1Le Goulbi N’kaba, ou vallée des palmiers doums en langue Haoussa, traverse le département de Mayahi (Région de Maradi) d’Est en Ouest sur près de soixante-dix kilomètres de longueur pour une superficie d’environ 30 000 ha. La rivière qui en occupe l’axe prend sa source au Nigeria mais coule de moins en moins en surface dans sa partie nigérienne, d’autant moins que deux barrages ont été construits récemment au Nigeria, juste avant la frontière, sur ses deux affluents principaux. La nappe se situe entre 10 à 20 mètres de profondeur à l’Est (amont) et 20 à 25 mètres à l’Ouest (aval). La moyenne des pluviométries enregistrées au cours des dix dernières années se situe autour de 430 et 450 mm/an, avec une importante variabilité des précipitations d’une année sur l’autre et une incertitude de plus en plus grande sur la date des premières pluies (à partir de mai) et des dernières pluies (jusqu’en octobre). Les sols sont majoritairement sableux très perméables (jigawa en Haoussa) avec une proportion plus importante d’argile et de limon dans la partie Est (fadama).
2La population des quelque soixante villages installés de part et d’autre du Goulbi est estimée en 2007 à près de 80 000 habitants, répartis en quatre communes. Elle est composée en majorité d’agriculteurs Haoussa, les plus anciennement installés, d’une minorité de Peul et de Touareg, pour la plupart sédentarisés après les dernières grandes sécheresses. La pression démographique est forte de part et d’autre du Goulbi : la densité dépasse 60 habitants/km² ; le taux d’accroissement de la population est voisin de 3,6 % par an.
3Jusque dans les années 1960, un peuplement dense de palmiers doums (Hyphaene thebaica (L.) Mart.) (Arbonnier, 2000) occupait toute la vallée. La doumeraie était alors traditionnellement réservée comme aire pastorale et couloir de passage pour les transhumants. Le peuplement s’est progressivement dégradé et rétréci sous l’effet des sécheresses successives et des défrichements agricoles liés à la pression démographique croissante. A la fin des années 1990, les deux tiers de la superficie de la doumeraie étaient déjà mis en culture, il n’en restait qu’un parc relictuel (Raison, 1988). La disparition des jachères, la réduction des aires de pâturages, la fermeture des accès aux points d’eau et aux enclaves pastorales ont entraîné de profondes mutations des systèmes agropastoraux, avec une tendance à réserver le Goulbi au cheptel local et à abandonner les échanges traditionnels entre agriculteurs sédentaires et tranhumants. Les conflits se multipliaient entre agriculteurs, propriétaires de bétail et éleveurs tranhumants, la zone sylvopastorale était progressivement envahie par Sida cordifolia, une espèce non appétée par les animaux (Bayard, 2002). Certaines parties de la vallée se sont désertifiées et ont été couvertes par des dunes de sable non stabilisées.
- 1 Le PAFN est financé par la Banque de développement Africaine. Il intervient au Niger dans (...)
4C’est dans ce contexte de crise qu’en 2002 le Projet d’Aménagement des Forêts Naturelles (PAFN)1 démarrait ses interventions dans le département de Mayahi. Son objectif était d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de gestion durable de la doumeraie permettant de prévenir les conflits et d’organiser une exploitation raisonnée, générant des revenus pour les populations locales et les nouvelles collectivités décentralisées, les communes, tout en luttant contre la désertification et la dégradation du milieu.
5Au départ du projet, les connaissances relatives aux dynamiques écologiques, à la gestion des doumeraies et aux filières d’exploitation commerciales des produits du doum étaient quasi-inexistantes. Pour cerner la problématique de gestion durable de cette ressource mal connue, le PAFN a réalisé des inventaires des ressources forestières, des observations sur la gestion et la régénération du doum, des enquêtes sur les filières des produits du doum, ainsi que sur les systèmes fonciers et pastoraux.
6L’objectif du présent article est de présenter quelques-uns des résultats obtenus au cours de ce projet.
7L’inventaire visait d’une part à une estimation quantitative et qualitative de la production de feuilles, stipes et fruits du doum ; d’autre part, pour les espèces forestières autres que le doum, à l’estimation du volume de bois exploitable, de la population des tiges d’avenir (régénération) et de la composition floristique du massif.
8La méthodologie de l’inventaire a du s’adapter aux caractéristiques de la doumeraie, dont le peuplement, discontinu, se présente sous forme de « taches » éparpillées, comportant un mélange de grands palmiers et de rejets sans stipes. La méthode d’échantillonnage retenue est un dispositif de sondage systématique dans lequel l’unité statistique de base est la placette échantillon de 50 x 25 mètres. Le plan de sondage adopté est celui du premier degré, c’est à dire que la doumeraie est divisée en un certain nombre de placettes dont quelques unes sont tirées systématiquement pour constituer l’échantillon et sont comptées complètement. Les placettes sont disposées sur un maillage carré de 600 x 600 mètres, selon le sens de progression sur les layons. Au total 600 placettes ont été inventoriées sur les 30 000 ha du Goulbi, soit un taux de sondage de 0,25 %.
Figure 1. Situation de la doumeraie du Goulbi N’Kaba dans le département de Mayahi au Niger.
9Sur les 600 unités, l’inventaire a porté sur les principaux produits du doum (stipe, feuilles) et des espèces ligneuses associées. Pour chaque pied de palmier doum adulte inventorié dans les placettes, ont été effectuées les mesures de la hauteur à la première fourche, du nombre de ramifications susceptibles de porter des fruits, du sexe, de l’état sanitaire (mort, vivant, mutilé) et de la hauteur et la circonférence à 1,30 m de la tige dominante. Ces mesures ont été utilisées pour évaluer la production de fruits et de perches. Pour les taches de régénération, on a mesuré deux diamètres moyens perpendiculaires. Pour une tache sur dix, il a été procédé à un comptage des rejets (comptage des bourgeons terminaux) dans un placeau de 2 x 2 m placé aléatoirement dans la tache de régénération.
