VertigO - La revue en sciences de l'environnement sur le WEB, Vol 3 No 2 , Octobre 2002

La gestion des parcs-nature sur le territoire de la Ville de Montréal

Par VINCENT CARIGNAN,
Candidat au doctorat en Sciences de l’environnement,
Université du Québec à Montréal, courriel : vincent_carignan@hotmail.com



Résumé

     La Ville de Montréal gère depuis la fin des années ‘70 un réseau de neuf parcs-nature s’étendant sur une superficie de 13 km2 . Les objectifs de ce réseau sont la conservation des écosystèmes, l’éducation et la diffusion des connaissances et la pratique d’activités de plein air. Dans le but de consolider ces objectifs et de permettre leur application harmonieuse au sein de territoires restreints, la Ville s’est dotée d’un Programme de gestion des écosystèmes des parcs-nature comprenant quatre phases: inventaires biophysiques; évaluation des unités écologiques; interventions sur les écosystèmes; et suivi d’indicateurs. Le présent document s’articule principalement autour de la deuxième phase de ce programme étant donné son importance dans l’orientation des plans de mise en valeur des parcs-nature en regard aux objectifs fixés. Les critères permettant l’évaluation de la valeur écologique, de la susceptibilité à la dégradation et du potentiel éducatif des unités écologiques constituant les parcs-nature sont donc présentés et justifiés. Les potentiels et contraintes du réseau sont ensuite discutés.

Introduction

Il apparaît de plus en plus évident, notamment aux sociétés occidentales modernes, que la poursuite et l’épanouissement du développement des sociétés humaines à moyen et à long terme passe par une gestion intégrée de leurs ressources naturelles. Par conséquent, les pratiques de gestion traditionnelles centrées sur un nombre limité de ressources et dont la résolution des problèmes repose sur des interventions ponctuelles, s’avèrent être de moins en moins adaptées à rencontrer cet objectif. Ces pratiques cèdent donc graduellement le pas à des stratégies de gestion qui font appel à des principes mettant en relief le caractère interdépendant des ressources naturelles et favorisant le développement de pratiques qui intègrent des connaissances sur plusieurs ressources simultanément (Drapeau, 1994). C’est dans cet optique que la Ville de Montréal développe, depuis la fin des années 1970, son réseau de parcs-nature (CUM, 1987, 1989).

À ce jour, le réseau de parcs-nature compte à son actif neuf parcs couvrant collectivement 13 km2 (voir Figure 1 et Tableau 1; Ville de Montréal 2002) des derniers vestiges de milieux naturels d’importance sur le territoire de la Ville de Montréal. Sa constitution s’est déroulée suivant la logique voulant que la priorité en matière de conservation des sites naturels soit accordée en fonction de leur rareté. La Ville a donc reconnu dès le début l’importance des sites présentant une végétation arborescent mature et des zones humides. Cependant, bien qu’ils constituent les exemples les moins perturbés des milieux naturels de la région de Montréal, les parcs-nature n’en sont pas pour le moins intacts. Parmi maints exemples, la majorité des peuplements forestiers qui ont survécus à l’aire agricole et ensuite à l’urbanisation ont été perturbés au moment de la colonisation au début du 18e siècle. Certains ont subi des perturbations importantes pour ensuite se régénérer alors que d’autres ont simplement subi des coupes partielles afin de suffire à la demande en bois de chauffage en provenance des familles colonisant les terres agricoles adjacentes (Bourdages et al., 1988).

Figure 1 : Emplacement des neuf parcs-nature de la Ville de Montréal.


1 La catégorie III de l’union internationale pour la conservation de la nature (Monument naturel / élément naturel marquant) désigne une aire contenant un ou plusieurs éléments naturels ou culturels particuliers d'importance exceptionnelle ou unique, méritant d'être protégée du fait de sa rareté, de sa représentativité, de ses qualités esthétiques ou de son importance culturelle intrinsèque. À noter, cette désignation leur est conférée ici à titre indicatif seulement, les parcs-nature bénéficiant d’une protection qu’au niveau d’un règlement municipal et non au niveau d’une loi provinciale ou fédérale.

