1Située sur la façade atlantique, Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire possède de nombreux atouts économiques (port, aéroport, usines, etc.) qui contribuent énormément au développement des transactions commerciales sous régionales et même internationales. Il s’ensuit une forte pression démographique, marquée à la fois par un taux de natalité élevé (4%), un important déplacement des populations de l’arrière pays vers la métropole et un flux d’immigrants (6%) toujours croissant (Zoro, 2001). Parmi les problèmes sociaux, que connaît l’agglomération d’Abidjan, l’urbanisation incontrôlée et l’environnement sanitaire et social associé portent de graves préjudices à la qualité de vie dans les quartiers défavorisés. La commune de Yopougon, la plus peuplée (plus de 700 000 habitants (INS, 2001), des 10 communes d’Abidjan est l’une des plus touchées par ces phénomènes.
2Yopougon se caractérise par un tissu urbain très contrasté, comportant à la fois des quartiers de bas, moyen et haut standing, ainsi que des habitats précaires généralement faits de matériaux de récupération (UNICEF, 2001). Par ailleurs, d’importantes unités industrielles se rencontrent dans la commune. Toutes les eaux usées provenant des usines ainsi que celles rejetées par les ménages sont déversées sans traitement dans la lagune Ebrié par le biais de canaux de drainage des eaux. Cette situation a fortement contribué à la pollution de la lagune qui est devenue très préoccupante (Kouassi et al., 1995 ; Kouadio, 2000).
3Dans le plus grand bassin versant de Yopougon (bassin Uniwax), un canal naturel à pentes très abruptes, assure la collecte et l’évacuation des eaux usées et pluviales. Les abords immédiats du canal, abritent de nombreux quartiers précaires dont: Doukouré, Yaoséhi, Mami Faitai, Yamoussoukro, Gbinta et Niangon Continu. Ceux-ci sont situés en dehors du plan directeur d’urbanisme de la commune. Ces zones sont interdites de construction et par conséquent, ne sont pas prises en compte dans les programmes d’aménagement urbain de la commune. La quasi-inexistence d’infrastructures sanitaires de base dans ces quartiers porte de graves préjudices sanitaires aux populations.
4La compréhension des risques sanitaires des zones urbaines dans les pays en développement a connu une évolution notable au cours de ces dernières décennies (Obrist et al., 2003). Cependant, beaucoup reste à faire surtout dans les milieux défavorisés de sorte que l’étude de ces phénomènes reste encore un problème d’actualité. Les personnes vivant dans des conditions défavorables supportent la plus lourde part du fardeau des problèmes environnementaux qui affectent les centres urbains (Hardoy et al., 2001). À Abidjan, la probabilité de mourir entre 1 et 5 ans serait de 15 fois plus élevée dans l’habitat précaire que dans l’habitat de standing (Gueu, 1993). La vie dans les quartiers précaires devient ainsi un sujet très important qui interpelle aussi bien les chercheurs, les décideurs que les urbanistes en charge de la gestion des centres urbains.
5Cette recherche sur les milieux défavorisés, initiée par le Centre Suisse de Recherche Scientifique en Côte d’Ivoire (CSRS) et l’Institut tropical Suisse (ITS) en collaboration avec le Laboratoire de Sciences et Techniques de l’Eau et de l’Environnement (LSTEE), dans le cadre du programme de recherche en partenariat Nord Sud (NCCR-NS), vise à caractériser l’état de l’environnement sanitaire des quartiers précaires d’Abidjan ainsi que les risques de maladies associées. Elle permettra de révéler, les atteintes graves à la qualité de vie des populations concernées.
6Les approches spatiales SIG sont adaptées aux investigations qui intègrent des données multi-sources ; l’environnement sanitaire étant la résultante de diverses composantes (occupation du sol, réseau d’assainissement, collecte des ordures, accès à l’eau potable et aux structures sanitaires). La qualité de l'environnement sanitaire des quartiers précaires sera caractérisée par des indicateurs de qualité de vie définis à l'échelle intra-urbaine (Weber et al., 1992). Ces indicateurs sont élaborés à partir de l’association "bâti + voirie + infrastructures d’assainissement + eau et maladies associées".
7La meilleure connaissance et la meilleure gestion de l’environnement sanitaire urbain passent par la mise en place d’un observatoire des paramètres environnementaux. Ce qui permettra des prises de décisions efficaces dans le cadre de la politique de restructuration des quartiers précaires pour leur intégration dans le tissu urbain.
8L’approche méthodologique combine les techniques spatiales (télédétection et SIG) et les résultats des enquêtes de terrain réalisées dans les 6 quartiers précaires retenus. Dans une première phase, une synthèse des données et documents existants permet de constituer une base de données sur les caractéristiques physiques et environnementales. La deuxième phase porte d’une part, sur la mise à jour de la carte d’occupation du sol et d’autre part, sur la caractérisation des variables relatives à la qualité de vie déterminées grâce aux données socio-démographiques et environnementales.
9La synthèse des travaux réalisés (Gueu, 1993 ; UNICEF, 2001) au niveau des quartiers défavorisés de la commune de Yopougon, respectivement sur les maladies infectieuses transmises par voie hydrique et sur les populations en situation extrêmement difficile des milieux urbains pauvres, a permis de faire le profil environnemental et sanitaire des sites d’étude. Les données de population (tailles des ménages, population, taux d’accroissement, etc.) sont issues de la base des données du Recensement Général de la Population et de l’Habitat réalisé en 1998 par l’Institut National de la Statistique (INS, 2001).
