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Dossier : L’agriculture urbaine : un outil multidimensionnel pour le développement des villes et des communautés

Urbanisation et viabilité de l'activité maraîchère : cas d'une ville à statut particulier au Bénin (Parakou)

Guy Nouatin and François-Xavier Bachabi

Abstracts

The cities of developing countries are in complete mutation. This mutation is characterized by an increase of their population and urbanization. These two factors submit them to two major challenges. The first concerns how the populations can get supplies of trucks and the second is relative to the land problem to which urban market gardeners face. This paper studies the land pressure the urban market gardeners are confronted with. Parakou, the third Benin City with particular status, undertook these last years, an urbanization policy in order to find accommodations for the residents and to install adequate infrastructures for its development. The urbanization led to the occupation of the lands used for the market gardening for other purposes, putting the market gardeners in land insecurity. The objective of the study is to analyze the impacts of the urbanization of Parakou City on the market gardening. We used a qualitative methodology based on an inventory of market gardening sites in the city and on interviews with the actors concerned by this activity. One out of the seven recorded sites is under closure. None of them gave a guarantee to the market gardeners for undertaking sustainable investment because they don't have any secured property title. It appears also that, nothing is made to facilitate the development of market production that assures people food security in Parakou.

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Full text

Introduction

1Dans sa définition la plus large, « l’agriculture urbaine englobe une variété d'activités agricoles qui peuvent prendre place dans les limites ou en périphérie des agglomérations urbaines » (Mougeot, 1994). C’est une activité qui contribue à améliorer la sécurité alimentaire de plusieurs façons. En effet, en cultivant des produits alimentaires à la maison ou à travers des coopératives, les ménages pauvres peuvent réduire la charge du coût d'achat de la nourriture, disposer d'une plus grande quantité d'aliments et réduire les intervalles saisonniers dans la production de primeurs. La production  maraîchère dans les villes des pays en développement comme le Bénin répond non seulement à ces mêmes objectifs mais aussi participent à l’assainissement environnemental de ces villes. En réalité, «[…] elle aide à améliorer la qualité de l’air pour assurer une bonne respiration et absorbe l’excès d’eau lors des tempêtes et inondations tout en offrant de la nourriture aux urbains pauvres » (Fao et Pnue, 2005). Cette agriculture certes, peut contribuer à améliorer la santé nutritionnelle, mais elle peut aussi procurer un revenu d’appoint pouvant être consacré à des dépenses non alimentaires, notamment l’éducation. Mais malgré son importance croissante, l'agriculture en milieu urbain et périurbain est toujours sujette à de nombreuses contraintes en l’occurrence celles induites par les politiques d’urbanisation que sont entre autres, la pression foncière et l'incertitude sur les droits de propriété.

2Le Bénin a opté, depuis 2003, pour le système de décentralisation et permet ainsi à toutes ses villes, un développement local à la base. L’urbanisation se trouve être une des grandes politiques de développement mises en œuvre par ces communes. « Elle compte parmi les fortes pressions qui s’exercent sur les terres agricoles en Afrique de l’Ouest, car c’est principalement à leurs dépens qu’a lieu l’extension rapide des centres urbains » (Broutain, 2006). En effet, l’urbanisation passe entre autres, par l’étalement urbain se caractérisant par une occupation beaucoup plus extensive des terres donc une pression foncière et « a pris une dimension telle qu’elle a provoqué l’apparition de malaises sociaux inédits » (Fleury et Donadieu, 1997). Cet article s’intéresse donc aux interactions entre l’expansion de la commune de Parakou, troisième ville à statut particulier du Bénin, et la production maraîchère urbaine et périurbaine. Il étudie les conflits sociaux engendrés par cette politique communale et examine alors les dynamiques des différents sites de maraîchage de la ville. Il analyse enfin l’impact socio-économique tant sur les producteurs que les consommateurs.

Approches méthodologique et théorique

Milieu d’étude et groupe cible

3La ville de Parakou dans le département du Borgou, une des communes à statut particulier du Bénin et représentative du Nord de la région est retenue pour l’étude. En effet, le titre I de la loi n°98-005 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes à statut particulier en République du Bénin et précisément les articles 2 et 4 consacrent la ville de Parakou comme une commune à statut particulier parce que remplissant cumulativement les trois critères qui suivent :

  • « […] avoir une population de cent mille (100.000) habitants au moins;

  • s’étendre de façon continue sur une distance de dix (10) km au moins;

  • disposer de ressources budgétaires suffisantes pour faire face aux dépenses de fonctionnement et d'investissement ».

4Capitale régionale du Nord Bénin, la ville de Parakou est « […] située au centre de la République du Bénin à 407 km de Cotonou. Elle se trouve à 9° 21’ de latitude Nord, à 2°36’ de longitude Est à une altitude moyenne de 350 m et présente un relief assez modeste » Maire de Parakou (2004). Les données publiées par l’Institut National de la Statistique et de l’Analyse Économique (INSAE) montrent que la population de la ville de Parakou a connu une augmentation spectaculaire. La population qui n’était que de 14 000 habitants en 1961 est passée à 60 000 et 103 577 respectivement en 1979 et 2002 pour plus de 200 000 habitants en 2009. Cette augmentation de la population entraîne forcément un accroissement des besoins et de la demande en denrées alimentaires frais. Les agriculteurs, attirés par le développement de la ville de Parakou à la recherche d’emplois plus rémunérateurs, trouvent à travers le maraîchage des opportunités pour assurer leur survie sur le plan économique. Ce qui rejoint la position suivante de Chevrier (2001) « L'agriculture urbaine et périurbaine revêt des significations très différentes selon qu'on se place dans les pays du Tiers-monde ou dans les pays développés. Dans les premiers prime son rôle économique et alimentaire; pour les citadins démunis, elle devient un moyen vital de subsistance. De plus, elle contribue à l’élimination des déchets urbains ».

