Skip to navigation – Site map

Présentation de la nomenclature des préjudices réparables en cas d'atteintes à l'environnement

Aude-Solveig Epstein

Abstracts

French law has nowadays widened the possibilities to take into account the consequences of environmental damage. Not solely classical personal injuries caused via the environment (environment-related damage) but also damage to the environment itself are from now on taken into account. But the remediation of environmental damage suffers because of the difficulty to identify clearly the different types of damage that should be taken into consideration. The outcome is the existence on the one hand of contact zones between several damage types, at the risk of setting of a double compensation for a single damage and on the other hand of shadow zones, which mean that although there is a real damage, there won’t be any remediation. Another consequence is that we are facing a remediation that varies according to circumstances, to jurisdictions and to concerned institutions. In order to put an end to this situation and to guarantee the respect of essential principles such as integral remediation, judicial security and equality, we must move towards a structured typology of the remediable environmental damage. The drawing up of such a typology is precisely the objective of the working group animated by the professor G. J. Martin and Laurent Neyret, and hosted by Sciences-po Paris. This typology of the remediable environmental damage, which is being drafted on a participative basis, may be an operational instrument able to guide the different protagonists of environmental action (lawyers, magistrates, operators of polluting activities, insurers, environmental experts, environmental defenders…).

Top of page

Full text

Introduction

  • 1  Le rôle préventif de la Nomenclature sera peu évoqué ici mais il tient notamment au potentiel prév (...)

1La Nomenclature des préjudices réparables en cas d’atteintes à l’environnement, en cours d’élaboration, est un instrument novateur qui vise à améliorer l’identification des conséquences juridiques découlant des atteintes à l’environnement. Si son champ d’application ne se limite donc pas aux dommages affectant les espaces maritimes et côtiers, l’ambition du groupe de travail chargé de sa rédaction est bien de construire un outil apte à être mobilisé quels que soient les milieux atteints par une pollution. En ce sens, la Nomenclature est susceptible de contribuer à l’amélioration de la prévention1 et de la réparation des dommages environnementaux affectant les zones côtières et maritimes, objectif clairement affiché dans le cadre du « Grenelle de la mer ». Quatre temps seront successivement envisagés ici. Après avoir identifié les raisons d’être d’une « nomenclature », les intérêts que l’on peut associer à cet instrument et présenté le groupe de travail chargé de sa rédaction, je présenterai schématiquement les grandes lignes de son architecture.

Raisons d’être d’une « nomenclature »

Une prise en compte élargie des conséquences des atteintes à l’environnement par le droit français

  • 2 CA Paris, 30 mars 2010, 11e ch., n° 08/02278. V. M. Boutonnet, « La classification des catégories d (...)
  • 3  Dans son célèbre jugement de l'Erika du 16 janvier 2008 (TGI Paris, 11e ch. corr., 16 janv. 2008, (...)

2Le droit français permet aujourd’hui une prise en compte élargie des conséquences des atteintes à l’environnement puisqu’aux préjudices personnels et subjectifs classiques causés via l’environnement à l’homme s’ajoutent désormais des préjudices causés directement à l’environnement en tant que tel. En attestent notamment le récent arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 30 mars 20102 dans l’affaire de l’Erika (confirmant sur ce point le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 16 janvier 20083) et la loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale qui transpose la directive n° 2004/35 du 21 avril 2004 relative à la prévention et la réparation des dommages environnementaux et qui appréhende uniquement les dommages causés à l'environnement en tant que tel.

La réparation des dommages issus d’atteintes à l’environnement pâtit de la difficulté à identifier les chefs de préjudices à prendre en compte

  • 4  Le droit spécial issu de la directive du 21 avril 2004 ne détermine pas non plus clairement les ch (...)
  • 5  Voir à ce sujet le Rapport du Centre d’analyse stratégique, « L’approche économique de la biodiver (...)

3« Il n'empêche qu'une chose est, pour le juge et pour le législateur, de mettre le cap sur la réparation élargie des conséquences des atteintes à l'environnement, une autre est de savoir jusqu'où aller ? » (Neyret, 2009). Or, de ce point de vue, force est de constater le caractère souvent laconique des décisions de justice rendues dans ce domaine, les préjudices n’étant que rarement qualifiés et faisant l'objet d'une évaluation globale4. Semblable difficulté s’explique en premier lieu par la complexité de l’objet de la responsabilité environnementale, à savoir l’environnement, en second lieu par les atermoiements pour reconnaître officiellement un préjudice affectant l’environnement per se et pour accorder un prix à la nature5 et en troisième lieu par l’absence de typologie de référence délimitant et définissant les contours des préjudices à prendre en compte en cas d’atteinte à l’environnement.

4Des conséquences que l’on peut déplorer découlent des approximations juridiques présidant à l’heure actuelle à la délimitation des contours des préjudices à prendre en compte en cas d’atteinte à l’environnement. Il en résulte tant des zones de contact entre plusieurs postes de préjudices et donc le risque d’une double indemnisation pour un même dommage, que des zones d’ombre, source de vides indemnitaires, malgré l’existence d’une réalité dommageable. Le principe de réparation intégrale du préjudice s’en trouve évidemment atteint. En découle également une appréhension des préjudices susceptibles d’ouvrir droit à réparation qui varie selon les juridictions saisies ou les institutions concernées. Avec pour conséquence une inégalité de traitement des victimes, des prétendus responsables ainsi que de la cause environnementale. Une telle inégalité se trouve a fortiori renforcée par les difficultés liées à la description et à l’évaluation des effets d’une atteinte à l’environnement. Ici, le principe d’égalité juridique n’est pas respecté.

La comparaison avec la « Nomenclature Dintilhac ».

  • 6  A savoir la « nomenclature des préjudices liés au dommage corporel » proposée dans un rapport rédi (...)