10La vérification et les mises à jour des informations recueillies sont effectuées grâce à des visites de sites et des enquêtes de terrain auprès de différents organismes publiques et/ou privés (ONG, services techniques municipaux) concernés par ce projet.
11Sur la carte cadastrale existante à l’échelle 1/25 000, les quartiers précaires sont matérialisés par des bandes où la construction des habitations est interdite. Ces bandes sont situées aux abords de grandes fosses aux pentes très abruptes. Pour l’actualisation du Mode d’Occupation du Sol (MOS), une campagne de terrain a été entreprise pour la collecte de points caractéristiques et la description de la structure spatiale des habitats (relation entre eux et par rapport à la voirie). A l’aide d’un GPS de type GARMIN et un système de mesure de distance métrique constitué de, l’ensemble des rues de chaque quartier a fait l’objet de prospection afin de corriger et/ou compléter les cartes et croquis de base. Le GPS permet la localisation des objets urbains avec une marge d’erreur acceptable (Cissé et al., 1999). Cependant, la superposition des données est difficile à cause de l’imprécision au niveau des cartes et croquis de base. L’intégration des 6 quartiers précaires dans le fichier du MOS de la commune n’est pas très satisfaisante. Pour toutes ces raisons, le recours à l’imagerie satellitaire à très haute résolution s’impose pour une extraction à très grande échelle (1/5 000) du bâti actualisé des quartiers précaires étudiés. Une image satellitaire QUICKBIRD a donc été acquise pour la cartographie du bâti, support de base pour la spatialisation des variables relatives à l’environnement sanitaire des quartiers précaires de Yopougon.
12Les images QUICKBIRD (scène du 24 janvier 2004) utilisées sont de bonne qualité radiométrique. Elles sont nettes et présentent une très bonne lisibilité des unités d’habitations ainsi qu’une description fine de la morphologie du tissu urbain. Les images QUICKBIRD comportent une bande panchromatique (0,45-0,90 m) de résolution 65 cm et 4 bandes multispectrales du visible et du proche infra rouge (0,45-0,52 m ; 0,52-0,60 m ; 0,63-0,69 m et 0,76-0,90 m) de résolution spatiale 2,5 m. Grâce à cette fourchette spectrale et à la finesse de résolution spatiale, ces images constituent une base de données très riche en information pour la reconnaissance et l’extraction du bâti des quartiers précaires et leur intégration dans le tissu urbain de la commune de Yopougon.
13La fine résolution spatiale de l’image QUICKBIRD, permet une meilleure description de la structure des quartiers (agencement des habitats et réseau de voirie) et une meilleure estimation des taux de répartition des éléments environnementaux permettant d’apprécier la qualité de l’environnement. Quant au bâti, il permet de représenter les ménages dans lesquels seront réalisées les enquêtes socio-démographiques et environnementales et de faire une analyse de la situation sanitaire des populations.
14L’analyse de l’environnement sanitaire des quartiers précaires a commencé par l’identification des paramètres de mesure et d’appréciation de la qualité du cadre de vie des populations de ces quartiers. Pour ce faire, cinq variables essentielles ont été sélectionnées et concernent : (i) le niveau de drainage des eaux ; (ii) le mode d’évacuation des eaux usées domestiques, (iii) le mode d’évacuation des ordures ménagères ; (iv) l’accès à des infrastructures sanitaires de base. Le tableau 1 présente les différentes catégories, les facteurs qui impactent l’environnement sanitaire et les variables concernées.
15Toutes les variables, excepté celle de la catégorie « accès aux infrastructures de base », représentent le pourcentage de surface occupée rapportée à la surface totale du quartier pour la catégorie habitations et à celle de rues pour les autres catégories. Dans ces conditions, les grandes valeurs des variables représentent une mauvaise condition sanitaire. Concernant la catégorie « accès aux infrastructures de base », la variable est d’abord qualitative et permet d’apprécier les conditions d’approvisionnement en eau potable. Ensuite, une dimension quantitative permet d’apprécier la disponibilité et les types des structures sanitaires dans les quartiers.
Tableau 1. Catégories et variables de l’environnement sanitaire
Catégories
|
Facteur impactant l’environnement sanitaire
|
Variables concernées
|
Comment l’impact est réalisé ?
|
Habitations
|
Constructions anarchiques
|
Occupation du sol par l’habitat
|
Habitations très denses, promiscuité augmente l’exposition au risque
|
Drainage des eaux
|
Absence de système de drainage, existence des eaux stagnantes
|
Stagnation des eaux
|
Conditions propices des géohelminthes et des moustiques
|
Evacuation des eaux usées (EU)
|
Absence d’évacuation des EU et prolifération des déversoirs d’EU
|
Déversoirs d’EU dans les rues des quartiers
|
Contamination du public (diarrhées, choléra dermatose etc.) et de l’environnement
|
Evacuation des ordures ménagères (OM)
|
Absence de d’évacuation des OM et prolifération des dépôts sauvages
|
Dépôts sauvages dans les rues des quartiers
|
Source de vecteurs de maladie, et augmente l’exposition, une accumulation locale.
|
Accès à des infrastruc-tures de base
|
Mauvais approvisionnement en eau, absence de centres de santé
|
Type d’approvision-nement en eau, Service de santé
|
Consommation de l’eau à risque (diarrhée etc.), recours médiocre aux soins augmentent la vulnérabilité
|
16Deux types d’enquêtes ont été réalisés pour déterminer les caractéristiques des facteurs jouant un rôle prépondérant dans la connaissance de l’environnement sanitaire. La première est une enquête géographique et la seconde une enquête ménage.