5La morphologie actuelle de la ville de Parakou est essentiellement caractérisée par un noyau urbain, les extensions Sud, Nord et Est et les zones Ouest et Nord-ouest abritant les activités industrielles, la gare ferroviaire, etc. « La superficie totale de la commune est estimée à 441 km2 dont 53,3% occupée par l’habitat. La densité moyenne est de 45 habitants/ha » (Maire de Parakou, 2004). Mais cette densité n’est évidemment pas uniforme sur tout le territoire municipal. En réalité, « elle atteint 250 habitants/ha  dans le noyau ancien de la ville tandis qu’elle est inférieure à 30 habitants/ha dans certains quartiers périphériques ». En ce sens, l’occupation de l’espace municipal est très disparate. On note une congestion au centre ville pendant que les zones périphériques connaissent une faible densité. Plusieurs lotissements ont déjà été conduits à terme. C’est pour cela que conformément au plan de développement communal, la préoccupation prioritaire issue du diagnostic participatif, pour ce qui concerne l’habitat, est de trouver des solutions pour l’ouverture de certaines voies permettant l’accès aux habitations surtout dans la périphérie.

6Sept sites de cultures maraîchères (tableau 1) ont été recensés au cours de l’étude. Les maraichers de ces sites et les autorités communales du service des affaires domaniales et foncières ont constitué nos cibles pour la recherche.

7Le choix des maraichers est basé sur leur présence sur les sites. La collecte étant collecté en saison sèche, on a pu rencontrer un grand nombre de maraichers car cette activité est plus pratiquée pendant cette période.

Tableau 1. Cultures et localisation des sites de recherche

Sites d’investigation

Localisation (par rapport à la ville)

Cultures

Abattoir

Quartier (2eme arrondissement de Parakou)

Laitue, carotte, chou, concombre, persil, aubergine, épinard, tomate, piment, haricot vert, gombo, crincrin.

Arafat

Axe routier Est (Route du Nigeria)

Laitue, carotte, chou, concombre, persil, aubergine, épinard, tomate, piment, raisin, gombo, crincrin.

Zongo

Nord-Ouest

Laitue, carotte, chou, concombre, persil, aubergine, épinard, tomate, piment, crincrin, gombo, poivron.

Sinangourou

Axe routier Sud (Route de Cotonou)

Laitue, carotte, chou, concombre, persil, aubergine, épinard, tomate, piment, gombo, crincrin.

Sokonou

Axe routier Nord-Est (Route de Perere)

Laitue, carotte, chou, concombre, aubergine, épinard, tomate, piment, gombo, crincrin.

Wansirou

Axe routier Ouest (Route de Djougou)

Laitue, carotte, chou, concombre, persil, aubergine, épinard, tomate, piment, haricot vert, crincrin, gombo.

Yarakinnin

Quartier (1ere Commune de Parakou)

Laitue, carotte, chou, concombre,  aubergine, épinard, tomate, piment, gombo, crincrin.

Démarche et outils

8« La méthode anthropologique centrée sur les acteurs » (Long, 1989, 1994, Long and Long, 1992) a été utilisée tout au long de la recherche, pour suivre les acteurs et découvrir les difficultés quotidiennes dans la mise en œuvre de leurs activités afin de déceler celles imputables à l’urbanisation. En plus des observations sur le terrain et de la revue de littérature, les interviews individuelles non structurées et semi structurées ont été utilisées dans la collecte de données. Ces interviews sont conduites avec des guides d’entretien conçus pour l’étude. Ils ont permis de collecter les données qualitatives sur les thèmes suivants : l’identification des acteurs clés concernés par le maraîchage dans la ville de Parakou, les rôles que chacun d’eux jouent, les contraintes auxquelles les maraichers sont confrontés en relation avec le développement de la ville et les stratégies mises en œuvre pour y faire face.

9Les analyses des données collectées sont fondées sur l’analyse des discours recueillis auprès des différents acteurs.  L’analyse des discours a été centrée autour des thèmes suivants : perceptions des acteurs sur la nécessité de l’urbanisation, les conséquences de l’urbanisation sur le maraîchage,

L’acteur social et l’approche par les capabilités collectives

10L’approche par les capabilités créée par Amartya Sen dans les années 1980 n’est pas, selon Reboud (2006 et 2009), « une théorie mais bien une approche, qui permet de mesurer le bien-être individuel, pas seulement à l’aune de l’utilité, mais de la liberté des individus ». Elle est basée sur l’acteur social qui est selon Dubois (2009), « un individu raisonnable et responsable, inséré dans un réseau social et tenant compte de son lien social pour atteindre un objectif commun ou partagé ». L’acteur social est donc différent de l’agent économique, car il dépasse ses choix rationnels par sa raisonabilité et sa responsabilité. Dubois et al. (2008), dans leur ouvrage Repenser l’action collective : Une approche par les capabilités, mentionne que « la capabilité comprend la capacité de réalisation effective et d’accomplissement potentiel d’un agent. Elle rassemble donc les fonctionnements (ce qu’une personne est actuellement capable de faire et d’être) et le potentiel (ce qu’une personne pourrait faire et être dans un contexte différent avec de meilleures opportunités) ». Plusieurs critiques ont été formulées à cette théorie et portent sur les difficultés à mesurer une telle liberté. On peut mesurer les capacités, mais comment mesurer la capacité à réaliser ? De plus cette approche ne porte que sur l’individuel, elle ne permet pas de faire le lien entre l’identité et le social. Enfin, elle n’explique pas comment créer une dynamique d’un individu à l’autre. Le concept de « capabilités collectives » est donc né lors de la conférence de la HDCA (Human Development and Capability Association) tenue à Paris en 2005, autour d’un questionnement : le lien entre l’individuel et le social dans l’approche par les capabilités. On peut donc combiner les capabilités individuelles et les capabilités sociales, qui naissent de l’interaction, pour obtenir le concept de capabilité collective qui n’est rien d’autre que l’agencéité ou la capacité d’entreprendre des acteurs. Nouatin (2003), s’inspirant des définitions données par Long (1989), Long & Long (1992) et de Friis-Hansen & Boesen (2001) le considère comme « la capacité des acteurs à trouver de solutions à leurs problèmes, c’est-à-dire des acteurs qui sont capables de décider et d’agir ». C’est donc la capacité à agir comme un acteur social pour certaines fins sociales, c'est-à-dire à définir des buts et agir de façon cohérente pour les atteindre, de façon individuelle ou en interaction avec d’autres.

