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Les zones côtières, un nouvel espace à la recherche d'une identité

Rapport de synthèse
Philippe Billet

Full text

  • 1  V. en ce sens, Société française pour le droit international, La frontière, Actes du Colloque de P (...)
  • 2  H. de Groot, Du droit de la guerre et de la paix (De jure pacis et belli) (1625), PUF 1999, coll. (...)
  • 3  Ciceron, De provinciis consularibus (Sur les Provinces consulaires, 56 BP) in Discours, T. XV, Les (...)
  • 4  V. D. Nordman, Frontières de France.  De l’espace au territoire, XVI°-XIX° siècle, Gallimard 1998, (...)

1On a mis longtemps à s’intéresser aux côtes autrement que comme frontières, espace du vide ouvert sur l’inconnu, d’où l’on quitte la terre sans certitude de retour. Fait politique où la nature apparaît instrumentalisée1, la limite d’un territoire est d’autant plus lisible et contrôlable qu’elle repose sur un obstacle physique. Grotius, dans son « Droit de la guerre et de la paix » de 1625, évoque ainsi ces « bornes naturelles propres à empêcher les courses des ennemis »2, confirmant ainsi le constat de Cicéron dans son discours sur les provinces consulaires : les Alpes ne suffisant pas pour assurer à Rome son espace de paix, il faut aller jusqu'à la « frontière naturelle » qu'est l'Océan3 et, partant, investir l’espace côtier. L’espace côtier est donc, d’abord et avant tout une frontière, un point de contact, un espace d’affrontement. Ce n’est cependant qu’un cadre, un vecteur, un repère qui procède d’une vision anthropique, et non une condition à l’existence d’une frontière4, constat qui s’impose avec d’autant plus d’évidence que la frontière devient perméable dès lors qu’il ne s’agit plus de la rapporter à l’homme mais de l’appréhender dans son fonctionnement naturel. A l’affrontement humain qui nécessite, pour être contenu, des frontières difficilement franchissables, a succédé un affrontement d’un autre type, conditionné par le fonctionnement de l’hydrosystème et des écosystèmes lesquels, victimes des activités humaines, en prolongent les conséquences jusque dans l’espace côtier. La ligne de côte, simple frontière de papier, est inapte à contenir ce passage de la terre vers la mer. Sa perméabilité impose donc d’adopter une vision large de l’espace côtier, faute de quoi sa gestion est condamnée par avance, ou justifie de créer des liens par delà cet espace, afin de contrôler et de gérer ces marges périphériques dans la perspective de la protection des confins côtiers. L’occupation humaine de côtes rompt également certains équilibres et transforme en risques des phénomènes naturels comme les tempêtes marines, et fragilise les écosystèmes terrestres et marins, tout en rendant plus perceptibles les pollutions marines.

2La gestion intégrée des zones côtières (GIZC), concept opérationnel, propose, pour résoudre ces affrontements, de faire de l’espace côtier un espace de gestion, de le fonctionnaliser comme support d’un ensemble de mesures destinées à satisfaire l’objectif de protection de ces zones. La gestion de tel ou tel élément ne peut cependant pas rester isolée et doit nécessairement être intégrée, en prenant en considération l’ensemble des problèmes qui affectent ces zones et l’ensemble des mécanismes de gestion développés pour les résoudre, à la manière d’une horloge dont on ne peut appréhender le fonctionnement sans prendre en compte l’ensemble de ses rouages, après avoir envisagé chacun d’eux individuellement. Les zones côtières caractérisent ainsi un espace de solidarité, qui intervient en contrepoint des espaces d’affrontements et de gestion, tout en se superposant à eux. Elles constituent également un espace de responsabilités, en raison des dommages susceptibles de les affecter, et qui appellent réparation.

Des espaces d’affrontements

  • 5  R . Brunet et al., Les mots de la géographie, Reclus - La documentation française 1998, 3ème éd., (...)
  • 6  V. P. Dury, Étude comparative et diachronique des concepts ecosystem et écosystème : Meta, Revue d (...)

