VertigO - La revue en sciences de l'environnement sur le WEB, Vol 3 No 2 , Octobre 2002

CULTIVER LA VILLE VIABLE AU NIGÉRIA ET À MEXICO

Par ÉMILIE MARTEL, et ÉLISSA COHEN
Étudiantes à la maîtrise en sciences de l’environnement à l'Université du Québec à Montréal,
Institut des Sciences de l’environnement



Introduction
      Comme un mirage en plein désert, les jardins suspendus de Sémiramis à Babylone surplombaient la ville, leur verdure arrosée par une système de canalisations retombant en cascade et alimentant toutes les longueurs des plateaux fleuris. Diodorus Siculus, historien grec du temps de Jules César, disait que les arbres et les fleurs qui poussaient dans ces jardins «donnaient du plaisir à tous ceux qui les voyaient.1» L’histoire de ces jardins émerveille tous ceux qui étudient le mythe de leur splendeur. L’idée d’un jardin en milieu urbain rassemble notre désir d’être à la fois une partie de la nature mais aussi de la surpasser - dans le jardin, nous sommes une création de la nature, dans la ville nous sommes les créateurs. Le jardin et la ville sont au cœur de bien des rêves utopiques.

À la base, les jardins de Sémiramis ont été construits simplement pour le plaisir de la chose. Aujourd’hui, bien qu’il y ait abondance d’espaces verts dans les villes (bien que ce ne soit pas l’opinion de tous), beaucoup de jardins en milieu urbain servent un autre but – l’agriculture. La poussée d’urbanisation dans le monde a créé des villes qui ne sont pas viables. En termes physiques, la ville consomme plus qu’elle ne peut produire et génère plus de déchets que de solutions pour s’en débarrasser. Dans la majorité de villes du Tiers Monde, cette incapacité de produire force les citadins à cultiver leur propre nourriture pour survivre et pour compléter le revenu familial. De la même façon, les habitants des villes du Nord pratiquent l’agriculture en milieu urbain comme alternative à l’achat de leur nourriture, pour éviter de consommer des produits chimiques ou des aliments génétiquement modifiés et pour recycler leurs ordures ménagères. L'agriculture urbaine est une activité bien visible de par son ampleur et de la proportion de plus en plus importante des citadins qui la pratiquent.

Portés à produire assez de nourriture pour leurs familles en cultivant en milieu urbain, ces citadins contribuent, à bon escient ou pas, à édifier les bases de la ville viable. L’agriculture urbaine peut augmenter la productivité collective, constituer un multiplicateur d'emplois, contribuer à la réhabilitation et à la valorisation des espaces vacants et servir à fermer le cycle de la ville en réduisant le transport des aliments, en diminuant la quantité de déchets et en recyclant les déchets organiques. De plus, l'agriculture urbaine participe à réduire les importations et à combattre la malnutrition. Par ce travail, nous chercherons à montrer comment l’agriculture urbaine peut cultiver la ville viable. Pour ce faire, nous allons premièrement définir le concept d’agriculture urbaine. Ensuite, nous allons dénombrer les façons dont l’agriculture urbaine peut favoriser le développement durable. En outre, nous allons décrire deux cas pour donner des exemples des utilisations de l’agriculture urbaine et de la façon dont les villes poursuivent la viabilité.

Définir l’agriculture en milieu urbain

D’après le Centre de Recherche pour le développement international (CRDI), l’agriculture urbaine est définie comme :

«une activité qui a pour objet de produire, de conditionner et de commercialiser des produits alimentaires et d'autres produits, sur le sol et sur l'eau, dans les régions urbaines et périurbaines, en ayant recours à des méthodes de production intensive et en utilisant ou en réutilisant les ressources naturelles et les déchets urbains2»
L’agriculture urbaine fait allusion à une vaste gamme d’entreprises agricoles dans les limites de la ville qui s’exprime sous de nombreuses formes. D’abord, il y a la formule des jardins communautaires, où un terrain est divisé entre quelques ménages qui occupent leurs espaces pour des fins domestiques. D’autre part, les agriculteurs peuvent utiliser des jardins sur les toits, les seuils des fenêtres et des arrière-cours pour cultiver à des fins domestiques ou pour la vente. Finalement, il y a les jardins corporatifs où l’on fait pousser des légumes, des herbes, des fleurs et où on élève des animaux pour la vente en gros et de détail. La majorité des agriculteurs du Tiers Monde en milieu urbain sont des femmes, car elles peuvent combiner la production de nourriture et le soin des enfants3. La pratique peut servir de point d'entrée des femmes dans l'entrepreneuriat et le marché du travail urbain4.