5Cette difficulté d’identification des chefs de préjudices réparables, source tout à la fois d’inégalité indemnitaire et d’insécurité juridique, est comparable à la situation qui a longtemps prévalu en matière de réparation des conséquences du dommage corporel. Dans ce domaine, la jurisprudence a en effet longtemps envisagé globalement ce qui relevait respectivement du physiologique, du moral et de l'économique. Au vu de l’extension du champ des préjudices réparables en cas de dommage corporel et des distorsions existantes entre juridictions et entre régleurs de sinistre, une typologie définissant poste par poste les préjudices réparables s'imposait. D'où la mise en place d'une nomenclature unique des postes de préjudices réparables en cas de dommage corporel6. Cette nomenclature fait désormais l’unanimité et une circulaire ministérielle invite même tous les chefs de cours à en faire application. L'idée de travailler à une « Nomenclature des préjudices réparables en cas d'atteintes à l'environnement » est née de ce précédent, et a été nourrie par l’intuition que si un tel résultat a été possible pour les atteintes à la vie humaine, il l’est aussi pour les atteintes à la vie non-humaine.

La nécessité d’une nomenclature des préjudices réparables en cas d’atteintes à l’environnement.

6À présent que l’obstacle du préjudice personnel a été dépassé afin de prendre en compte les atteintes à l’environnement en tant que tel, et au vu de l’importance considérable des enjeux juridiques, économiques et sociaux sous-tendus par la réparation des atteintes à l’environnement, le temps semble être venu de clarifier l’ampleur des conséquences dommageables susceptibles d’être réparées. Une nomenclature unique mais ouverte des préjudices environnementaux réparables semble être l’instrument tout indiqué pour clarifier le domaine de la responsabilité environnementale tel qu’établi par le législateur et garantir les principes de réparation intégrale et de sécurité juridique en matière environnementale sans toutefois remettre en cause les principes de l’indépendance des juges et de l’individualisation de la réparation.

Présentation du groupe de travail

Un groupe interdisciplinaire soucieux de son indépendance

  • 7  Laurent Neyret et Gilles J. Martin.
  • 8  Le groupe de travail a été accueilli pendant près de deux ans par la Chaire Régulation de Sciences (...)

7Cette nomenclature, en cours d’élaboration, est le fruit des travaux d’un groupe de travail créé spontanément par deux universitaires7 et accueilli par Sciences-po Paris8. Le groupe est composé de juristes et de non juristes (économistes et biologistes) reconnus dans leurs disciplines respectives pour leur compétence en matière de typologie des atteintes à l’environnement. Par souci d’impartialité, aucune partie prenante n’a siégé dans le groupe de travail.

La consultation des parties prenantes

  • 9  Il s’est agi ici de respecter le principe de participation du public au processus décisionnel issu (...)
  • 10  Il s’agissait plus précisément d’identifier les usages qu’ils pourraient faire de la Nomenclature, (...)

8Pour autant, afin de construire un outil de référence opérationnel profitable au plus grand nombre, l’ensemble des utilisateurs potentiels de la Nomenclature (avocats, assureurs, bureaux d’étude, exploitants, ONG, représentants des personnes publiques concernées par l’environnement) a été consulté par voie de questionnaire et, pour certains d’entre eux, par voie d’audition9. L’objectif de cette consultation était de s’ouvrir aux points de vue des parties prenantes afin d’identifier leurs positions10, de prendre notamment connaissance de leurs propres instruments et méthodes d’identification des préjudices nés d’atteintes à l’environnement, de les discuter et de décider de leur intégration ou non dans l’outil final. La procédure de consultation a rencontré un grand succès, eu égard au nombre élevé de réponses recueillies et à l’accord unanime pour l’adoption d’une nomenclature unique des préjudices en matière environnementale.

Parrainages et perspectives

9Par ailleurs, le projet de nomenclature a obtenu le parrainage d’institutions de renom telles que la Cour de cassation, l’Ecole Nationale de la Magistrature et le Conseil d’Etat. Un ouvrage collectif et un colloque lui seront en outre dédiés en 2011.

Intérêts et usages de la Nomenclature

Intérêt terminologique

  • 11  La diffusion à l’étranger de la Nomenclature sera facilitée par la traduction de celle-ci, actuell (...)

10La Nomenclature est un outil de nature à permettre à toutes les parties intéressées de parler un même langage, d’avoir une connaissance exacte et commune de chaque catégorie de préjudice. Le dialogue entre personnes et professionnels d’univers, voire de pays (si tant est que la Nomenclature trouve des relais à l’étranger11) différents gagnera donc à son existence.

Intérêt épistémologique

  • 12  Le dialogue des juges en serait facilité et l’égalité de traitement des justiciables en serait acc (...)
  • 13  La Nomenclature, conformément à son étymologie (du latin nomenclatura : nomen, le nom et calare : (...)
  • 14  La Nomenclature gagnerait en outre à une meilleure connaissance de l’état du tourisme selon les zo (...)

11La Nomenclature pourrait contribuer, en elle-même et du fait des études qu’elle induit, à améliorer l’état de nos connaissances sur les atteintes à l’environnement. En soi, la Nomenclature permettra par exemple de faciliter la recherche automatisée de jurisprudence et la comparaison des décisions de jurisprudence12 et de réaliser des statistiques interannuelles pour suivre l'évolution des dommages affectant l’environnement et leur coût13. En outre, pour que la Nomenclature soit opérationnelle, sa mise en œuvre doit reposer sur une connaissance approfondie et préalable de l’état de l’environnement sur le territoire national. En effet, dans le cas d’atteintes accidentelles à l’environnement, il est en l’état actuel des connaissances quant à l’état antérieur des espèces et milieux touchés, souvent difficile de mesurer l’importance de l’atteinte et d’identifier la mesure de réparation pertinente. La Nomenclature incite en ce sens, à approfondir notre connaissance de la diversité biologique installée sur le territoire français14.

Intérêt juridique

Un instrument au service d’une réparation des préjudices nés d'atteintes à l'environnement tout à la fois plus cohérente, plus efficace et plus respectueuse des principes de sécurité juridique, d’égalité de traitement des justiciables et de réparation intégrale.

