1Les migrations constituent une contribution majeure aux activités commerciales et surtout à l’urbanisation de la Côte d’Ivoire (Dureau, 1987). Cette nouvelle donne a engendré des mutations socio-économiques importantes dans le pays. La Côte d’Ivoire a connu une prospérité économique sans précédent dans les années 1970 grâce à sa politique économique libérale et stable. Ce « miracle économique ivoirien » retentissant, dû à une politique de développement accéléré dans une économie ouverte tant aux capitaux non nationaux qu’à la main d’œuvre expatriée et locale, a drainé une population importante (3,7 % par an) vers la capitale économique Abidjan qui concentre l’essentiel des activités industrielles du pays. L’afflux de ces populations d’origine diverse vers Abidjan revêt plusieurs causes dont la plus importante semble être la quête d’emplois permanents dans le secteur dit structuré ou formel (Antoine et Coulibaly, 1987).
2Par ailleurs, les années 1980, marquées par la crise économique et l’application draconiennes des programmes d’ajustement structurel (PAS), ont vu bon nombre de travailleurs frappés par des licenciements massifs, consécutifs au désengagement de l’Etat ivoirien de plusieurs secteurs productifs conformément aux recommandations des Institutions de Brettons Woods (FMI, Banque Mondiale).
3Le flot de migrants, tant nationaux que non nationaux, de plus en plus importants, vient gonfler l’effectif des chômeurs et des déflatés urbains. Soucieux de leur survie, bon nombre de ces personnes vulnérables exercent des activités informelles. Tandis que certains trouvent leur salut dans l’exercice du petit commerce, d’autres trouvent leur compte dans l’agriculture urbaine.
4Antérieurement, marginalisée et reléguée au second plan car, considérée comme une activité dégradante en milieu urbain, l’agriculture urbaine apparaît, de nos jours, comme une soupape de sûreté pour des exclus du secteur moderne. Ce secteur d’agriculture urbaine dont relève notre étude se résume de la façon suivante :
-
méconnaissance ou« myopie » du statut juridique des espaces de production ;
-
taille réduite de la superficie de production ;
-
facilité d’accès au cadre spatial du secteur d’activité ;
-
utilisation de l’eau de qualité douteuse pour l’arrosage des plantes ;
-
capital réduit d’origine familiale (moyens d’investissements) ;
-
absence de qualification professionnelle des acteurs ;
-
marchandage du tarif initial des produits ;
-
ravitaillement immédiat du marché local.
- 1  Déclaration commune des villes Européennes à Aalborg(ville Danoise)reposant sur une approche écosy (...)
5Les constats faits, au cours de l’observation de l’agriculture urbaine sur le terrain, conduisent à identifier certains problèmes d’ordre géographique et juridique : la question de l’examen du cadre spatio-juridique dans lequel elle se déroule, mais aussi l’analyse du niveau spatial de rayonnement de l’activité, le mode de production et l’écoulement des différentes productions. A cet égard, il convient de se demander si l’essentiel de la production est absorbé par le marché local Abidjanais ou s’il y a un surplus destiné à l’exportation ? Les denrées alimentaires et les productions agricoles de type décoratif (ornemental) participent-elles de l’équilibre social ? Les questions sur l’origine des acteurs, leur niveau de qualification, la typologie d’implantation des unités de production et les stratégies économiques adoptées par les acteurs pour leur survie dans la mégapole Abidjanaise sont au cœur du fonctionnement des unités de production au regard de la charte d’Aalborg1.
6Le présent article se propose d’analyser les facteurs liés à la dynamique de l’agriculture urbaine. Nous avons choisi le cadre spatial de quelques communes du District d’Abidjan pour illustrer notre diagnostic (Figure 1).
Figure 1. Localisation du district d’Abidjan
Conception :Abraham Olahan ; réalisation : Meledge N’diaye, 2009
7Cette étude a été réalisée dans huit (8) communes du District d’Abidjan. L’agglomération d’Abidjan est située au sud de la Côte d’Ivoire, au bord du golfe de guinée et est comprise entre les latitudes 5°00 et 5°30 Nord et les longitudes 3°50 et 4°10 Ouest. Elle s’étend sur un périmètre de 53 kilomètres sur 40, soit environ 212 000 ha ou 2120 km².
8Abidjan est la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Sa population est estimée en 2009, selon l’INS à 5 878 609 habitants. Considérée comme le carrefour culturel Ouest-Africain et voire Africain, l’agglomération Abidjanaise connaît une perpétuelle croissance caractérisée par une forte industrialisation et une urbanisation galopante. Le District d’Abidjan est bordé au sud par l’océan atlantique, au nord par la région de l’Agnéby, à l’ouest par la commune de Dabou, à l’est par celle de Grand-Bassam.
9Du mois d’août à octobre 2009, nous avons effectué des enquêtes de terrain qui nous ont permis de collecter des données ci-après. Ces enquêtes se sont matérialisées par une observation directe des activités agricoles dans l’espace urbain Abidjanais, à la fois par des entretiens (individuels et/ou collectifs) et par questionnaire. Les observations ont porté sur les différents acteurs (agriculteurs urbains), les différents espaces agricoles constituant des unités de production, les différents circuits de distribution et de vente (marchés).
10L’enquête par questionnaire a été administrée aux acteurs individuels échantillonnés de façon aléatoire. La base du dixième du nombre des agriculteurs urbains (365) a été retenue au regard du nombre des acteurs sur le terrain. Pour tous les effectifs d’agriculteurs urbains, les échantillons sont choisis par excès en référence avec le résultat du calcul (Tableau 1).
11Tableau 1. Les espaces de production et échantillons enquêtés
Zones ou Communes
|
Unités de production agricole et individus répertoriés
|
Unités de production agricole et individus enquêtés (échantillon)
|
 %
|
Abobo
|
49
|
5
|
13,2
|
Anyama
|
68
|
7
|
18,4
|
Bingerville
|
30
|
3
|
7,9
|
Cocody
|
85
|
9
|
23,7
|
Koumassi
|
27
|
3
|
7,9
|
Marcory
|
19
|
2
|
5,3
|
Port-Bouet
|
49
|
5
|
13,2
|
Yopougon
|
38
|
4
|
10,5
|
Total
|
365
|
38
|
100
|
12Toutes les informations recueillies ont été saisies sur du matériel informatique (Microsoft Word) et avec le logiciel SPSS pour les données quantitatives.