17L’enquête géographique réalisée en 2004, permet de décrire la situation effective dans les quartiers précaires à la date de sa réalisation (Cissé, 1997). Les variables environnementales concernées portent d’une part, sur les déversoirs d’eaux usées, les eaux stagnantes et les dépôts sauvages d’ordures ménagères dans les rues des quartiers, et d’autre part, sur les sources d’approvisionnement en eau potable (robinet d’eau, revendeurs d’eau, borne fontaine, puits) et les structures sanitaires servant de recours aux soins en cas de maladie.
18En s’appuyant sur la carte du bâti des quartiers précaires obtenue à l’aide des images QUICKBIRD, les différentes artères (rues, ruelles) ont été parcourues de façon exhaustive par 6 équipes composées de 3 techniciens chacune pour identifier et indexer les variables environnementales au GPS et reporter les informations caractéristiques sur des fiches d’inventaire préalablement élaborés. Par ailleurs, la finesse de l’image QUICKBIRD a permis d’évaluer les dimensions et les limites de chacun des quartiers précaires et d’en extraire les superficies occupées par les rues grâce aux techniques spatiales utilisant le logiciel Arc-view version 3.2 pour Windows. Ainsi plusieurs requêtes sur les variables environnementales ont pu être réalisées à partir des données issues de l’enquête géographique et celles de l’occupation du sol. L’enquête géographique s’est déroulée pendant 6 jours.
19La caractérisation de l’environnement sanitaire se fait à l’échelle du quartier. Pour analyser les impacts potentiels de la situation sanitaire sur les nuisances urbaines et les populations, l’enquête ménage a été réalisée à la suite de l’enquête géographique. Elle est basée sur la technique d’échantillonnage aléatoire simple. La taille de l’échantillon (nombre de ménages) dépend des taux à mesurer et de la précision souhaitée, comme l’exprime l’équation 1 (OMS, 1991) :
20[1] 
21Avec N : taille minimale de l’échantillon nécessaire ; P : estimation de la proportion attendue (taux de prévalence) ; Q : la valeur de (1-P) ; E : Marge d’erreur tolérée (risque statistique en %) ; L : écart réduit pour le risque statistique admis (1,96 pour le risque 5%).
22La validité de l’équation [1] réside dans la dextérité du choix de la valeur du taux de prévalence. Du point de vue épidémiologique, la prévalence dans sa forme simpliste se définie comme étant le nombre total de personnes atteintes d’une maladie ou d’une condition de santé particulière à un moment donné. Quant au taux, il exprime la fréquence à laquelle un évènement se produit dans une population. Ainsi donc, le taux de prévalence d’une maladie est la fréquence des réponses se rapportant à la maladie dans l’échantillon enquêté par quartier.
23En considérant le paludisme qui est l’une des maladies causées par un déficit d’assainissement, dont le taux de prévalence (30%) au niveau national est bien connu (PNLP, 2003). L’application de l’équation [1] avec un risque admissible de 5%, a abouti à un échantillon de 323 ménages nécessaire pour couvrir les 6 quartiers retenus. Afin de renforcer la représentativité de l’échantillon (contrôle-qualité), les moyens ne faisant pas défaut, il a été appliqué un cœfficient multiplicateur de 5,57 ; ce qui a ramené l’échantillon à 1800 ménages. La taille des 6 quartiers étant voisine, 300 ménages ont été investigués dans chacun des quartiers.
24Une première enquête pilote est effectuée pour tester la validité et l’opérationnalité du protocole d’enquête d’une part, et pour vérifier l’adéquation du questionnaire à s’appliquer aisément à tous les ménages d’autre part. Celle-ci a permis d’avoir un aperçu de l’environnement du travail et de corriger et/ou peaufiner les premières fiches d’enquêtes. La restitution de cette enquête a permis de valider le questionnaire final, structuré en 3 parties A, B et C. La partie A s’intéresse à l’identification et à l’information de base sur le ménage. La partie B traite de l’eau, de l’assainissement et des maladies contractées par le ménage les 2 dernières semaines précédant l’enquête. Quant à la partie C, elle ressort les caractéristiques des membres du ménage.
25Dans chaque quartier, 2 enquêteurs préalablement formés soumettent le questionnaire aux différents ménages (responsable de ménage ou toute autre personne susceptible de répondre valablement aux questions). Un superviseur donne des orientations et des explications éventuelles aux problèmes survenus au cours de l’exécution de l’enquête (renforcement du contrôle de qualité). Sur la base des réponses de l’enquête ménage qui a duré deux mois, des taux de prévalence à deux maladies majeures (paludisme, diarrhée) ont été retenus dans l’analyse.
26Cette étude contribue à évaluer les impacts de la situation sanitaire sur les nuisances urbaines à l’échelle de chaque quartier. Dans cette optique, les images satellitaires QUICKBIRD (très haute résolution spatiale) sont couplées aux données exogènes relatives à l’environnement sanitaire pour décrire la réalité physique des différents quartiers (occupation du sol, connectivité des espaces bâtis, mode d’évacuation des eaux et des ordures, accessibilité aux services de santé etc.). Les variables identifiées sont utilisées pour la caractérisation de l'environnement sanitaire et de la qualité de vie des populations. La carte du bâti constitue le support indispensable à la spatialisation des indicateurs environnementaux. Les facteurs d’accès aux infrastructures sanitaires de base (installation sanitaires, réseau d’assainissement des eaux pluviales et usées, infrastructures de collecte des ordures) et aux sources d’approvisionnement en eau potable (utilisation de robinet d’eau, de revendeur d’eau, puits), sont combinés dans une analyse intégrée pour apprécier les facteurs de risque environnementaux des quartiers précaires en rapport avec le mode d’occupation du sol et les observations sur le terrain. Par ailleurs, un quartier résidentiel (COPRIM) bénéficiant des normes d’urbanisme et d’assainissement environnemental en vigueur et situé dans le même espace que les quartiers précaires étudiés, a été intégré dans l’analyse. Cette disposition a permis de procéder à des comparaisons toutefois que cela était nécessaire pour une meilleure appréciation de la situation.