10Pour chaque sujet des autres espèces que le doum, des informations concernant l’espèce (genre et espèce, en latin ou en langue vernaculaire), le nombre de sujets (même souche), la circonférence à 1,30 m sur toutes les tiges à partir de 21 cm de circonférence, la hauteur (moyenne pour les souches multicoles) ont été notées. Le volume (V) de l’arbre a été calculé à l’aide de la formule de Huber (V= C2 x H/4).
11La densité moyenne de doums adultes est faible : elle varie de 8 doums/ha en zone centrale (la commune de Mayahi regroupe la quasi-totalité des doums adultes) à 3 doums/ha à l’Est. Les doums adultes sont presque inexistants dans la partie ouest). Sur l’ensemble des quatre communes, la strate agricole présente deux fois moins de doums adultes que la zone pastorale. Même dans la strate la plus riche, les densités moyennes de stipes ont été divisées par deux depuis les précédents travaux d’inventaire dans cette zone (Awaiss, 1996).
12La représentation cartographique des résultats de l’inventaire fournit une bonne visualisation de la distribution du doum dans le Goulbi (Figure 2).
Figure 2. Densité de doums adultes dans le Goulbi N’Kaba.


13On compte environ 52 taches de rejets de doum par hectare. L’écartement moyen des taches est de 15 mètres. Chaque tache comprend en moyenne 32 rejets en état d’exploitation, ce qui représente 1 600 rejets par hectare. Tous les rejets d’une même tache sont du même sexe, soit mâle, soit femelle. Les palmiers mâles sont majoritaires (57 % des doums déterminés). Le nombre de rejets est légèrement inférieur en zone agricole (1 600 rejets/ha en zone agricole contre 1 850 rejets/ha en zone pastorale).
14De nombreuses espèces d’arbres sont associées au doum : on a recensé une trentaine d’essences forestières dans la doumeraie, dont les plus importantes sont, par ordre de densité décroissante : Calotropis procera, Acacia raddiana, Acacia albida, Leptadenia pyrorechnica, Bauhinia rufescens, Piliostigma reticulatum, Balanites aegyptiaca, Ziziphus mauritiana. La répartition de ces espèces accompagnatrices est fonction du type de sol, mais leur densité est également fonction des actions anthropiques. Acacia albida (gao), protégé par les agriculteurs, se trouve surtout dans les champs sur sols sableux de la zone ouest ; Balanites aegyptiaca et Ziziphus mauritiana dans les champs sur sols plus argileux de la zone est. Acacia raddiana dépasse 300 pieds/ha dans la zone sylvopastorale de l’Est, où la dispersion de ses graines est assurée par les animaux. Toutes espèces confondues, la densité des essences accompagnatrices est élevée (235 pieds/ha), mais 90% des pieds inventoriés ont moins de 7 cm de diamètre.
15La densité des doums adultes et la variabilité des espèces accompagnatrices déterminent schématiquement trois faciès de végétation caractéristiques des zones ouest (Photographie 1), centrale (Photographie 2) et Est (Photographie 3) du Goulbi.
Photographie 1 : Faciès dégradé à Acacia albida dominants dans la zone Ouest (Cliché C. Duhem).


Photographie 2 : Facies à doums adultes dans la zone sylvopastorale centrale du Goulbi (Cliché C.Duhem)
Photographie 3 : Faciès dégradé à Acacia raddiana dominants et faible densité de doums adultes dans la partie Est (Cliché R. Peltier).
16En conclusion on constate sur l’ensemble du Goulbi
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une tendance à la disparition des doums adultes : en dehors de la zone centrale, il n’y a pratiquement plus de stipes ni de fruits ;
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une forte densité de rejets de doum dans toutes les zones, mais ces rejets n’assurent pas le renouvellement des adultes ;
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une forte densité d’essences ligneuses accompagnatrices, présentes essentiellement sous forme de régénération, avec un développement d’espèces indicatrices d’une dégradation du milieu : Calotropis procera et Leptadenia pyrotechnica.
17Lorsqu’elle tombe au sol, en particulier si elle est enfouie à quelques centimètres sous terre, la graine de doum germe en quelques mois. Les premières feuilles qui sortent du sol sont très simples, composées d’un seul segment acuminé. Les feuilles en éventail, pétiolées, n’apparaissent qu’au bout d’une ou deux années. Le stipe commence ensuite à se former. On peut considérer que celui-ci se divisera une première fois après une vingtaine d’années, puis une deuxième fois après une période identique, si l’on en croit les plus anciens parmi les agriculteurs enquêtés. Un arbre d’une quinzaine de mètres de haut aurait ainsi entre 40 et 60 ans.
- 2 On désigne, sous le nom de rhizomes, des organes souterrains à structure caulinaire, à (...)
18D’après les observations réalisées à Mayahi au niveau d’arbres déracinés (carrières de sable), on constate qu’au cours du temps, le doum développe, à quelques dizaines de centimètres sous la surface du sol, un réseau horizontal d’organes végétatifs qui grossissent pour atteindre dix à vingt centimètres de diamètre, avec un aspect de rhizomes2, à feuilles réduites, ressemblant à des stipes enfouis). De ce réseau partent des milliers de racines fines plus ou moins verticales qui ont environ un centimètre de diamètre et qui colonisent très densément le sol jusqu’à plusieurs mètres de profondeur (Figure 3). On en a mesuré de plus de quatre mètres de longueur près de Mayahi mais elles doivent probablement descendre beaucoup plus bas et sans doute jusqu’à la nappe phréatique. Si la nappe s’abaisse, les racines vont suivre lentement mais jusqu’à une profondeur limitée (probablement de l’ordre de 20 mètres). D’où sans doute la dégradation nette de la doumeraie dans la partie aval du Goulbi (à l’Ouest), suite aux barrages construits au Nigeria, alors que la partie Est reçoit encore de l’eau.