13Les migrations des populations rurales vers les villes ne sont pas un phénomène récent. En Amérique du nord et en Europe, les populations abandonnent les zones rurales depuis la révolution industrielle du 19ème siècle. La tendance s’est accélérée après la 2ème guerre mondiale. De nos jours, dans les pays développés, la population urbaine croît à un rythme annuel d’à peine 0,4 %. En revanche, dans les pays en voie de développement, le rythme annuel d’accroissement est de 2,3 % (Mougeot, 2006).
- 2  Yves Marguerat : des ethnies et des villes : analyse des migrations vers les villes de C.I.
- 3  INS Recensement général de la population et de l’habitat 1988 et 1998.
- 4  INS Recensement général de la population et de l’habitat 1988 et 1998.
14En Côte d’Ivoire, des études antérieures, ayant pour base le recensement général de la population en 19752, 19883, 19984, ont montré que la population de la capitale économique ivoirienne offrait l’image d’une mosaïque ethnique en regard de la diversité de son aire d’attraction. En effet, selon l’étude de Yves Marguerat (1981-1982), quatre groupes ethniques constituait la moitié de la population de Bouaké (2ème agglomération urbaine de Côte d’Ivoire), mais 10 à Abidjan.
15La population sur laquelle s’est portée notre étude est constituée, essentiellement d’hommes. Lesquels travaillent, en association, avec leurs femmes, leurs enfants et autres personnels. Les uns et les autres proviennent de l’intérieur du pays et des pays limitrophes de la Côte d’Ivoire.
16Les agriculteurs urbains nationaux de notre étude sont au nombre de 15. Ce qui représente 39,5 % des agriculteurs urbains enquêtés (Tableau 2). L’analyse des données selon l’ethnie nous montre que l’ethnie locale (Ebrié) n’est pas représentée. L’essentiel des acteurs provient des départements, autres que celui d’Abidjan ; ainsi, on dénombre par ordre d’importance numérique les Sénoufo (5), les Mahouka, Tagouana (3) et Koyaka (2). Et dans une faible proportion, les Koulango et Djimini (1). Il est à noter que le groupe prépondérant d’agriculteurs urbains des Nationaux est celui des Sénoufo (33,3 %), suivis par les Mahouka, Tagouana (20 %) et les Koyaka (13,3 %).
17L’analyse holistique du tableau 2 nous montre que les acteurs non nationaux sont, essentiellement, ressortissants des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et sont les plus nombreux. Ils comportent 23 individus des agriculteurs urbains tirés de l’échantillon de l’étude. Ils appartiennent à 4 nationalités : Burkinabé (10), Ghanéen (2), Guinéen (5) et Malien (6). Il faut noter que l’agriculture urbaine est aux mains des non nationaux (60,5 %). L’étude faite par (Arnaud J.C., 1985) a montré la prépondérance des Malinké dans l’économie de l’agriculture urbaine depuis les années 1980. Laquelle étude n’a pas marqué une différence entre les Malinké Nationaux et Non nationaux provenant de la Guinée, du Mali et du Burkina Faso.
18Tableau 2. Répartition des acteurs selon l’ethnie et la nationalité
Nationaux
|
Non nationaux
|
Ethnies
|
Effectifs
|
 %
|
Nationalités
|
Effectifs
|
 %
|
Djimini
|
1
|
6,7
|
Burkinabé
|
10
|
43,5
|
Koulango
|
1
|
6,7
|
Ghanéen
|
2
|
8,7
|
Koyaka
|
2
|
13,3
|
Guinéen
|
5
|
21,7
|
Mahouka
|
3
|
20,0
|
Malien
|
6
|
26,1
|
Sénoufo
|
5
|
33,3
|
|
|
|
Tagouana
|
3
|
20,0
|
|
|
|
Sous-total
|
15/ 39,5Â %
|
100
|
|
23/ 60,52Â %
|
100
|
Total
|
38
|
19Le tableau 2 indique que le plus gros effectif des agriculteurs urbains non nationaux relève des Burkinabé (10), soit 43,5 % des agriculteurs urbains, suivis des Maliens (6), soit 26,1 % et des Guinéens (5), 21,7 %. La faible proportion ressort des Ghanéens (2), 8,7 %.
20Cette partie de notre étude met en évidence l’importance de l’éducation-formation dans tous systèmes de production. En effet, l’éducation, participant de la modification du comportement humain, elle est susceptible de faire ressortir son incidence sur le comportement et le rendement des acteurs économiques du secteur agricole urbain.
Tableau 3. Répartition des agriculteurs urbains selon les niveaux d’instruction et les nationalités
Niveau d’instruction
|
Nationaux
|
Non nationaux
|
Effectif et %
|
Effectif et %
|
|
Ensemble et %
|
Non scolarisés
|
7
|
46,7
|
9
|
39,13
|
16
|
42,1
|
Primaire
|
6
|
40,0
|
10
|
43,5
|
16
|
42,1
|
Secondaire
|
2
|
13,3
|
3
|
13,0
|
5
|
13,1
|
Supérieur
|
---
|
---
|
1
|
4,4
|
1
|
2,6
|
Total
|
15
|
100
|
23
|
100
|
38
|
100
|
21Le tableau 3 indique globalement la configuration du niveau d’instruction des différentes nationalités. Au plan numérique, les non nationaux représentent le lot le plus important ; 23 individus sur les 38 membres de l’échantillon. En outre, l’analyse de chaque niveau d’instruction montre également les mêmes tendances, à savoir 9 non nationaux par rapport à 7 nationaux sont « non-scolarisés », 10 non nationaux ont fait le « primaire » a contrario de 6 nationaux. Au niveau du « secondaire », il y a 3 non nationaux contre 2 nationaux. Quant au niveau « supérieur », seul un non national existe. Dans l’ensemble, le tableau 3 indique un équilibre entre les « non scolarisés » et les « primaires » (16), soit 42,1 %, quand le « secondaire » représente 13,16 % et 2,64 % pour le « supérieur ». Le niveau d’instruction des agriculteurs urbains est disparate. Qu’en est-il de leur état matrimonial ?