  • 15  La Nomenclature permettra de faciliter le travail des magistrats chargés de statuer sur des litige (...)
  • 16 Par ex. : TI Bayonne 13 avr. 2009, RG 09002900.
  • 17  TGI Paris, 11e ch. corr., 16 janv. 2008, n° 2008-351025.
  • 18  T corr. Brest 4 nov. 1988, n° 2463/88.
  • 19  CA Bordeaux, 13 janvier 2006, n° 05/00567 : la Cour a indemnisé plusieurs associations au titre «  (...)
  • 20  TGI Narbonne, 4 oct. 2007, n° 935/07, Assoc. Eccla et a. qui indemnise les préjudices d'un parc na (...)
  • 21  T. corr. Libourne 29 mai 2001, n° 00/010957. Voir également depuis la décision du TGI de Tours qui (...)
  • 22 CA Paris, 30 mars 2010, 11e ch., n° 08/02278

12La Nomenclature permettra au juge de mieux identifier les préjudices réparables et donc d’une part de statuer plus rapidement15 et d’autre part de mieux motiver sa décision quant à la réparation du préjudice né d’une atteinte à l’environnement. En effet, la jurisprudence judiciaire relative à la réparation des atteintes à l'environnement a longtemps été très laconique et/ou approximative. Il arrivait fréquemment que le préjudice ne soit pas même qualifié (Neyret, 2008), le montant des réparations pour violation de la législation environnementale étant ainsi parfois fixé « toutes causes de préjudices confondues »16. En outre, la reconnaissance du préjudice écologique « pur » pour justifier l'allocation de dommages et intérêts à des associations a pu apparaître sous des formulations diversifiées.   Si le TGI de Paris dans l’affaire de l’Erika  a clairement reconnu et réparé « le préjudice résultant de l'atteinte à l'environnement »17, le préjudice écologique « pur » n'a pas cessé pour autant de faire l'objet d'une hésitation terminologique. Qualifié ici de « préjudice biologique » lié à la destruction des poissons d'une rivière à la suite d'une pollution18, là de « préjudice subi par la flore et par le milieu aquatique » et de « préjudice subi par le milieu aquatique » à la suite de travaux dans le cours d'une rivière ayant entraîné son assèchement19 ou  de « préjudice environnemental subi par le patrimoine naturel » consécutif à l'écoulement de produits chimiques dans la mer20,   il a également pu apparaître par le biais de la reconnaissance que le « milieu naturel avait subi une incontestable dégradation »21. L'arrêt de la Cour d'appel de Paris rendu dans l'affaire de l'Erika22 perpétue cette hésitation en ce qu'il le catacrérise tantôt en parlant de « préjudice écologique pur », tantôt d'«atteinte à l'environnement naturel», tantôt encore en évoquant « l'atteinte à l'intégrité du patrimoine naturel », l'«atteinte aux actifs environnementaux non marchands », ou encore « l'atteinte portée à la préservation du milieu naturel ». « Plus précisément, le préjudice est caractérisé par « la souillure de la mer et du rivage », « la mort des oiseaux marins » et la « pollution de l'estran ». Ces expressions restent encore très générales et vagues. » (Neyret, 2010).

13Tant le laconisme de la motivation des juges que les formulations diversifiées du préjudice écologique « pur » sont, en partie au moins, imputables à l’absence de liste de référence des préjudices et corrélativement, à l’absence de consécration d’un préjudice affectant l’environnement per se, dénué de répercussions personnelles. La Nomenclature permettrait donc de satisfaire ce qui est ressenti comme une nécessaire clarification conceptuelle. Face au flou sémantique qui prévaut dès lors que l’on évoque les dommages environnementaux, elle constitue notamment un moyen pertinent pour officialiser les différents chefs de préjudice et plus spécifiquement pour clarifier et sécuriser la notion émergente en jurisprudence de préjudice écologique « pur », y compris en dehors du champ d’application de la directive 2004/35. En ce sens, la Nomenclature s’inscrit pleinement dans l’objectif annoncé dans le cadre du « Grenelle de la mer » consistant à « établir un cadre juridique clair au niveau national pour la reconnaissance du préjudice écologique qui complétera les mécanismes internationaux et européens ».

14Tout en permettant de tenir compte des particularités des cas d’espèces, la Nomenclature contribuera à l’homogénéisation de la jurisprudence en matière de réparation des préjudices nés d’atteintes à l’environnement, et à une plus grande prévisibilité des préjudices pris en considération. Elle constitue ainsi un outil au service de la sécurité juridique et une garantie de l’égalité de traitement des justiciables (qu’ils soient du côté des intérêts lésés ou des personnes responsables).

  • 23  Dans le sens de sa contribution au respect du principe de réparation intégrale, la Nomenclature po (...)

15Enfin, en permettant d’identifier clairement les différents chefs de préjudice susceptibles d’ouvrir droit à réparation, et ce faisant en diminuant le double risque de vide ou de redondance indemnitaire, la Nomenclature serait tout à la fois le vecteur d’une plus grande transparence et cohérence des principes de la réparation et le gage du respect du principe de la réparation intégrale23. La Nomenclature participe ainsi de l’objectif du Grenelle de la mer consistant à assurer « la juste réparation des dommages causés à l’environnement marin ».

Un outil propice à la prévention des conflits

16La Nomenclature, en tant qu’elle constitue un cadre de référence objectif de nature à concilier les intérêts en présence, pourrait également favoriser la prévention des litiges.

Un outil au service de la clarification des demandes en réparation

17La Nomenclature pourra nourrir et consolider l’argumentation des parties, en permettant notamment à celles-ci de justifier leurs demandes de réparation sur une base claire et objective et de veiller à ce qu’aucun poste de préjudice ne soit ni oublié ni invoqué de manière redondante.

18Parce qu’elle détaille les différents préjudices susceptibles d’être réparés, la Nomenclature pourrait également faciliter la détermination des personnes justifiant d’un intérêt à agir en justice.

Intérêts professionnels spécifiques

19Pour les exploitants dont l’activité présente un risque pour l’environnement, l’existence de la Nomenclature participe d’une meilleure connaissance de l’étendue de leurs obligations de prévention et de réparation des atteintes à l’environnement. Les éclairant sur la nature des leurs risques et leur permettant d’en anticiper les conséquences financières, la Nomenclature les aidera notamment à affiner le champ de leur couverture assurantielle.

20Pour les assureurs, une clarification et une harmonisation du champ des préjudices réparables en cas d’atteintes à l’environnement est un outil déterminant au service de l’opération d’assurance, qu’il s’agisse de faire le départ entre les risques assurables et les risques inassurables ou de commercialiser des produits assurantiels adaptés aux différents préjudices réparables.

  • 24  L’instance en charge du règlement du litige pouvant s’appuyer sur la Nomenclature pour rédiger les (...)