Les raisons poussant les citadins à s’investir dans des activités d’agriculture urbaine sont nombreuses et variées. La grande majorité le font pour des fins domestiques, c’est-à-dire pour nourrir leur famille. L’agriculture en milieu urbain est aussi une façon d’augmenter les revenus de la maison. Dans certains cas, l’agriculture urbaine est une industrie où les produits peuvent être livrés à très courte échéance aux consommateurs urbains. Dans beaucoup de villes du Nord, l’agriculture urbaine est plus ou moins supportée par les municipalités. Au Tiers Monde, les agriculteurs sont soumis à des mesures répressives de la part administrateurs et planificateurs municipaux5.

Un pas vers la ville viable

«Une agriculture urbaine reconnue et favorisée par les pouvoirs publics pourrait devenir un élément important du développement de la ville et augmenter la quantité d'aliments dont disposent les citadins pauvres. Une telle initiative devrait avoir pour principaux objectifs d'améliorer la nutrition et la santé des pauvres, d'alléger leurs budgets familiaux (dont 50 à 70 % sont en général consacrés à l'alimentation), leur permettre de se faire des revenus supplémentaires et de trouver des emplois. L'agriculture urbaine peut aussi contribuer à fournir des produits plus frais et meilleur marché, à augmenter les superficies d'espaces verts, à faire disparaître les dépotoirs et à recycler les ordures ménagères.6»
L’agriculture urbaine peut aider à édifier la ville viable. Plusieurs justifications ont été trouvées pour faire valoir l’argument que cette pratique peut contribuer au développement durable. Les plantes cultivées en ville pourront mitiger l’effet de l’eau de pluie, servir de barrière contre le bruit, nettoyer l’air en produisant de l’oxygène, absorber le dioxyde de carbone et contrôler la température par l’ombre qu’elles offrent et par le phénomène de transpiration.7

Plus spécifiquement, l’agriculture urbaine pourrait réduire le transport relié à la nourriture. La majorité du transport de la nourriture est routier ou aérien, ce qui en demande énormément pour l’environnement en raison du recours aux combustibles fossiles8. La nourriture produite localement diminue les besoins en déplacements, à la fois pour distribuer les aliments et pour les acheter. En outre, l’emploi dans l’agriculture locale rend inutile le besoin de se déplacer pour le travail. D’ailleurs, la production de nourriture en milieu urbain pourrait réduire les déchets en diminuant ou en éliminant l’emballage des produits alimentaires9. Puisque la nourriture est produite et consommée localement et n’a pas besoin de voyager longtemps, l’emballage protecteur peut être laissé de côté.

Une autre contribution que l’agriculture urbaine fait à la ville viable est de fermer le cercle de consommation et de déchets, ce que nous appelons la chaîne d’utilisation ou chaîne d’usage. La ville a un métabolisme, ce qui veut dire qu’elle prend les produits dont elle a besoin pour survivre et rejette des déchets. Une gestion rationnelle des déchets urbains par le recyclage et le compostage permettrait de fournir des matières organiques utilisées par les agriculteurs urbains10. Le compostage rend très utile les déchets ménagers comme fertilisant pour le sol et réduit la quantité de déchets envoyés en décharge. Jusqu’à maintenant, il n’y a aucun société urbaine qui entreprend systématiquement un procédé régulier de collecte, de compostage et de réutilisation des déchets organiques. Des études ont révélé que l’utilisation du compost urbain peut enrichir le contenu et la structure organique des sols, conserver l’eau, réduire l’utilisation de pesticides et réprimer les maladies des plantes11.