3Les côtes forment un milieu complexe, du fait qu’elles constituent un écosystème de transition. Elles caractérisent une interface entre des systèmes différents où fonctionnent des effets synapsiques (ruptures, passages, relais)5. Cet écotone correspond à la limite et à la zone de transition située à la frontière entre deux écosystèmes, interface entre deux écosystèmes voisins présentant une identité suffisante pour se différencier entre eux et avoir un fonctionnement écologique particulier. Il se caractérise par une richesse spécifique plus importante que celle des écosystèmes qu’il sépare car les espèces des deux écosystèmes s'y rencontrent. Il y a ce que l’on appelle l’effet « lisière », frontière plus ou moins large marquant la transition entre ces écosystèmes.   Il n’y a pas à proprement parler de limite, mais un espace de transition, de tension, si l’on s’attache à l’acception anglo-saxonne6. Cet espace reste d’abord et avant tout un espace d’affrontement et c’est la première vision de la zone côtière qui nous a été donnée par les scientifiques, affrontement de la terre contre la mer, de la mer contre la terre et, parfois même, en mer.

4Les pollutions telluriques, avec leur cohorte d’effets mutagènes, tératogènes ou létaux, revêtent diverses formes, macro ou micro-déchets, voire nano-déchets. Elles accroissent, en se développant, les pressions sur les écosystèmes et les espèces côtiers, se traduisant par une érosion de la biodiversité. Les communications scientifiques ont bien mis en évidence, avec force schémas et « photos-chocs », ce basculement dans l’anthropocène, nouvelle ère caractérisée par des fortes modifications et destructions dues à l’homme.

5Cette approche catastrophiste marque également les affrontements de la mer vers la terre, la montée des eaux ayant été présentée comme quasiment inéluctable. Dès lors, comment lutter, s’il faut lutter, si tant est qu’il ne faudrait pas se résoudre d’abandonner l’espace naturel à sa naturalité ? L’affrontement, envisagé sous cet angle, remet fortement en cause l’occupation anthropique des côtes, en dépit d’une réglementation drastique, mais qu’elle n’est pas pleinement parvenue à contenir. Le récent épisode de la tempête Xynthia, dépression météorologique qui a notamment balayé une partie des côtes françaises entre le 26 mars et le 1er février 2010 a, conjugué avec la pleine mer et des marées à fort coefficient, emporté certaines digues et entraîné des inondations à l’intérieur des terres. Le retrait du trait de côte, plus classique dans le cadre de ce type d’épisode, a désormais d’autres conséquences du fait d’une occupation des sols que l’on tarde à remettre en cause, à défaut d’avoir pu ou voulu l’éviter.

  • 7  V. J.-P. Beurier, Le droit international face à l’introduction d’espèces invasives, in A. Cudennec (...)

6Les affrontements en mer, enfin, a priori bien peu côtiers, voient leurs effets portés sur les côtes, justifiant ainsi le traitement dans le cadre de la GIZC. De fait, les eaux de ballast qui sont utilisées pour équilibrer les navires et garantir leur stabilité présentent des risques pour l'environnement dans lequel elles sont introduites, en raison de la présence d’espèces marines dites « envahissantes », nuisibles ou pathogènes, qu’elles peuvent contenir. De tels apports en espèces végétales et animales allochtones est potentiellement dommageable, leur position en marge des écosystèmes locaux impliquant une absence d’inscription dans une chaîne alimentaire qui permettrait leur régulation naturelle. Ces espèces envahissantes, nuisibles ou pathogènes peuvent avoir des conséquences sanitaires, environnementales, économiques ou sanitaires particulièrement graves et affecter l’espace côtier, d’autant plus facilement qu’il n’existe pas de barrière physique ou biologique. Les ports et terminaux sont particulièrement sensibles à ce phénomène, comme l’a relevé la convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires adoptée par l'Organisation maritime internationale le 13 février 2004, adoptée afin de lutter contre ce phénomène7. Cette gestion des pollutions préfigure l’espace de gestion que les zones côtières doivent nécessairement devenir afin de pouvoir appréhender globalement toutes les problématiques et les gérer de façon intégrée.

Des espaces de gestion

7Puisqu’il est acquis désormais qu’il y a risques et interaction entre ces risques, il faut se résoudre à gérer ces risques, à défaut de pouvoir les supprimer, tant en amont pour les éviter qu’en aval, pour les réparer.

  • 8  CGCT, art. L. 2212-1 et L. 2212-2, 5°.
  • 9  CGCT, art. L.2212-4.
  • 10  CGCT, art. L. 5211-9-2, I.