Figure 3. Structure d’une tache de doum, montrant l’interdépendance entre les différents rejets
- 3 Certains auteurs (Marouf 2007) estiment que l’on doit utiliser le nom de « surgeon » dans (...)
19Le réseau de rhizomes horizontaux, tout en poursuivant sa croissance souterraine (croissance en longueur et croissance en diamètre avec accumulation de réserves), assure également la production de drageons3. Tout se passe comme si le doum avait développé un système de marcottage semblable à celui d’autres palmiers de zone humide (par ex. : Geonoma baculifera en Guyane, qui présente des marcottes aériennes), mais à partir de tiges souterraines (Figure 3). L’appareil souterrain du doum apparaît ainsi comme un système très efficace de multiplication végétative et comme une remarquable adaptation à la sécheresse et aux risques de feux de brousse.
20L’émission de jeunes drageons semble d’autant plus vigoureuse que les stipes de la tache ont été, tous ou en partie, exploités. Suivant l’intensité de ces prélèvements, les taches de doum ont été ainsi modelées par l’homme, depuis des taches qui ont plus d’une dizaine de stipes adultes et un sous étage clairsemé de drageons (Photographie 4), jusqu’à des taches qui ne sont constituées que de feuilles (Photographie 1).
Photographie 4. Tache de doum présentant des rejets de tous âges (Cliché R. Peltier)


21Dans les champs cultivés, les agriculteurs ont constaté que le sol était plus fertile à l’intérieur des taches de doum qu’à l’extérieur (Moussa, 1997). C’est ainsi qu’ils augmentent la proportion de sorgho (plus exigeant) par rapport à celle de mil sur celles-ci. Cet enrichissement est très certainement dû au fait que la tache de doum possède un enracinement très puissant et très profond qui lui permet de récupérer des éléments minéraux sur un grand volume de sol. Ceux-ci sont utilisés par la plante pour former les centaines de feuilles des drageons. Ces dernières sont coupées par les agriculteurs en fin de saison sèche et posées sur le sol (ou parfois brûlées). Les éléments minéraux et la matière organique (en absence de brûlis) sont ainsi incorporés dans les premiers centimètres de sol situés au-dessus du réseau de grosses racines, ce qui les rend beaucoup plus fertiles. D’autre part, en saison sèche, le véritable tapis de feuilles piège les éléments fins transportés par le vent, si bien que les taches se trouvent peu à peu surélevées (Figure 3). Ceci contribue efficacement à la lutte contre l’érosion éolienne et à la désertification de certains champs.
22Les agriculteurs gèrent les taches en gardant peu de stipes adultes car, malgré la légèreté du feuillage, celui-ci pourrait ombrager les cultures et en réduire la production. C’est ainsi qu’ils conservent de trois à aucun stipes par tache et qu’ils coupent tous les drageons à quelques centimètres sous le niveau du sol chaque année. Ensuite, quelques dizaines de ceux-ci vont repousser vigoureusement entre les pieds de mil et de sorgho. L’absence de concurrence hydrique entre doum et céréales s’explique parce que la contribution des horizons de profondeur à l’alimentation en eau et nutriments du doum est majeure, même en saison des pluies. Avant même la récolte des céréales, les agriculteurs commenceront à prélever une partie des jeunes palmes pour leurs besoins mais ils en conserveront toujours suffisamment pour que l’ensemble végétal puisse continuer à photosynthétiser et donc à vivre.
23Les études filières menées par le PAFN avaient pour objectif de préciser les techniques d’exploitation, d’identifier les différents acteurs des filières, leurs motivations, leurs stratégies, de quantifier les flux de produits issus de la doumeraie, de localiser les prélèvements afin d’évaluer leur pression sur la ressource (Seybou, 2002). Le projet a procédé à des enquêtes et à des comptages des produits (feuilles, vannerie et fruits de doum) à trois niveaux stratégiques : 1) sur une dizaine de marchés villageois, principaux lieux de vente de produits du doum, auprès des vendeurs et des différents commerçants intermédiaires, 2) dans une trentaine de villages approvisionnant ces marchés, auprès de quelques centaines de coupeurs de palmes de doum, de cueilleurs de fruits et d’artisans vanniers, 3) sur les marchés urbains destinataires des produits du doum, tels que Tounfafi (Madaoua) et Niamey (Duhem, 2003).
Tableau 1. Rôles et utilisations des différentes parties du palmier doum
24Le doum produit un bois d’oeuvre très résistant utilisé pour la construction des toitures, des greniers, pour l’étayage des puits. L’appoint alimentaire que la doumeraie peut fournir (fruits et bourgeons) n’est pas négligeable en période de disette. Les feuilles de doum constituent la source de matière première d’un artisanat local très actif, qui produit l’essentiel du matériel agricole, des ustensiles domestiques et un mobilier peu coûteux, facilement réparable, compatible avec le faible pouvoir d’achat des ruraux.
25Les palmes exploitées sont les feuilles proches du bourgeon terminal des rejets de doum. Elles doivent être à la fois longues et souples. Elles sont sectionnées au couteau (une à trois feuilles par pied, avec plusieurs passages dans l’année sur le même pied), sont assemblées par paire (“sarké” en Haoussa), séchées puis liées en bottes pour le transport. La coupe de palmes est essentiellement pratiquée en saison sèche, lorsque la main d’oeuvre est libérée des activités agricoles. Du fait de l’éparpillement de la ressource, il faut une journée à un coupeur de palmes pour exploiter un demi hectare de doumeraie et récolter une botte de feuilles (soit 15 à 20 kg de feuilles sèches). C’est un travail pénible, car les rejets sont épineux et abritent fréquemment des serpents. L’accès aux doums situés dans les champs constitue localement une source de conflits.
26Les coupeurs sont traditionnellement des hommes, mais on observe depuis peu le développement de cette activité chez les femmes, qui représentent désormais plus de 40% des exploitants. Un coupeur exploite en moyenne près de deux tonnes de feuilles par an, ce qui lui procure un revenu de l’ordre de 55 000 FCFA (environ 110 USD), sur la base d’un prix de vente moyen de 30 FCFA/kg de feuilles. La productivité du travail est faible : la rémunération est voisine de 450 FCFA par jour (environ 0,90 USD).