27Sur la carte du MOS (1/25 000), les abords du canal sont des terrains attribuées au couvert végétal. Il n’est établi aucun découpage pour la construction d’habitats. Les 6 quartiers précaires sont par conséquent absents du Plan Directeur d’Urbanisme. L’interprétation visuelle des bandes panchromatique et multi spectrales et des compositions colorées des images QUICKBIRD a permis de relever les différents structures des habitats des 6 quartiers précaires. La finesse spatiale des images a facilité la reconnaissance des unités d’habitation et la description sémantique des ménages renforcées par les enquêtes de terrain. La figure 1 présente la carte actualisée du MOS incluant désormais les quartiers précaires.
Figure 1. Carte actualisée du MOS de Yopougon incluant les quartiers précaires
28Parmi les 6 quartiers étudiés, 5 présentent une façade coïncidant avec l’une des rives du canal. Il s’agit des quartiers Doukouré, Yaoséhi, Mami Faitai, Gbinta et Niangon Continu. Seul, le quartier Yamousoukro se trouve isolé du canal. Les mesures de terrain effectuées sur le canal montrent que sa profondeur à l’état actuel varie de 15 à 25 m, sur une largeur variant de 10 à 15 m avec des pentes très abruptes de 55 à 70 %. C’est un véritable fossé au cœur de la commune. La portion contiguë au quartier Doukouré est entièrement aménagée alors qu’à Yaoséhi, elle l’est partiellement. Sur le reste du tronçon qui passe par Mami Faitai, Gbinta et Niangon Continu jusqu'à la lagune Ebrié, aucun aménagement n’est réalisé. Des analyses géotechniques ont montré que la nature lithologique des sols abritant les quartiers précaires est constituée de formations allant des sables latéritiques aux sables grossiers(Villeaubreuil, 1962). De nombreux phénomènes de géorisque (érosion, éboulement, inondation) sont observés dans les secteurs non aménagés du canal, surtout en saison pluvieuse (juin). Plus de 75% des habitations de ces endroits sont fortement menacées par ces phénomènes. Cela pose de graves préjudices aux maisons construites en bordure du canal et aux populations. Des pertes en vie humaine ont été enregistrées dans les quartiers de Yaoséhi, Gbinta et Niangon Continu à la suite d’éboulements de terrain et d’inondations en 2000 (5 morts) et en 2002 (3 morts). Les quartiers précaires des autres communes de l’agglomération d’Abidjan, sont sujets également à ces phénomènes en saison pluvieuse.
29La structure spatiale des 6 quartiers précaires étudiés est caractérisée par des habitations aux formes irrégulières, agencées dans une architecture touffue et précaire avec des rues très étroites ne permettant pas une circulation fluide des personnes et des véhicules. Le développement anarchique et incontrôlé des habitations a engendré une très forte promiscuité des maisons. Le tableau 2 montre que les habitations occupent environ 70% de l’espace dans les quartiers précaires.
Tableau 2. Occupation des espaces dans les quartiers précaires
Quartiers
|
Aire quartier (m²)
|
Aire habitats (m²)
|
Aire rues, Voirie
(m²)
|
Taux d’occupation
du sol
|
Habitats (%)
|
Rues, Voirie (%)
|
|
Doukouré
|
226 340
|
226 340
|
59 347,5
|
69,1
|
30,9
|
Yaoséhi
|
197 609
|
197 609
|
69 193,4
|
69,0
|
31,0
|
Mami Faitai
|
237 744
|
237 744
|
90 775,1
|
66,1
|
33,9
|
Yamoussoukro
|
115 556
|
115 556
|
31 899,6
|
72,4
|
27,6
|
Gbinta
|
125 613
|
125 613
|
51 627,6
|
68,1
|
31,9
|
Niangon Continu
|
179 363
|
179 363
|
56 532,4
|
71,2
|
28,8
|
Coprim (Formel)
|
141 323
|
83 381
|
57 942
|
59,0
|
41,0
|
30La comparaison de la densité de l’habitat avec celle du quartier résidentiel (COPRIM) met bien en évidence la promiscuité qui prévaut dans les quartiers précaires. La densité moyenne des habitations dans le quartier résidentiel (59%) reste inférieure à celle des quartiers précaires (66-72,4%). En outre, le quartier COPRIM présente un tissu urbain caractérisé par un tracé régulier des zones d’habitation, des rues asphaltées larges et un système d’assainissement favorisant le drainage des eaux usées et pluviales. A l’inverse, dans les quartiers précaires les rues sont très étroites et la connectivité et l’accessibilité entre les différents blocs ou bandes d’habitations est mauvaise (routes sans issues, ponts de fortune, etc.). L’aménagement de l’espace dans ces zones ne constitue pas une priorité, de sorte qu’il n’existe aucun système réglementaire d’évacuation des eaux. Par ailleurs, il n’y a pas de possibilité d’extension de ces quartiers et pourtant, ils enregistrent le plus fort taux de croissance de la population qui est estimée à 3,8 % (INS, 2001). La crise politico-militaire déclenchée en 2002 a accentué la pression démographique existante, qui dans ces conditions, implique une modification du mode d’occupation du sol. En effet, face à la forte pression anthropique, la majorité des ménages entreprennent des modifications de leurs habitations en les segmentant et en occupant parfois certaines rues et les rares terrains vagues environnants. Cela augmente la promiscuité déjà manifeste et diminue la connectivité et l’accessibilité aux différents quartiers.