- 5  C’est la vie concubine menée par les acteurs et non le mariage civil à la Mairie
22Sur les 38 agriculteurs urbains de toutes les nationalités constituant notre échantillon d’enquête, nous enregistrons 29 individus « mariés »5 et 9 célibataires dont certains possèdent des enfants. Par ailleurs, lorsqu’on analyse les deux grands groupes, à savoir les nationaux d’une part et les non nationaux d’autre part, il ressort qu’au sein de la communauté ivoirienne comportant 15 individus, nous avons 9 mariés et 6 célibataires, soit respectivement 60 % et 40 %. Alors que le groupe des non nationaux, comprenant 23 individus, renferme 21 mariés (91,3 %) et 2 célibataires (8,7 %).
23Sur 15 nationaux, 9 sont « mariés », soit 60 %. Ils ont 26 enfants. En outre, parmi les agriculteurs urbains nationaux, l’un d’entre eux a 3 femmes, 3 ont chacun 2 femmes. Le reste en a respectivement une. Quant aux célibataires, au nombre de 6, 4 individus ont chacun un enfant et les 2 autres sont sans enfant.
24Avec un effectif de 23 individus non nationaux, nous avons 21 mariés, soit 91,30 % et 2 célibataires (8,70 %).Quatre non nationaux ont chacun 2 femmes, soit 19,04 % des mariés. Au chapitre des enfants à charge, les non nationaux totalisent le plus grand nombre d’enfants à savoir 57 éléments. Quant aux célibataires, au nombre de 2, ils totalisent 4 enfants dont l’un d’entre eux en a 3.
25Le recensement des unités de production agricole nous a révélé au total 8 zones. L’échantillonnage au dixième a donné par excès en référence avec le résultat de calculs, les effectifs par zones suivantes : Abobo (5), Anyama (7), Bingerville (3), Cocody (9), Koumassi (3), Marcory (2), Port-Bouet (5) et Yopougon (4). La répartition des unités de production agricole n’est pas le fait du hasard (Figure 2).
26Figure 2. Répartition des sites de production par type de cultures
Conception : Abraham Olahan ; réalisation : Meledge N’diaye,2009
27Depuis des décennies, la croissance de la métropole Abidjanaise a été spectaculaire, en réponse à la croissance économique qu’a connue le pays. Celui-ci a fait le choix de l’ouverture de son économie et de son intégration aux marchés mondiaux. Cette option de développement a accru la vulnérabilité de son économie aux chocs mondiaux (crise alimentaire mondiale 2008) et en particulier aux chocs alimentaires (manifestations de rues à Abidjan en 2008).
28A l’échelle nationale, ce sont les plus pauvres qui connaissent la plus grande vulnérabilité face aux fluctuations des prix des denrées alimentaires et de l’activité économique, et ce en l’absence de protection sociale satisfaisante ; ils n’ont alors parfois plus la possibilité financière de se nourrir correctement (Gwenn, 2009). En outre, à l’échelle urbaine, les mutations des habitudes alimentaires induisent une pression croissante sur les ressources locales (terre) et l’environnement (traitement phytosanitaire).
29Ainsi, l’occupation des sites de production agricole en milieux urbains obéit, certes, aux aspirations des acteurs, mais également aux variables impositoires d’ordre géographique, économique et juridico-informel
30Il nous a été donné de constater que les communes ci-après : Adjamé- Plateau- Treichville ne disposent pas assez d’espaces naturels pouvant favoriser une intense activité agricole urbaine. Cependant, il faut noter que des distorsions apparaissent au niveau de ces espaces naturels. En effet, Adjamé s’étend sur 973 hectares (ha) (Bnetd, 2009), soit 2,7 % de la superficie totale de l’agglomération Abidjanaise. Les espaces naturels représentent 37 % de la superficie totale de la commune, et se localisent dans la partie Nord de ses limitent territoriales contiguës au cimetière principal d’Abidjan (Williamsville), à l’Université d’Abobo-Adjamé et l’Hôpital Militaire d’Abidjan. Quant à la commune du Plateau, originellement le « quartier européen » d’Abidjan, elle s’étend sur 330 ha (Bnetd, 2009), soit 0,9 % de l’agglomération. Ses espaces naturels, composés de 94 % de berges lagunaires, occupent 48 ha, soit 14,5 % de la superficie du quartier. Ce sont les espaces verts aménagés qui y sont prépondérants.
31Par ailleurs, la commune de Treichville constitue l’un des quartiers les plus anciens de l’agglomération. « Quartier Africain » lors de la période coloniale, cette commune a évolué en devenant une importante zone portuaire et industrielle. Avec une superficie de 722 ha (Bnetd, 2009), soit 2 % de la superficie de l’agglomération Abidjanaise, les surfaces consacrées à l’habitat, aux équipements et autres activités tertiaires occupent 99 %. Les espaces naturels indiquent 1 % essentiellement occupés par es espaces verts d’embellissement.
32Quant aux autres communes (cf. tableau 1), objet de notre espace d’étude, elles présentent quelques paysages ruraux (espaces naturels) propices aux activités agricoles, y compris les espaces aménagés non encore mis en valeur. Ce phénomène peut s’expliquer non seulement par les espaces non constructibles, mais aussi par le caractère topographique non viable de quelques sites.
33Par ailleurs, la nature, ayant pour horreur le vide, celle-ci a tendance à être occupée par des personnes en quête d’un espace pour mener à bien les activités qu’ils savent exercer, en l’occurrence l’agriculture urbaine. Ceci vise, entre autres, à entretenir l’espace urbain vacant comme source de revenus.
34Dans toute activité économique, le marché constitue le point de mire de la dynamique transactionnelle (Claval, 1983). Le facteur humain, qui est le moteur de la demande effective susceptible d’enclencher l’offre, se trouve dans des endroits de fortes concentrations anthropiques. Abidjan, capitale économique, forte d’une population de plus de 5 millions d’habitants représentant 20 % de la population ivoirienne dans son ensemble, constitue le pôle de développement économique de la Côte d’Ivoire. L’agriculture est le pivot de la croissance globale pour la majorité des pays en voie de développement et essentielle pour la réduction de la pauvreté et la sécurité alimentaire (FAO, 2009) C’est une source potentielle d’emplois de divers ordres et particulièrement l’agriculture urbaine dans toutes ses composantes. Le maraîchage succède souvent à des problèmes d’emploi dans le milieu urbain (Moustier, 1999). Cette dynamique agricole et spatio-économique qui caractérise ce secteur repose-t-elle sur un mobile juridique et/ou informel ?
