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Le conseil de l’Europe, les catastrophes et les droits de l’homme

Michel Prieur

Abstract

La prise en considération des conséquences des catastrophes par les droits de ‘homme est récente, tant au plan universel que régional. En imposant des obligations positives aux États pour préserver la vie des personnes et leurs biens la CEDH contribue à cette prise en considération. Des évolutions plus significatives pourraient intervenir dans les prochaines années avec l’accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs. De plus certaines ONG ont initié une dynamique qui pourrait aboutir au niveau du Conseil de l’Europe à l’adoption d’une Charte éthique posant des principes et devant contribuer à protéger des droits fondamentaux.

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Full text

1Au plan international les catastrophes ont jusqu’alors été prises en compte essentiellement au titre de la solidarité en matière d’organisation des secours d’urgence. C’est donc une approche opérationnelle qui a dominé mettant en avant les moyens nécessaires pour fournir une aide concrète aux victimes. C’est ainsi qu’existent de nombreux accords bilatéraux entre États frontaliers qui organisent la coopération entre les services de protection civile. Une convention cadre multilatérale a même été conclue le 22 mai 2000 sur l’assistance en matière de protection civile sous l ‘égide de l’organisation internationale de protection civile à Genève. Elle n’a pas rencontré un grand succès. Mais l’action de l’ONU s’est surtout beaucoup développée au niveau de la réflexion commune pour prévenir les catastrophes avec la stratégie internationale pour la réduction des catastrophes.

2L’approche juridique des catastrophes se heurte quant à elle à deux obstacles : celui de la force majeure en matière de responsabilité et celui de l’éventuelle dérogation en matière de droits de l’homme.

  • 1  Voir de même art.8-a de la convention de Lugano de 1993 sur la responsabilité civile des dommages (...)

3La force majeure réduit à néant bien des systèmes de responsabilité en cas de catastrophe. Ainsi en cas d’accident nucléaire, la convention de Vienne de 1963 prévoit en son art. 4 qu’il y aura exonération de la responsabilité civile de l’exploitant en cas de « cataclysme naturel exceptionnel ». De même la convention de Bruxelles sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1969 dispose que la propriétaire du navire n’est pas responsable si le dommage résulte « d’un phénomène naturel de caractère exceptionnel ».1

4La catastrophe apparaît ainsi juridiquement comme une circonstance exceptionnelle qui réduit à néant le droit normalement applicable, du moins en matière de responsabilité. La question se pose de savoir s’il en est également ainsi pour le respect des droits de l’homme. En cas de catastrophe les droits de l’homme peuvent-ils être suspendus ?

5La question n’est à ce jour pas vraiment tranchée. La pratique liée à la désorganisation qui résulte de la catastrophe fait que bien des droits fondamentaux soient en réalité bafoués ou écartés temporairement. Il existe dans plusieurs convention sur les droits de l’homme une clause de suspension ou de dérogation des droits en cas de guerre, de crise ou de danger public exceptionnel qui pourrait être interprétée comme s’appliquant à des événements causés par une catastrophe (voir art. 4-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 15 de la convention européenne des droits de l’homme ou art. 27 de la convention américaine relative aux droits de l’homme).

6A vrai dire, ni les textes, ni la doctrine ne se sont beaucoup préoccupés du sort des droits de l’homme en période de catastrophe. On trouve le problème évoqué très indirectement dans la déclaration du Millénium, dans la stratégie internationale pour la réduction des catastrophes de 2000, dans la déclaration de Hyogo sur la réduction des catastrophes et le programme d’action 2005-2015 et dans la résolution de l’Assemblée Générale de Nations Unies 63-217 de 2009 sur les catastrophes naturelles et la vulnérabilité.

  • 2  comité permanent de l’Inter- Agence des Nations Unies sur l’aide humanitaire
  • 3  voir Revue européenne de droit de l’environnement, n° 4-2008

7Le lien catastrophe et droits de l’homme est plus directement mentionné dans la résolution 2005/60 de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies sur droits de l’homme et environnement (préambule et para. 8), dans les principes directeurs opérationnels sur les droits de l’homme et les catastrophes naturelles de 2006 de l’IASC2 et dans le projet de convention sur les déplacés environnementaux3. La seule convention internationale sur les droits de l’homme qui prend en compte la situation de catastrophe est la convention de 2006 relative au droit des personnes handicapées en vigueur depuis 2008 :

8« Les États Parties prennent, conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du droit international, notamment le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, toutes mesures nécessaires pour assurer la protection et la sûreté des personnes handicapées dans les situations de risques, y compris les conflits armés, les crises humanitaires et les catastrophes naturelles » (art. 11).