21Pour ce qui est des professions juridiques, outre l’appui méthodologique que la Nomenclature apportera à l’argumentation des avocats et à la motivation de leurs décisions par les magistrats, la Nomenclature permettra de rationaliser le travail d’expertise sollicité dans le cadre de procédures de règlement des litiges24, voire même de servir à l’encadrement de missions d’expertise environnementale type.

  • 25  La séquence « éviter, réduire, compenser » est prévue par différents articles du Code de l’environ (...)

22Parce qu’elle constitue une grille de référence systématique et reproductible des atteintes à l’environnement, la Nomenclature pourra également servir aux instances expertales agissant non pas au stade de la réparation de préjudices constatés mais lors de l’anticipation de préjudices qu’on cherche à éviter, atténuer, ou à défaut compenser25. La Nomenclature pourrait effectivement aiguiller les experts dans la rédaction des études d’impact.

  • 26  La loi du 1er août 2008 prévoit qu'en cas d'inaction de l'exploitant à l'origine du dommage ou bie (...)

23Enfin, la Nomenclature pourra utilement servir l’action de plusieurs autres autorités administratives. Elle pourra aider l’Autorité environnementale à formuler ses avis sur les évaluations des impacts environnementaux des grands projets d’infrastructures. Elle pourra également aider l’autorité compétente instituée par la loi du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale dans ses différentes missions, qu’il s’agisse de déterminer l’étendue des préjudices réparables à la suite d’un risque ou d’un dommage de pollution ou bien de mettre en œuvre la procédure de recouvrement prévue par les articles L.162-19 et L.162-20 du Code de l’environnement26.

Présentation de la Nomenclature

Ce que la Nomenclature a vocation à être. Ce qu’elle ne sera pas

  • 27  Qu’il s’agisse de la jurisprudence française, du droit comparé, des directives communautaires en m (...)

24Avant tout, il convient de distinguer la notion d'atteinte à l'environnement des préjudices qui en résultent. L'atteinte à l'environnement relève du fait et peut être définie comme toute atteinte à l'intégrité ou à la qualité de l'environnement. Le préjudice réparable relève, quant à lui, du droit et consiste dans la « conséquence juridique de [l]'atteinte » (Brun, 2005). Une atteinte à l'environnement, fait dommageable unique, est donc à l'origine d'un faisceau de préjudices multiples, certains ayant des répercussions directes sur les sujets de droit et d'autres en étant dépourvus. La Nomenclature recense les divers préjudices réparables. En ce sens, il s’agit d’un outil juridique qui s'inspire de la terminologie retenue par le droit27. Les classifications ayant cours dans d’autres disciplines, qu’il s’agisse de la biologie ou de l’économie, ont néanmoins également été prises en compte par les rédacteurs.

  • 28  « Du point de vue de la portée de la nomenclature sur la réparation, il importe de souligner qu'el (...)
  • 29  La Nomenclature pourra néanmoins apporter une utile contribution à l’articulation entre le régime (...)

25Il n’est pas question de faire ici une présentation exhaustive des travaux puisque ceux-ci ne sont pas aboutis et puisque ce sera l’objet de l’ouvrage collectif et du colloque à venir. Il s’agit bien davantage d’envisager quelques points d’accord sur l’identification des préjudices réparables suite à des atteintes à l’environnement. Le terme d’identification est important. En effet, conformément à l’étymologie du terme (du latin nomenclatura : nomen, le nom et calare, appeler), la Nomenclature, est un outil à l’appui de l’identification des préjudices réparables qui ne s’apparente donc pas à un barème d’indemnisation en matière environnementale28 ni à un guide des mesures de réparation devant prévaloir selon les types de dommages. Si elle n’en constitue pas moins un préalable à l’évaluation et à la réparation, là n’est pas son objet. Son objet n’est pas plus de présider à l’articulation, source d’inquiétudes pour les parties prenantes, entre le droit commun de la responsabilité environnementale et le régime spécial issu de la directive n° 2004/3529. La Nomenclature aura vocation à couvrir tout le champ c'est-à-dire à s’appliquer au contentieux de droit commun de la responsabilité civile ainsi que dans les différents régimes spéciaux de responsabilité. Quant au domaine de la Nomenclature, notons également qu’elle a vocation à couvrir à la fois les atteintes à l’environnement exceptionnel et celles affectant l’environnement ordinaire.

26Du point de vue de sa « texture » (Thibierge, 2003), la Nomenclature s’apparente à un guide de référence. Il ne s’agit en aucun cas d’un carcan rigide, intangible et prétendant à l’exhaustivité qui conduirait à exclure systématiquement tout nouveau chef de préjudice sollicité dans l’avenir par les victimes. Bien au contraire, le souci de garantir l’effectivité des principes de réparation intégrale et d’individualisation de la réparation a conduit le groupe de travail à opter pour un instrument juridique ouvert et évolutif, c'est-à-dire tout à la fois composé de chefs de préjudices suffisamment larges pour répondre à la variété des dommages et susceptible de s’enrichir de nouveaux postes de préjudices au vu de l’évolution de la réalité dommageable et du ressenti social de celle-ci. S’il est prévu que la Nomenclature se rattachera initialement à la catégorie du « droit mou » (Soft Law), avec le temps, il n’est pas exclu qu’une circulaire ministérielle en préconise l’emploi généralisé.

27Présentation schématique de l’architecture de base de la Nomenclature

28Schématiquement, la Nomenclature se présente comme une typologie de préjudices structurée autour de la distinction entre d’un côté les préjudices traditionnels causés à l’homme via l’environnement (préjudices qualifiés de « subjectifs ») et de l’autre, les préjudices causés à l’environnement per se (préjudices qualifiés d’ « objectifs »). Classé dans l’une ou l’autre catégorie, chaque préjudice est nommé et défini précisément, avec le double souci d’éviter les redondances entre préjudices et d’éventuels vides indemnitaires.

29En premier lieu, la catégorie des préjudices subjectifs pour atteinte à l'environnement regroupe les préjudices causés à l’homme via l'environnement. Ces préjudices sont certes classiquement réparés mais les divergences entre les solutions retenues ici et là incitent à en établir une typologie claire et transparente. Les préjudices subjectifs se décomposent en préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux.

  • 30  TGI Bastia, 8 déc. 1976, D. 1977, p. 427
  • 31  TGI Paris, 11e ch. corr., 16 janv. 2008, n° 2008-351025
  • 32 Résumé de la motivation: http://www.economie.gouv.fr/directions_services/daj/lettre/2010/lettre74/R (...)