Tableau 1 : Information sur les neuf parcs-nature de la Ville de Montréal

Objectifs du réseau des parcs-nature

La Ville de Montréal a, à travers son réseau de parcs-nature, quatre missions distinctes que sont la conservation du milieu naturel, l’éducation, la récréation de plein air et l’intégration sociale (CUM, 1987; 1989, 1991). De par la nature de ces missions, on observe inévitablement des conflits dans leur application simultanée au sein d’un même territoire. Par exemple, dans plusieurs des parcs-nature, des travaux d’entretien des secteurs forestiers (ex. émondage), de drainage et de redressement des plans d’eau ont eut lieu dans le but de favoriser la tenue de certaines activités dans des secteurs autrefois défavorables à celles-ci alors que ces mêmes travaux peuvent avoir des conséquences néfastes en regard à l’aspect conservation des ressources biophysiques.

Les plans de mise en valeur des parcs-nature (ex. Domon et al., 1990a) visent justement à optimiser la cohabitation des différentes missions des parcs-nature en assurant la protection à court, moyen et long terme des écosystèmes tout en mettant pleinement à profit les possibilités offertes en matière d’éducation et de pratique d’activités de plein air. Tout ceci doit cependant se faire en respectant les objectifs généraux élaborés par la Ville de Montréal (CUM, 1991) qui consistent à : (1) maintenir et améliorer le patrimoine naturel; (2) maintenir la diversité biologique tant au niveau végétal qu’animal; (3) renaturaliser les milieux perturbés et; (4) préserver et réintroduire les espèces indigènes; ainsi que ceux stipulés dans les plans directeurs (ex. Option Aménagement, 1989) visant à: (1) améliorer l’accessibilité aux plans d’eau; (2) unifier les différentes composantes des parcs et; (3) intégrer les parcs à la trame urbaine.

Afin de mener à bien ces objectifs, la division des parcs-nature de la Ville de Montréal a fait réaliser diverses études concernant leurs ressources biophysiques et leurs potentiels de conservation, d’éducation et de récréation. Ces études ont permis de jeter les bases du Programme de gestion des écosystèmes (Cogliastro et al., 1996) qui comprend quatre phases:

  1. Inventaires biophysiques, i.e. acquisition de connaissances détaillées sur les caractéristiques biotiques et abiotiques des parcs-nature;
  2. Évaluation écologique permettant de gérer les écosystèmes des parcs-nature sur la base des connaissances préalablement acquises et d’identifier les pôles d’intérêt qui, à l’intérieur même des parcs, permettent de consolider les objectifs de conservation, d’éducation et de récréation. Cette phase vise également à dégager, pour chacune des unités des parcs, une affectation qui soit pleinement en accord avec les caractéristiques du milieu et ainsi permettre la localisation optimale des équipements (chalets; sentiers, stationnements, etc.);
  3. Interventions sur les écosystèmes permettant d’orienter l’aménagement des parcs-nature sur la base d’une mise en valeur de leurs écosystèmes. Cette phase vise à permettre le maintien et l’amélioration du patrimoine naturel. Le but n’est pas nécessairement de recréer des communautés climaciques1 mais plutôt de maintenir la qualité écologique des milieux, de restaurer des sites dégradés ou de rendre le milieu propice à la tenue de certaines activités éducatives et de plein air;
  4. Programme de surveillance permettant de suivre l’évolution des différentes unités écologiques des parcs. Cette phase vise à évaluer les changements dans la qualité et l’intégrité des écosystèmes. Il doit permettre de détecter rapidement tout changement significatif des caractéristiques écologiques du milieu de façon à mettre en place les correctifs nécessaires au maintien de sa qualité.
Dans l’optique où une municipalité accorde dans les faits une importance à la préservation des espaces naturels dans son schéma d’aménagement, il apparaît essentiel que le premier geste à poser consiste en un inventaire biophysique intégré de ces unités écologiques2 . La détermination de la valeur d’une unité par rapport à une autre repose avant tout sur la connaissance de l’ensemble des paramètres rencontrés. Tel que mentionné par Drapeau (1983), il est une grave erreur qui a trop souvent cours d’établir les potentialités de tout un système à partir d’un seul élément. De plus, il est impossible de donner de façon significative un potentiel à chaque parcelle en l’absence d’un véritable cadre biophysique intégré de référence permettant de hiérarchiser les unités selon les paramètres qui les caractérisent. La connaissance des caractéristiques biophysiques constitue donc la première étape vers un aménagement adéquat et intégré de l’ensemble des unités écologiques d’un territoire ou à l’intérieur même de chaque unité. Cependant, une étude intégrée n’est pas pour autant un plan d’aménagement mais représente plutôt un outil indispensable qui, de concert avec les intérêts de la collectivité, permet aux intervenants de faire un choix plus éclairé. Une fois ce pas fait, les administrations municipales peuvent déterminer, pour l’ensemble des unités, les potentiels et contraintes intrinsèques à chaque parcelle en les confrontant avec les besoins et aspirations de la population.