31Il ressort des analyses que l’aménagement de l’espace dans les quartiers précaires n’obéit à aucune norme de planification et d’urbanisme. Des difficultés d’accès se posent pour le ramassage des ordures ménagères. L’étroitesse des voiries associée à l’occupation anarchique du sol par les habitations, récuse toute possibilité d’installation d’ouvrages de drainage et de collecte des déchets urbains.
32La prolifération dans les rues des quartiers des déversoirs d’eaux usées, des dépôts sauvages d’ordures ménagères, la stagnation des eaux, associées aux sources insalubres d’approvisionnement en eau, au difficile accès à des centres communautaires de santé publique, au recours aux guérisseurs traditionnels pour les soins en cas de maladie, renforcent la gravité de la situation sanitaire des populations marginales vivant dans ces milieux précaires. La synthèse de la situation est présentée dans le tableau 3.
33Selon l’OMS, près de la moitié des citadins d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine sont atteints d’une ou plusieurs maladies associées à un approvisionnement en eau ou bien à un assainissement inadéquat (WHO, 2000). L’intégration des informations issues des enquêtes de terrain et rapportées aux habitats révèle un déficit de gestion de l’environnement. La conséquence est le développement d’un environnement malsain dans ces quartiers qui porte une atteinte grave à la qualité de vie des populations. En effet, d’importantes surfaces sont occupées par les déversoirs d’eaux usées, les dépôts sauvages et les eaux stagnantes dans les rues des quartiers.
Tableau 3. Occupation des rues par les variables environnementales.
Quartiers
|
Taux de l’occupation rapportée à l’aire des rues du quartier (%)
|
Taux de l’occupation rapportée à sa sommation dans l’ensemble des 6 quartiers (%)
|
|
ES
|
DEU
|
DS
|
ES
|
DEU
|
DS
|
Doukouré
|
11,47
|
15,69
|
9,36
|
35
|
60
|
36
|
Yaoséhi
|
7,14
|
5,82
|
4,44
|
10
|
10
|
18
|
Mami Faitai
|
7,33
|
3,77
|
4,61
|
20
|
5
|
11
|
Yamoussoukro
|
3,51
|
7,44
|
0,22
|
4
|
15
|
5
|
Gbinta
|
10,65
|
6,56
|
3,86
|
2
|
7
|
8
|
Niangon Continu
|
12,10
|
14,01
|
3,88
|
29
|
3
|
22
|
Légende : ES=eaux stagnantes, DEU=déversoirs d’eaux usées, DS= dépôts sauvages)
34Le déficit d’assainissement dans les quartiers précaires, amène les ménages à déverser leurs eaux usées dans les rues et ruelles. Des espaces aménagés ou non, appelés déversoirs d’eaux usées sont alors choisis dans les rues par les populations pour servir des lieux d’évacuation quotidienne des eaux usées domestiques.
35Dans ces quartiers défavorisés, aucun système d’évacuation des eaux usées n’est construit ; le système d’égouttage étant très onéreux pour les populations qui y vivent. Dans ces conditions deux possibilités s’offrent aux populations riveraines : i) l’évacuation des eaux dans les rues, ii) et l’utilisation des fosses (Strausset al., 2000). Très peu de ménages optent pour la deuxième option. La taille des ménages est en moyenne de 5 à 6 habitants par ménage. Le coût et la maintenance des fosses constituent un problème pour ces populations majoritairement en dessous du seuil de pauvreté. De plus, la promiscuité des habitations constitue un frein à un système assainissement adéquat. Tout cela conduit les ménages à choisir la première option, c’est-à-dire à recourir aux rues et terrains vagues comme mode d’évacuation des eaux usées. Dans les données présentées dans le tableau 3, les superficies occupées par les déversoirs d’eaux usées sont rapportées aux superficies des quartiers. Les proportions les plus élevées s’observent à Niangon Continu (14%) et Doukouré (15,70%), les rendant ainsi les plus vulnérables en matière de nuisances par la présence des déversoirs insalubres d’eaux usées. Ensuite, les surfaces occupées par ces déversoirs d’eaux usées dans chacun des quartiers ont été associées pour procéder à une analyse intégrée. C’est le quartier Doukouré qui concentre la majeure partie de déversoirs d’eaux usées (60%) dans les rues. En revanche, les quartiers Niangon Continu, Mami Faitai et Gbinta dont les eaux usées sont majoritairement mieux rejetées dans le canal d’évacuation d’eaux, sont faiblement pourvus en déversoirs. Ils enregistrent respectivement les proportions de 3%, 5% et 7%.
36La prolifération des déversoirs d’eaux usées constitue de graves menaces pour la santé des populations. Ces déversoirs sont favorables à la prolifération de vecteurs des maladies tels que les mouches, les rats, les insectes, les cafards et divers autres arthropodes. Le développement de ces vecteurs nuisibles à la santé se trouve d’autant plus accentué que la structure anarchique et insalubre des quartiers s’y prête.