30Les préjudices patrimoniaux s'entendent des atteintes à l'environnement ayant des répercussions sur les intérêts patrimoniaux des sujets de droit, qui correspondent tantôt à des pertes subies (dépenses en personnel, matériel, subventions, aides financières aux entreprises, dépenses de communication), tantôt à des gains manqués par la victime (perte de la taxe de séjour, perte du chiffre d'affaires). Ils comprennent notamment : a)les dépenses en mesures de sauvegarde et de nettoyage des sites et des espèces atteints par la pollution : dans l'affaire de l'Erika, la Cour d'appel de Paris a par exemple réparé les « frais de remise en état tels les frais liés au nettoyage des sites, au sauvetage de la faune sauvage ou à la restauration des infrastructures ou encore les atteintes à l'outil de travail »  ; b) les dommages aux biens, englobant l'atteinte à la valeur d'usage et la diminution de la valeur vénale desdits biens ; cette dépréciation de la propriété a par exemple été prise en compte et indemnisée par le juge dans le cas d’un déversement de produits polluants au large de la Corse qui avait été à l’origine de la dépréciation des propriétés riveraines30 ; c) les pertes de gains correspondant aux pertes économiques subies par les personnes dont l'activité a un lien avec l'environnement ; le TGI de Paris a ainsi octroyé une réparation en raison de la perte du chiffre d’affaires subie par une agence de voyage ou encore des pertes commerciales subies par une entreprise conchylicole en conséquence d’une pollution aux hydrocarbures31 ; d) les dépenses de communication et de promotion, destinées à redorer une image ternie par l'atteinte à l'environnement ; certaines collectivités territoriales ont ainsi obtenu réparation des « dépenses de communication et de promotion » exposées suite au naufrage de l’Erika ; e) les aides financières, comme les aides versées aux entreprises, aux associations ou aux particuliers sinistrés afin de faire face au coût exceptionnel de la pollution ; le TGI de Paris a ainsi octroyé aux collectivités territoriales des dommages et intérêts pour les « aides financières aux entreprises » rendues nécessaires par la pollution issue du naufrage de l’Erika ; f) les frais divers exposés par la victime dans le cadre du règlement de son préjudice (honoraires des conseils, frais de transport, frais de restauration des bénévoles apportant leur concours à la lutte contre la pollution...): dans son arrêt du 30 mars 2010, la Cour d'appel de Paris a ainsi alloué aux parties civiles des sommes importantes au titre des frais irrépétibles, sans les limiter aux seuls frais d'avocat « car les parties civiles ont dû engager des frais très importants dans une procédure particulièrement complexe et qui a duré dix ans »32..

31Les préjudices subjectifs pour atteinte à l'environnement couvrent d'autre part les préjudices extrapatrimoniaux entendus comme les atteintes à l'environnement ayant des répercussions sur les intérêts moraux des sujets de droit. Parmi eux, on trouve notamment : a) le préjudice né de la privation provisoire des activités d'agrément en lien avec l'environnement atteint auxquelles les personnes se livraient habituellement (pêche, randonnée, baignade, observation de la nature...) ; les tribunaux ont caractérisé ce préjudice au profit d’associations de pêche dont les membres ont été privés d’activité de pêche pendant le temps nécessaire à la reconstitution et au repeuplement artificiel d’une rivière touchée par une pollution ; b) l'atteinte temporaire à l'image et à la réputation causée par un dommage écologique ; dans l’affaire de l’Erika, le TGI de Paris a réparé l’« atteinte à l’image de marque et à la réputation » des régions, départements, et communes causée par la marée noire pour un montant total de dommages et intérêts de 26 millions d’euro ; c) le préjudice moral des associations entendu comme le préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif que la personne morale a pour objet de défendre et précisé  dans l'arrêt d'appel rendu à propos de l'affaire de l'Erika comme étant le « prix du découragement » car la marée noire a porté atteinte à leur objet social et gravement contrarié les efforts qu'elles ont déployés ; d) la menace de l'outil de travail, à l'image de « la menace qui a pesé sur un outil de travail mis en valeur avec difficulté depuis des dizaines d'années et soumis à un équilibre fragile » réparée par le TGI de Paris dans l’affaire de l’Erika au profit du syndicat regroupant notamment les producteurs de sels de Guérande.

32En second lieu, les préjudices causés à l'environnement en tant que tel, c'est-à-dire venant léser un intérêt environnemental conforme au droit objectif, sont répertoriés au sein de la catégorie des préjudices objectifs pour atteinte à l'environnement. L'arrêt d'appel rendu dans l'affaire de l'Erika caractérise ce préjudice qualifié d' « objectif » et d' « autonome » comme résultant de « toute atteinte non négligeable à l'environnement naturel, à savoir, notamment, à l'air, l'atmosphère, l'eau, les sols, les terres, les paysages, les sites naturels, la biodiversité et l'interaction entre ces éléments, qui est sans répercussions sur un intérêt humain particulier mais affecte un intérêt collectif légitime ». Ce faisant, cette définition rejoint pour beaucoup celle qui transparait de l'état actuel des réflexions du groupe de travail. D'une part, en ce que la Cour consacre l'expression « préjudice objectif » mise en avant par les animateurs du groupe de travail (Neyret, 2009). D'autre part en ce sens que, pour cantonner l'extension de la responsabilité civile dans des limites raisonnables, la prise en compte dans la Nomenclature d’un critère de significativité du préjudice objectif est à l’étude. En outre parce que seront pris en compte parmi les préjudices objectifs non seulement ceux qui résultent des atteintes aux éléments de l’environnement (air, sols, eaux, espèces et habitats naturels…) mais également ceux résultant d’atteintes aux fonctions écologiques assurées par ces éléments de l’environnement (nutrition, pollinisation...). De manière plus originale, le groupe de travail étudie la possibilité d'inclure dans cette catégorie  non seulement les atteintes à l'environnement naturel inapproprié mais également les atteintes à l'environnement naturel approprié dont la valeur environnementale excède les intérêts du propriétaire.  