En concordance avec la philosophie ci-haut mentionnée, les inventaires biophysiques commandés par la Ville de Montréal comprenaient trois volets:

  1. historique (inventaire archéologique, recherche et analyse de cartes et documents anciens, étude des titres et actes de vente enregistrés à l’index des immeubles). Cette composante a permis de mieux cerner la dynamique d’ensemble du territoire et d’identifier la présence d’éléments d’intérêt particulier fournissant, notamment, les grandes lignes de son évolution;
  2. biophysique (biotique et abiotique). Cette composante a compris une expertise touchant à la géomorphologie, à la pédologie, à l’écologie végétale et à l’écologie animale. Elle a permis de déterminer comment les variables biotiques et abiotiques ont été façonnées par l’historique d’occupation du site;
  3. évaluation. Cette composante a permis d’intégrer l’ensemble des informations résultant des deux volets précédents afin d’évaluer le potentiel reflétant la triple vocation du réseau des parcs-nature. Ces potentiels sont respectivement donnés par les indices formant la valeur écologique, la fragilité abiotique (ou susceptibilité du milieu à la dégradation) et le potentiel éducatif.
Concernant l’indice sur la valeur écologique, la végétation fut utilisée comme un indicateur qui intègre les autres caractéristiques de l’environnement grâce à sa position intermédiaire entre les facteurs abiotiques et la faune (Boivin et al., 1991). L’avifaune, quant à elle, représentait un bon indicateur pour la faune en général du fait que les oiseaux sont sensibles aux conditions d’habitats et à leurs modifications, et ce, à plusieurs échelles (Temple et Wiens, 1989; Drapeau et al., 2000).

Le concept d’évaluation biophysique des aires naturelles fondé sur l’application de critères explicites date des années 1970 (Gehlbach, 1975; van der Ploeg et Vlijm, 1978) et a connu un essor important dans les années 1980 (Margules et Usher, 1981; Wathern et al., 1986; Smith et Theberge, 1986, 1987). Au Québec, ce type d’études a été appliqué sur l’ensemble du territoire couvert par les parcs-nature (Bourdages et al., 1988, 1990; Domon et al., 1990b; Boivin et Boily, 1991; Boivin et al., 1991; Robert, 1993), sur d’autres bois de l’île de Montréal (Domon et al., 1986) et dans la région agricole de la Plaine du Saint-Laurent (Langevin et Bélanger, 1994; Langevin, 1997). Les procédures d’évaluation contenues dans ces documents se rapportent en totalité ou en partie à des critères établit et reconnus au niveau international (Smith et Theberge, 1986, 1987). Les sections qui suivent explicitent les critères utilisés dans l’évaluation de la valeur écologique, de la fragilité abiotique et du potentiel éducatif des unités écologiques constituant les parcs-nature.

Indice sur la valeur écologique

L’indice sur la valeur écologique est constitué de deux indicateurs, la flore et l’avifaune. La composante floristique de cet indice se base sur les critères incluant:

  1. l’unicité des communautés végétales, c’est-à-dire leur rareté en terme de distribution par rapport aux communautés typiques du Sud du Québec; de répartition régionale et d’appartenance à un type de communauté mature ou de succession. L’utilisation de ce critère est fondée sur le principe de conservation stipulant qu’un certain nombre d’exemplaires de chaque type de communauté forestière doivent être préservés;
  2. la représentativité des communautés constitue une mesure de comparaison de la composition floristique de la communauté par rapport à ce que l’on pourrait appeler la communauté typique à laquelle elle appartient;
  3. le niveau de succession/perturbation met en évidence le degré d’évolution naturel des communautés ainsi que la présence de perturbations naturelles ou anthropiques ayant modifié la composition floristique. Ce critère cherche à révéler le degré d’évolution naturelle des communautés en distinguant les peuplements les plus matures de ceux étant à un stade de succession moins avancé, tout en tenant compte de la présence de perturbations d’origine naturelle ou anthropique. Trois indicateurs différents sont utilisés pour évaluer cette situation: l’importance des espèces héliophiles (bénéficiant d’une grande exposition à la lumière et donc associées aux perturbations), la similarité entre la strate arborescente et la strate des gaulis (permettant de projeter la composition future de la strate arborescente) et enfin l’abondance des espèces introduites;
  4. la présence d’espèces végétales rares. Ce critère se fonde essentiellement sur le consensus face à la nécessité d’assurer la préservation de la diversité biologique à l’échelle mondiale (UICN, 1980);
  5. la richesse en espèces végétales. Ce critère vise à mettre en évidence les communautés les plus riches qui présentent un intérêt non négligeable sur le plan de la préservation de la diversité biologique;
Une échelle de valeurs est ensuite attribuée à chaque critère et une sommation est effectuée, permettant ainsi de calculer la valeur écologique pour chaque unité écologique du site.