La conservation de la biodiversité est un autre façon pour l’agriculture urbaine de favoriser la ville viable. Les agriculteurs cultivent souvent des variétés de plantes qui ne sont pas disponibles dans les supermarchés. De plus, les terrains utilisés pour l’agriculture urbaine peuvent attirer les oiseaux, les petits mammifères et les reptiles dans la ville12. Ces animaux peuvent agir comme contrôleurs naturels des parasites. La création de terres «vertes» dans la ville peut contribuer à la réhabilitation et à la valorisation des espaces vacants. L’utilisation du compost organique peut constituer un aspect de la réhabilitation des sites contaminés13. D’ailleurs, des plantes non-alimentaires, comme le chanvre, peuvent aider à décontaminer le sol en quelques saisons de culture.14

L'agriculture urbaine est aussi génératrice de revenus et d'emplois, tant dans les activités artisanales (forgerons, maçons, menuisiers) que dans le secteur des services (transport des engrais, des produits phytosanitaires et des semences, réparation des motopompes, etc.) et de la commercialisation15. Elle aide à réduire le chômage et sert de point d’entrée pour les chômeurs et pour les femmes. En plus de contribuer à réduire le chômage, l’agriculture urbaine agit en faveur de la santé et du bien-être17 humain. Des projets de culture de nourriture peuvent aider les gens à mener une vie plus saine en leur donnant une raison de faire de l’activité physique et de s’alimenter avec des produits frais, abordables et organiques. Ceci peut également inclure des produits «exotiques» qui poussent bien dans le microclimat de la ville16. Le jardinage peut aussi contribuer à réduire le stress de la vie en ville en fournissant un moyen d’évasion. Finalement, l’agriculture urbaine peut aider à forger des liens plus forts avec la communauté, ce qui peut mener à un plus grand système de support et à un sentiment de bien-être.

La contribution la plus importante de l’agriculture urbaine, non seulement à la ville viable mais au développement durable mondial, est d’assurer la sécurité alimentaire18. La production de nourriture en ville pourrait améliorer la sécurité alimentaire des citadins à travers un accroissement de la productivité et de la production de nourriture et une réduction de la variabilité de la production d’une année à l’autre par la culture à moindre échelle par l’utilisation de petits terrains urbains19. Chaque famille contribue à sa propre nutrition par la production domestique de leurs besoins en fruits, légumes, grains et en certains cas, en animaux.

Il y a aussi des détracteurs de l’agriculture urbaine, qui utilisent comme argument le fait que l'agriculture est incompatible avec les habitudes urbaines. Selon eux, les animaux qui y sont associés polluent l'environnement et constituent une nuisance pour la santé20. L’agriculture urbaine peut aussi favoriser la désertification urbaine21. Il est aussi possible de transmettre des maladies par l’utilisation des ordures ménagères. Dans une situation de manque d’accès à l'eau potable, l'eau polluée expose aussi bien le producteur que le consommateur à des dangers pour la santé22. Finalement, l’agriculture en ville peut favoriser la sur-utilisation de l’eau, ce qui est déjà un problème dans certains villes.

Agriculture en milieu urbain au Nigéria

Le Nigeria est le pays le plus peuplé d'Afrique avec 110 millions d’habitants, dont 42,2% habitent en ville. Le pays est voisin du Bénin, du Niger, du Tchad et du Cameroun. Le Nigeria a un taux d’urbanisation élevé qui devance l’infrastructure et les services des villes. Bien que le Nigeria puisse compter sur de nombreuses ressources naturelles, son agriculture, autrefois exportatrice nette, n'a pas réussi à suivre l'explosion démographique. Le Nigeria doit aujourd'hui importer des denrées alimentaires23. Comme beaucoup de pays sub-sahariens, le Nigeria fait face à des problématiques de sécurité alimentaire. La pauvreté de beaucoup des citoyens urbains les empêchent d’acheter la nourriture dont ils ont besoin, ce qui explique le fait de nombreuses personnes souffrent de déficiences alimentaires.