11L’utilisation de cet outil a permis de savoir si l’insécurité foncière qui menace l’activité maraîchère urbaine n’est pas imputable à l’expansion rapide des villes. Par ailleurs, il a permis de voir le rôle des différents acteurs à divers niveaux dans les difficultés et contraintes subies par cette activité et d’analyser les stratégies mises en œuvre par les autorités communales pour aider les maraichers urbains à faire face aux problèmes fonciers afférents à leurs activités génératrices de revenus.

Résultats et discussion

Le maraîchage dans la ville de Parakou

12La production maraîchère fait partie des activités agricoles exercées dans la ville de Parakou dans les zones humides (bassins des cours d’eau et bas-fonds). La pratique de cette activité répond à une logique de lutte contre le chômage et d’approvisionnement de la ville en légumes frais et à moindres coûts. La production des légumes à l’intérieur de la ville joue un rôle important dans la réduction de leurs coûts de transport et par conséquent de leurs prix de revient. Les consommateurs ont directement accès aux produits maraichers dont ils ont besoin sur les sites de production ou sur les marchés.

13Plusieurs acteurs ou groupes d’acteurs interviennent dans le la production maraîchère dans la ville de Parakou. Les principaux acteurs sont : les maraichers, la mairie, la Direction Départementale de l’Habitat et de l’Urbanisme (Ddhu), le Centre Communal pour Promotion Agricole et les cabinets chargés du lotissement (publics et privés). Les rôles joués par ces acteurs varient d’un acteur à un autre.

Les maraichers

14Les maraichers s’occupent de la production et de la commercialisation des légumes. Ils s’installent le long des bas-fonds et autres affluents du fleuve Okpara, à cause de la disponibilité de l’eau en ces endroits, pour exercer leur activité. Le nombre de citadins s’adonnant à cette activité est difficile à obtenir à cause caractère très changeant de leur statut (tantôt permanent, tantôt occasionnel) et du peu d’intérêt accordé à cette activité aussi bien par les autorités de la mairie que les services d’appui-conseil pourtant bien présents dans la ville. Sur la base des estimations faites au cours de la collecte des données, il existe environ 300 maraichers exploitant les différents sites de la ville. Les maraichers présents dans la ville de Parakou ont des trajectoires de vie différentes. Selon les personnes rencontrées sur les sites maraichers, la plupart des personnes s’adonnant à la culture des légumes sont presque toutes des produits de l’exode rural attirées par les mirages de la ville. Elles n’ont que le travail de la terre comme qualification. L’agriculture urbaine est donc le secteur d’activité dans lequel ils peuvent s’insérer juste après leur arrivée sans beaucoup de difficulté. Les premiers avaient vu les bas-fonds inoccupés et non exploités s’y sont installés et ont commencé par produire les denrées alimentaires pour leur autoconsommation et vendaient le surplus. Ceux qui sont arrivés par suite n’ont plus trouvé des espaces verts libres et ont servi d’abord comme manœuvres pour les premiers avant de chercher à travailler pour eux-mêmes. Plusieurs catégories de maraichers sont présentes sur les sites maraichers de la ville de Parakou.

15La première catégorie est composée des maraichers qui tirent l’essentiel de leurs revenus de cette activité. Il s’agit des personnes qui pratiquent le maraîchage depuis de longues années et n’ont plus d’autres activités. Ils considèrent le maraîchage comme leur vie. Ils produisent aussi bien les légumes exotiques (laitue, chou, carotte, haricots verts, concombre, persil, aubergine etc.) que les légumes locaux (épinard, piment, tomate, gombo, crincrin, etc.). Les propos suivants de A. D. illustrent son parcours en tant que maraicher :

16J’ai commencé par travailler sur ce site de Sinagourou depuis mon enfance. Je suivais mon père pour arriver tous les jours sur le site qui était à l’époque un vaste de domaine de plus de 3 hectares. À l’âge de 17 ans mon père m’a octroyé une partie de son terrain et je suis devenu autonome. Après sa mort il y a huit ans, j’ai hérité de ses terres que j’exploite actuellement. Le principal problème qui se pose à nous les maraichers de Parakou c’est l’espace. Les espaces que nous occupons se réduisent chaque année et se transforment progressivement en maisons à l’usage d’habitation, en routes, etc. La superficie actuelle du site maraicher de Sinagourou n’est que 0,5 hectare du fait des maisons, des hangars pour le marché et du collecteur pour drainer les eaux pluviales. Plusieurs personnes qui travaillaient ici ont été obligées de quitter. Il ne reste plus que trois personnes sur le site. Ceux qui sont restés n’ont que le maraîchage comme activité. Pour continuer d’exercer ce que j’ai appris, je suis obligé de beaucoup réfléchir. Nous avons recours systématique à l’utilisation des engrais organiques et minéraux pour améliorer nos rendements. Par le passé, on produisait avec les engrais organiques uniquement et on laisser les terres en jachère à chaque qu’elles deviennent infertiles. Pendant les saisons pluvieuses, périodes de surproduction qui fait chuter les prix de vente de légumes locaux, je me concentre sur la production des légumes exotiques. Pendant les saisons sèches, je réduis la superficie des légumes exotiques au profit des légumes locaux (la tomate et le piment surtout). Enfin, nous avons créé une association pour défendre auprès des autorités de la mairie nos droits surtout celui d’exercer notre activité.

17Ce récit montre que la pratique du maraîchage dans la ville est une activité dont elle a besoin en ce sens qu’elle l’approvisionne en légumes et est une solution pour le chômage de ses habitants. Malgré ce rôle important, l’évolution de la ville se fait au détriment des espaces maraîchers qui représentent le principal facteur de production de l’activité. En l’absence de mesures de sécurisation des espaces maraîchers, ceux dont la survie passe par la pratique de cette activité sont obligés de mettre en œuvre leur capabilité ou leur agencéité individuelle ou collective. Ils développent des plusieurs stratégies (intensification, choix de spéculations selon les saisons, organisation en association, etc.) pour se maintenir en tant que acteur du secteur du maraîchage de la ville de Parakou. Pour ces acteurs, le maraîchage est devenu une occupation à part entière qui nourrit son homme comme les autres activités génératrices de revenus. Le choix du maraîchage par ces personnes est fait envers et contre tout (la volonté de travailler pour soi-même).