8Le premier objectif de la gestion des risques côtiers est d’éviter l’exposition à ces risques et, à cette fin, les communes semblent à mieux le même d’intervenir. Cependant, la complexité du développement urbain durable impose un changement d’échelle, car la commune seule ne peut rien, ou à tout le moins, peut moins qu’associée dans un cadre intercommunal. Les intervenants ont mis l’accent sur ce nécessaire relèvement scalaire, la nécessité d’un jeu entre l’infra et la supra-planification en matière de risques.  Cependant, outre les difficultés liées aux imbrications des échelles entre elles, puisqu’il y a un jeu de superpositions, il faut compter avec des difficultés récurrentes : manque de moyens, de temps et d’informations et, surtout, inadaptation du droit de l’intercommunalité, faute de transfert du pouvoir de police au président de l’intercommunalité.   De fait le maire reste titulaire de la compétence générale de police de l’ordre public, qui comprend notamment « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues (…), de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure »8.  Par ailleurs, « En cas de danger grave ou imminent le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances »9.   La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales qui a organisé dans certaines hypothèses le transfert de compétence de police aux fins de permettre la gestion des compétences transférées à l’intercommunalité ne vise cependant pas la police de l’ordre public, ni même la mise en place du plan intercommunal de sauvegarde10.

  • 11  D. n° 2005-1156 du 13 sept. 2005 relatif au plan communal de sauvegarde et pris pour application d (...)

9La gestion qui résulte de ces inadéquations ressemble à du « bricolage » et les collectivités locales en sont réduites à inventer des modes de gestion non prévus initialement, à l’instar de Vigipol, Syndicat Mixte de Protection du Littoral Breton, créé en 1980, deux ans après le naufrage de l’Amoco Cadiz.  Au-delà de l’émergence de nouveaux acteurs, ces outils permettent une mutualisation des moyens, notamment avec le volet maritime des plans intercommunaux de sauvegarde, même si ces plans révèlent vite leurs limites institutionnelles, dans la mesure où le plan intercommunal est nécessairement arrêté par co-décision qui fait de chaque maire le censeur du projet : il fait ainsi l'objet d'un arrêté pris par le président de l'intercommunalité et d'un arrêté pris par chacun des maires des communes concernées11.

10Les services de l’Etat partagent avec les communes côtières ce défaut de coordination, ce qui nécessite de réaffirmer les compétences de l’Etat en matière maritime et de créer des institutions dédiées. Dans la mesure où l’Etat s’inscrit dans le territoire, c’est sans doute dans une réorganisation territoriale que se trouve la solution, mais cela suppose de résoudre parallèlement d’autres difficultés, comme l’évaluation environnementale préalable des projets, de définir une autorité spécifique et, sans doute aussi, de définir le concept d’autorité administrative pour la politique des sites marins. Cette dernière solution est d’autant plus nécessaire que la protection du milieu marin peut passer par des aires marines protégées, traduisant ainsi divers engagements internationaux de la France. Quelle que soit l’importance de ces conventions cependant, leur dispersion révèle un défaut de stratégie globale, une prise en compte toute relative des zones côtières et des changements climatiques et surtout, une application subordonnée au bon vouloir des Etats, faute de sanction.

11La gestion des zones côtières implique de nouveau un changement d’échelle, international cette fois, du fait des dommages potentiels aux côtes liés à la montée des eaux sous les effets du réchauffement climatique, déjà observables géographiquement avec la modification du trait de côte, et biologiquement avec la modification de la répartition et du nombre des espèces (crevette, morue…). Ce changement d’échelle appelle une nécessaire coopération, car il ne s’agit plus d’observer globalement pour appliquer localement, mais également d’appliquer globalement en tenant compte des observations locales qui révèlent des changements qui ne s’appréhendent pas toujours à une échelle plus grande. Ces allers-et-retours traduisent les solidarités qui marquent les espaces côtiers.

Des espaces de solidarités

  • 12  V. Tribunal international du droit de la mer, Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances (...)
  • 13  V. R. Wolfrum, Opinion individuelle, p. 4. [http://www.itlos.org/start2_fr.html].