Pour se débrouiller face au manque de nourriture et pour augmenter leurs revenus, beaucoup de citadins ont recours à l’agriculture urbaine. L’agriculture urbaine n’est pas un phénomène nouveau au Nigeria ; c’est seulement sa fréquence qui l’est. Une étude faite en 1996 a révélé que des quantités considérables de fruits et de légumes sont produits dans les villes24. L’agriculture urbaine est utilisée pour la vente commerciale et pour la consommation domestique. D’après Ezedinma et Chukuezi, la production à des fins commerciales des aliments par la culture urbaine est un entreprise hors-saison pour la majorité des agriculteurs25. Ceci est dû aux effets des programmes d’ajustements structurels et au besoin de bonifier les gains du ménage.

La majorité des cultivateurs commerciaux sont des hommes, alors que les femmes cultivent plutôt à des fins domestiques. Beaucoup de jardins familiaux se trouvent dans les limites des murs de la maison et sont occupés par les femmes, qui sont constamment à la maison en raison des lois islamiques. La main-d’œuvre utilisée est une combinaison d’employées salariées et de contribution familiale. Les outils utilisés sont traditionnels. Le transport et le marketing des produits agricoles constituent aussi une source de revenu. Les produits sont généralement transportés par bicyclette pour être vendu dans la rue. Cependant, dans certains cas, la récolte est vendue aux marchands de vente en gros qui visitent la ferme, négocient un prix et arrangent le transport de la récolte vers un marché urbain.26

La production commerciale est intensive et prend place durant la saison sèche, soit de novembre à mars. Trois facteurs empêchent la production durant le temps humide : l’incidence des pestes et maladies, la possibilité d’inondation des terres agricoles et la baisse de prix des produits agricoles due à l’offre du marché rural27. Les déchets urbains sont utilisés comme fertilisant dans beaucoup des cas, car les fertilisants chimiques ne sont pas disponibles. À Jos, les fermiers ont développé une stratégie pour fertiliser leurs sols à l’aide de cendres, qui provient de la combustion des ordures urbaines28. À Kano, l’utilisation des déchets urbains comme fertilisant est une pratique établie depuis longtemps29.

Alors que l’agriculture urbaine connaît beaucoup de succès au Nigeria, sa réussite constante dépend de certains facteurs. Premièrement, l’agriculture étant vue comme une activité illégitime dans beaucoup de cas, les gouvernements municipaux n’hésitent pas à changer la vocation d’un terrain urbain et de le rendre indisponible à la culture30. La tenure de ces terrains est incertaine car ils sont dans la majorité des cas des terrains voués à l’usage industriel ; la majorité des fermiers sont des «squatters agricoles» et peuvent êtres expulsés sans avertissement. Ce statut d’insécurité empêche les agriculteurs d’avoir accès au crédit, car le seul nantissement est la propriété. En outre, ce statut dissuade les agriculteurs d’investir dans des clôtures, des murs en béton ou dans la production de vivaces31. Le manque de clôtures et de murs encourage le vol des récoltes et la décharge des déchets dans les terrains agricoles32.

D’ailleurs, les cours d’eau urbains du Nigeria sont souvent très pollués, ce qui cause de graves problèmes pour la qualité et la sécurité des produits cultivés avec cette eau33. L’apport en l’eau dans les périodes sèches est difficile, ce qui rétrécit le choix des plantes cultivées, qui est souvent déterminé par la facilité d’obtenir assez d’eau34. Les autres problèmes reliés à l’agriculture urbaine au Nigeria sont une pénurie d’accès à des technologies et semences appropriées et le manque de terrains propres.

Agriculture à Mexico

La conquête par les Espagnols de la ville aztèque de Tenochtitlán en 1521 a transformé radicalement le système agricole mis en place par les autochtones en introduisant les activités minières et le drainage du système de lacs. Alors que la population du début des années 50 était de quatre millions, elle a quadruplé pour atteindre les 16 millions dans les années 90.