27L’artisanat de vannerie présente une période d’activité intense en septembre-octobre, à la fin de la saison des pluies, pour la fabrication de tout le matériel nécessaire aux récoltes, paniers et cordes en particulier. Les artisans utilisent plusieurs techniques : la vannerie tressée pour la fabrication de cordes, la vannerie tissée pour la fabrication de nattes et la vannerie spiralée (nervures enroulées en spirale et entourées de limbe) pour la fabrication de paniers, vans, etc. Les produits les plus couramment présentés sur les marchés sont les nattes rectangulaires blanches, quelques vans et toutes sortes de cordes.
28Les artisans vanniers sont généralement des hommes assez âgés, mais on observe aussi une forte participation féminine dans les campements des Touareg, où les femmes fabriquent une vannerie colorée plus élaborée. La productivité du travail est faible : un artisan met plus d’une journée pour fabriquer une natte rectangulaire blanche, temps auquel il faut ajouter la coupe, le séchage, le transport et le traitement des palmes nécessaires. La rémunération du travail ne dépasse pas 300 à 400 FCFA par jour. Le revenu moyen des artisans est voisin de 80 000 FCFA par an (environ 160 USD).
29La collecte des fruits immatures est surtout pratiquée par les enfants et les jeunes, car la récolte correspond aux vacances scolaires. Certains peuvent ainsi s’acheter leur tenue pour la rentrée. La collecte des fruits mûrs se fait de novembre à décembre. Elle est localisée essentiellement dans la partie centrale du Goulbi de Mayahi, où se concentre l’essentiel des peuplements adultes. La venue de cueilleurs étrangers au Goulbi provoque assez fréquemment des conflits.
30La vente de feuilles ou de vannerie sur le marché hebdomadaire assure aux familles les plus démunies un petit revenu régulier, leur permettant d’effectuer les achats essentiels de la semaine. Ce commerce fait vivre de nombreux petits intermédiaires : des collecteurs, qui achètent au village et se chargent du transport des produits au marché, et des revendeurs, qui achètent sur le marché aux producteurs désireux de conclure rapidement leurs ventes. S’y ajoutent, sur les marchés les plus importants, des grossistes motorisés qui viennent acheter des cordes, des nattes et surtout des feuilles, qui seront transformées en nattes dans d’autres zones du Niger (Madaoua). L’organisation des filières doum se retrouve assez analogue tout le long du Goulbi, en particulier dans le département voisin d’Aguié (Harouna, 2005). Globalement, le chiffre d’affaires annuel des produits du doum dans le Goulbi de Mayahi s’élève à 140 millions de FCFA (environ 280 000 USD).
31La production locale de vannerie, constituée de nattes peu élaborées et de petit matériel agricole, est essentiellement destinée à une clientèle rurale de villages et de centres urbains secondaires. C’est une clientèle nombreuse, en augmentation régulière, mais à faible pouvoir d’achat, ce qui ne permet pas de négocier une forte augmentation des prix de vente. La demande stagne dans les centres urbains, où les produits locaux sont de plus en plus concurrencés par les nattes et les cordes en plastique du Nigeria.
32Malgré ces contraintes, les filières d’exploitation du doum sont dynamiques, motivées par la paupérisation croissante des paysans du Goulbi. La saturation foncière, la diminution tendancielle des surfaces cultivées par individu et la baisse de la productivité des sols agricoles contribuent à aggraver le déficit alimentaire des populations. Le doum joue un rôle social de plus en plus important, dans une société où les ressources en accès libre se réduisent : la coupe de palmes, la cueillette de fruits, l’artisanat de vannerie, fournissent aux plus démunis une source de revenus monétaires leur permettant d’acheter des céréales en période de soudure, de payer les impôts ou d’assurer les dépenses sociales. Même si les revenus perçus par individu paraissent faibles, ils sont essentiels pour des familles dont le déficit alimentaire correspond, en moyenne, à cinq mois de consommation de céréales. Ils donnent en particulier aux femmes une certaine indépendance financière vis-à-vis du chef de famille, dans un contexte de saturation foncière où l’accès à la terre leur devient de plus en plus difficile (Doka, 2005).
33Les enquêtes du PAFN permettent d’estimer à 3 500 tonnes la quantité de palmes coupées dans l’ensemble du Goulbi de Mayahi (Duhem, 2003). Les résultats de l’inventaire de la doumeraie permettent par ailleurs d’estimer pour l’ensemble du Goulbi, la production de palmes à 8 500 tonnes (Ichaou, 2003). Le niveau d’exploitation des feuilles paraît donc assez nettement inférieur à la production de palmes de la doumeraie. Il s’agit d’une exploitation assez diffuse, qui ne détruit pas les bourgeons terminaux et permet aux rejets de survivre, mais ne permet pas la reconstitution d’un peuplement adulte, faute de conserver certains rejets sans les couper pendant plusieurs années consécutives.
34Les populations du Goulbi souhaitent en général pouvoir récolter non seulement des feuilles pour la vannerie, mais aussi des fruits pour l’alimentation (mésocarpe) et des troncs pour la construction, tout en permettant une certaine croissance de l’herbe en zone sylvo-pastorale et des céréales en zone agricole. On comprend donc que la sylviculture appliquée à l’arbre doit chercher à concilier ces multiples productions, sans se focaliser sur une seule (Guero, 2004). Les modalités de gestion de la doumeraie ont ainsi été négociées avec la population et les autorités locales.
35L’interdépendance entre les individus adultes et les rejets d’une même tache (interdépendance pour l’alimentation hydrique et minérale, interdépendance concernant le déclenchement du départ des rejets, etc.) est telle qu’elle impose de concevoir une sylviculture originale “par tache“. On trouve peu de références à un tel type de sylviculture dans la littérature, en dehors des contraintes imposées à la sylviculture de l’okoumé par les fusions racinaires entre individus (Leroy Deval, 1976).