12Ecologiquement, les limites définies sous forme de circonscriptions, de zones, ou de frontière n’ont pas véritablement de sens. Sans remettre en cause la souveraineté des Etats lorsque l’on raisonne à l’échelon international, cette solution impose de définir des solutions communes pour faire comme si le territoire ne souffrait d’aucune barrière frontalière, ni, partant, de différenciations juridiques. Une coopération entre Etats s’impose donc s’agissant d’un espace de partage : la convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 établit ainsi un cadre juridique global régissant tous les espaces marins et les utilisations des ressources de la mer et invite les Etats parties riverains de mers fermées ou semi-fermées à coopérer entre eux, ainsi qu’à une coopération au plan mondial ou régional. Dans son ordonnance relative au différent entre l’Irlande et le Royaume-Uni à propos de l’affaire de l’Usine MOX, la première reprochant au second de ne pas avoir procédé à des consultations et à des échanges d’informations et de ne pas avoir tenu compte de ses préoccupations concernant les activités d’une usine de production de combustible pour réacteurs nucléaires et de ses conséquences potentielles pour l’environnement de la mer d’Irlande, le Tribunal international du droit de la mer a imposé une obligation de coopérer aux parties en litige. Il a ainsi lié l’obligation de coopération à la prudence et à la précaution qui, selon lui « exigent que l’Irlande et le Royaume-Uni coopèrent », cette coopération constituant « un principe fondamental en matière de prévention de la pollution du milieu marin » 12.  Comme l’a relevé le juge Wolfrum dans son opinion individuelle, « l’obligation de coopérer dénote un changement important dans l’orientation générale de l’ordre juridique international. Elle fait contrepoids au principe de la souveraineté des Etats et assure que les intérêts de la communauté soient pris en considération face aux intérêts individuels des Etats »13.

    13La coopération constitue donc un principe fondamental en matière de prévention et de protection contre la pollution du milieu marin.  Solidarité presqu’obligée, pour des raisons naturelles, compte tenu du fonctionnement des hydrosystèmes terrestres qui vont à la mer d’une façon ou d’une autre, et qui peuvent ainsi justifier une extension du bassin ou du district hydrographique jusque très loin à l’intérieur des terres ou en mer, induisant ainsi une solidarité de gestion non seulement nationale, mais également internationale14. La coopération transfrontalière apparaît donc indispensable, mais apparaît délicate à mettre en œuvre car fortement dépendante des Etats.  Il est sans doute nécessaire à cette fin de revisiter les différentes conventions internationales afin de fixer de véritables obligations, sans lesquelles ces conventions restent des « tigres de papier ». Voire d’établir un nouvel ordre territorial international aux frontières renégociées.

    • 15  V. D.G. San José, La protection de l’environnement et la Convention européenne des Droits de l’Hom (...)
    • 16  Conseil de l’Europe, Résolution (87) 2 du 20 mars 1974 instituant un groupe de coopération en mati (...)

    14De façon moins utopique, le droit européen des droits de l’homme peut servir de levier à la GIZC, en raison de l’interprétation extensive donnée par la Cour européenne des droits de l’homme à la Convention éponyme : obligation d’information sur les risques, protection de la propriété, droit à la vie, droit à une vie familiale normale et liberté d’expression se conjuguent ainsi pour donner à l’environnement la dimension formelle d’un droit de l’homme, avec de véritables droits-créances15. Elle peut ainsi contraindre les Etats concernés à restreindre l’occupation des sols, à diffuser les informations essentielles sur l’existence de risques ou de pollutions et à maîtriser ceux-ci. Les structures internationales peuvent également constituer un bon relais en vue de cette protection, à l’instar du Réseau européen des centres spécialisés, institué dans le cadre de l'Accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs (EUR-OPA), une plate-forme de coopération entre les pays d’Europe et du Sud de la Méditerranée dans le domaine des risques naturels et technologiques majeurs16.

    15La solidarité connaît cependant plusieurs déclinaisons, notamment lorsqu’il s’agit de répondre collectivement des atteintes aux zones côtières, faute d’avoir pu imputer une responsabilité particulière justifiant une réparation individuelle.

    Des espaces de responsabilité

    • 17  « Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions (...)

    16Les zones côtières constituent des espaces de responsabilité, supports d’atteinte en raison d’une occupation humaine mal maîtrisée, soit que la définition du zonage urbain n’ait pas ou ait mal pris en compte les dangers potentiels de ces espaces, soit que l’autorisation d’urbanisme ait reposé sur une erreur manifeste d’appréciation, l’autorité compétente n’ayant pas opposé les dispositions d’ordre public de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme17 pour refuser l’autorisation sollicité ou la soumettre à des prescriptions spéciales.