18La deuxième catégorie est composée de ceux pour qui le maraîchage est une activité qui procure un revenu d’appoint et de ce fait est exercée comme une activité secondaire. Les personnes qui s’adonnent au maraîchage à temps partiel le font pour diverses raisons. Pour certains, il s’agit de trouver de quoi subvenir à ses besoins en attendant de trouver un autre boulot. La déclaration suivante de S. B. sur sa présence sur le site maraicher de Wansirou illustre bien son parcours :

19C’est mon frère qui m’a proposé de venir le rejoindre à Parakou pour travailler dans l’usine d’égrenage de coton. J’ai fait plus six mois à la charge de mon frère sans pouvoir être embauché comme ouvrier dans l’usine. Pour mettre fin à la situation de dépendance dans laquelle j’étais, j’ai été obligé de commencer le travailler pour les maraîchers du site comme manœuvre. C’était ce que je savais faire le mieux parmi les offres d’emplois que je recevais. Après une année passée sur le site, j’ai demandé et obtenu un domaine que j’exploite pour mon propre compte. Ce que me procure cette activité ne me permet pas de couvrir mes charges. Mon frère m’a alors proposé d’utiliser sa moto pour en moto-taxi dans la ville pendant les périodes où il ne va pas travailler. Ainsi, je passe une partie de mon temps à conduire la moto-taxi et l’autre à produire les légumes. J’ai vraiment envie de consacrer uniquement au maraîchage, mais n’ayant pas la possibilité d’étendre mon exploitation faute d’espace, je m’adonne aux deux activités pour l’instant.

20On rencontre aussi dans cette catégorie des artisans (menuisier, maçon, peintres, électriciens, etc.) qui pratiquent le maraîchage surtout pour l’autoconsommation et pour s’occuper pendant les périodes de soudure dans leurs secteurs d’activités. I. G., électricien bâtiment raconte :

21J’ai toujours produis des légumes pour la consommation de ma famille et je ne vends que le surplus, car je trouve que acheter les légumes reviennent trop cher. Mon domicile est situé à proximité du site Araf et j’ai négocié avec ceux qui y travaillent pour exploiter une petite portion de terre. Je travaille sur le site à chaque fois que j’ai le temps, surtout lorsque je ne suis pas sollicité. Je passe tout mon temps à produire des légumes à la fois pour l’alimentation de mon ménage et pour la vente. Les recettes me permettent de satisfaire mes besoins financiers en attendant qu’on me fasse appel sur un chantier. Il y a beaucoup de personnes qui font la même que moi car personne ne sait quand la mairie va nous demander de déguerpir. Il y a 20 ans, la préfecture avait renvoyé tous les maraîchers du site de Sinangourou où je travaillais. J’ai dû aller m’inscrire dans un centre d’apprentissage et c’est ainsi que je suis devenu électricien. Je n’aimerais plus subir la même chose.

22Ces deux discours montrent que la solution pour les migrants ruraux ou pour les artisans de Parakou passe par le maraîchage grâce auquel ils arrivent à vivre et à faire vivre leurs familles. Le maraîchage joue un rôle important dans la vie de ces personnes qui leur procurent une partie de leurs revenus et des denrées alimentaires. Il ressort de ces récits que l’instabilité foncière est le principal problème qui limite les maraîchers dans le développement de leur activité.

Les autres acteurs

23Les autres acteurs, organisations ou institutions qui interviennent dans le secteur du maraîchage à Parakou peuvent être regroupés en deux catégories. La première catégorie est composée des acteurs qui fournissent de l’appui-conseil et les intrants aux maraichers. Il s’agit du service public de vulgarisation désigné sous le nom de Centre Régional pour la Promotion Agricole. Ce centre apporte une assistance technique et fournit les intrants adaptés pour l’amélioration des productions agricoles. La deuxième catégorie est celle des acteurs qui interviennent aux différentes étapes des projets d’urbanisation de la ville que sont la Ddhu, Ign, les cabinets privés et la mairie. La Ddhu est un service déconcentré du ministère de l’environnement et de l’urbanisme. Il appuie la mairie à travers une assistance conseil sur la faisabilité des opérations de lotissement, l’instruction des dossiers de demande d’établissement de plans de lotissement et diffuse les informations sur les règles et procédures de lotissement en vigueur au Bénin. L’Institut National Géographique (Ign) quant à apporte de l’assistance conseil sur la faisabilité et la réalisation des travaux topographiques, se charge de l’exécution des travaux d’identification de parcelles et assure le contrôle et la vérification des documents d’état des lieux. Les cabinets privés La mairie de la ville de Parakou est le deuxième acteur dont le rôle est important après les maraichers. Elle intervient dans le secteur du maraîchage par l’intermédiaire de ses services techniques. Il s’agit de la voirie et du service des affaires domaniales qui s’occupent de l’assainissement de la ville et des projets d’urbanisme et la gestion des procédures de lotissement qui est selon Mehu (1996), « une opération d’urbanisme qui consiste à diviser un terrain, une propriété foncière en plusieurs parcelles destinées à la construction de bâtiments à usage d’habitation, de bureau, commercial, artisanal ou industriel ». La maire joue un rôle de premier plan dans la gestion foncière et donc responsable des procédures de lotissements et de la délivrance des permis d’habiter et des certificats administratifs.

24Selon les informations recueillies sur le terrain, la mairie élabore un projet d’urbanisme qu’elle envoie à la Ddhu pour étude et avis. Le projet lui est renvoyé pour la prise en compte des observations. La mairie a l’obligation de prendre en compte les observations en vue d’améliorer le projet. Ce dernier doit alors être publié avant sa mise en exécution par l’Ign et les cabinets privés de lotissement. Lorsque le projet concerne un site maraicher, les maraichers sont informés que le domaine est déclaré d’utilité publique et un délai leur est donné pour déguerpir. La plupart des maraichers rencontrés estiment qu’ils sont obligés d’évacuer le site et abandonner l’activité, la maire ne pense ni à leur dédommagement ni à leur réinstallation sur autre site. D’après les autorités de la mairie (service des affaires domaniales), il est important de souligner qu’on réalise des études d’impacts au cours desquelles un recensement des maraichers des différents sites concernés est effectué et des dédommagements éventuels sont faits à ceux qui sont impactés par le projet.