36Par ailleurs, il apparaît très probable que, comme pour le Gao, un drageon pousse beaucoup plus vite qu’un arbre issu de graine, car celui-ci bénéficie d’un réseau racinaire déjà établi, riche en réserves et atteignant déjà les couches profondes du sol. Face un tel potentiel de multiplication végétative, les tentatives de multiplication du doum par semis, faites par divers projets, ne semblent pas très pertinentes dans les conditions actuelles de sécheresse du Goulbi.
- 4 Bien entendu, il ne s’agit que d’indications, car la date de sélection reste assez (...)
37Depuis une dizaine d’années, les services gouvernementaux nigériens ont encouragé la Régénération Naturelle Assistée (RNA) auprès des agriculteurs nigériens (Montagne, 1999). Cet effort a surtout porté sur Acacia albida et les Combrétacées. Cependant, certains agriculteurs de la région du Goulbi N’Kaba ont pris l’initiative de conserver quelques doums parmi les taches de drageons. C’est ainsi que près du village de Tambarawa, il est possible d’observer des drageons qui, d’après les agriculteurs4, ont été sélectionnés depuis :
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Un an et demi, avec un stipe de 0,1 m,
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Trois à quatre ans, avec un stipe d’un mètre,
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Cinq à six ans, avec un stipe de 2 m,
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Dix ans, avec un stipe d’environ 5 m.
38Il faut bien comprendre que si la dynamique actuelle se poursuit, d’ici une dizaine d’années, l’essentiel de la ressource arborée de la partie agricole du Niger se trouvera dans les champs. En effet, la politique d’encouragement des défrichements améliorés avec Régénération Naturelle Assistée (RNA) porte ses fruits au-delà de tout espoir (Jouve, 2006). Etant donné que la croissance dans les champs est élevée, que ceux-ci sont souvent sur les meilleures terres et que les arbres sélectionnés appartiennent aux espèces les plus utiles, leur production à l’échelle d’une exploitation agricole pourrait bientôt couvrir les besoins familiaux et même alimenter les circuits commerciaux de bois de feu ou de construction et de produits forestiers non ligneux.
39Le projet a encouragé les services de l’environnement à poursuivre cet effort en passant d’une simple protection à une véritable gestion, prévoyant la récolte de PFNL, de branches et de troncs.
40Pour cela, il fallait arriver à des peuplements agroforestiers comportant des arbres d’espèces et d’âges variés, par exemple : 10 arbres adultes, 15 arbres d’âge moyen et 30 arbres jeunes, ainsi qu’un sous-étage d’arbrisseaux.
41Dans le cas de Mayahi, le projet et l’ONG « ABC Ecologie » ont cherché à diversifier les espèces, à réintroduire certaines espèces soudano-sahéliennes utiles pour la population mais disparues lors des grandes sécheresses (Sclerocarya birrea, Prosopis africana, Lannea sp., Bombax costatum, Adansonia digitata…) et à enrichir avec des espèces fruitières si possible améliorées (dattier, ziziphus greffés, manguiers greffés, goyaviers, agrumes, etc.).
42Les agents du projet ont déjà constaté que certains peuplements issus de la RNA sont presque trop denses ou, en tout cas, le deviendraient, si les agriculteurs laissaient grandir tous les arbres. Il s’agit souvent de jeunes peuplements en croissance. Mais on peut aussi trouver des systèmes agroforestiers stabilisés, dans lesquels les paysans gèrent volontairement les éclaircies de très jeunes arbres, parce que cela leur paraît correspondre au meilleur compromis local entre production vivrière et production de bois, que les coupes d’éclaircie sont tolérées par les gardes forestiers et que l’exploitation des rejets vers quatre ans correspond, d’après eux et dans ce contexte, à un pic de productivité de bois. Des agriculteurs ont regretté que la plupart des essences agroforestières soient des espèces protégées et souhaiteraient pouvoir éclaircir ou émonder ces peuplements, sans enfreindre la loi. Compte tenu de la situation sociale, des contraintes de la législation forestière et des conditions naturelles, il est bien possible que les chances d’aboutir à un parc arboré “classique” de grands arbres dans les champs soient limitées aux deux espèces amélioratrices reconnues dans cette région, gao et doum, et peut-être aux espèces fruitières à proximité et dans le village. En fonction de connaissances encore très incertaines obtenues au Nord Burkina (Depommier et Guerin, 1996) et au Nord Cameroun (Harmand, 1996), la production de tels systèmes agroforestiers gérés de façon dynamique (émondage et éclaircie) a été estimée entre 1 et 1,5 m3/ha/an de bois de feu. Cependant, pour tenir compte des peuplements mal gérés, ce chiffre moyen a été ramené à 0,5 m3/ha/an.
43Si on considère une famille de 7 personnes, consommant 0,7 kg/jour/personne, soit 1800 kg/an, celle-ci a un besoin d’environ 3,6 m3 de bois de feu par an. Pour le récolter sur ses 3 ha de culture, il faut que ceux-ci aient une productivité de 1,2 m3/ha. Ceci a été jugé en général possible, à condition d’encourager les agriculteurs à poursuivre la RNA et à gérer leurs peuplements agroforestiers (Peltier, 1994).
Figure 4. Schéma de sylviculture du doum par cellules de régénération, sur une durée de 30 ans, en zone agricole.
44Dans la zone agroforestière, on a cherché à accélérer la RNA au sein de chaque tache de doum considérée comme une cellule de régénération et de jardinage des rejets (Peltier, 2003).
- 5 D’après l’inventaire, ces taches ont une surface moyenne de 9 m² pour 53 taches/ha mais (...)
45Au niveau de chaque cellule de régénération, l’agriculteur a entouré par un ruban rouge une dizaine de drageons dont on ne doit pas exploiter les feuilles. Sur une cellule de régénération5 couvrant une surface d’environ 25 m², il a cherché à avoir 6 doums d’âges variés comportant un tronc différencié en gardant :
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- 6 Les âges sont donnés à titre indicatif pour le cas où il s’agit de drageons dont la (...)