La croissance de la ville s’est réalisée de façon concentrique, du centre vers la région péri-urbaine, qui a été rapidement absorbée dans le Mexico que l’on connaît aujourd’hui. Rattrapée par la crise économique et la prise de conscience de l’importance de la conservation des ressources naturelles restantes, la croissance s’est stabilisée. La ceinture verte et les lacs entourant Mexico (comme le lac Xochimilco) ont pour ainsi dire disparu afin de rencontrer les besoins de la ville en pleine expansion (augmentation du prix des terrains, besoin d’espace pour les activités récréatives, etc.35). Les effets sur l’environnement de l’urbanisation massive ont été considérables : la pollution de l’air, de l’eau et des sols, la consommation excessive des ressources, les invasions d’insectes et la transformation des terres agricoles en zones infertiles sont du nombre.36

Malgré ce portrait peu reluisant, les activités agricoles, présentes dans la vallée depuis 10 000 ans, n’ont pas disparu. Au contraire, on remarque que la région métropolitaine de Mexico se targue de posséder un certain nombre de zones vouées à la culture et à l’élevage. Bien entendu, les agriculteurs ont dû s’adapter aux nouvelles contraintes associées à la présence d’une ville de taille considérable. Le manque d’espace a mené les habitants du Mexico métropolitain à se servir de tous les endroits disponibles. Ainsi, il est très courant de voir des jardins sur les toits ou un petit élevage de poules et de porcs dans la cour arrière des maisons37. On constate que le modèle occidental d’aménagement urbain, même s’il est largement utilisé, a davantage été imprimé sur le tissu social déjà présent que réellement intégré.

L’idée que l’agriculture en milieu urbain ne soit pas compatible avec le modèle de la ville moderne (pour des raisons d’esthétique, d’hygiène ou de fonctionnalité), entre en conflit avec les usages prônés par les habitants. Pourtant, il ne semble pas que la Ville de Mexico ou le gouvernement ne s’impliquent beaucoup dans les programmes d’agriculture urbaine. Au contraire, on favorise les initiatives de restauration écologique (comme la création du parc écologique de Xochimilco) au détriment des fonds de support des usages agricoles de la région.38

L’agriculture, dans une certaine mesure, constitue pourtant un moyen d’atteindre la ville viable : la chaîne d’utilisation des ressources et des résidus en est un exemple. Les déchets générés dans la zone urbaine (fruits et légumes, fumiers des élevages de particuliers) sont utilisés par les éleveurs de la zone péri-urbaine, qui fournissent la ville en produits agricoles et en fertilisants pour les cultures en ville. Cette chaîne n’est pas considérée par le gouvernement local, qui considère toute l’opération comme illégale, sans toutefois opérer un contrôle strict, que ce soit par manque de moyens ou d’intérêt.39

L’industrie laitière

Les régions de Mexico utilisées pour cette industrie se situent dans les portions Est (Iztapalapa et Nezahualcóyotl) et Sud (Xochimilco, Milpa Alta et Tlahuac) de la ville. La population totale de la région Est est de 4,6 millions d’habitants, répartis dans une zone à 75% urbanisée. Iztapalapa comprend également le Central de Abastos, où se transige plus de 40% de la production agricole du pays destiné à la consommation dans la vallée de Mexico40. Le Sud est moins populeux (418 000 habitants) et plus rural : 46% des terres sont utilisées pour l’activité agricole. Pour être plus précis, mentionnons que la partie Sud est en fait le District Fédéral de Mexico. Le cas que nous avons étudié concerne l’industrie laitière, même s’il existe plusieurs autres formes d’agriculture dans la région (comme la culture du nopal et de feuilles de maize).

Il est important de mentionner que l’élevage est loin d’être marginal : au total, on retrouve plus de 60 000 vaches dans l’ensemble de la zone métropolitaine de Mexico41. Loin de se comparer aux élevages que l’on connaît (plusieurs milliers de têtes par propriétaire), l’élevage le plus étendu comprend environ 250 têtes, alors que la grande majorité se contente de quelques-unes. La tradition se perpétue entre les familles, mais aussi entre voisins. Les méthodes d’élevage sont transmises par tradition orale ; le recours aux centres d’expertise ou aux universités est minimal42. Il ne faut pourtant pas associer ce cas à l’élevage de subsistance pratiqué dans les villes : le but recherché est de créer un marché pour les produits laitiers (lait cru, fromages, crème, viande). De plus, les habitants vivant de cette activité sont minoritaires (20%), les autres ayant une autre source de revenus.43 Les producteurs sont regroupés en deux associations : l’Association Laitière de Nezahualcóyotl à l’Est (fondée en 1981) et l’Association Laitière de Xochimilco (fondée en 1963) au Sud.