37L’insuffisance du réseau de drainage, s’exprime par la stagnation des eaux sales dans les quartiers. Ces eaux se concentrent dans des dépressions circulaires ou rectangulaires des rues, contrairement aux déversoirs d’eaux usées qui sont des canaux aménagés ou non. Parfois, les déversoirs d’eaux usées communiquent avec les eaux stagnantes. L’occupation des rues par les eaux stagnantes varie d’un quartier à un autre. Les quartiers Doukouré, Niangon Continu et Mami Faitai sont les moins drainés, puisqu’ils enregistrent les plus fortes concentrations de superficies d’eaux stagnantes, respectivement dans les proportions de 35%, 29% et 20%. A l’opposé, les quartiers Gbinta et Yamoussoukro, avec respectivement les proportions de 2% et 4%, apparaissent les mieux drainés. Cependant, le quartier Gbinta pris isolement est vulnérable en matière de nuisances causées par la présence d’eaux stagnantes puisqu’il enregistre dans ces conditions une portion de 10,65%. Il est important de souligner, qu’il s’agit d’un drainage naturel lié à la déclivité motrice des sites, puisque aucun quartier ne dispose de système de drainage moderne adéquat.
38Dans l’enquête visant la mise en évidence des eaux stagnantes dans les rues des quartiers, est associée la recherche des parasites notamment des larves de moustiques dans ces eaux. L’analyse de la présence de ces parasites, révèle que la plupart des eaux stagnantes dans les rues des quartiers précaires sont de véritables gîtes potentiels de larves de moustiques (Anophèle, Culex, Aèdes). La recherche des facteurs qui gouvernent la présence des larves dans les eaux stagnantes a abouti à un dénombrement statistique qui permet d’indiquer le nombre de gîtes larvaires effectivement observés (Tableau 4).
Tableau 4. Nombre de gîtes larvaires (Cu, Ae, An) observés dans les quartiers précaires étudiés de Yopougon
Quartiers Précaires
|
Doukouré
|
Yao-séhi
|
Mami Faitai
|
Yamous-
soukro
|
Gbinta
|
Niangon Continu
|
Nombre de gîtes observés
|
34
|
17
|
21
|
17
|
2
|
6
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39Le genre Anophèle (An) est le plus rencontré dans les gîtes larvaires développés dans les eaux stagnantes. Le quartier Niangon Continu qui a un fort taux d’eaux stagnantes ne présente que 6 gîtes larvaires alors que dans le quartier Yamoussoukro qui présente un taux plus faible d’eaux astagnantes dans les rues, 17 gîtes larvaires ont été observés. Certaines larves ont été observées dans des eaux contenues dans les déchets de civilisation, d’autres dns des petits caniveaux et rigoles et autres dispositifs contenant de l’eau très sale. Cette observation montre que la présence de gîtes larvaires n’est pas seulement liée à la présence d’eaux stagnantes, mais elle est aussi influencée par des facteurs notamment climatiques et environnementaux.
40L’environnement des quartiers précaires se caractérise également par des dépôts sauvages dans les rues et terrains vagues des quartiers. Cette situation est le signe d’une gestion insuffisante des ordures. La décomposition des ordures ménagères non collectées est nuisible à la santé. L’analyse de la situation concernant les dépôts sauvages montre que les quartiers Doukouré, Niangon Continu et Yaoséhi sont ceux dont les rues et ruelles comportent le plus de dépôts sauvages. Ils enregistrent respectivement les proportions de 36%, 24% et 18%. Dans ces quartiers, la proximité géographique du canal détermine souvent l’attitude et le comportement des ménages dans la gestion des ordures ménagères. En effet, les enquêtes de "vérité-terrain" révèlent que les ménages situés à proximité du canal perçoivent le canal comme une décharge d’ordures. Par conséquent, les déchets sont déversés dans le canal d’évacuation, dans les rigoles et dans les zones non bâties environnantes. Certains ménages jettent les ordures dans les eaux de ruissellement qui rendent les rues impraticables. D’autres les mettent dans des sacs qu’ils jettent dans les rues. Plusieurs raisons expliquent cette situation insalubre, notamment le manque de sensibilisation au problème d’hygiène (Kopieu, 1996), l’éloignement des points de collecte des déchets (Komenan, 1996).
41La pré-collecte des ordures de porte à porte (Sané, 2002), effectuée par les jeunes, n’est pas pratiquée par tous les ménages. Car le coût (rémunération en fonction du volume de la poubelle, 30 à 225 FCFA par semaine), est difficilement supportable pour la plupart de ces ménages. Cette raison, essentiellement d’ordre économique amène certains ménages à déverser les déchets dans les rues, les ruelles et les terrains vagues du quartier, augmentant ainsi les risques de contamination. Le quartier Doukouré se caractérise par des rues très étroites, toujours gorgées d’eaux, et difficilement accessibles par les brouettes artisanales des agents pré-collecteurs d’ordures. Cette situation le rend plus exposé à la prolifération des dépôts, avec une proportion de 35%. En revanche, le quartier Yamoussoukro qui possède des rues facilement accessibles par les pré-collecteurs et même par les tracteurs motorisés est moins exposé aux dépôts anarchiques d’ordures.
42Au cours des enquêtes de terrain, plusieurs cas de choléra et de décès ont été révélés confirmant les résultats des certaines études qui ont observées que le taux de mortalité dans ces quartiers défavorisés est très élevé qu’ailleurs (Gueu, 1993 ; INHP, 1998). L’accès aux infrastructures socio-sanitaires de base et la qualité des recours aux soins pourraient contribuer à réduire la mortalité dans ces quartiers précaires.