La composante aviaire de l’indice de valeur écologique se base sur les critères suivants:

(1) Unicité de l’habitat. Vise à mettre en évidence les habitats rares ou uniques à l’échelle régionale. Ce critère s’inscrit dans l’optique voulant que les sites rares ou peu communs bénéficient d’une priorité de conservation. Ce critère semble avoir été inclus dans la composante aviaire de l’indice de valeur écologique en regard au lien direct entre le type d’habitat et le type de communauté d’oiseau qu’on y retrouve; (2) Qualité de la communauté d’oiseaux. Ce critère comporte une certaine part de subjectivité en assumant que les communautés aviaires appartenant aux milieux forestiers sont de meilleure qualité. Ce critère est cependant bien adapté à représenter la susceptibilité des communautés au phénomène de la fragmentation forestière qui affecte particulièrement les espèces spécialisées dans l’utilisation de l’intérieur des forêts. De plus, il est généralement admit que les espèces généralistes occupent une place de plus en plus prépondérante au fur et à mesure que le couvert forestier diminue et que ces espèces requièrent, par conséquent, un degré moindre de protection; (3) rareté spécifique. Vise à faire ressortir l’importance des espèces menacées présentes dans les unités; (4) Éléments particuliers. Vise à tenir compte des sites considérés critiques pour l’accomplissement du cycle vital d’une espèce ou d’un groupe d’espèces. Suivant la même méthode que dans le cas de la composante floristique, une échelle de valeurs est attribuée à chaque critère et une sommation est effectuée, permettant ainsi de calculer la valeur écologique pour chaque unité écologique du site. L’addition des valeurs écologiques pour la faune et la flore permet ensuite de calculer la valeur écologique globale de chaque unité écologique.

Indice de fragilité abiotique

La fragilité abiotique (ou susceptibilité du milieu à la dégradation) permet l’évaluation des composantes abiotiques des unités écologiques. Les critères retenus ont été identifiés dans des études antérieures montrant la sensibilité de certains milieux à divers degrés de fréquentation. L’indice est constitué des critères suivants:

  1. le drainage; Ce critère fait référence au lien qui existe entre le type de drainage du sol et le type de communauté végétale que l’on retrouve sur un site. Les communautés végétales sur sites humides sont plus susceptibles à la dégradation suite au piétinement ou aux changements dans le drainage.
  2. la submersibilité; Ce critère influence le type de communauté végétale qui se trouvera sur un site particulier.
  3. la texture de l’horizon B du sol; Ce critère est en corrélation avec la fragilité du sol face à la compaction.
  4. la pente. Ce critère reflète la plus grande propension à la dégradation des sols suite au lessivage des nutriments et de la matière organique sur les pentes plus prononcées.
Une échelle de valeurs est attribuée à chaque critère et une sommation est effectuée. Une valeur de susceptibilité à la dégradation est ensuite attribuée à chaque unité écologique du site.

La combinaison des indices de la valeur écologique globale et de la fragilité abiotique permet de constituer l’Indice de Sensibilité des unités écologiques.

Potentiel éducatif

La dernière étape du processus d’évaluation consiste en la détermination du potentiel éducatif. Cet indice réfère également aux critères d’unicité, de représentativité et de rareté en plus des critères suivants:

  1. la superficie des unités écologiques. Ce critère est pertinent compte tenu que le contact avec le milieu est susceptible d’être renforcé et privilégié dans les secteurs homogènes de plus grande superficie;
  2. la présence d’éléments particuliers relatifs à d’autres volets que la végétation, tel la faune (autre qu’aviaire) et la géomorphologie;
  3. la représentativité de phénomènes écologiques, tels que les successions végétales par rapport à une séquence typique (ex. agricole, arbustif et arborescent). Ce critère représente la dynamique d’utilisation du territoire au cours des derniers siècles.
Une fois que la classification de chacune des unités écologiques en fonction des indices de la valeur écologique, de la fragilité abiotique et du potentiel d’éducation a été effectuée, les gestionnaires des parcs-nature peuvent commencer la planification de la mise en valeur du territoire en respectant les potentiels et contraintes associés à chaque unité du territoire.