33Pour conclure, je me ferai l’écho du message enthousiaste de l’un des animateurs du groupe de travail :« Certes l'entreprise est difficile, car le degré de complexité de l'environnement est bien plus élevé que celui du corps humain (services écologiques...), Pour autant, elle nous semble incontournable. Après avoir relevé le défi du préjudice personnel, le temps est venu de relever celui de la typologie des préjudices réparables en cas d'atteintes à l'environnement » (Neyret, 2009). La mise au point de la Nomenclature viendra donc conforter et approfondir la clarification que  la Cour d'appel de Paris le 30 mars 2010 a apportée en cette matière dans son retentissant arrêt du 30 mars 2010.

Top of page

Bibliography

Boutonnet, M., 2008, « La reconnaissance du préjudice environnemental », Environnement, étude 2 

Boutonnet, M., 2008, « Une nouvelle réparation du préjudice écologique par le juge du fond à propos du jugement du TGI Tours du 24 juillet 2008 », Environnement, étude 11

Boutonnet, M., 2009, « Une reconnaissance du préjudice environnemental pour une réparation symbolique... », Environnement n° 7, comm. 90

Boutonnet, M., 2010, « La classification des catégories de préjudices à l'épreuve de l'arrêt Erika », Revue Lamy Droit civil, 73, 18- 24

Boutonnet, M., 2010, « L'arrêt Erika, vers la réparation intégrale des préjudices résultant des atteintes à l'environnement ? », Environnement n° 7, étude 14

Brun, Ph. 2005, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec

Calfayan, Ch., 2009, « Préjudices environnemental et moral d’une association de protection de l’environnement », Revue Lamy Droit Civil n° 63

Guégan, A., 2009, « La place de la responsabilité civile après la loi du 1er août 2008 », Environnement n° 6, dossier 3

Guihal, D., 2010, « Erika : suite... », Revue juridique de l'économie publique n° 677, comm. 39

Le Couviour, K. 2010, « Erika : décryptage d'un arrêt peu conventionnel . - À propos de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 mars 2010 », La Semaine Juridique Edition Générale n° 16 , p. 432

Martin, G.J., 2009, « La réparation des atteintes à l'environnement », in Les limites de la réparation du préjudice : Dalloz, Thèmes et commentaires, p. 359.

Neyret, L., 2008a, « La réparation des atteintes à l'environnement par le juge judiciaire », Recueil Dalloz,  p. 170

Neyret, L., 2008b, « Naufrage de l'Erika : vers un droit commun de la réparation des atteintes à l'environnement », Recueil Dalloz,  p. 2681

Neyret, L., 2009, « Proposition de nomenclature des préjudices réparables en cas d'atteinte à l'environnement », Environnement n° 6, dossier 5 

Neyret, L., 2010, « L'affaire Erika : moteur d'évolution des responsabilités civile et pénale », Recueil Dalloz 2010 p. 2238

Neyret, L., « La régulation de la responsabilité environnementale par la Nomenclature des préjudices environnementaux », in La régulation environnementale, Dalloz, à paraître.

Neyret, L. et G. J. Martin (dir.), 2010, Nomenclature des préjudices pour atteintes à l’environnement, LGDJ, à paraître.

Parance, B., 2010, « L'action des associations de protection de l'environnement et des collectivités territoriales dans la responsabilité environnementale », Environnement n° 6, Juin 2009, dossier 4

Rajot, B., 2010, « Coupable, mais pas responsable : telle est la décision rendue par la cour d'appel de Paris le 30 mars 2010 dans l'affaire de l'Erika : satisfaction en demi-teinte des victimes ? », Responsabilité civile et assurances n° 6, alerte 12

Rebeyrol, V., 2010, « Où en est la réparation du préjudice écologique? », Recueil Dalloz, p. 1804

Thibierge, C., 2003, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit », RTD civ., p. 599

Van Lang, A., 2008, « Affaire de l'Erika : la consécration du préjudice écologique par le juge judiciaire », AJDA,  p. 934

Top of page

Notes

1  Le rôle préventif de la Nomenclature sera peu évoqué ici mais il tient notamment au potentiel préventif des règles de responsabilité et au fait que la Nomenclature pourra être utilisée non seulement ex post mais également ex ante, c'est-à-dire non pas une fois le dommage survenu mais au stade de l’évaluation des impacts environnementaux probables d’un projet. Pour approfondir cette question, voir notamment L. Neyret, « La régulation de la responsabilité environnementale par la Nomenclature des préjudices environnementaux », in La régulation environnementale, Dalloz, à paraître.

2 CA Paris, 30 mars 2010, 11e ch., n° 08/02278. V. M. Boutonnet, « La classification des catégories de préjudices à l'épreuve de l'arrêt Erika », Revue Lamy Droit civil, 73 (2010) 18- 24; M. Boutonnet, « L'arrêt Erika, vers la réparation intégrale des préjudices résultant des atteintes à l'environnement ? », Environnement n° 7, Juillet 2010, étude 14 ; D. Guihal, « Erika : suite... », Revue juridique de l'économie publique n° 677, Juillet 2010, comm. 39; K. Le Couviour, « Erika : décryptage d'un arrêt peu conventionnel . - À propos de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 mars 2010 », La Semaine Juridique Edition Générale n° 16, 19 avril 2010, p. 432; L. Neyret, « L'affaire Erika : moteur d'évolution des responsabilités civile et pénale », Recueil Dalloz 2010 p. 2238; B. Rajot, « Coupable, mais pas responsable : telle est la décision rendue par la cour d'appel de Paris le 30 mars 2010 dans l'affaire de l'Erika : satisfaction en demi-teinte des victimes ? », Responsabilité civile et assurances n° 6, Juin 2010, alerte 12 ; V. Rebeyrol, «Où en est la réparation du préjudice écologique? », Recueil Dalloz 2010 p. 1804