35D’après les informations recueillies auprès des acteurs lors de notre étude, nous avons remarqué que quelques espaces occupés, dans le processus de production des denrées alimentaires et des plantes ornementales, ne font nullement l’objet d’aucune autorisation de la municipalité, ni de celle des riverains. Les propos ci-dessous confirment les résultats :
« le problème, c’est que nous, quand on voit un terrain inoccupé,on ne demande pas de permission(autorisation) :un matin,on vient et on commence à remuer la terre… »(propos de producteurs)
« des jours plus tard, on voit quelques gens qui arrivent et puis, ils disent qui vous a installés ici – ah chef, c’est nous même, parce que on veut se débrouiller ici pour chercher un peu d’argent »(propos de producteurs)
« savez-vous que cet endroit est un domaine public ? (propos d’agents municipaux) »
« non, nous on connaît pas ça, parce que on a des enfants, femmes et puis les frères ; on veut se débrouiller pour manger un peu un peu »(propos de producteurs)
« désormais, vous allez passer à la mairie pour payer une taxe,… »(propos d’agents municipaux)
36Ces espaces sont, en général, illégalement exploités, au départ, au vu et au su des autorités municipales. Paradoxalement, celles-ci font lever des taxes mensuelles variant entre 4000 et 8000 F CFA pour renflouer les recettes du budget communal. Ainsi, bien que ces activités agricoles se fassent dans l’informel (sans aucune assurance foncière doublée de perception de taxes), l’on est en droit de dire que l’agriculture urbaine est « encouragée » par les autorités. Il reste à leur conférer un statut officiel en les regroupant dans des coopératives et en leur attribuant des « titres » d’occupation des sols. Ce qui leur permettra d’obtenir des financements auprès des structures de la micro-finance de la place.
37L’envergure spatiale et économique de l’agriculture urbaine (relations zones de production et espaces de commercialisation « marchés ») a favorisé du point de vue sécuritaire, l’émergence d’un corps de métier (les gardiens munis de flèches empoisonnées) dans le secteur d’activités afin de veiller sur les plantes.
38En effet,du fait de la dynamique transactionnelle qui caractérise le secteur,celui-ci est de temps en temps victime d’agressions et autres violences faites d’extorsion de fonds,de cambriolages et voire de vols de produits maraîchers,vivriers et horticoles. La précarité des sites de production et leur proximité avec les voies de circulation seraient-elles des indices de convoitise de la part des larrons qui sévissent nuitamment ? Eu égard au fait que les municipalités prélèvent des taxes sur les « chiffres d’affaires » de ces agriculteurs urbains, ne serait-il pas judicieux que les communes concernées par ces activités mettent en place des brigades de police nocturne pour mieux les sécuriser ? Ceci garantirait leurs revenus et assurerait la pérennité des activités agricoles tout en luttant contre la pauvreté.
39Les types d’implantation qui se sont dégagés au cours de nos études se résument à 3 cas de figure : les implantations le long des voies de circulation, les implantations sur les zones non constructibles et/ou bas-fonds et les domaines publics ou privés (lots non mis en valeur ou maisons inachevées).
40Au cours de nos enquêtes, nous avons constaté que la plupart des unités de production se trouvent en bordure des routes (Figure 3). Les routes où l’on enregistre le plus d’unités de production agricole, à la fois de type nourricier et décoratif sont la voie expresse de l’aéroport à Port-Bouet, l’échangeur faisant jonction entre Cocody les Deux Plateaux et Adjamé, l’axe Abobo-Corridor Anyama via le Grand Séminaire. Aussi, y a t il des terrains sous lignes de transport d’électricité (Figure 4), les berges et les zones de servitude de la route de Bingerville servant de production d’une variété de cultures vivrières, maraîchères et de plantes décoratives. Il faut noter que l’occupation des emprises de ces routes se fait de façon anarchique au mépris du décret n° 84-851 du 04 Juillet 1984.
41A la question de savoir pourquoi avez-vous choisi de vous installer au bord de la route ? Il s’est agi, pour eux, disent-ils, de montrer aux clients et à tout passant ce qu’ils produisent. Aux dires des acteurs (agriculteurs urbains), leur présence à proximité des routes leur permet d’être en contact avec tout passant qui peut voir ce qu’ils produisent :
« la route nous permet de montrer ce que nous produisons »(propos de producteurs)
« quand tu es à côté de la route, celui qui voit les produits peut s’arrêter pour payer et aller manger ou décorer sa maison »(propos de producteurs)
« quelques fois quand tu montres le produit en l’air, y a n’en qui s’arrête et puis il paie,c’est comme une publicité… »(propos de producteurs)
42Ainsi, espèrent-ils attirer la clientèle et engranger des revenus. Mais, il n’y a pas que les grandes voies où l’on peut observer des unités de production agricole en milieux urbains ; on en trouve aussi à l’intérieur des quartiers.
Figure 3. Maraîchers près de l’aéroport Abidjan
 Clichés Olahan, 2009
Figure 4. Plantes décoratives sous ligne haute tension à Cocody
 Clichés Olahan, 2009
43L’existence de ces types d’unités de production agricole en milieux urbains obéit à une coopération entre le propriétaire de la parcelle et l’exploitant occasionnel. Cette coopération est fondée sur un accord verbal dont la quintessence repose sur une rétrocession immédiate au propriétaire dès que celui-ci a besoin de mettre en valeur sa parcelle. Ces lopins de terre et maisons inachevées non couvertes (cf. figure 5) sont le plus souvent occupés par des vivriers (maïs, manioc, patate douce, tarot, banane plantain…), et des maraîchers (tomate, piment, aubergine, chou,…). Cette façon d’entretenir les espaces lotis et les maisons inachevées non recouvertes de toitures constitue une stratégie pour les titulaires de ces biens immobiliers de ne pas se voir, non seulement arracher les lots, mais aussi de ne pas permettre à des indélicats de déféquer dans leurs maisons en vue de leur conférer une certaine propreté.