9Une attention nouvelle aux relations juridiques entre droits de l’homme et catastrophe résulte des travaux en cours de la Commission du droit international. En effet depuis 2007 cet organe des Nations Unies prépare un projet d’articles sur la protection des personnes en cas de catastrophe qui va formaliser la coutume internationale en la matière.

10Au niveau européen le Conseil de l’Europe, conformément à sa vocation, est la seule organisation qui commence à se préoccuper des droits de l’homme en cas de catastrophe à travers la jurisprudence environnementale de la Cour européenne des droits de l’homme et dans le cadre de l’accord européen sur les risques majeurs.

La jurisprudence de la CEDH

11Développée depuis 1994 cette jurisprudence qui traite de l’environnement par « ricochet » en s’appuyant sur des violations des droits énoncés dans la convention se trouve de plus en plus confrontée à des accidents touchant les personnes et l’environnement qui constituent de véritables catastrophes.

12On peut résumer la jurisprudence actuelle en identifiant quatre apports :

  • les États ont, sur la base de la convention européenne des droits de l’homme, une obligation positive de fournir des informations sur des risques importants considérés comme liés à la protection du droit à la vie. Ce dernier droit consacré par l’art. 2 de la convention, ne peut être considéré comme effectif que si l’État organise et diffuse préventivement des informations nécessaires pour que les populations prennent, en connaissance de cause, des dispositions adéquats. Cette obligation d’information préalable a été énoncée en cas de menace de catastrophe accidentelle (explosion d’une décharge d’ordures, arrêt Oneryildiz c/ Turquie, 30 novembre 2004) et en cas de menace de catastrophe naturelle (glissement de terrain, arrêt Budayeva c/ Russsie, 29 septembre 2008).

  • Sur le même fondement de l’art. 2 de la convention, la Cour, à, propos des mêmes deux arrêts cités ci-dessus, a constaté le violation du droit à la vie du fait d’une catastrophe naturelle et accidentelle.

  • Suite à une catastrophe industrielle résultant de la rupture d’un barrage de retenue de cyanure provenant d’une installation de traitement de l’or, la Cour de Strasbourg a constaté la violation de l’art. 8 de la convention relatif à la protection du domicile, de la vie privée et familiale (arrêt Tatar c/ Roumanie, 27 janvier 2009).

  • Face aux risques de catastrophes ou après le déroulement d’une catastrophe, en l’espèce l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, l’art. 10 de la convention, au nom de la liberté d’expression, donne le droit d’exprimer librement des opinions, même si elles sont différentes de l’opinion officielle des autorités publiques (arrêt Mamère c/ France, 7 novembre 2006).

L’accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs (ou EUR-OPA)

13Cet accord international dit accord partiel parce que tous les membres du Conseil de l’Europe ne sont pas parties, a été signé en 1987 entre 26 États membres du Conseil de l’Europe (dont la France) et 3 États non membres (Algérie, Maroc et Liban). Plusieurs autres États ont le statut d’observateurs (Allemagne, Autriche, Italie, Suisse, Japon) et des organisations régionales ou internationales participent également aux travaux de l’accord (Commission européenne, OMS, UNESCO, OCHA, ISDR).

  • 4  voir le site : www.coe.int/europarisks

14Il s’agit non pas d’un instrument opérationnel de lutte contre les catastrophes ou d’organisation des secours, mais d’un groupe de réflexions et de recherches. Organisé en réseau, l’accord EUR-OPA dispose de deux structures : un réseau politique et un réseau scientifique. Le réseau politique se réunit tous les deux ans au niveau des ministres responsables des catastrophes (le plus souvent ministres de l’environnement et / ou ministres de l’intérieur chargés de la protection civile). Dans l’intervalle des réunions techniques ont lieu avec les correspondants permanents représentants des ministères intéressés. Le réseau scientifique regroupe 26 centres spécialisés dont deux en France et se réunit tous les ans. Des échanges d’information et d’expériences permettent à l’accord d’être un lieu d’études et de propositions travaillant non seulement au service des États mais aussi au service de l’Union européenne et des organes de l’ONU en charge des catastrophes.4