Les parcs-nature: passé, présent et futur

Tel que mentionné en introduction, la vaste majorité du territoire des parcs-nature est constituée de zones qui n’ont pas échappé aux pressions anthropiques reliées à l’agriculture et à l’urbanisation. Avant, pendant et après leur création, les parcs-nature ont subi plusieurs assauts entre autre par l’entremise de la construction de routes, de lignes à haute tension ou de voie de chemin de fer. Dans plusieurs parcs-nature, la proximité de ces infrastructures de transport engendre une pollution sonore qui diminue le caractère refuge et constitue un désagrément majeur. Le développement résidentiel et industriel intense est un autre problème majeur qui continue aujourd’hui à porter atteinte à l’intégrité des parcs que ce soit de façon directe ou indirecte. Pensons simplement à la prolifération des écureuils, ratons-laveurs et animaux domestiques associés à la présence humaine et qui exercent une pression de prédation élevée sur la faune indigène.

À l’intérieur même des parcs, plusieurs travaux d’aménagement ont diminué l’intégrité écologique. Le redressement des plans d’eau (ex. ruisseau de l’Anse-à-l’Orme; ruisseau Bertrand du Bois-de-Liesse) et le drainage (Cap Saint-Jacques) constituent des exemples relatifs à l’aspect hydrologique. Une étude par Domon et Bouchard (1981) dans le Bois-de-Saraguay suggère qu’alors que la faune est reconnue comme étant susceptible d’être affectée par les travaux d’assèchement des milieux humides (ex. canards), des changements importants au niveau de la végétation peuvent également résulter de ceux-ci. Des changements dans la dynamique d’écoulement des eaux sont susceptibles d’entraîner le remplacement de certaines espèces (Érable argenté, Chêne à gros fruits) par des espèces de milieu mésique (Érable à sucre) et par le fait même de résulter ultimement en une diminution de la diversité en communautés au niveau de l’ensemble du parc.

Les travaux d’émondage et l’abattage d’arbres constitue un autre problème. Dans le but de préserver le caractère naturel d’un site, il y aurait lieu de limiter l’émondage aux arbres et aux branches qui représentent un obstacle ou un danger réel pour les utilisateurs. Pour la même raison, il n’apparaît pas utile de dégager toute la strate arborescente qui surplombe les sentiers. Plusieurs espèces de pics fréquentent les parcs d’où l’importance de conserver des arbres morts dont ils se servent pour leur alimentation et leur nidification.

L’île de Montréal et ses parcs

Dans la majorité des parcs, malgré un caractère forestier variable (moyenne de 43%, varie de 30 à 65%; Cogliastro et al., 1991), un nombre important d’espèces aviaires sont caractéristiques des milieux ouverts et de lisières (52% à Cap Saint-Jacques; 60% Anse-à-l’Orme et au Bois-de-Saraguay) et la constance élevée du Vacher à tête brune (une espèce parasite) est inquiétante. Il semble que seul le Bois-de-l’Ile-Bizard soit dominé par une avifaune caractéristique des milieux forestiers (Robert, 1993). Plusieurs espèces caractéristiques des forêts matures et sensibles au morcellement de la forêt (ex. Paruline couronnée) ont été très peu observées dans stations d’écoutes situées dans les parcs-nature (moins de 5% au Cap Saint-Jacques et au Bois-de-Saraguay, moins de 10% à l’Anse-à-l’Orme). L’importance des champs et des friches dans les parcs-nature permet cependant d’entrevoir qu’il existe des possibilités d’améliorer cette situation. Plusieurs recommandations de gestion issues des travaux effectués dans le cadre du Programme de gestion des écosystèmes soulignent l’importance de consolider les massifs forestiers dans les parcs en favorisant la succession des friches et champs de manière à réduire les effets de la fragmentation forestière sur la faune et de mieux protéger l’intégrité des différents massifs boisés afin de favoriser une avifaune nicheuse représentative des milieux forestiers. Cependant, le but des parcs-nature n’est pas de retourner à un état où le couvert forestier occupe 100% du territoire. En fait, il paraît indubitable qu’à l’égard de l’utilisation récréative des parcs, que l’alternance de milieux ouverts (champs et friches) et de milieux boisés, en évoquant l’occupation agricole jadis dominante, constitue un des attraits majeurs. La ville devra, par conséquent, bien réfléchir aux options touchant l’évolution de ces milieux, i.e. doit-on favoriser la dynamique naturelle, accélérer la succession ou la ralentir? Tout cela doit se faire dans l’optique des résultats obtenus dans les études d’inventaires biophysiques qui démontrent que les zones ouvertes ont des valeurs écologiques nettement moindres que les zones boisées.