1 doum adulte avec 2 divisions (plus de 30 ans)6 ;
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2 jeunes Doum avec 1 division (environ 20 et 25 ans) ;
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3 doums juvéniles avec un tronc non divisé (1 à 15 ans) ;
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environ 20 rejets (0 à 1 an) dont au moins un qui sera marqué et soustrait à l’exploitation des feuilles.
46Lorsque le peuplement sera en équilibre, il a été suggéré que l’agriculteur ne puisse prélever un tronc de doum que s’il en reste, au niveau de la tache, au moins cinq comportant un tronc différencié (1 à 30 ans). En théorie, il pourrait récolter, pour chaque tache, 6 arbres tous les 30 ans, soit un arbre tous les 5 ans. Avec 25 taches gérées par hectare, il aurait 5 arbres/ha/an récoltables. Dans la réalité, il faudra revoir cette estimation en fonction de la croissance et de la réussite de l’opération de RNA. A l’équilibre, le peuplement agroforestier possèderait une structure jardinée, avec une densité moyenne de 150 doums, de un à trente ans, par hectare, ce qui devrait constituer un compromis acceptable pour les agriculteurs.
47Toute la difficulté de la gestion dans cet espace vient du fait qu’il s’agit d’un espace qui est, et doit rester partagé. Dans la partie ouest du Goulbi, on comprend déjà clairement ce qu’on appelle « la tragédie des communaux ». En effet, alors que dans la partie sylvo-pastorale du Goulbi tous les doums adultes ont disparu sans qu’il n’y ait, ensuite, aucune mesure visant à favoriser la régénération ; dans la partie cultivée, au contraire, les agriculteurs ont commencé à protéger plusieurs dizaines de jeunes palmiers.
48Dans la zone sylvo-pastorale, les recommandations des aménagistes du projet ont visé à obtenir un peuplement plus dense qu’en zone agroforestière, comportant des tiges plus âgées pour prolonger la durée de fructification et obtenir des stipes plus longs et plus durables. La conservation d’arbres âgés avait également pour but de protéger un certain nombre d’animaux, en particulier oiseaux, vivant ou nichant dans les houppiers ainsi que des espèces végétales accompagnatrices, comme des lianes.
49Au niveau de chaque cellule de régénération d’environ 25 m² on a cherché à avoir 14 doums d’âges variés comportant un tronc différencié, en gardant :
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8 doums adultes (stipes avec deux divisions bien formées),
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6 doums d’âges intermédiaires (5, 10, 15, 20, 25 et 30 ans),
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6 rejets marqués et soustraits à l’exploitation des feuilles.
50A l’équilibre, le peuplement sylvopastoral devrait possèder une structure jardinée, avec une densité moyenne de 350 doums par hectare âgés de 1 à 30 ans (dont 200 adultes), ce qui devrait constituer un compromis compatible avec la production du tapis herbacé.
51Concernant la sélection de nouvelles tiges d’avenir, il faudrait, en théorie, n’en conserver qu’une par cellule, à chaque rotation. Dans la réalité, on a constaté que de nombreux drageons sélectionnés n’avaient pas une croissance satisfaisante pour des raisons diverses (mauvaise alimentation par le système racinaire, ombrage, dégât de bétail ou de prédateurs, coupe accidentelle, etc.). A chaque rotation, il est conseillé de marquer plusieurs nouveaux drageons (par exemple six) de façon à pouvoir recruter au moins une nouvelle tige d’avenir. Si, par chance, on obtient trop de jeunes tiges bien venantes, on pourra les éclaircir et récolter ainsi un peu de bois et de cœur de palmier.
52Tous les usagers ont été informés (y compris nomades et transhumants) de la nécessité de protéger les rejets marqués par un ruban rouge. En dehors de ces drageons, il ne semblait pas nécessaire de limiter la cueillette des feuilles car le type de prélèvement actuel ne met pas en péril la survie des taches de palmiers. Dans la pratique, le projet a dû interdire la cueillette de feuilles sur les parcelles régénérées pendant les deux premières années, le marquage étant insuffisamment respecté.
53Les techniques d’aménagement préconisées ont été testées sur le terrain depuis 2004 (photographies 5 à 7). L’efficacité et la durabilité des actions de régénération de la doumeraie paraissent pratiquement assurées dans la zone agricole, où la sélection des rejets, l’entretien des taches de régénération et le contrôle de l’exploitation sont pris en charge par l’agriculteur. Les résultats apparaissent moins concluants dans la zone sylvopastorale, où, sur onze mille hectares, un cinquième aurait dû passer en régénération chaque année. Les causes en sont diverses : choix des premiers sites de régénération difficiles à suivre et à surveiller, sous-estimation du travail de sélection des rejets et d’entretien des taches de régénération, manque d’information des populations sur la protection des rejets, manque de conviction de certains villages, conflits d’intérêts entre sédentaires et transhumants.
Photographie 5. Jeunes rejets de doum (de 1 à 2 ans) (Cliché R. Peltier)
Photographie 6. Rejet de doum protégé (5 ans environ) (Cliché R. Peltier)
Photographie 7. Jeune doum en zone agricole (15 ans environ) (Cliché R.Peltier)
54Elle a été testée à petite échelle. En dehors du doum, les différentes espèces épineuses de l’espace considéré ont été émondées assez sévèrement (branches < 10 cm de diamètre), le bois d’émondage a été récupéré et les épines ont servi à réaliser des clôtures mortes. Le but de cet émondage visait à :
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récolter du bois,
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éclairer le sol,
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produire une clôture épineuse gratuite,
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régénérer les sujets décrépis (notamment chez les Balanites dont le houppier est jauni),
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favoriser le piégeage des semences herbacées au sol,
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limiter la fructification pendant deux années et donc, de moins attirer le bétail.