25La production maraîchère dans la ville de Parakou est une activité qui est tributaire des projets d’urbanisme que la mairie peut initier à tout instant. Les maraichers de Parakou sont aussi, entre autre, soumis à l’incertitude du foncier comme le montre Fao (2005) qui affirme que « l’incertitude sur les doits de propriété conduit les maraichers à se tourner vers d’autres sources de revenus. Malgré son importance croissante, l'agriculture en milieu urbain et périurbain et toujours sujette à de nombreuses contraintes, notamment le manque de terres adaptées, l'incertitude sur les droits de propriété, l'accès insuffisant à une eau d'irrigation de qualité, l'insuffisance du savoir-faire et la faiblesse des investissements ».

L’urbanisation dans la commune de Parakou

26La ville de Parakou dispose d’un Plan Directeur d’Urbanisme (Pdu) pour l’horizon 2009 après le premier conçu en 1985. Le développement de la ville s’inscrit dans ce cadre. Ce plan est actualisé chaque dix an. Celui qui existe aujourd’hui est en cours d’actualisation pour prendre en compte les évolutions de la ville. Le Pdu, outil d’organisation et de planification spatiale, vise un triple objectif à savoir le renforcement des fonctions urbaines, la planification de la croissance spatiale et la programmation des infrastructures et équipements. La mairie de Parakou considère qu’elle dispose comme outils de gestion urbaine, d’un plan de développement communal, d’un registre foncier urbain, d’un programme pluriannuel de développement et d’investissement et d’un système d’information géographique. Au plan organisationnel, il existe une direction de la prospective et du développement local et une direction des services techniques dont les missions principales sont la planification, la mise en œuvre et le suivi des services urbains offerts à la population.

27La mise en œuvre du Pdu est concrétisée entre autres par plusieurs programmes de lotissement et l’installation des équipements et infrastructures de base. Il s’agit à travers ces plans d’améliorer les conditions de vie de la population de la ville. Toutes les personnes approchées au cours de la collecte des données ont toutes reconnu la nécessité de l’urbanisation de la ville du fait de ses avantages. Néanmoins, les maraîchers ont affirmé que la mise en œuvre du plan directeur de la ville surtout dans son volet lotissement débouche de plus en plus sur la transformation des espaces maraichers en zones constructibles. Auriole et Aboudou (2006) ont abouti aux mêmes constats dans leur étude à la périphérie de la ville en soutenant que : « La ville de Parakou a, à travers les projets de mise en place des infrastructures d’envergure publique qui sont consommateurs d’espace et la construction de résidence par les habitants, rattrapé les espaces agricoles en sa périphérie ».

Dispositions communales prises pour la viabilité de l’activité maraîchère dans la commune de Parakou

28Plusieurs programmes et projets sont prévus dans le Plan de Développement Communal de la ville de Parakou. Ils visent à atteindre les objectifs de son développement tout en tenant de la planification spatiale prévue dans le plan directeur de l’urbanisme. Au nombre de ces projets figure le projet 4 du programme 2, relatif à l’aménagement des bas-fonds, à la promotion des cultures de contre saison notamment les cultures maraîchères et à la création des comités de gestion des bas-fonds. En tenant compte des indicateurs que sont :« Au moins 18 ha de bas-fonds sont mis en valeur d’ici à 2007 ; la production des cultures maraîchères a augmenté de 150%, d’ici à 2007 et au moins 6 comités gestion sont fonctionnels, d’ici à fin 2005 » (Mairie de Parakou, 2004). Il ressort des observations faites sur les sites et des entretiens réalisées que l’application de ce projet, pourtant reluisant aussi bien pour les maraichers que pour la commune, n’a pas été effective. Car en effet, il n’est observable sur aucun des sites, des aménagements concrets de bas-fonds respectant les principes d’une urbanisation mais plutôt une installation sans rigueur des maraichers sur des sites autrefois exploités par leurs parents. D’autres part, même si les données statistiques du Centre Régional pour la Promotion Agricole Borgou-Alibori, font état d’une augmentation de la production maraîchère entre 2003 et 2007, celle-ci résulte d’une extension voire une multiplication des sites de production et non d’une intensification en investissements ou autres. En effet, un coup d’œil sur ces données permet de déceler qu’elles prennent en compte aussi bien les productions dans les villages à la périphérie de Parakou que celles des sites au centre de la ville. De plus, elles tiennent plus compte des légumes locaux que les légumes exotiques qui sont plus produits à l’intérieur de la ville (les données sur les productions maraîchères sur les sites recensés à l’intérieur de la ville n’étant pas disponibles).

29Ces dispositions prévues par la mairie pour viabiliser l’activité maraîchère dans la ville contraste avec la réalité. En effet, aucun des bas-fonds n’a été aménagé et on assiste à une réduction voire une disparition des sites et autres espaces maraîchers. La construction d’un collecteur d’eau de ruissellement dans la ville réduit sérieusement les superficies des sites maraichers de Sinagourou, de Zongo et de l’Abattoir. La proximité du grand marché Azerkè avec l’installation des commerçants contribue aussi a réduit la superficie du site de Sinagourou (il n’y a aujourd’hui plus que quatre personnes sur le site sur la cinquantaine il y a 10 ans). Le site de Zongo appartient aujourd’hui à des privés car ayant fait l’objet de lotissement.

Modes d’accès à la terre et conflits sociaux liés à  l’urbanisation dans la commune de Parakou

30L’urbanisation de la ville de Parakou n’est pas sans conséquences sociales sur les populations tant agricoles qu’urbaines. Plusieurs conflits recensés à partir de nos entretiens et observations sur le terrain touchent particulièrement les maraichers de cette commune à cause des différents modes de faire valoir utilisés.

Modes de faire-valoir des maraichers des sites maraîchères de la commune de Parakou

31Il ressort des divers entretiens que les modalités de l’accès à la terre sont multiples ; on dénombre quatre modes d’accès à la terre à savoir l’héritage, le don, l’emprunt et le gardiennage des terres.

