débit et de la vitesse de circulation (ce qui, au-delà de la rhétorique constituent les principales différences entre un boulevard urbain et une autoroute) ne sont garanties que par quatre feux de circulation qui pourraient très bien être retirés avec le temps (comme ce fût le cas sur la 440 à Laval et de la 116 sur la Rive-sud). C’est ce qui a fait dire à Robert Perreault, directeur du CRE-Montréal, que le projet pourrait très bien s’avérer celui de la construction d’une autoroute en deux temps. Le projet actuel – qui fera l’objet de consultations publiques très limitées cet automne (les consultations, semble-t-il, porteraient simplement sur les mesures d’apaisement de la circulation promises dans les quartiers limitrophes) – est en effet un compromis très important entre la Ville et le MTQ sur plusieurs points. En fait, la Ville a concédé au MTQ une emprise tellement large qu’elle empêche le nouveau développement urbain souhaité – ce qui était le point le plus important pour plusieurs groupes qui soutenaient le projet de la Ville. Mais le projet bonifie par ailleurs significativement le projet du MTQ sur d’autres points. Entre autres, les débits de circulation devraient être limités (si les promesses du Comité sont respectées) aux niveaux actuels si l’on considère l’ensemble du quadrilatère borné au sud par Notre-Dame et au nord par Sherbrooke – les autorités ayant promis des investissements à hauteur de $15 Millions dans des mesures d’apaisement de la circulation afin de s’en assurer; les voies réservées pour le viabus devant desservir l’est de l’île seraient en site propre sur toute la longueur du tracé, ce qui favorisera la performance des transports collectifs et le transfert modal; l’instauration de nouvelles voies réservées sur Pie-IX et Viau, ce qui permettra une meilleure desserte du sud du quartier Hochelaga-Maisonneuve un secteur très mal desservi par la STM, etc.

Les débats qui ont été menés alentour de la rue Notre-Dame semblent peut-être vains pour certains: trop limités, trop peu, trop tard diront-ils. Mais ils pourraient être le signe que nous assistons au début d’un nouveau régime d’organisation de nos déplacements dans la région de Montréal. Le temps en est venu et c’est en tout cas ce que nous souhaitons afin d’inscrire le développement de cette ville dans la durée plutôt que dans l’immédiateté et la tyrannie de l’urgence qui nous a menés ici aujourd’hui.


VertigO no 2, vol 3