3  Dans son célèbre jugement de l'Erika du 16 janvier 2008 (TGI Paris, 11e ch. corr., 16 janv. 2008, n° 2008-351025), le Tribunal correctionnel de Paris a prononcé la réparation du préjudice écologique pur en faveur d'une association agréée de protection de l'environnement, la Ligue de protection des oiseaux, pour l’atteinte portée aux espèces d’oiseaux, et en faveur d'une collectivité territoriale, le département du Morbihan, pour l'atteinte à des espaces naturels sensibles, 662 hectares de terres du littoral touchées par la pollution maritime. L'arrêt rendu en appel dans cette affaire consacre lui aussi l'existence du préjudice autonome issu de l'atteinte à l'environnement « Tout en revoyant à la hausse le montant total des indemnisations, l’arrêt manifeste une multiplication des chefs de préjudices réparables et des parties civiles recevables à l’action » (M. Boutonnet, « La classification des catégories de préjudices à l'épreuve de l'arrêt Erika », Revue Lamy Droit civil, 73 (2010), p. 18 et s.).A noter toutefois que contrairement à ce qui a pu être parfois affirmé à la suite du jugement rendu en première instance dans cette affaire, le préjudice écologique n'a pas fait son entrée dans le droit français ce jour-là. Avant même que ne soit rendu ce jugement, le juge judiciaire avait déjà ostensiblement réparé le préjudice d'atteinte objective à l'environnement. Cela ressort de plusieurs décisions des juges du fond qui ont pu être collectées dans le cadre du groupe de travail sur la réparation du préjudice écologique mis en place en 2006 à la Cour de cassation et dirigé par le professeur Gilles J. Martin ainsi que dans le cadre du projet de nomenclature (G. J. Martin, « La réparation des atteintes à l'environnement », in Les limites de la réparation du préjudice : Dalloz, Thèmes et commentaires, 2009, p. 359. V. également L. Neyret, « La réparation des atteintes à l'environnement par le juge judiciaire », Recueil Dalloz 2008 p. 170).

4  Le droit spécial issu de la directive du 21 avril 2004 ne détermine pas non plus clairement les chefs de préjudice à prendre en compte lorsqu'il évoque les « détériorations directes ou indirectes mesurables de l'environnement », même s'il précise qu'il s'agit des dommages causés aux espèces et habitats naturels protégés, de la dégradation de l'état des eaux et de la pollution des sols présentant un risque pour la santé, à condition de présenter un degré de gravité suffisant.

5  Voir à ce sujet le Rapport du Centre d’analyse stratégique, « L’approche économique de la biodiversité et des services liés aux éco systèmes ", 28 avril 2009 : http://www.strategie.gouv.fr/article.php3 ?id_article =980

6  A savoir la « nomenclature des préjudices liés au dommage corporel » proposée dans un rapport rédigé par le groupe de travail présidé par Jean-Pierre Dintilhac, alors président de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, et remis au Garde des sceaux le 28 octobre 2005

7  Laurent Neyret et Gilles J. Martin.

8  Le groupe de travail a été accueilli pendant près de deux ans par la Chaire Régulation de Sciences-po présidée par le professeur Marie-Anne Frison-Roche, puis par l’Ecole de droit de Sciences-po dirigée par le professeur Christophe Jamin.

9  Il s’est agi ici de respecter le principe de participation du public au processus décisionnel issu de la Convention d’Aarhus du 25 juin 1998 et inscrit à l’article 7 de la Charte constitutionnelle de l’environnement.

10  Il s’agissait plus précisément d’identifier les usages qu’ils pourraient faire de la Nomenclature, les intérêts qui s’attachaient de leur point de vue à son élaboration, les qualités qu’elle devrait présenter à leurs yeux et les défauts qu’il conviendrait d’éviter lors de son établissement et de recueillir leurs propositions quant à son architecture, son contenu et enfin son statut juridique. Cf. Pour une présentation de la Nomenclature et des réponses au questionnaire : L. Neyret et G. J. Martin (dir.), Nomenclature des préjudices pour atteintes à l’environnement, LGDJ, 2010, à paraître.

11  La diffusion à l’étranger de la Nomenclature sera facilitée par la traduction de celle-ci, actuellement à l’étude.

12  Le dialogue des juges en serait facilité et l’égalité de traitement des justiciables en serait accrue.

13  La Nomenclature, conformément à son étymologie (du latin nomenclatura : nomen, le nom et calare : appeler) est un outil à l’appui de l’identification des préjudices réparables qui ne s’apparente donc pas à un barème d’indemnisation en matière environnementale. Elle permet néanmoins de donner prise à des études statistiques et à l’établissement de tableaux de référence, aptes à affiner le coût des atteintes à l’environnement (infra).

14  La Nomenclature gagnerait en outre à une meilleure connaissance de l’état du tourisme selon les zones car la taxe de séjour, en ce qu’elle ne prend en compte que les personnes dormant sur place, n’est pas toujours pertinente pour évaluer l’importance touristique d’un site.

15  La Nomenclature permettra de faciliter le travail des magistrats chargés de statuer sur des litiges relatifs à la réparation d’atteintes à l’environnement. Tout en conservant leur liberté d’appréciation, ceux-ci pourront en effet utilement se référer à la Nomenclature pour identifier quels sont les préjudices réparables, ce qui permettra d’accélérer les procédures de réparation et, par là même, de réduire le délai pendant lequel les atteintes à l’environnement perdurent.

16 Par ex. : TI Bayonne 13 avr. 2009, RG 09002900.

17  TGI Paris, 11e ch. corr., 16 janv. 2008, n° 2008-351025.

18  T corr. Brest 4 nov. 1988, n° 2463/88.

19  CA Bordeaux, 13 janvier 2006, n° 05/00567 : la Cour a indemnisé plusieurs associations au titre « du préjudice subi par la flore et les invertébrés du milieu aquatique » et du « préjudice subi par le milieu aquatique ».

20  TGI Narbonne, 4 oct. 2007, n° 935/07, Assoc. Eccla et a. qui indemnise les préjudices d'un parc naturel régional consécutifs à l'écoulement de produits chimiques dans les eaux maritimes du fait d'un fabricant de ces produits.