L’héritage

32C’est un mode d’acquisition de père en fils rencontré sur quatre des sept sites recensés (Arafat, Abattoir, Yarakinnin et Sinagourou) dans la ville de Parakou. Ces sites sont considérés par la mairie de Parakou comme des exutoires naturels de l’eau et ne sont pas encore pris en compte par un projet de lotissement. C’est donc ce qui a facilité l’installation des maraichers sur sites sans aucune formalité préalable. Les premiers installés se considèrent comme les propriétaires des lieux. Ce sont les enfants de ces personnes qui affirment avoir hérité ces domaines de leurs parents. Comme l’a déclaré un maraicher du site de Sinagourou : « la terre appartient aux premiers occupants et comme mon père en est un, donc la terre sur laquelle je travaille m’appartient, je l’ai héritée ».

33En réalité, c’est d’une occupation de fait qu’il s’agit dans la mesure où aucun des maraichers exploitant ces sites ne disposent d’aucun élément à exhiber comme titre de propriété. Ils ne disposent que d’un droit usage sur ces sites et non un droit de propriété, droit qui disparaît lorsque la mairie décide d’y implanter une infrastructure. Le domaine est déclaré d’utilité publique et les maraichers sont priés de prendre les dispositions nécessaires pour le libérer. Le cas du site de Sinagourou qui est réduit de moitié du fait du collecteur d’eau en cours de construction actuellement entrainant le départ de plusieurs maraichers et leur reconversion dans d’autres secteurs d’activités. Un ancien maraicher de site explique la situation en ces termes :

« J’ai commencé par travailler sur site du vivant de mon père. Ce dernier est mort il y a cinq ans et j’ai hérité de son domaine sur le site. En 2009, les autorités de la mairie sont venues nous rencontrer pour nous demander de libérer le domaine avant de l’année. J’ai été obligé, après la récolte de mes produits, de quitter le site. Je suis devenu provisoirement conducteur de taxi-moto en attendant de trouver un autre site où je peux exercer le métier que j’ai appris ».

Le don

34La forme que prend le don chez la plupart de ces acteurs est en fait une cession à durée indéterminée. C’est un mode par lequel, un détenteur coutumier de terre cède une partie de sa parcelle à un descendant, un proche, un ami ou un parent pour une exploitation à durée illimitée. C’aussi sur les quatre sites sur lesquels les maraichers affirment acquérir la terre par héritage que d’autres soutiennent avoir accès à la terre par don. Les maraichers qui se considèrent comme des propriétaires sur sites sont ceux qui « donnent » la terre. Le constat fait sur le terrain montre que le groupe des maraichers qui ont déclaré avoir obtenu les terres qu’ils exploitent par don est composé :

  • des enfants des propriétaires qui veulent travailler pour leur propre compte;

  • de nouveaux migrants à la recherche de jobs dans la ville qui s’adonnent au maraîchage en entendant de trouver un emploi qu’ils considèrent comme décent;

  • des personnes qui pratiquent le maraîchage à temps partiel, c'est-à-dire comme activité secondaire.

35L’accès à la terre par don est un mode faire-valoir qui n’accorde pas un droit d’usage sécurisé aux maraichers à cause de la situation d’incertitude dans laquelle se trouvent les propriétaires. Il suffit que ces derniers soient eux-mêmes menacés de déguerpissement ou que les terres qu’ils exploitent deviennent infertiles ou qu’ils cherchent à élargir leurs activités pour que l’exploitant soit invité à céder la terre. Ce qui est considéré comme don par les maraichers n’est en réalité qu’un emprunt gratuit illimité.

Le prêt

36Le prêt est aussi un mode de faire-valoir des terres qui se rencontre sur l’ensemble des sept sites maraichers. Les observations de terrain ont permis de distinguer deux cas. Le premier concerne les personnes physiques ou morales qui ont acquis des domaines avec des endroits humides et qui ont décidé de les remettre à exploiter par des maraichers en quête de terre. Il s’agit des sites de Zongo qui a été loti et appartient à des privés, le site de Sokounon qui est la propriété privée de Caritas et le site de Wansirou est un domaine de l’Asecna. Les maraîchers exerçant sur le site de Zongo ont affirmé que ce sont les propriétaires qui leur ont prêté les terres soit gratuitement soit contre paiement d’une rente. Le cas s’observe sur les autres sites où les premiers qui les ont occupés de fait octroient des portions de terres à ceux qui s’adonnent à temps partiel au maraîchage.

Le gardiennage des terres

37C’est un mode d’accès qui permet aux gardiens de jouir temporairement d’un droit minimum d’usage en attendant que le propriétaire soit près à y investir. Il s’agit des parcelles attribuées ou recassées après les opérations de lotissement qui appartiennent des personnes physiques et morales et qui disposent d’un minimum d’installations (puits non tarissable surtout) pour les cultures maraîchères. Le fait de confier les terres ou de les faire garder par des personnes est une stratégie des propriétaires pour les sécuriser en attendant de les mettre en valeur. Le terrain étant exploité en permanence, il est difficile qu’on assiste à des remises en cause de titre de propriété. Les maraichers rencontrés sur ces terres affirment que les clauses qui les lient aux propriétaires ne font jamais l’objet d’un contrat signé. Ils sont souvent privés de libérer les lieux chaque fois que les propriétaires veulent installer un bâtiment sur le terrain ou lorsqu’une offre plus intéressante de mise en valeur leur est faite. Ces offres concernent le plus souvent l’ouverture de garage pour l’entretien des véhicules à quatre roues.

38Ce mode de faire-valoir n’assure pas lui non plus toute la sécurité nécessaire pour la pérennisation du maraîchage dans la ville de Parakou.

Conflits sociaux liés à l’urbanisation de la ville de Parakou

39Avec l’urbanisation, les différents modes d’acquisition sont remis en cause créant ainsi des conflits sociaux et mettant du coup les maraichers dans une insécurité foncière. Plusieurs conflits ont été recensés mais ceux concernant les maraichers sont les principaux retenus. Il s’agit des conflits liés au lotissement, aux expropriations et à la contestation de droit de propriété.