Bien que la composition de l’avifaune soit dominée par des espèces associées aux milieux ouverts dans la majorité des parcs, on retrouve plusieurs espèces d’oiseaux qui sont caractéristiques des milieux forestiers. Ce résultat pourrait donner la fausse impression que ces espèces ont tout ce qu’elles ont besoin à l’intérieur des limites des parcs et que la modification ou la disparition des bois à l’extérieur des parcs serait sans conséquences. La réalité est cependant tout autre; plusieurs parcelles boisées de l’intérieur des parcs sont en fait raccordées (par des liens physiques ou simplement par une proximité relative) à des parcelles forestières ne jouissant pas de statut de protection. Il est important de retenir que le potentiel d’utilisation des parcelles boisées par l’avifaune forestière n’est pas lié uniquement aux caractéristiques intrinsèques du territoire du parc. Les parcelles boisées du parc font effectivement partie d’ensembles forestiers. Dans certains parcs tel l’Anse-à-l’Orme, la situation est d’autant plus critique qu’il y a absence totale de massif forestier à l’intérieur des limites du parc. La reconnaissance de cette dynamique entre l’utilisation du paysage par les collectivités humaines et les effets de cette dernière sur le maintien de la diversité biologique des sites naturels qui jouissent d’un statut de protection est à considérer tant dans l’élaboration des mesures de gestion des populations d’organismes habitant ces territoires protégés que dans la conception des programmes d’éducation offerts au public.

La situation ci-haut mentionnée souligne un des problèmes majeurs concernant les limites des parcs, i.e. elles ne respectent aucunement les limites naturelles des écosystèmes et s’accommodent mal de la répartition des ressources. Le cas est particulièrement flagrant dans le parc de l’Anse-à-l’Orme puisque ce dernier à été délimité selon la disposition du cadre cadastral de la région. Bien qu’il existe un règlement à la Ville de Montréal (Règlement numéro 65 concernant le contrôle intérimaire de l’aménagement du territoire) qui accorde un certain degré de protection aux territoires non-protégés adjacents aux parcs, ce règlement est facilement contourné ou ignoré par la Ville (exemple de l’usine Matrox située dans le secteur Bois-Franc du Bois-de-Liesse qui a rasé une partie du bois pour construire son stationnement et un terrain de jeux). Bien que les surfaces retirées aux parcs semblent peu importantes, il n’en demeure pas moins qu’elles sont nécessaires au maintien de la faune et de la flore. Généralement peu perceptibles et graduelles, ces pertes s’accumulent au fil du temps et ont des répercussions non-négligeables.

En plus des problèmes de limites physiques des parcs et de la faible superficie qu’ils occupent individuellement et collectivement, certaines composantes des parcs, notamment au parc de Pointe-aux-Prairies, sont loin de constituer un aspect naturel (usine d’épuration des eaux usées de la Ville de Montréal, cimetières, dépotoir de cendres d’incinérateur, etc.). Ce n’est donc pas la totalité des 13 km2 2 couverts par les parcs-nature qui doivent être considérés en tant qu’habitats naturels, d’où l’importance accrue de la consolidation des massifs forestiers de l’intérieur et de l’extérieur des parcs.

Conclusion

Les rétroactions qui ont cours entre les conditions régionales et les conditions locales des sites naturels et les effets qui en résultent sur la dynamique de populations animales telles les oiseaux, nous montrent l’importance du rôle que, pris dans son ensemble, le réseau des parcs-nature peut jouer dans la réutilisation des parcelles boisées des parcs. Vu sous l’angle de la biogéographie régionale, les parcs régionaux peuvent constituer pour l’avifaune un réseau d’habitats forestiers permettant le maintien à l’échelle du territoire de l’île de Montréal de métapopulations ou populations régionales (Merriam, 1988). Le réseau peut donc, non seulement devenir pour les collectivités humaines un circuit récréatif intéressant mais il peut également contribuer, s’il est planifié en conséquence, à maintenir la valeur écologique de chacun des parcs et, par ricochet, de l’ensemble des habitats naturels de l’île de Montréal.