55Il était préconisé que les ligneux (y compris les doums) ayant atteint leur maturité physique (décrépis ou dépérissant) soient exploités après accord du service de l’environnement et qu’une coupe sélective soit réalisée parmi les espèces présentant une régénération satisfaisante (Acacia albida, Acacia raddiana, Balanites aegyptiaca, Piliostigma reticulata), avec un écartement raisonnable (en moyenne 10 m x 10 m). En effet, il ne faut pas trop ombrager le sol pour conserver une strate herbacée.
56Dans une zone riche en Acacia raddiana, comme la zone Est, on a estimé, d’après des chiffres du Nord-Cameroun, que la productivité d’un tel peuplement régulièrement émondé, serait de 2 m3/ha/an (Harmand, 1993). Sur l’ensemble du Goulbi, il est plus prudent de considérer 0,5 m3/ha/an, soit environ 2750 tonnes de bois produites annuellement pour la zone sylvo-pastorale. Malheureusement, les résultats de ces tests n’ont pas été évalués à ce jour.
57Il est vrai que les expériences de contrôle du Sida cordifolia menées par des pastoralistes (Achard, com.pers.) n’ont pas donné, jusqu’à présent, des résultats durables. Cependant le projet a permis de tester un certain nombre d’actions expérimentales. Environ un mois après le début des pluies, ont été sarclées toutes les plages de Sida cordifolia ou d’autres espèces non appétées et envahissantes ainsi que les zones nues pour y semer des espèces de graminées fourragères (annuelles et vivaces) ; la mise en défens a été maintenue jusqu’à la fructification (mi-octobre de l’année 1). Les années suivantes, la mise en place de modèles simplifiés de rotation de l’exploitation du pâturage devait permettre le maintien d’un pâturage de qualité, mais la fin du projet n’a pas permis de poursuivre ces opérations et d’en évaluer les résultats.
58Les communes ont été informées au fur et à mesure du déroulement des études : inventaires, études filières, consultations foncières, puis impliquées dans le processus d’élaboration des plans de gestion. Les ateliers communaux ont constitué une étape-clé du processus. Ils ont réuni, dans chacune des quatre communes riveraines du Goulbi, les différents acteurs concernés : coupeurs de feuilles, artisans vanniers, commerçants, éleveurs, agriculteurs, représentants de la chefferie et délégués communaux, représentants de l’administration et des services forestiers. Ils ont permis des discussions approfondies sur les questions foncières, l’accès aux ressources, les principes de taxation, et sur les grandes orientations des plans de gestion.
59Au début de son intervention, l’antenne du PAFN de Mayahi s’est attachée à répondre aux préoccupations des populations et des administrations locales, en contribuant à la stabilisation du front de défrichement de la doumeraie et à l’apaisement des conflits fonciers, comme cela est recommandé par de nombreux auteurs (Boffa, 1999) (Bertrand, 1999). Le bornage de la partie sylvopastorale du Goulbi et la délimitation des couloirs de passage, menées en collaboration avec les autorités traditionnelles et la Commission Foncière Communale ont permis de clarifier une situation confuse et très conflictuelle entre agriculteurs et éleveurs locaux et transhumants. Les exploitations agricoles et pastorales sont désormais sécurisées dans leurs domaines respectifs, les limites sont acceptées par tous et les litiges en ce domaine ont quasiment disparu depuis 2003.
- 7 L’exploitation des espèces protégées dans les champs reste soumise aux dispositions de la (...)
60Il fallait également clarifier les droits d’accès aux ressources de la doumeraie, qu’elles soient agricoles, forestières ou pastorales (Zakara, 2003). Cela supposait d’analyser concrètement les règles d’usages dans les différentes parties du Goulbi, de faire le point sur la situation avant-projet et de faire des propositions concrètes, discutées lors des ateliers de concertation communaux. Commune par commune, un consensus s’est établi sur les modalités d’accès aux ressources des champs villageois. Ont été déterminés en particulier les types de ressources réservées aux propriétaires des champs : les pailles d’Andropogon, les résidus de récolte, les fruits murs, les feuilles de doum et le bois mort. Ces accords doivent faire l’objet de conventions locales écrites au niveau des conseils communaux et des cantons7. Après de nombreuses discussions sur la mise en place d’un accès payant aux pâturages, un accord s’est dégagé pour un accès libre pour tous, sous réserve toutefois de restrictions de courte durée sur les sites aménagés. Le prélèvement de bois de la zone sylvopastorale est réglementé et sa commercialisation doit se faire dans le cadre des comptoirs mis en place par le projet.
61Les brigades de surveillance ont été généralisées au niveau villageois afin de contrôler le respect de ces nouvelles règles, qui doivent faire l’objet de campagnes d’informations, en particulier sur les marchés et par la radio locale.
62Pour que le système fonctionne de façon durable, il faut enfin que soit formalisé un cadre règlementaire approprié pour la gestion de l’ensemble de la doumeraie. La partie sylvo-pastorale doit être immatriculée et enregistrée au profit des communes, ce qui n’a pas encore été fait. Chaque commune pourra ensuite délivrer des titres de droits d’usage prioritaire pour des portions délimitées de l’espace pastoral à des groupes de villages, qui pourront les gérer et les aménager durablement en toutes sécurité et légalité.
63Il fallait concevoir un outil qui permette de contrôler les modes d’exploitation de la doumeraie, de dégager des ressources financières nécessaires pour les aménagements, tout en préservant le revenu des exploitants, sans perturber les circuits de commercialisation existants. Le concept de « comptoir de feuilles » s’est progressivement construit au fur et à mesure de l’accumulation des connaissances sur la doumeraie, de l’avancement des actions concrètes sur le terrain, des réunions de travail menées au sein du projet et des ateliers de concertation communaux. Un consensus s’est finalement dégagé sur les principes de base des comptoirs :
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Les comptoirs de feuilles sont des sites aménagés où sont installées des structures organisées pour l’exploitation des produits de la doumeraie à des fins commerciales ;
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Ils sont gérés par une structure pluri villageoise, concernant un groupe de villages appartenant à une même commune et acceptant de gérer ensemble une portion délimitée de la doumeraie ;
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Ils enregistrent les quantités de produits du doum mis en marché et prélèvent des taxes sur certains de ces produits ;
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Ils mettent en œuvre les plans d’aménagement communaux et doivent être approvisionnés à terme par des sites aménagés ;
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Leur domaine d’activité peut s’étendre à toute autre ressource naturelle, en particulier le bois.