44Par ailleurs, certains propriétaires de parcelle procèdent à des locations de leurs espaces lotis au moyen de la perception de loyer forfaitaire variant de 5000 FCFA à 10 000 FCFA par annuité. Le caractère précaire et locatif de quelques sites de production agricole incite certains acteurs à occuper des zones non constructibles malgré les risques d’inondation auxquels ils s’exposent.
Figure 5. Champ de manioc sur un lot non mis en valeur, Cocody –Riviera
 Olahan, 2009
45La carte de la ville d’Abidjan n’indique pas visiblement la proportion des espaces libres non bâtis ; qu’ils soient du domaine public ou du domaine privé et des zones non constructibles. L’agriculture urbaine constitue, cependant, une grande utilisation du sol urbain à cause de sa souplesse et de sa mobilité par endroits. On la trouve sur toutes sortes de terrains (terrains à bâtir non aménagés, terrains publics inexploités et laissés vacants, terrains d’habitation, terrains physiquement non aménageables (Mougeot, 1995). Ce dernier type de terrains, qui n’intéresse pas l’autorité compétente en la matière, fait, cependant, l’objet d’occupation en matière d’agriculture urbaine par les acteurs, malgré les risques potentiels et avérés qu’ils encourent (figure 6). Car, celle-ci (l’agriculture urbaine) ne fait pas obstacle à un aménagement plus approprié du territoire urbain, mais permet au contraire d’exploiter des endroits petits, inaccessibles, non viabilisés, dangereux ou inoccupés (Mougeot, 2006). L’espace, ici, est dévolu le plus souvent à la culture des vivriers (banane plantain, manioc, maïs,…) et des maraîchers comme les feuilles de laitue (salade), les carottes et le chou. De même, du fait que le planificateur ne s’intéresse pas à ce type de terrain dans le tissu urbain, celui-ci connaît une certaine stabilité ou de perpétuité dans son exploitation.
Figure 6. Champ de bananiers dans un bas-fond à Cocody près du Lycée technique
 Olahan, 2009
46Cette partie de notre étude tente de montrer le caractère ancien de l’activité agricole en milieu urbain lors de nos enquêtes et leurs variables de stabilité.
Tableau 4. Ancienneté des sites de production agricole urbaine
Tranches d’âges
|
Effectifs
|
 %
|
< 1an
|
-
|
-
|
1-4 ans
|
1
|
2,6
|
5 – 9 ans
|
2
|
5,3
|
10 – 14 ans
|
2
|
5,3
|
15 – 19 ans
|
7
|
18,4
|
20 -24 ans
|
8
|
21,0
|
25 – 29 ans
|
9
|
23,7
|
30 -34 ans
|
6
|
15,8
|
≥ 35 ans
|
3
|
7,9
|
Total
|
38
|
100
|
47Le tableau 4 indique les tranches d’âge d’ancienneté des sites de production agricole. Il est à noter que la durée de vie d’aucun site de production ne date de moins d’un an. Les effectifs vont crescendo ; un site de production se situe entre 1 à 4 ans. Les tranches d’âge 5-9 ans et 10-14 ans renferment uniformément 2 sites de production. Quant aux tranches d’âge 15-19 ans, 20-24 ans et 25-29 ans, les durées d’existence sont sensiblement faibles.
48En revanche, elles affichent proportionnellement des taux respectivement les plus élevés, à savoir 18,4 %, 21,7 % et 23,7 %. Les sites de production les plus anciens relèvent des tranches d’âge 30-34 ans et la catégorie supérieure ou égale à 35 ans, montrant respectivement 15,8 % et 7,9 %. Ces différents sites de production agricole connaissent, au regard des différentes tranches d’âge une certaine stabilité.
49Le fait que l’agriculture urbaine se pratique sur toutes sortes de terrains, elle est caractérisée par une certaine stabilité dans le temps. En outre, sa stabilité procède de sa contribution à la création d’emplois au niveau des ménages, la génération des revenus au niveau des ménages pauvres.
50Par ailleurs,la situation économique,l’insécurité alimentaire et la malnutrition auxquelles font face des milliers de personnes vivant dans des quartiers précaires aux conditions de vie infrahumaines et au regard des difficultés d’approvisionnement urbain,dues non seulement aux mauvais états des routes mais aussi aux rackets des forces de l’ordre,il est nécessaire que l’autorité municipale encourage les citadins s’adonnant à cette activité aux fins de minimiser tous ces risques qui puissent entraver le ravitaillement des marchés locaux urbains. Il convient de souligner que beaucoup d’acteurs bénéficient des conditions généreuses d’accès aux terrains pour leur installation au regard de leur état de déflatés n’aspirant plus retourner dans leurs anciennes activités perdues.
51Aussi, l’autoproduction des denrées alimentaires contribue-t-elle à abaisser les dépenses des ménages et à accroître leurs ressources pour des soins de santé de leur famille, l’acquisition de vêtements et la scolarisation de leurs enfants.
52Le nombre de personnes par unité de production agricole varie d’un site à un autre en fonction des qualités humaines du promoteur. Les éléments composant la main d’œuvre sont l’amalgame des patrons et des ouvriers. Il nous a été donné de constater au niveau de certaines unités de production, la présence de quelques manœuvres assurant l’intérim du patron en cas d’absence de celui-ci. Ceux-ci sont minoritaires, car atteignant seulement le nombre de deux.
53Le rôle de la formation générale et technique est indéniable pour conférer à tout travail un maximum de rendement. Car, savoir lire, écrire et calculer constituent des atouts pour la gestion de toute entreprise. Pour ce faire, l’essentiel du personnel est constitué de non-scolarisés et des « primairiens » (tableau 3). Cette force de travail avec niveau d’instruction faible, constitue une inertie dans la productivité de l’agriculture urbaine. Certes, l’objet de notre étude n’est pas de faire, ni l’inventaire des superficies agricoles en présence, ni le niveau de rendement global de l’agriculture urbaine. Cependant, il y aurait un rendement meilleur et élevé si les acteurs, dans leur majorité, avaient un savoir-faire équilibré de par la formation et un suivi de techniques agricoles auprès d’une structure d’encadrement requise, en l’occurrence l’Anader. Aux dires des acteurs, leur encadrement par une structure technique est inexistant :
 « …oui, on a besoin de suivi pour que notre activité connaisse un bon rendement »(propos de producteurs)
« mais, on n’a pas assez d’argent pour faire venir un agent d’Anader ; d’ailleurs, on se débrouille ici sur de petites superficies, donc on ne peut pas faire venir quelqu’un qui va nous demander du carburant…. »(idem)
« le problème, c’est que l’Anader s’occupe des gens qui sont en brousse, or, ici, nous sommes en ville » (idem)
54Les acteurs se disent prêts à collaborer avec une structure d’encadrement, à condition qu’il n’y ait pas de tendances aux rackets qui pourraient les décourager. Cependant, en attendant une telle éventualité, ils se proposent de prendre des renseignements sur le mode cultural auprès de ceux qui leur vendent les semences dans les magasins.