    17Ces zones sont cependant le plus souvent l’objet d’atteintes diverses que faute d’avoir pu prévenir il faut se résoudre à réparer. Là où les responsabilités ne sont cependant pas évidentes à déterminer, du fait des spécificités des atteintes aux écosystèmes côtiers et, plus largement, à l’environnement, le caractère objectif des atteintes au domaine public maritime sanctionnées par les contraventions de grande voirie renforce la protection des zones côtières, d’autant plus que la réparation du domaine est imprescriptible et que l’autorité administrative est tenue de poursuivre, sauf motif d'intérêt général lié notamment à la préservation de la coopération avec le contrevenant qui s’est engagé à traiter les conséquences de l’atteinte. L’extension du régime de ces contraventions au domaine du Conservatoire du littoral ne fait que renforcer la prévention des atteintes et, à défaut, les opportunités de poursuites en vue de la réparation.

    • 18  v. M. Boutonnet, Une nouvelle réparation du préjudice écologique par le juge du fond : Envir. oct. (...)
    • 19  C. Cans (dir.), La responsabilité environnementale: prévention, imputation, réparation, Dalloz 200 (...)
    • 20  CJCE, 24 juin 2008, Cne de Mesquer, aff. C-188/07: AJDA 2008. 1233 et 1537, chron. Broussy et a.; (...)
    • 21  V. M. Pâques, Du dommage et de la perturbation environnementale dans la loi belge sur le milieu ma (...)

    18De son coté, l’invention du « préjudice écologique pur » par la jurisprudence a permis de faire contrepoids au préjudice écologique de droit commun qui suppose un dommage affectant le requérant18 et d’envisager la question de la remise en état des lieux sous astreinte de façon plus systématique qu’une simple indemnisation financière. De son coté, le régime de la responsabilité environnementale appliqué tant à la pollution des eaux qu’à la pollution des sols permet une intervention rapide du préfet de département aux fins d’une réparation en nature primaire, complémentaire ou compensatoire par action sur le milieu ou les espèces, à l’exclusion de toute réparation financière19. Bousculant les habitudes, les juridictions judiciaires comme le législateur ont créé une nouvelle victime à part entière, l’environnement, en offrant l’opportunité à des « tuteurs » le soin de le représenter.  Les  choses ne sont cependant pas aussi évidentes et il faut parfois toute l’imagination du juge pour trouver des responsables là où, a priori, la stricte application du droit des pollutions aurait du conduire à retenir d’autres responsables. On ne pourra que suivre la Cour de justice des Communautés européennes lorsqu’elle innove en articulant le droit international de la responsabilité pour déversement accidentel d’hydrocarbures en mer avec le droit communautaire des déchets, de façon à retenir la responsabilité du vendeur de ces hydrocarbures et affréteur du navire les transportant en tant que producteur desdits déchets.  Et de conclure que « ce vendeur-affréteur a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par ce naufrage, en particulier s’il s’est abstenu de prendre les mesures visant à prévenir un tel événement telles que celles concernant le choix du navire »20.  Cette innovation doit être mise en perspective avec la création de nouveaux concepts comme celui de « perturbation environnementale », inauguré avec la distinction faite par la loi belge du 20 janvier 1999, visant la protection du milieu marin, entre les «dommages» et les «perturbations environnementales»21. Soit autant d’invitations à renforcer les études de droit comparé, afin notamment de savoir de quelle façon d’autres pays appliquent les conventions internationales protégeant ou susceptibles, par extension, de protéger les zones côtières. Stimulantes perspectives.

    Conclusion

    • 22  Résolution du 6 mai 1994 concernant une stratégie communautaire de gestion intégrée des zones côti (...)
    • 23  Pour reprendre la formule de P. JANIN, L’espace en droit public interne, Thèse (dactyl.), Lyon II, (...)

    19« GIZC ». La formule incantatoire des débuts22 a largement été dépassée et est devenue un objet scientifique et juridique à part entière. La GIZC ne se décrète pas mais se construit et doit sortir du champ universitaire pour devenir une réalité concrète, nouveau mode de gestion associant gestion intégrée, réparation et, surtout, anticipation.  D’espaces naturels, les zones côtières sont devenues des espaces fonctionnels, support souhaité ou effectif d’un ensemble de mesures destinées à satisfaire les objectifs de cette individualisation. Mues par un certain « déterminisme spatial »23 qui veut que la reconnaissance de spécificités territoriales justifiant un régime juridique à part, ces zones doivent être préalablement identifiées et géographiquement circonscrites afin de recevoir une traduction juridique, sur la base de limites valides. Cette territorialisation est d’autant plus indispensable que les mesures qui s’y appliquent s’analysent comme des mesures de police, dont la légalité est doublement conditionnée par le territoire : la spécialité territoriale, qui permet d’identifier l’autorité compétente pour agir et l’adaptation territoriale, dès lors que les mesures adoptées doivent être liées à la situation.