Conflits liés au lotissement

40Le lotissement est « un instrument très puissant de conversion (ou de la régularisation de la conversion) d’espaces ruraux "coutumiers" en espaces urbains "immatriculés", producteur de " morceaux de ville" » (Aboudou et al. 2003) et contribuant fortement à la marchandisation du foncier. Avec la décentralisation, le lotissement est devenu une prérogative des communes et un enjeu central de mobilisation de ressources locales dans l’économie politique communale. Les études de cas réalisées à Parakou (Aboudou et al. 2003 ; Akobi, 2003) montrent bien à quel point ces procédures sont entachées d’irrégularités et sont souvent réalisées dans une grande opacité.

« […] En ce sens, elles ne se contentent pas de « régulariser » des processus d’urbanisation, elles les transforment, allant plutôt dans le sens des rapports de force existants et générant des conflits multiples dont les principaux types sont les suivants : problème de délimitation des propriétés et d’identification des ayants droit, erreur d’immatriculation des parcelles dans l’étape d’état des lieux, attributions illégales, taxations indues, manipulations diverses (par les notaires, les géomètres, les services administratifs) qui peuvent profiter de la méconnaissance des populations vis-à-vis des procédures légales » (Aboudou et al. 2003).

41Les maraichers sont sujets à ces différents types de problèmes. Dans la pratique, les lotissements s’apparentent souvent à des morcellements sans infrastructure. Or les lotissements constituent selon Le Meur (2005) « des ressources potentielles très importantes pour les nouvelles municipalités », du fait du processus de vente de parcelles qu’il induit et aussi en raison de la rationalisation et la formalisation du parcellaire urbain qu’il représente, qui devrait faciliter le recouvrement de l’impôt foncier (avec le concours du registre foncier urbain). A Parakou, par parcelle lotie le propriétaire doit payer officiellement 90 000 f cfa (environ 94 euro) pour être recassé avant d’avoir l’autorisation de construire. Il faut aussi noter que la mairie de Parakou perçoit des impôts locaux directs sur le foncier bâti et le foncier non bâti. Il est donc plus intéressant, du moins financièrement, pour la mairie de lotir les espaces que de laisser les maraîchers les exploiter.

Conflits liés aux expropriations

42Ces types de conflits opposent l’administration à la population rurale et dans ce cas les maraichers. En effet, « pour des besoins de constitution de réserves administratives (mobilisation de 500 ha pour l’Université de Parakou, 4010 ha pour l’aéroport de Tourou…) ou de réalisation d’un projet socio économique (construction de routes, ouverture de voies), l’administration a recours à cette pratique » (Adéléké, 2007). Ce conflit prend aussi une dimension intra-villageoise. C’est le cas de l’autorité traditionnelle locale (rois, notables…) qui exerce ses prérogatives d’administrateur du foncier sur ses sujets afin de se trouver des terres à mettre à la disposition des patrons urbains, politiciens, administration, élites bourgeoises, etc. Dans ce sens, il ressort des interviews avec des personnes ressources de la municipalité que même les bas-fonds et les zones marécageuses sont sollicités dans le but de promouvoir des projets privés d’investissement.

Conflits liés à la contestation de droit de propriété

43Ces conflits proviennent des remises en cause des cessions de terre sans clarification des termes de la cession. En effet, avec la marchandisation, les cadets remettent en cause les terres autrefois cédées par les ainés sous prétexte que ces cessions ont été mal négociées. Selon les enquêtés, les contestataires préconisent donc la récupération d’une partie des parcelles et parfois, dans les cas extrêmes, de la totalité des parcelles.

Impacts socio économiques de la politique d’urbanisation sur les producteurs et les consommateurs

Impacts de l’urbanisation sur les producteurs

44Avec le lotissement, les maraichers urbains sont en fait menacés par les autorités communales dans les cas où les lotissements prévoient le passage de nouvelles infrastructures routières modernes et par les nouveaux propriétaires qui menacent de retirer les terres qui servent de parcelles de cultures maraîchères. Cela se traduit par la diminution non seulement des superficies emblavées pour ces cultures au cours des dernières années d’après les données statistiques du Centre Régional pour la Promotion Agricole, mais aussi par la réduction du nombre de maraichers sur les sites et la disparition progressive de certains sites.

45Dans le cas d’espèce, seuls trois sites sur les sept recensés continuent à livrer des produits frais aux populations toute l’année. Il s’agit des sites de Wansirou, de l’Abattoir et de Sokonou. En effet, sur les autres sites, notamment celui de Sinangourou, le nombre de maraichers a considérablement diminué passant de 46 producteurs à 17. Il en résulte une reconversion de certains maraichers dans d’autres activités génératrices de revenus autrefois considérées comme secondaires. Il s’agit de la poterie, le commerce, l’artisanat, etc.

46Les conflits concernant les expropriations et la contestation des droits de propriété réduisent également l’accès des maraichers aux terres de production maraîchère. En effet, « ces conflits conduisent les deux parties à des procédures juridiques très souvent entachées de fautes et de manipulations du fait d’une mauvaise information foncière » (Le Meur, 2005) de la part des plus vulnérables que sont les maraichers. Certains acteurs perdent ainsi leur travail et se retrouvent au chômage augmentant ainsi le nombre d’urbains pauvres. Il ressort des entretiens réalisés que les autorités de la ville de Parakou n’accordent pas une grande importance aux maraichers qui pourtant jouent un grand rôle dans la ville par l’offre de fruits et légumes frais. Aucune mesure de protection n’est prévue pour assurer la durabilité de leur activité car il n’y a pas de programme de la ville pour sécuriser les maraichers et les sites maraichers sont appelés à disparaître. Les maraichers sont obligés de signer des contrats verbaux avec les propriétaires de ces sites. Ces contrats sont rapidement remis en cause par ces derniers lorsqu’ils trouvent des opportunités plus rentables. Généralement, la majorité des maraichers est soumise aux caprices et à la volonté des propriétaires terriens qui peuvent à tout moment remettre en cause les contrats.