55L’accès à l’eau propre pour l’arrosage de l’agriculture urbaine paraît une sinécure. Car, les espaces urbains utilisés à des fins agricoles constituent des espaces non viabilisés (zones non constructibles et lots non encore mis en valeur) ou des espaces semi-viabilisés où les commodités de services en eau potable font défauts. D’où la tendance des agriculteurs urbains à utiliser les eaux usées de toute provenance (à l’insu des consommateurs) dans l’arrosage des maraîchers. On estime la quantité d’eau usée à hauteur de 600 000 m³ par an à Ouagadougou, en provenance des abattoirs, des brasseries et des hôpitaux qui sont déversées dans le milieu récepteur sans traitement et utilisées par de nombreux producteurs maraîchers (Golhor, 1995). Ce qui a probablement des conséquences négatives sur la santé de la population du point de vue pathologique. Dans les unités de production agricole, les producteurs ont souvent creusé des puits de fortune à défaut des cours d’eau. Ces sources d’eaux superficielles sont utilisées pour l’arrosage des plantes. Si ces eaux de qualité douteuse ne présentent pas dans l’absolu des dangers pour les plantes horticoles, il n’en est pas de même pour les maraîchers. Ainsi, l’analyse de ces eaux (cf.photos 5 et 6) se caractérise par des charges organiques élevées. Au niveau de l’eau relevant de la photo5, il convient de noter que les valeurs de Demande Biochimique en Oxygène (DBO5) de l’eau d’arrosage prélevée au mois de juillet 2010 sur les sites d’Abobo-SOS, de l’aéroport et autres indiquent 500 mg/l avec 8,21 comme potentiel d’hydrogène (P.H.) Ce qui dénote que le milieu présente une forte pollution organique. L’autre paramètre, à savoir l’Ammonium (NH4+) indique 127mg/l. Les coliformes fécaux et streptocoques fécaux indiquent respectivement 2,8¹º et 1,8¹º. Il faut souligner également que ces eaux reçoivent des résidus de produits phytosanitaires (pesticide, fongicide,…) participant au traitement des plantes en vue de favoriser l’accroissement de leur rendement productif. Selon une étude co-dirigée par la FAO et l’OMS au Cameroun, environ 30 % des pesticides commercialisés et utilisés dans les pays en voie de développement ne sont pas conformes aux standards de qualité internationale et représenteraient un danger pour la santé humaine et l’environnement (Nguegang, 2008).
56Pour ce qui concerne la figure 7, les valeurs de DBO5 du puits indiquent plus de 400 mg/l et 7,22 de P.H. La qualité sanitaire des légumes arrosés à l’eau usée brute porte sur les contaminations parasitologiques qui sont susceptibles d’être consommés crues. Les données du tableau 5 montrent que les légumes feuilles sont énormément infectés en concentrations parasitologiques.
Tableau 5. Concentrations en parasites des légumes feuilles par 100ml d’eau de rinçage
Parasites
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Laitue
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Chou
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Oignon vert (feuille)
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Amibe hystolitica
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9 kystes
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14 kystes
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11 oeufs
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Ankylostomes
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2 larves
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3 oeufs
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5 oeufs
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Ascaris
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40 oeufs
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5 oeufs
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Non détectés
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Anguillules
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5 oeufs
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20 larves
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6 oeufs
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Trichomonas
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13 oeufs
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11 oeufs
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8 oeufs
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Némathelminthes
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4 oeufs
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7 oeufs
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3 oeufs
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Figure 7. Eau d’arrosage dans une unité de production à côté de l’école SOS d’Abobo.
 clichés Olahan, 2009
Figure 8. Puits à fleur du sol sur la voie de l’aéroport
57Par ailleurs, il nous a été donné de constater par endroits, l’existence de puits à fleur de sol (cf. figure 8) sur des sites de production qui n’échappent pas à des submersions des ruissellements d’eau de pluie en cas d’orages violents. Ce qui, notamment a des incidences sur la qualité des produits agricoles proposés sur le marché. L’inexistence des services d’hygiène et de contrôle-qualité sur le terrain expose de facto, la population à des maladies bactériennes (choléra, fièvres typhoïdes et paratyphoïdes), virales (gastro-entérites aiguës et diarrhées) et parasitaires (dysenterie amibienne).
- 6  Groupe de femmes issues des Mandé sud et nord rompues au fait du commerce en Côte d’Ivoire
58La provenance de la clientèle est protéiforme. Elle est, cependant, constituée essentiellement par les femmes (Gouro et Malinké)6 pour ce qui concerne les maraîchers et vivriers, qui ravitaillent les marchés locaux. Quant aux plantes décoratives, il nous a été donné de constater que certains clients sont issus de la population locale (certaines élites ivoiriennes) mais, le plus souvent, ce sont les expatriés européens et autres cadres d’origine Africaine travaillant dans des institutions internationales locales. Les commandes proviennent aussi des Eglises et des hôtels de grandes surfaces, tout comme pour des cérémonies de mariage et de soutenance de thèse dans l’Enseignement Supérieur.