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Le choix du site d’implantation du comptoir doit être guidé par deux critères principaux : l’existence d’un marché actif de produits du doum et la proximité d’une ressource abondante.
64Les structures des comptoirs sont calées sur les structures communales et sous-communales, sans redécoupage territorial. La mise en place du Comité de gestion du comptoir de feuilles se fait par élection, à laquelle participent des délégués de tous les villages concernés. Afin d’harmoniser les actions des différents comptoirs, notamment au niveau de la taxation et des aménagements, et de renforcer leurs capacités de négociation, une Fédération de Comptoirs de Feuilles a été créée au niveau du Goulbi N’kaba. Cette fédération doit également contribuer à promouvoir à l’extérieur les produits de vannerie du Goulbi, en particulier la vannerie colorée de qualité fabriquée par les femmes, qui peut intéresser une clientèle citadine à plus fort pouvoir d’achat.
65Au cours des enquêtes sur les filières, il est apparu que des taxes étaient prélevées sur les produits du doum mis en marché, sans que l’on connaisse précisément le montant global perçu ni l’utilisation qui en était faite. Il était nécessaire de mettre en place un système plus transparent, dont le produit pourrait être affecté en partie au financement des plans d’aménagement de la doumeraie. La nature des produits à taxer et le montant souhaitable des taxes ont fait l’objet, là encore, de nombreuses discussions et consultations dans les communes, aux termes desquelles se sont dégagés, par consensus, des principes de base. La taxe doit en principe être payée par l’acheteur de feuilles au gestionnaire du comptoir qui lui délivre en échange un bon de transport. Cette taxe se substitue à l’ancienne taxe de marché payée par le vendeur. La clé de répartition du produit des taxes (ou d’une partie de la taxe) par l’acheteur et non plus par le vendeur, permet une meilleure rémunération des coupeurs de feuilles. A Sarkin Haoussa, ils ont ainsi obtenu 50 FCFA supplémentaire par botte de 1 000 FCFA. Une réelle dynamique sociale est amorcée à Mayahi et à Sarkin Haoussa.
Figure 5. Répartition du produit de la taxe sur les produits du doum.
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67Les travaux du projet PAFN ont mis en évidence les spécificités d’une ressource naturelle jusque là peu connue, aux formes de régénération particulières, aux produits multiples, exploités de façon dispersée par une multitude d’acteurs mal identifiés, sans droits d’accès clairement établis.
68Ils ont débouché sur une clarification des enjeux liés à l’exploitation de la doumeraie :
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en termes écologiques : la doumeraie est fortement dégradée, mais il reste encore 150 000 arbres adultes et un important potentiel de régénération,
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en termes sociaux : l’exploitation du doum est une activité de survie pour 2000 à 3000 foyers, parmi les plus démunis,
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en termes économiques : le chiffre d’affaires généré par les acteurs des filières est voisin 140 millions de FCFA par an,
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en termes de financement des collectivités territoriales pour la gestion de la ressource (au travers de taxes perçues par les collectivités territoriales).
69Des observations nouvelles ont pu être faites sur la gestion traditionnelle du doum ainsi que sur son mode de reproduction végétative, permettant une meilleure compréhension des dynamiques d’évolution du peuplement. Des propositions originales sur une « sylviculture par taches » de ce palmier ont été co-construites avec les agriculteurs et les éleveurs. Celles-ci peuvent contribuer efficacement à la lutte contre la désertification de la vallée.
70Paradoxalement, le terroir agricole apparaît désormais comme le lieu privilégié pour développer des actions de protection d’espèces forestières. On a en effet constaté que, si les agriculteurs ont détruit les doums adultes en colonisant le Goulbi, ils se sont gardés de détruire les rejets et les ont même intégrés dans leurs systèmes de cultures. On a observé également une pratique, de plus en plus répandue au moment des défrichements, de protection de certaines espèces forestières. C’est bien dans la strate agricole que les premières opérations de régénération de la doumeraie menées par le PAFN ont été les plus concluantes.
71Le bornage de la partie sylvopastorale du Goulbi et la délimitation des couloirs de passage, menées en collaboration avec les autorités traditionnelles et communales, ont pacifié les rapports entre agriculteurs et propriétaires de bétail. Les droits d’accès aux différentes ressources ont été clarifiés pour tous les acteurs. Toutefois, pour sécuriser durablement la gestion du Goulbi, il faudrait encore que la partie sylvo-pastorale soit formellement immatriculée et enregistrée au profit des communes, ce qui reste à faire.
72Il est encore trop tôt pour faire une évaluation précise de l’impact des comptoirs de doum, mais certains indices sont d’ores et déjà encourageants. Les prix aux producteurs ont tendance à augmenter. Une réelle dynamique sociale est amorcée dans les plus gros marchés. Cependant, la gestion productive de ce parc ne pourra être durable que si la filière des produits transformés sur place, actuellement concurrencée par des produits manufacturés importés (nattes, cordes et objets divers en plastique de Chine ou du Nigeria) trouve de nouveaux marchés plus rémunérateurs L’idéal serait que de nouvelles filières (commerce international équitable) permettent de donner plus de prix aux produits artisanaux et motivent les populations pour gérer durablement la doumeraie sahélienne.
Les auteurs remercient les personnes qui les ont aidés dans leur travail au Niger, les populations du Goubi N'kaba, les autorités locales, les responsables et concepteurs du PAFN, et en particulier MM Mamadou Hamadou, G.Roulette, A.Bertrand et P. Montagne.