Implications pour la viabilité de la ville

Dans son rapport final émit dans le cadre de l’Initiative sur les Villes Viables, la Table Ronde Nationale sur l’Environnement et l’Économie indiquait que « Dans les villes, la distinction que l’on faisait autrefois entre les luxes environnementaux et les nécessités économiques commence à se brouiller pour ne pas dire s’estomper complètement ». Les auteurs citent plusieurs exemples (approvisionnement en eau potable, réduction des particules en suspension et du smog urbain, réduction des embouteillages) démontrant que la qualité de l’environnement est une condition sine qua non au succès du développement et de l’épanouissement d’une ville dans la mesure où les coûts économiques et sociaux d’un manque de contrôle ou de planification de ces paramètres peuvent rapidement surpasser les coûts associés à l’aspect opérationnel de telles mesures. Les spécialistes de la Banque mondiale en sont d’ailleurs venus à la conclusion que le dysfonctionnement urbain coûte déjà à certaines villes entre 5 et 8 % du produit intérieur brute régional. La viabilité de l’ensemble des activités se déroulant sur le territoire d’une ville semble donc indispensable. Au cours des prochaines décennies, les villes devront assumer un rôle encore plus crucial dans la poursuite du développement durable au fur et à mesure que la proportion de la population humaine y habitant augmentera.

Bien que le réseau des parcs-nature ne constitue qu’une composante de la viabilité de la Ville de Montréal, son importance est loin d’être négligeable de par la multiplicité des services qu’il procure tant au niveau de la conservation de la diversité biologique que des activités d’éducation et de plein air pouvant se dérouler au cœur même d’un territoire densément peuplé. N’étant pas exposés quotidiennement à une dégradation visible (ex. coupes à blanc) du réseau et bénéficiant d’un accès facile à celui-ci, peu de montréalais réalisent que leurs activités ont des répercussions cumulatives importantes sur les espaces naturels. Si des mesures concrètes et efficaces ne sont pas adoptées afin de stopper la dégradation des parcs-nature et de protéger les milieux naturels se situant en périphérie, le réseau ne sera plus en mesure de fournir les services qu’il procure à l’heure actuelle et des conséquences néfastes pourraient éventuellement apparaître.


Références 1 Dans la région de Montréal, ces communautés correspondent à l’Érablière à Caryer sur les sites mésiques et à l’Érablière argentée sur les sites humides. 2 Parcelle d’habitat présentant des caractéristiques de structure et de composition homogènes.
Litérature citée

Boivin, R., et Boily, M. 1991. Caractéristiques écologiques du secteur Bois-Franc au parc régional du Bois-de-Liesse (pôle naturel : milieu forestier). Département des Sciences Biologiques, Université du Québec à Montréal.

Boivin, R., Boily, M., et Giroux, S. 1991. Caractéristiques écologiques du parc régional du Bout-de-l’île. Rapport présenté à la CUM par l’Université du Québec à Montréal.

Bourdages, J.-L., Gauvin, C., Robert, M., Domon, G., Bouchard, A., et Drapeau, P. 1988. Études des ressources et des potentiels du Parc régional du Cap- Saint-Jacques. Centre de Recherche Écologiques de Montréal, Université de Montréal.

Bourdages, J.-L., Domon, G., Cloutier, L., Drapeau, P., et Bouchard, A. 1990. Caractéristique écologiques et potentiels du parc régional de l’Anse-à-l’Orme. Centre de Recherche Écologiques de Montréal, Université de Montréal.

Cogliastro, A., Lajeunesse, D., Bouchard, A., et Labrecque, M. 1991. Rapport trimestriel, Août 1991. Rapport préparé pat l’Institut de Recherche en Biologie Végétale de l’Université de Montréal pour la Communauté Urbaine de Montréal.

Cogliastro, A., Lajeunesse, D., Domon, G., et Bouchard, A. 1996. Programme de gestion des écosystèmes des parcs-nature de la communauté urbaine de Montréal. Institut de Recherche en Biologie Végétale, Université de Montréal. 136 pages.