59En outre, il y a des décorateurs professionnels qui s’activent à embellir des espaces de banques et les domiciles de certains agents. Les propos ci-dessous confirment cette tendance :
« le commerce des maraîchers et vivriers ne me plaît pas beaucoup. Mais,comme il n’y a pas de travail,aussi,je ne suis pas arrivée loin à l’école,je suis obligée de faire ce métier. Je vais faire comment, il faut bien que je vive avec mes enfants (propos d’une commerçante) »
« les producteurs de fleurs nous rendent service- cela nous permet d’orner notre autel à l’Eglise (propos d’une femme issue d’une Eglise) »
« moi, je prends différentes sortes de fleurs dont j’ai besoin à crédit auprès des producteurs ; je vais réaliser la décoration et quand je suis payé, je reviens donner le gain des producteurs (propos d’un décorateur) »
« Quelques fois aussi, on donne les produits aux gens, quand ils sont payés, ils viennent donner pour nous. Mais, de fois, des gens qui ne sont pas sérieux là , ils disparaissent (propos d’un producteur)
60Les producteurs se disent être quelques fois victimes de leur bonté ou laxisme, car il n’est pas facile de distinguer parmi toute la clientèle, l’individu qui est sérieux de celui qui ne l’est pas. Cependant, ils comptent sur la bonne foi de tous ceux qui s’aventurent vers eux.
61La multitude des unités de production agricole est liée au processus continu et évolutif de la demande des denrées alimentaires et des plantes ornementales pour la satisfaction perpétuelle de la population en constante progression.
62Par ailleurs, il arrive, par moment, où l’offre, étant très élevée par rapport à la demande effective, que cela entraîne substantiellement une baisse de prix jouant sur le revenu des acteurs.
63Ce phénomène se matérialise par la fixation anarchique de prix et également par la négociation à la baisse du tarif initial. Chacun, fixant un prix au mieux de ses intérêts, il va, sans dire, que le revenu réel subit une forte »érosion« monétaire. L’agriculteur urbain a du mal à maîtriser ses comptes par suite des impositions fiscales administrées par la »Mairie territoriale« qui ne tient pas compte des difficultés vécues sur le terrain par les producteurs, dans la phase transactionnelle avec les acheteurs (voir la section taxe fiscale).
64La problématique des rapports entre les agriculteurs urbains et les commerçants procède d’une part, d’un certain nombre de mobiles favorisant le chassé-croisé auquel l’on assiste et qui engendre des conflits. En effet, l’agriculteur urbain, préoccupé par le labour, le semis, l’entretien doublé des apports d’intrants de types organique et chimique, ne peut également s’ériger en vendeur sur le terrain (marché) aux détails de sa production, d’où la nécessité pour lui de trouver rapidement un acquéreur et se débarrasser de ses produits. D’autre part, les commerçants revendeurs imposent leurs lois (achats aux producteurs à vils prix des produits et leurs reventes dépassant le prix d’achat, cf. tableau 6) en évoquant des cours fallacieux sur le marché, aux motifs que les choses vont mal ; rien ne marche.
Tableau 6. Prix comparatifs en Fcfa/kg d’achats et de ventes des produits sur le marché
Produits agricoles
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Prix d’achats aux producteurs
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Prix de vente sur le marché
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Marge bénéfice
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Chou
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150
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400
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250
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Oignon vert
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200
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500
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300
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Aubergine
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250
|
600
|
350
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Concombre
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100
|
350
|
250
|
Carotte
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250
|
800
|
550
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Navet
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200
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700
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500
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Tomate
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400
|
1300
|
900
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65Le tableau 6 montre de façon synoptique les différents aspects transactionnels des produits maraîchers. La première colonne comporte les prix d’achat aux producteurs. La deuxième indique les prix de vente et la troisième met en exergue la marge bénéficiaire sur chaque type de produit vendu. Cette tranche de bénéfice réalisée par les intermédiaires (commerçants) dénote du caractère vil des prix d’achat conférés aux producteurs.
66Par ailleurs, certains commerçants font preuve de mauvaise foi en refusant de payer au comptant les productions agricoles acquises auprès des agriculteurs urbains. Choses de nature à empêcher le producteur de maîtriser ses comptes d’exploitation et d’avoir une bonne visibilité de l’évolution transactionnelle de son activité. Aussi, dans le contexte des activités de l’agriculture urbaine, existe-il un rapport dialectique entre les intermédiaires (commerçants) et les forces de l’ordre commises au contrôle de routine sur les voies de circulation ?
67En effet, ce contrôle de routine soumet des transporteurs occasionnels, n’ayant pas leurs pièces administratives en règle, à des extorsions de fonds qualifiées de racket. Le racket peut se définir comme une somme d’argent perçue indûment par un agent de police, en compensation d’une faute administrative tolérée par celui-ci lors d’un contrôle routier. Ce phénomène participe de la surenchère des produits maraîchers et vivriers sur les marchés locaux. Les producteurs et commerçants des zones urbaines peuvent constituer une force de pression »politique« plus grande pour aboutir à la levée des contraintes de mise en marché (Moustier, 1999). L’infraction relevée n’est pas sanctionnée avec la rigueur requise et prête le flanc à tout laxisme. Ce qui pourrait expliquer quelque peu la déperdition des ressources budgétaires de l’Etat ivoirien.
68Socialement, l'absence perception par voie officielle des ressources financières, empêche, de façon notable, la poursuite des investissements réalisés par l’Etat participant du bien-être social de la population. Economiquement, au regard du nombre de barrages qui pullulent dans la cité et les différents tarifs appliqués et extorqués aux intermédiaires 500 FCFA, 1000 FCFA, 2000 FCFA, voire plus, selon l’appréciation de l’agent. L’Etat perd annuellement de l’argent. Ce sont des sommes d’argent importantes qui s’évaporent dans les poches d’autrui (agents des forces de l’ordre et de contrôle) et qui auraient pu servir à l’équipement et à des investissements d’ordre divers au bénéfice de la population dans son ensemble.
69Ainsi, l’un dans l’autre, ceci oblitère les forces de l’agriculteur urbain à ne pas pouvoir faire face sereinement aux charges fiscales, à envisager de l’épargne et des investissements.
70La taxe fiscale se résume essentiellement à la perception d’un montant d’argent variant entre 4000 FCFA à 8000F CFA. Ces charges fiscales sont versées auprès de chaque municipalité abritant l’unité de production agricole de type, soit nourricier (maraîchers-vivriers), soit ornemental (horticulture-fleur). La moyenne de la contribution financière mensuelle du point de vue fiscal est de l’ordre de 2 190 000 FCFA et 26 280 000 FCFA annuellement en se fondant sur l’effectif exhaustif des acteurs. Le prélèvement moyen mensuel de la taxe est obtenu de la façon suivante : (4000 FCFA + 8000 FCFA) = 12 000 FCFA / 2 = 6000 FCFA X 365 unités de production = 2 190 000 FCFA. Ensuite, cette collecte moyenne mensuelle est multipliée par 12 mois : ce qui donne 26 280 000 FCFA. Au vu du montant des charges fiscales imposées aux agriculteurs urbains, il importe de savoir si cela leur donne une certaine marge de manœuvre leur permettant d’épargner et d’investir.