    20La doctrine juridique a inventé la discipline de maritimiste, pour qualifier les spécialistes de droit maritime et océanique. Sans doute conviendra-t-il, dans un avenir proche, de créer celle de cotiériste, plus spécialisée sur un champ à la fois terrestre et maritime, empruntant à plusieurs disciplines pour se créer une identité propre, nécessairement annexionniste mais en même temps autonome, en raison des spécificités des espaces de transition qu’elle doit recouvrir. Sauf à ce qu’elle s’impose d’elle-même comme une nécessité, les disciplines existantes ne pouvant pas appréhender globalement les champs qu’elle recouvre. Puisse ce colloque avoir ajouté une nouvelle pierre à la construction de cette (future) nouvelle discipline.

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    Notes

    1  V. en ce sens, Société française pour le droit international, La frontière, Actes du Colloque de Poitiers, Pédone 1980 ainsi que Collectif, La frontière des origines à nos jours, Actes des journées de la Sociéte internationale d'Histoire du droit (Bayonne, 15-17 mai 1997), Presses universitaires de Bordeaux, 1998.

    2  H. de Groot, Du droit de la guerre et de la paix (De jure pacis et belli) (1625), PUF 1999, coll. Léviathan, L. II, Chap. III, § 16 (trad. P. Pradier-Fodéré et al.).

    3  Ciceron, De provinciis consularibus (Sur les Provinces consulaires, 56 BP) in Discours, T. XV, Les belles lettres 2003, trad. J. Cousin.

    4  V. D. Nordman, Frontières de France.  De l’espace au territoire, XVI°-XIX° siècle, Gallimard 1998, coll. Bibl. des histoires, p. 88 s. (« Encore les frontières naturelles.  Histoires d’une idée fausse ? »).  

    5  R . Brunet et al., Les mots de la géographie, Reclus - La documentation française 1998, 3ème éd., pp. 227-228.

    6  V. P. Dury, Étude comparative et diachronique des concepts ecosystem et écosystème : Meta, Revue de recherche en traduction (Université de Montréal) XLIV, 3, 1999, p. 485 s.

    7  V. J.-P. Beurier, Le droit international face à l’introduction d’espèces invasives, in A. Cudennec et G. Gueguen-Hallouet (dir.), L’Union européenne et la mer, Pédone 2007, p. 219 s.

    8  CGCT, art. L. 2212-1 et L. 2212-2, 5°.

    9  CGCT, art. L.2212-4.

    10  CGCT, art. L. 5211-9-2, I.

    11  D. n° 2005-1156 du 13 sept. 2005 relatif au plan communal de sauvegarde et pris pour application de l'article 13 de la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile : JO 15 sept. 2005, p. 14945.

    12  V. Tribunal international du droit de la mer, Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances, 5 (2001), Martinus Nijhoff Publishers 2003 - Ph. Weckel, Chronique de jurisprudence internationale : Ordonnance du 2 décembre 2001 (mesures conservatoires) Affaire de l’usine Mox (Irlande c. Royaume-Uni), 106 (4) : RGDIP 2002, pp. 196 s. - Ch. Nouzha, L’Affaire de l’Usine Mox (Irlande C. Royaume-Uni) devant le Tribunal international du droit de la mer : quelles mesures conservatoires pour la protection de l’environnement ? Actualité et droit international 2002 [http://www.ridi.org/adi/articles/2002/200203nou.pdf].