En plus de réunir les membres une fois par mois, les deux associations cherchent à adopter des positions communes sur des sujets divers, dont l’amélioration de la vente du lait dans la région. Comme nous l’avons dit plus haut, la production laitière de Mexico est une entreprise qui cherche à répondre à une demande pour ses produits. Pour l’instant, les éleveurs écoulent leur marchandise dans les marchés locaux (porte-à-porte, marchés ou distribution par des intermédiaires)44. La situation reste toutefois très différente entre les deux régions. La région est se caractérise par son haut niveau d’urbanisation (75%), ce qui implique des contraintes liées à l’espace disponible pour l’élevage. Alors que la région Sud se spécialise dans la production de lait, les éleveurs de l’Est envoient un certain pourcentage de leur troupeau à l’abattoir.

La chaîne d’utilisation des ressources, si étroitement associée à l’idée de ville viable, est également mise à profit dans ce mode de production. Les déchets générés par les troupeaux sont utilisés comme engrais, non seulement par les éleveurs, mais aussi par les résidants de la zone urbanisée. De la même façon, la demande générée pour les produits de lait cru ont justifié l’existence de l’élevage en petites quantités des vaches et fait tourner l’économie de la région de Mexico45.

Jusqu’à maintenant, le système s’est avéré soutenable, malgré le manque de support de la part des autorités municipales et gouvernementales. En fait, l’élevage d’animaux dans les villes est encore vu comme une menace à la salubrité publique et à l’esthétique. Pourtant, aucune opération pour éliminer ce type d’activité n’a été mise de l’avant. Il faut dire que l’insistance des résidants est considérable et que les aspects négatifs du projet sont relativement contrôlés. Ainsi, l’atténuation des impacts se fait de façon individuelle, les gens réagissant aux plaintes des voisins concernant les odeurs ou les mouches en augmentant la fréquence du nettoyage des étables ou du transport du fumier.46

Les choses étant ce qu’elles sont, il est illusoire de croire qu’une ville peut être entièrement autosuffisante. Toutefois, les initiatives locales peuvent présenter des résultats intéressants, surtout s’ils constituent, comme à Mexico, le prolongement d’une activité plusieurs fois millénaire et ayant fait ses preuves. Le seul point négatif que nous pourrions mentionner est le fait qu’à l’image de l’urbanisation sauvage des années 50, les activités de cycle de conservation des ressources à Mexico ne sont ni régulées, ni même contrôlées, ce qui pourrait éventuellement mener à un fouillis inextricable.

Conclusion

Comme nous l’avons vu au cours de ce travail, l’agriculture urbaine est loin d’être constituée que d’un type d’activités. C’est d’ailleurs cette complexité qui fait à la fois son succès et son malheur. En effet, l’agriculture dans les villes, à l’image des jardins de Sémiramis, met côte à côte les aspects naturel et humain des milieux urbains, ce qui ne signifie pas que la cohabitation soit facile à vivre. La majorité des auteurs considèrent l’agriculture urbaine comme un bon moyen d’assurer la ville viable. Toutefois, il est vrai que l’aménagement actuel de la majorité des villes modernes ne laisse pas beaucoup de place à la culture alternative de nourriture.

Il est intéressant de rappeler que les Agendas 21 adoptés par plusieurs villes mettent de l’avant l’initiative locale comme moyen d’atteindre la ville viable. Dans le cas du Nigeria et de Mexico, ce sont les citoyens, et non les gouvernements, qui rendent cette forme de culture persistante dans le temps. Il est dommage de voir que la participation des décideurs se limite souvent à un rôle de répression.

Jusqu’à maintenant, l’agriculture urbaine a apporté des résultats concrets et très positifs, surtout dans les pays en développement. En revanche, ces résultats ne constituent souvent qu’un rempart ou une solution de dernière chance face à l’insécurité alimentaire. Il est évident qu’une aide de la part des gouvernements serait beaucoup plus appréciée que les contrôles abusifs et les fermetures de terrains autrefois agricoles.