43La majorité des ménages dans les quartiers pauvres d’Abidjan s’approvisionnent auprès des revendeurs d’eau installés de façon anarchique dans des conditions insalubres (Collignon, 1999). Les résultats des enquêtes montrent que les ménages des quartiers précaires étudiés s’inscrivent dans cette logique. La prestation se fait à des coûts variant de 20 à 100 F CFA en fonction du volume du récipient de prise d’eau. Aucune précaution d’hygiène n’est prise dans l’approvisionnement en eau, le transport et la conservation de celle-ci avant sa consommation ; ce qui augmente les risques de contamination de l’eau. Les structures sanitaires elles, sont constituées par deux centres communautaires et des cliniques privées semi-modernes (infirmeries) et traditionnelles. Certaines infirmeries privées existent, aux conditions de prestations insalubres et au matériel de travail vétuste et elles sont parfois dotées de personnel non qualifié. Ces centres de santé communautaires et ces infirmeries proposent des frais de consultation et de soins qui sont au dessus des possibilités économiques de nombreux ménages. Ceux-ci ont donc recours aux guérisseurs traditionnels dont les prescriptions sont parfois douteuses. Cette situation augmente les risques de contamination et l’épidémie de choléra qui a sévit dans les mois de juin et juillet 2002 à Abidjan et quelques grandes villes de l’intérieur du pays (WHO, 2005) est une parfaite illustration. En effet, cette épidémie a entraîné de nombreux décès à Doukouré et Yahoséhi.
44Les enquêtes ménages effectuées ont révélé deux maladies hydriques récurrentes : le paludisme et la diarrhée.
45Selon les rapports du Programme Nationale de Lutte contre la Paludisme, la prévalence palustre dans les villes de côte d’Ivoire est estimée à 40 %. Le taux d’infection palustre chez les enfants de moins de 5 ans représente 42,7% des causes de consultations et 62,4% des causes d’hospitalisation à l’échelle nationale (PNLP, 2003). Le taux de prévalence général, évalué dans le cadre de cette étude, sur la base des réponses de l’enquête ménage est de 47% dans les quartiers précaires étudiés. Ce taux dépasse le taux national (30%). Il représente le double de celui révélé par Dagnan et al. (2002) dont les travaux, étendus à toute la commune de Yopougon donnent un taux de 23,3%. Ce travail montre que la prévalence palustre au niveau des quartiers précaires est plus élevée que celui de la commune de Yopougon. Les quartiers précaires sont plus exposés à l’infection palustre. La prévalence palustre présente les plus forts taux (>50%) dans les quartiers Yamoussoukro et Yaoséhi. Le plus faible taux (36,6%) est observé dans le quartier Niangon Continu.
46Les maladies diarrhéiques sont aussi des causes de consultations récurrentes dans les quartiers précaires. Elles affichent des prévalences de l’ordre de 19 % en moyenne sur la base des réponses des enquêtés. La prolifération des dépôts sauvages et déversoirs d’eaux usées dans les rues et ruelles ainsi que le recours à des revendeurs d’eau pour la source d’alimentation en eau potable, observés dans ces quartiers, augmenteraient les sources de contamination aux maladies diarrhéiques. Les quartiers de Doukouré, Mami Faitai et Gbinta ont les plus forts taux (>20%) ; le plus faible taux (16%) étant observé à Niangon Continu.
47Ce travail utilise une approche pluri et transdisciplinaire dans l’étude des milieux défavorisés. Il s’appuie sur les techniques spatiales (télédétection et SIG) et les investigations de terrain pour analyser la problématique de gestion de l’environnement sanitaire par les populations des quartiers précaires de Yopougon. La grande innovation vient du fait que les images de très haute résolution telles que QUICKBIRD sont utilisées pour la première fois dans la caractérisation de la structure des habitats des quartiers spontanés et marginaux de l’agglomération d’Abidjan, où aucune planification de développement n’est programmée.
48En matière de cartographie cadastrale la finesse des images QUICKBIRD a facilité la localisation géographique et l’extraction des unités d’habitations, la description sémantique des ménages et la délimitation des quartiers étudiés. Ainsi, l’imagerie à très haute résolution spatiale apporte une information actualisée, quantitative et spatialement localisée en l’absence de documents cartographiques de base sur le tissu urbain et périurbain, comme c’est le cas pour de nombreux pays en voie de développement (Weber, 2002).
49La réalité complexe de l’urbanisation anarchique et incontrôlée des quartiers spontanés de Yopougon est appréciée sur les cartes établies. Ces dernières sont nettes si bien que la localisation des objets géographiques répertoriés aux GPS a été très satisfaisante. En termes de coûts et de délais, les images QUICKBIRD s’avèrent incontournables pour produire des cartes de haute précision afin d’établir des diagnostics approfondis des structures spatiales et sociales de Yopougon et par extension de l’ensemble des communes de l’agglomération d’Abidjan.
50Dans le contexte actuel d’urbanisation accélérée du monde en développement, l’imagerie à très haute résolution spatiale peut constituer le pivot de l’analyse des dynamiques structurelles urbaines et des trajectoires de recomposition des territoires (Dureau, 1997 ; Weber, 2002). La promotion de nouveaux outils d’aide à la détermination des entités urbaines permet de mettre en relation la dynamique de l’urbain et les informations ayant trait au domaine du "social. Selon Dureau (1997), l’imagerie satellitaire n’est pas seulement une source d’information sur l’occupation du sol, elle peut aussi jouer un rôle déterminant dans le processus de production d’informations démographiques et économiques quantifiées et spatialisées sur l’ensemble d’une agglomération, y compris ses quartiers périphériques illégaux.
51La multiplication des applications dans des contextes urbains divers, et l’intégration des innovations de la télédétection urbaine, contribueront à améliorer l’approche développée dans cet article couplant les techniques spatiales aux investigations de terrain pour analyser l’environnement sanitaire de Yopougon. Par ailleurs, il est important de sensibiliser les décideurs et les responsables administratifs pour consolider de manière concertée les bases de données spatiales locales et collaborer avec les centres de recherches comme le Centre Suisse de Recherche Scientifique (CSRS) et le Centre Universitaire de Recherche et d’Application en Télédétection (CURAT) pour mettre en place des infrastructures adéquates, développer des solutions et des politiques efficaces pour la connaissance et la gestion des centres urbains de la ville d’Abidjan et en particulier la commune de Yopougon.