    13  V. R. Wolfrum, Opinion individuelle, p. 4. [http://www.itlos.org/start2_fr.html].

    14  Ce qu’a très bien traduit la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau (JOCE n° L 327 du 22 déc. 2000, p. 1) : « Il convient, à l'intérieur d'un bassin hydrographique où les utilisations de l'eau sont susceptibles d'avoir des incidences transfrontières, que les exigences relatives à la réalisation des objectifs environnementaux établies en vertu de la présente directive, et en particulier tous les programmes de mesures, soient coordonnées pour l'ensemble du district hydrographique. Pour les bassins hydrographiques s'étendant au-delà des frontières de la Communauté, les États membres doivent s'efforcer d'assurer une coordination appropriée avec les États tiers concernés » (consid. n° 35) ; « Les États membres veillent à ce que les exigences de la présente directive pour assurer la réalisation des objectifs environnementaux établis en vertu de l'article 4, en particulier tous les programmes de mesures, soient coordonnées pour l'ensemble du district hydrographique. Pour les districts hydrographiques internationaux, les États membres concernés assurent conjointement cette coordination et peuvent, à cette fin, utiliser les structures existantes dérivées d'accords internationaux. À la demande des États membres concernés, la Commission fait le nécessaire pour faciliter l'établissement des programmes de mesures. Lorsqu'un district hydrographique s'étend au-delà du territoire de la Communauté, l'État membre ou les États membres concernés cherchent à établir la coordination appropriée avec les pays tiers concernés, afin de réaliser les objectifs de la présente directive sur l'ensemble du district hydrographique. Les États membres assurent l'application des règles de la présente directive sur leur territoire » (art. 3, 4° et 5°).

    15  V. D.G. San José, La protection de l’environnement et la Convention européenne des Droits de l’Homme, Conseil de l’Europe 2005, coll. « Dossiers sur les droits de l’homme » n° 21.

    16  Conseil de l’Europe, Résolution (87) 2 du 20 mars 1974 instituant un groupe de coopération en matière de prévention, de protection et d’organisation des secours contre les risques naturels et technologiques majeurs

    17  « Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ».

    18  v. M. Boutonnet, Une nouvelle réparation du préjudice écologique par le juge du fond : Envir. oct. 2008, Étude n° 11 et L. Neyret, La réparation du préjudice écologique par le juge judiciaire : D. 2008, p. 170 ; Naufrage de l'Erika, vers un droit commun de la réparation des atteintes à l'environnement : D. 2008, p. 2681. 

    19  C. Cans (dir.), La responsabilité environnementale: prévention, imputation, réparation, Dalloz 2009, coll. Thèmes et commentaires ; Ph. Billet, Clefs de lecture du nouveau régime de responsabilité environnementale, JCP A 2009, no 2115.

    20  CJCE, 24 juin 2008, Cne de Mesquer, aff. C-188/07: AJDA 2008. 1233 et 1537, chron. Broussy et a.; Environnement nov. 2008, no 154, obs. Billet ; RLDC 2008. 60, obs. Parance; Rev. Dr. Transports 2008, no 173, obs. Grard.  . V. aussi Civ. 3e, 17 déc. 2008, Cne de Mesquer, pourvoi no 04-12.315: RJEP mars 2009, no 15, obs. D. B; Bull. Joly Sociétés, avr. 2009, no 72, obs. Rolland ; Dr. envir. 2009, n° 165, p. 14, obs. Steinmzetz.

    21  V. M. Pâques, Du dommage et de la perturbation environnementale dans la loi belge sur le milieu marin : Revue roumaine de droit de l’environnement, n° 2003/1, p. 99 s. V. aussi I. Schamps, Le relâchement des liens entre les responsabilités pénale et civile.  La mise en danger distincte du principe de précaution, in Liber amicorum Jean du Jardin, éd. Kluwer  2001, p. 381 s.

    22  Résolution du 6 mai 1994 concernant une stratégie communautaire de gestion intégrée des zones côtières : JOCE n°C.135 du 18 mai 1994, p. 2.  V. O. Lozachmeur, La consécration du concept de gestion intégrée des zones côtières en droit international, communautaire et national, Thèse, Nantes  2004.

    23  Pour reprendre la formule de P. JANIN, L’espace en droit public interne, Thèse (dactyl.), Lyon II, 1996, p. 7.

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    References

    Electronic reference

    Philippe Billet, « Les zones côtières, un nouvel espace à la recherche d'une identité Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Hors-série 8 | octobre 2010, Online since 13 October 2010, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/10248 ; DOI : 10.4000/vertigo.10248

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    About the author

    Philippe Billet

    Professeur, Université Jean Moulin - Lyon 3, 6 cours Albert Thomas, BP 8242, 69355 Lyon, France, Courriel: philippe.billet@univ-lyon3.fr

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