47Cette insécurité foncière à laquelle est sujet ce groupe d’acteurs l’oblige à réduire les investissements sur les sites et ne se contenter que des arrosages manuels. En effet, les maraichers sont obligés de recourir au forage de petits trous pour arroser les plantes car il n’est pas possible pour eux de procéder aux aménagements des cours d’eau sur les sites. La diversification des cultures prend aussi un coup entraînant la rareté et la cherté des produits frais. En effet, face à cette situation de conflits, les grands investissements comme la production de semences pour certaines cultures, l’acquisition de motopompe pour l’irrigation ne sont plus assez rentables. Le maraîchage urbain dans la commune de Parakou se trouve ainsi très vulnérable malgré la place importante qu’elle occupe dans la constitution des revenus des producteurs.

Répercussions sur les consommateurs

48Avec la croissance rapide des villes, l'agriculture urbaine et périurbaine joue un rôle de plus en plus important dans l'alimentation des citadins car « cette agriculture fournit déjà de la nourriture à environ 700 millions de citadins, soit le quart de la population urbaine mondiale » (Fao et Pnue, 2005). « D'ici à 2030, la quasi totalité de la croissance de la population sera concentrée dans les zones urbaines des pays en développement » (ONU-HABITAT, 2004). Alors que le taux de pauvreté dans la plupart des villes est en augmentation, « un nombre croissant de citadins éprouvent donc des difficultés pour accéder à la nourriture dont ils ont besoin » (Kourous, 2008). En effet, dans de nombreux pays en développement, les pauvres des villes dépensent 60 % ou plus de leurs revenus pour l'alimentation. C’est pour cela qu’en augmentant la diversité et la qualité des aliments consommés, l'agriculture urbaine et périurbaine peut améliorer significativement les régimes alimentaires urbains. La vulnérabilité du maraîchage urbain dans la commune de Parakou, n’est donc pas sans conséquences sur les consommateurs de ces produits. En réalité, les produits maraichers font partie intégrante des habitudes alimentaires des populations locales. Ces produits frais sont en fait ceux qui participent à la régulation de la santé des populations qui sont menacées par les nouvelles maladies telles que le diabète et l’hypertension artérielle.

Conséquence sur l’environnement

49L’agriculture urbaine ne résoudra pas à elle seule les problèmes écologiques des villes en croissance, « mais elle participe très certainement et de diverses façons à la protection de l’environnement » (Mougeot, 2006). Par exemple, dans de nombreuses villes, les agriculteurs urbains surtout les maraichers font un usage productif de nombreux déchets organiques en les transformant en un terreau capable d’amender les sols et se servent des eaux usées pour  irriguer les cultures. De même, en cultivant chaque parcelle d’espace libre, les maraichers urbains contribuent à l’écologisation de la ville, à la réduction de la pollution et à l’amélioration de la qualité de l’air. Le seul fait que le transport de ces denrées alimentaires vers la ville se fait sans des camions, supposés induire une pollution, contribue à la durabilité et a une incidence positive sur l’environnement. C’est dans ce sens que Nelson (1996) affirme que :

« […] l’agriculture urbaine aide à réduire l’empreinte écologique de la ville, même lorsque la ville poursuit sa croissance. Un environnement plus propre entraîne une amélioration globale de la santé de la population urbaine. Une ville plus saine est une ville où l’on vit mieux. Et en ce qui concerne tout particulièrement les citadins pauvres, la disponibilité de légumes et d’autres aliments frais, et la possibilité d’accroître son revenu, peuvent se traduire en un meilleur état de santé, voire la possibilité de rompre avec le cycle de la pauvreté ».

50Le maraîchage se fait à Parakou dans les exutoires naturelles de l’eau qui ne bénéficient d’une attention de la par de voirie. Ces endroits sont donc insalubres et rendent la ville sale. Ils constituent des refuses pour les animaux de tout genre et des gîtes favorables pour le développement des vecteurs des maladies nuisibles à la santé des habitants de la ville. L’aménagement et l’exploitation de ces sites par les maraichers. Ainsi la disparition progressive de ces sites maraichers ne constitue pas la solution surtout dans le contexte de réchauffement climatique qui caractérise la terre et qui rend plus vulnérable les pays en développement et donc leurs communes.

Conclusion

51Nombre d’urbanistes et de gouvernements municipaux voient en la production urbaine une insulte à l’esthétique de la ville (Mougeot, 2006). Cette attitude est souvent un reliquat de l’époque coloniale, époque à laquelle les européens s’étaient efforcés de reproduire un milieu urbain convenant davantage aux climats nordiques; une réglementation d’inspiration européenne qui est d’ailleurs encore en vigueur aujourd’hui. Or les observations faites pour cette recherche montrent que les productions maraîchères ressemblent à des jardins verts qui devraient être plus considérées. Pour cela, les municipalités ont pour rôle d’atténuer les conflits et mieux les gérer. Ceci passe, selon Broutain (2006), par l’utilisation de technologies informatiques des systèmes d’information géographique dans le cadre des politiques d’urbanisation. Ces technologies leur permettent l’analyse et la cartographie de l’expansion urbaine afin de prévoir de nouveaux sites de maraîchage et chercher à promouvoir le développement de la production plutôt que de contribuer à son déclin. L’activité maraîchère doit donc, sans perdre son identité sociale, associer dans certains cas et substituer dans d’autres, à sa fonction strictement agro-alimentaire de nouvelles missions urbaines afin de remplir plusieurs fonctions (lucrative, alimentaire, esthétique et environnementale). Pour cela, les autorités communales peuvent aider les maraichers à investir dans cette activité et faire des sites maraichers à la fois des places vertes pour la commune et des champs lucratifs pour les producteurs car la commune de Parakou manque de façon cruciale de places aménagées.

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Bibliography

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References

Electronic reference

Guy Nouatin and François-Xavier Bachabi, « Urbanisation et viabilité de l'activité maraîchère : cas d'une ville à statut particulier au Bénin (Parakou) Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 10 numéro 2 | septembre 2010, Online since 29 September 2010, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/10038 ; DOI : 10.4000/vertigo.10038

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About the authors

Guy Nouatin

Faculté d’Agronomie, Université de Parakou, B.P. 123 Parakou, Bénin, Courriel: gnouatin@yahoo.fr

François-Xavier Bachabi

Faculté d’Agronomie, Université de Parakou, B.P. 123 Parakou, Bénin

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