Communauté Urbaine de Montréal. 1987. Des parcs régionaux au réseau récréo-touristique (consultation sur la mise en valeur et l’avenir des parcs régionaux). Commission de l’aménagement, Service de Planification (CUM) et Inter-Actions. 61 pages.

Communauté Urbaine de Montréal. 1989. La Communauté Urbaine de Montréal…naturellement (Stratégie d’action pour les espaces naturels : Grandes orientations). Service de la Planification du Territoire. 17 pages.

Communauté Urbaine de Montréal. 1991. Choix d’orientations. Service de la Planification du Territoire, CUM. 29 pages.

Domon, G., et Bouchard, A. 1981. La végétation et l’aménagement du parc régional du Bois-de-Saraguay. Jardin Botanique de la Ville de Montréal.

Domon, G., Bergeron, Y., et Mousseau, P. 1986. La hiérarchisation des unités forestières et des bois en milieu urbain sur la base de leur valeur écologique. Biological Conservation 37: 157-177.

Domon, G., Vincent, G., et Bouchard, A. 1990a. Le Bois-de-Saraguay : mission et orientations. Jardin Botanique de la Ville de Montréal.

Domon, G., Vincent, G., et Bouchard, A. 1990b. Histoire et caractéristiques du Bois-de-Saraguay. Jardin Botanique de la ville de Montréal.

Drapeau, P. 1983. L’avifaune des zones boisées de la ville de Laval. Centre de Recherches Écologiques de Montréal, Université de Montréal.

Drapeau, P. 1994. Le suivi de la faune dans les parcs régionaux de la CUM et l’emploi d’un indicateur, l’avifaune. Division des parcs régionaux de la CUM.

Drapeau, P., A. Leduc, J.-F. Giroux, J.-P. Savard, Y. Bergeron, et W.L. Vickery. 2000. Landscape-scale disturbances and changes in bird communities of eastern boreal mixed-wood forest. Ecological Monographs 70: 423-444.

Gehlbach, F.R. 1975. Investigating, evaluation, and priority ranking of natural areas. Biological Conservation 8: 79-88.

Langevin, R. 1997. Guide de conservation des boisés en milieu agricole. Ministre des Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada.

Langevin, R., et Bélanger, L. 1994. Conservation des îlots boisés en paysage agricole. I. Revue de littérature et synthèse des connaissances sur leur utilisation par l'avifaune. Série de rapports techniques no. 221, Service Canadien de la Faune, Environnement Canada.

Margules, C., et Usher, M.B. 1981. Criteria used in assessing wildlife conservation potential : A review. Biological Conservation 21 : 79-109.

Merriam, G. 1988. Landscape ecology : the ecology of heterogeneous systems. Pages 43-50 dans M.R. Moss (éd). Landscape ecology and management. Polyscience publications, Montréal.

Option Aménagement. 1989. Parc régional du Bout-de-l’Isle (plan directeur d’aménagement). Communauté Urbaine de Montréal. 49 pages.

Robert, M. 1993. Étude de l’avifaune nicheuse des parcs régionaux de l’Île-de-la-Visitation, du Bois-de-Liesse et du Bois-de-l’île-Bizzard. Division des parcs régionaux CUM.

Smith, P.G.R., et Theberge, J.B. 1986. A review of criteria for evaluating natural areas. Environmental Management 10 : 715-734.

Smith, P.G.R., et Theberge, J.B. 1987. Evaluating natural areas using multiple criteria: Theory and practice. Environmental Management 11: 447-460.

Table Ronde Nationale sur l’Environnement et l’Économie. Http://www.nrtee-trnee.ca/fre/programs/ArchivedPrograms/sustainable_cities/sustainable_cities_f.htm Accédé le 16 avril 2002.

Temple, S.A., et Wiens, J.A. 1989. Bird populations and environmental changes: Can birds be bio-indicators. American Birds 43 :260-270.

UICN. 1980. Stratégie mondiale de la conservation. La conservation des ressources vivantes au service du développement durable.

van der Ploeg, S.W.F., et Vlijm, I. 1978. Ecological evaluation, nature conservation and land use planning with particular reference to methods used in the Netherlands. Biological Conservation 14: 197-221.

Ville de Montréal. 2002. Parcs-nature: Notes historiques. http://www.ville.montreal.qc.ca

Wathern, P., S.N. Young, I.W. Brown, and D.A. Roberts. 1986. Ecological evaluation techniques. Landscape Planning 12: 403-420.


VertigO no 2, vol 3