71L’ensemble des agriculteurs urbains auxquels nous avons soumis notre questionnaire nous a signifié son incapacité à épargner de façon consistante et continue. Les raisons évoquées sont diverses : les charges fiscales, les coûts des semences qui ont augmenté, le loyer et la satisfaction des divers besoins, notamment l’alimentation journalière. Aucun ne possède un compte bancaire. Par ailleurs, il importe de signifier qu’à défaut d’une épargne formelle dans une structure bancaire, les agriculteurs urbains thésaurisent le minimum de gains qu’ils perçoivent. Ce qui, d’ailleurs, n’est pas l’apanage de ce secteur d’activité agricole au regard de la situation socio économique de l’heure. Toute la société ivoirienne s’est appauvrie à la faveur de la crise militaro-politique qui perdure. Ce revenu minimum des acteurs peut-il favoriser des investissements ?
72L’absence d’une épargne consistante influe sur le niveau et la qualité des investissements que pourraient faire les agriculteurs urbains dans divers domaines, à savoir la construction d’une maison familiale à Abidjan,et aussi dans leur région d’origine ;acquérir des outils agricoles modernes pour favoriser une exploitation aisée de leurs espaces cultivés et minimiser leurs souffrances.
73Par ailleurs, cette incapacité des agriculteurs urbains à réaliser des investissements peut-elle être aussi source de non souscription à un contrat d’assurance pour supporter les moments de difficultés ? Considérant tous ces facteurs ci-dessus, il ressort qu’aucun des agriculteurs n’a souscrit de contrat auprès d’une maison d’assurance pour se faire assister en cas de sinistre. Ce faisant, il importe de savoir comment ces différents acteurs se font assister en situation de malheur et/ou de bonheur.
74L’homme est, de par sa nature, un être social et grégaire. Ses rapports avec les autres et les services qu’il échange avec ceux-ci lui sont indispensables. Il ne crée pas la société, il est né au sein de celle-ci, il y vit inévitablement. Ainsi, l’incapacité des agriculteurs urbains à souscrire à une assurance formelle les incite à se regrouper plus ou moins dans des associations d’entraide à caractère ethnique et régional. Ceci est une sorte de soupape de sûreté. Aussi, au niveau des associations d’entraide à caractère ethnico-régional, les membres cotisent-ils annuellement une somme fixe. Ceci sert à assister chaque membre en difficulté de divers ordres, notamment en cas de décès, de baptême, de mariage ou de maladie grave nécessitant une hospitalisation. Par ailleurs, la religion unit par moments les individus de même confession.
75Dans le domaine religieux, il ressort trois types : les animistes, les chrétiens et les musulmans. De ces trois types, il convient de dire que (17) 45 % d’entre eux constituent des musulmans, (15) 40 % de chrétiens et (6) 15 % d’animistes. Il se manifeste une espèce de solidarité (intra et inter) au sein de toutes ces communautés au cas où il advenait qu’un des membres est frappé par une quelconque situation. Ce qui fait perdre de vue la nécessité de souscrire à une assurance formelle, non seulement pour la protection des biens, mais aussi l’assistance d’un membre en difficulté. D’où la négligence de l’assurance et la raréfaction des ressources financières aidant, cela va de soi. Ce qui dénote une solidarité trans-ethnique et nationale. Il existe une relative coopération entre les acteurs ; selon leurs dires :
 »nous nous entendons bien dans nos différentes activités de production agricoles. Quand un objet fait défaut sur votre site, vous pouvez aller prendre ça avec votre voisin et après vous lui rendez son matériel« (propos d’un animiste) ;
 »en tout cas, il n’y a pas de différence entre nous- la religion ne nous divise pas ici« (propos d’un musulman) ;
 » d’ailleurs, pendant les moments de carême,ceux qui ne sont pas musulmans offrent du sucre et autres produits à leurs voisins qui sont dans ce moment de pénitence spirituelle et puis eux aussi,ils nous invitent quand il y a la fête et on partage les repas ensemble aussi. " (propos de chrétiens et d’animistes)
76Au terme de notre étude, il importe de dire que l’accroissement de la population du District Abidjanais entraîne nécessairement une pression sans cesse croissante sur l’exploitation des ressources(terres) ou l’occupation des espaces publics ou privés laissés vacants et la production des déchets. De nos jours, le District d’Abidjan compte plus de 5 millions d’habitants, et les projections font état d’un effectif virtuel de 6 millions pour la fin de cette décennie (années 2010). Cette croissance démographique fulgurante engendre de facto des besoins en nourriture et autres besoins de luxe (plantes décoratives) de plus en plus élevés. Ce qui conduit à l’occupation du moindre espace laissé de côté par l’autorité gouvernementale ou municipale en matière d’urbanisme.
77L’agriculture urbaine, longtemps négligée, fait l’objet de nos jours, d’une pratique par une frange importante de la population de diverses origines à la recherche d’un mieux être. Son apport au ravitaillement des marchés locaux et même internationaux est un facteur déterminant de lutte contre la pauvreté d’une part et pour l’autorité des collectivités territoriales d’y engranger des ressources fiscales additionnelles. Mais, celle-ci gagnerait à être entretenue et arrosée avec de l’eau de qualité acceptable pour une meilleure santé de la population. Grosso modo, les gestionnaires de la chose urbaine se doivent de porter un regard attentif à ce secteur agricole spécial et lui accorder des facilités de développement au regard du cinquième engagement de la charte d’Aalborg qui repose sur la planification et la conception urbaines.
78Titulaire d’une maîtrise en géographie de la population (option-démographie) et d’un diplôme d’étude approfondie (DEA) en sciences et gestion de l’environnement, Abraham Olahan est actuellement Chercheur et doctorant en Environnement, option politiques environnementales en matière de transport, énergie et environnement. Sa spécialité est la qualité de l’air atmosphérique au Centre de Recherche en Ecologie (CRE/UAA).