52Du point de vue de la gestion de l’assainissement environnemental, le déficit de drainage des quartiers et d’évacuation des eaux usées domestiques, observé dans ces milieux précaires est un facteur de maladies, notamment les syndromes pseudo palustres et diarrhéiques. En effet, les eaux de mauvaise qualité, l’assainissement précaire et la mauvaise hygiène contribuent pour une grande partie dans la détérioration de la santé des populations (Erseyet al., 1991). La situation reste particulièrement alarmante dans les milieux précaires des villes des pays en développement. Ce résultat est souligné par les travaux réalisés par Cissé et al. (1998), Bartlett (2003) et WHO (2005) qui ont montré que les milieux pauvres des pays en développement sont les plus touchés par les maladies diarrhéiques surtout la frange des enfants de moins de 5 ans. L’épidémie de fièvre jaune qui s’est abattue sur Abidjan, en septembre 2005 a effectivement fait des victimes dans les quartiers précaires de la ville, y compris ceux de Yopougon (WHO, 2005). Les maladies diarrhéiques sont causées par plusieurs parasites dont les salmonelles (les plus fréquemment rencontrés) et se localisent dans les milieux insalubres, dépourvus de système d’assainissement moderne adéquat, associés à un déficit d’hygiène du milieu (Farthing, 2000). Elles présentent un taux annuel mondial de décès estimé à 3,3 millions dans les pays en développement. Ce taux est élevé dans les milieux très pauvres à cause des mauvaises conditions d’hygiène, de la malnutrition et de l’environnement sanitaire précaire. Ces maladies tuent chaque année des millions de personnes, empêchent des millions d’autres de vivre en bonne santé et sapent les efforts faits en matière de développement (Nash, 1993 ; Olshansky et al., 1997). Cette situation est également en phase avec les résultats des études récentes réalisées dans les quartiers précaires d’Abidjan (INHP, 1998 ; Obrist etal., 2006).
53L’infection palustre quant à elle, est la première endémie mondiale et la première cause de mortalité infantile (PNLP, 2003). La présente étude montre que la présence de gîtes larvaires responsables de cette infection, n’est pas le seul fait de la présence d’eaux stagnantes, mais elle est aussi influencée par certains facteurs. Les travaux de Mouchet (1999), sur les vecteurs et facteurs environnementaux du paludisme ont donné des résultats similaires. Les facteurs climatiques tels que l’ensoleillement (permanent, mi-permanent, non ensoleillé), la profondeur et l’étendue des eaux stagnantes, la qualité des eaux (trouble, claire, etc.) participent largement au développement des larves dans les eaux stagnantes des milieux tropicaux précaires.
54Une analyse intégrée permet de se rendre compte que parmi les quartiers étudiés, celui de Doukouré est le plus touché par les problèmes relatifs à l’insuffisance de gestion de l’environnement. Ce quartier concentre les plus forts taux d’occupation des rues par les déversoirs d’eaux usées (60%), les eaux stagnantes et les dépôts sauvages (35%). A l’opposé le quartier de Gbinta est celui qui semble souffrir moins de la présence de ces facteurs : déversoirs d’eau usées (7%), eaux stagnantes (2%) et dépôts sauvages (7%).
55Le cadre sanitaire et les taux de prévalence des maladies récurrentes (paludisme et diarrhée) évalués dans ce travail sont fournis à titre indicatif et ne peuvent représenter la réalité vécue dans ces quartiers. Pour compléter cette étude des investigations cliniques seraient indispensables pour établir un lien effectif entre les maladies et l’environnement desdits quartiers. Les résultats de cette étude constituent une base importante de données actuelles pour les actions futures à entreprendre dans ces quartiers précaires. Ils permettront de planifier et de valider les mesures à prendre pour remédier aux déficits d’assainissement dans ces quartiers précaires.
56L’analyse de la situation de l’environnement sanitaire des quartiers précaires dans le tissu urbain de la commune de Yopougon (Abidjan) s’est basée sur l’utilisation de l’image satellitaire QUICKBIRD à très haute résolution spatiale. Ce travail a intégré, des données multi sources comprenant à la fois des informations qualitatives (imagerie satellitaire et cartes thématiques) et des informations quantitatives (enquêtes de terrain). L’étude révèle de nombreuses insuffisances dans le système de gestion des déchets solides et liquides. On observe un envahissement des rues et des terrains vagues par des dépôts d’ordures sauvages, des déversoirs d’eaux usées et des eaux stagnantes abritant des gîtes larvaires de moustiques. Les difficultés d’accès à l’eau potable, aux centres de santé publique, et le recours préférentiel à des soins douteux renforcent la précarité de la vie. L’action combinée des divers facteurs environnementaux et des conditions sociales et économiques, expose les populations à des risques de contraction des maladies telles que le paludisme et la diarrhée. Les résultats de l’étude seront utiles particulièrement aux autorités de la commune de Yopougon ayant à charge la gestion du centre urbain. Ils contribueront à la conception d’une nouvelle politique de l’administration relative à la restructuration des quartiers précaires et leur intégration dans le tissu urbain légal de la commune.
57Le travail a été réalisé dans le cadre du programme NCCR-NS intitulé : « partenariats scientifiques pour l’atténuation des syndromes du changement global ». Le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique et la Direction du Développement et de la Coopération suisse sont remerciés pour avoir financé les activités de ce programme.