21  T. corr. Libourne 29 mai 2001, n° 00/010957. Voir également depuis la décision du TGI de Tours qui reconnaît le bien fondé de l'action exercée par la Fédération d'Indre et Loire pour la pêche et la protection du milieu aquatique en réparation du préjudice écologique et distingue même plusieurs types de préjudice environnementaux. Même s'il ne fait pas référence expressément au préjudice « environnemental » ou « écologique », il admet à côté du préjudice économique subi par la fédération « qui lui est à la fois propre et concerne les intérêts qu'elle défend », d’une part la réparation des dommages « qui se sont étendus avec décélération sur environ 12 Km du cours d'eau de la Brenne, rare rivière du département classée en première catégorie, concernant à la fois le milieu aquatique (eau, berges, flore, fond, rives) et les espèces (poissons, dont certains très rares comme la truite fario ou la lamproie, mais aussi insectes et divers invertébrés) » et d’autre part la reconnaissance d’un préjudice plus subjectif « qui tient à la nostalgie paysagère et halieutique, la beauté originelle du site, l'âme du territoire, l'histoire des peuples et ce que certains philosophes et scientifiques appellent la mémoire de l'eau » ; (TGI de Tours, 24 juill. 2008, n° 1747 D ; M. Boutonnet, « Une nouvelle réparation du préjudice écologique par le juge du fond à propos du jugement du TGI Tours du 24 juillet 2008 », Environnement 2008, étude 11). Et la décision du TGI de Nanterre qui reconnaît clairement le préjudice environnemental, le nommant à la fois « préjudice écologique », « préjudice environnemental subi par le patrimoine naturel », et encore « préjudice écologique pur » (TGI Nanterre, 6e ch., 11 mai 2009, n° 06/13731 ; M. Boutonnet, « Une reconnaissance du préjudice environnemental pour une réparation symbolique... », Environnement n° 7, Juillet 2009, comm. 90).

22 CA Paris, 30 mars 2010, 11e ch., n° 08/02278

23  Dans le sens de sa contribution au respect du principe de réparation intégrale, la Nomenclature pourrait s’avérer utile pour minimiser le risque que ne soit demandé à un exploitant de réparer plusieurs fois un même préjudice, qu’elle contribue à clarifier les règles du recours subrogatoire des tiers payeurs pour les sommes versées en cas d'atteintes à l'environnement, ou encore qu’elle permette d’harmoniser les mesures de réparation prononcées par le juge d’un côté et par le préfet de l’autre (infra).

24  L’instance en charge du règlement du litige pouvant s’appuyer sur la Nomenclature pour rédiger les missions d’expertise.

25  La séquence « éviter, réduire, compenser » est prévue par différents articles du Code de l’environnement et rejoint les trois types de réparation prévus par la Loi relative à la Responsabilité Environnementale – réparation primaire, complémentaire, compensatoire.

26  La loi du 1er août 2008 prévoit qu'en cas d'inaction de l'exploitant à l'origine du dommage ou bien, en cas d'urgence, s'il n'a pas été identifié, l'autorité compétente peut procéder ou faire procéder d'office à l'exécution des mesures de prévention et de réparation nécessaires (C. env., art. L. 162-14-I ; C. env., art. L. 162-15). Dans le cadre de la « procédure de recouvrement » (C. env., art. L. 162-19 et L. 162-20), un recours poste par poste serait le bienvenu car cela permettrait d'éviter un appauvrissement démesuré de l'exploitant responsable et corrélativement de se prémunir contre un enrichissement sans cause des tiers payeurs qui récupéreraient des sommes alors même qu'ils ne les auraient pas versées, ou bien qui récupéreraient plusieurs fois les sommes versées pour un même préjudice.

27  Qu’il s’agisse de la jurisprudence française, du droit comparé, des directives communautaires en matière environnementale ou encore des règles d'indemnisation du FIPOL.

28  « Du point de vue de la portée de la nomenclature sur la réparation, il importe de souligner qu'elle ne devrait pas servir de base à l'adoption de barèmes d'indemnisation, mais plutôt à l'établissement de tableaux de référence, outil de réduction des écarts de prix de la nature ou de mesures de compensation d'une juridiction à une autre, d'un préfet à un autre, d'un assureur à un autre... À ce titre, pour passer de l'arbitraire à l'égalité indemnitaire, on gagnerait certainement à adopter un référentiel indicatif national statistique et évolutif en matière environnementale. » (L. Neyret, « Proposition de nomenclature des préjudices réparables en cas d'atteinte à l'environnement », Environnement n° 6, Juin 2009, dossier 5).

29  La Nomenclature pourra néanmoins apporter une utile contribution à l’articulation entre le régime du droit commun et celui issu de la loi relative à la responsabilité environnementale en ce qu’elle permettra notamment d’harmoniser les mesures de réparation prononcées par le juge d’un côté et par le préfet de l’autre. Imaginons en effet un cas où un exploitant estimerait que les mesures prises par le préfet et par le juge judiciaire conduisent à réparer deux fois le même dommage. Si le juge judiciaire avait condamné l'exploitant à des dommages et intérêts au titre d'un dommage environnemental alors que le préfet lui avait imposé des mesures de réparation en nature, le risque d’une réparation « excessive » serait réel. « Et ce, d'autant que les mesures de réparation imposées au titre de la loi nouvelle ne visent pas une réparation intégrale, mais visent seulement à éliminer tout risque d'atteinte grave à la santé humaine (C. env., art. L. 162-8 pour les sols et C. env., art. L. 162-9 pour les eaux, espèces et habitats). Cette différence d'objectif de la réparation (intégrale pour le juge judiciaire et réduite pour le préfet) peut rendre plus difficile la preuve par l'exploitant qu'on lui demande deux fois de réparer le même dommage. Pour pallier le risque d'une double réparation, il faudrait presque envisager, comme en matière d'indemnisation du dommage corporel, que les mesures prononcées par l'un et l'autre répondent à des postes précis. Cela assurerait une meilleure articulation des décisions de chacun, tant d'ailleurs au profit de l'environnement que de l'exploitant. » (A. Guégan, « La place de la responsabilité civile après la loi du 1er août 2008 », Environnement n° 6, Juin 2009, dossier 3).

30  TGI Bastia, 8 déc. 1976, D. 1977, p. 427

31  TGI Paris, 11e ch. corr., 16 janv. 2008, n° 2008-351025

32 Résumé de la motivation: http://www.economie.gouv.fr/directions_services/daj/lettre/2010/lettre74/Resume_motivation_CA_Erika.pdf

Top of page

References

Electronic reference

Aude-Solveig Epstein, « Présentation de la nomenclature des préjudices réparables en cas d'atteintes à l'environnement Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Hors-série 8 | octobre 2010, Online since 21 October 2010, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/10166 ; DOI : 10.4000/vertigo.10166

Top of page

About the author

Aude-Solveig Epstein

Doctorante en droit privé, Université de Nice-Sophia Antipolis, CREDECO/GREDEG, Allocataire ADEME, courriel : aude.epstein@sciences-po.org

Top of page

Copyright

© Tous droits réservés

Top of page