Références

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2 Centre de Recherche pour le développement international, «L’initiative du programme» http://www.idrc.ca/cfp/rep22_f.html

3 Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. “Urban and Peri-Urban Agriculture.” http://www.fao.org/unfao/bodies/COAG/COAG15/X0076e.htm

4 Golhor, Kando. “L'agriculture urbaine en Afrique tropicale: évaluation in situ pour initiative régionale.” Cities Feeding People CFP REPORT SERIES Report 14. http://www.idrc.ca/cfp/rep14_f.html.

5 Golhor, http://www.idrc.ca/cfp/rep14_f.html

6 World Commission on Environment and Sustainable Development. Our Common Future. New York: Oxford University Press, 1987, p. 304.

7 Woodsworth, Alexandra. “Urban Agriculture and Sustainable Cities.” Canada’s Office of Urban Agriculture: City Farmer. http://www.cityfarmer.org/alexandraUA.html

8 Garnett, Tara. “Farming the City: The Potential of Urban Agriculture.” The Ecologist 26(6), 1996, p. 302.

9 Idem.

10 Golhor, http://www.idrc.ca/cfp/rep14_f.html.

11 Relis, Paul, et Levenson, Howard. “ Using Urban Organics in Agriculture.” Biocycle 38(4), 1997, pg. 87.

12 Garnett, p. 302.

13 Brown, Kate, et, Jameton, Andrew. “Public Health Implications of Urban Agriculture.” Journal of Public Health Policy. 21(1), 2000, p. 32.

14 Garnett, p. 301.

15 Lachance, André. «Cultiver en ville» Le CRDI Explore, (21)3, 1993, pp. 8- 9.

16 Garnett, p. 305.

17 Idem.

18 Brown et Jameton, p. 24.

19 Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. «Programme Spécial pour la sécurité alimentaire». http://www.fao.org/spfs/index.asp?lang=fr

20 Golhor, http://www.idrc.ca/cfp/rep14_f.html.

21 Mlozi, Malongo. “Impacts of Urban Agriculture in Dar Es Salaam, Tanzania.” The Environmentalist. (17), 1997, p. 116.

22 Lachance, p. 8.

23 Courrier International. «Repère Pays: Le Nigeria» http://www.courrierinternational.com/pays/ng.htm

24 Lynch, K., Binns, T., et Olofin, E. “Urban Agriculture Under Threat: The Land Security Question in Kano, Nigeria.” Cities. 18(3), 2001, p., 162.

25 Ezedinma, C., et Chukuezi, C. “A Comparative analysis of urban agricultural enterprises on Lagos and Port Harcourt, Nigeria.” Environment and Urbanization 11(2), 1999, p. 138.

26 Binns, T., et Lynch, K. “Feeding Africa’s Growing Cities into the 21st Century: The Potential of Urban Agriculture.” Journal of International Development. (10), 1998, p. 784.

27 Ezedinma et Chukuezi, p. 139.

28 Lewcock, Chris. "Farmer Use of Urban Waste in Kano" Habitat International.(19)2, 1995, pp. 225-234.

29 Idem.

30 Binns et Lynch, p. 781.

31 Ezedinma et Chukeuzi, p. 142.

32 Ibid., p. 143.

33 Binns et Lynch, p. 782.

34 Lynch, Binns et Olofin, p. 168.

35 Losada, H. et al. «Urban agriculture in the metropolitan zone of Mexico City : changes over time in urban, suburban and peri-urban areas». Environment and Urbanization, vol.10, no.2, Octobre 1998, pp. 40-41.

36 Ibid., p. 43.

37 Ibid., p.45.

38 Ibid., p.52.

39 Ibid., p.53.

40 Losada, H. et al. «Urban Agriculture in Mexico City : Functions Provided by the Use of Space for Dairy Base Livelihoods». Cities, vol.17, no.6, 2000, p.420.

41 Ibid., p.420. 42 Ibid., p.422. 43 Ibid., p.424. 44 Ibid., p.425. 45 Ibid., p.428. 46 Ibid., p.429.


Bibliographie

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