15L’intérêt de l’accord EUR-OPA pour les droits de l’homme est récent. Il est évidemment bien naturel s’agissant d’une institution au sein même du Conseil de l’Europe porteur des droits de l’homme au niveau européen. Il résulte d’abord d’une invitation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dans sa recommandation 1862(2009), puis d’une initiative française lors de la 56° session du comité des correspondants permanents du 7 avril 2009. Le Comité de Ministres, le 8 juillet 2009, a alors donné mandat au secrétariat de l’accord d’élaborer une charte éthique européenne et méditerranéenne sur la résilience aux catastrophes majeures en vue d’améliorer l’état de préparation face aux menaces de catastrophes.

Le projet de charte éthique sur la résilience aux catastrophes

  • 5  publié par Brookings-Bern project on internal displacement, Washington DC

16A l’heure actuelle il n’existe au niveau international aucun traité, ni aucun document politique sur la prise en compte des droits de l’homme lors des catastrophes. Seuls existent des manuels ou guides opérationnels faisant l’inventaire des relations entre droits de l’homme et catastrophes. On peut citer par exemple : les travaux de l’ONG Sphere : project handbook and humanitarian Charter de 2004( Genève) ; l'Operational guidelines on human rights and natural disaters préparé en 2006 par IASC ( UN inter agency standing committe, voir note 2) ; le Pilot manual chargé d’accompagner le document précédent et portant sur Human rights protection in situations of natural disaters de mars 20085 ; enfin le Manual on international law and standards applicable in natural disasters situation par Erica Harper IDLO à Rome en 2009.

17L’originalité du projet de Charte éthique du Conseil de l’Europe par rapport à ces diverses initiatives est sur le fond d’avoir une approche intégrée en abordant le problème des catastrophes et des droits de l’homme non seulement pendant la catastrophe , mais aussi avant et après. Sur la forme de proposer un document non juridiquement contraignant mais relevant de la soft law pour rappeler aux Etats et aux divers acteurs de la catastrophes qu’il existe déjà des principes universellement reconnus par ailleurs par des traités internationaux et régionaux sur les droit de l’homme et qu’il convient d’être spécialement attentif aux modalités pratiques de prise en compte de certains des droits de l’homme les plus souvent violés ou oubliés lors des catastrophes.

18Le projet de Charte éthique attire l’attention de tous sur la nécessité de ne pas mettre à l’écart les droits de l’homme sous prétexte de l’urgence ou du désordre provoqué par la catastrophe en rappelant que les droits de l’homme s’imposent a priori en tout temps, en tous lieux et en toutes circonstances. Conformément aux travaux de la Commission du droit international en la matière, le projet de Charte s’applique indifféremment aux catastrophes naturelles comme aux catastrophes accidentelles ou industrielles. En effet, en matière de droits de l’homme, ce qui importe ce ne sont pas les causes ou les origines de la catastrophes, mais ses effets sur les individus. A ce titre sont visés tous les acteurs et pas seulement les victimes. Les droits de l’homme doivent protéger et guider aussi bien les victimes que les sauveteurs qu’ils soient bénévoles ou officiels, qu’ils soient nationaux ou étrangers.

Les principes applicables sont ceux de solidarité, non discrimination, humanité, impartialité, neutralité et coopération.

19Les droits protégés doivent contribuer à renforcer la résilience face aux catastrophes. En prenant mieux en considération les divers droits de l’homme et en formant les acteurs à adopter des réflexes non seulement matériels de protection, mais aussi intellectuels et psychologiques de réaction face aux dangers, on contribue à renforcer la capacité de chacun à surmonter les risques, à résister à l’adversité, à réagir pour mieux sortir de la crise. La prise en compte des droits de l’homme, préparée et réfléchie en commun avant la catastrophe, permettra de réduire les vulnérabilités, rétablira la confiance et la dignité et constituera un facteur important de résilience. C’est à ces divers titres que l’éthique a sa place parmi les stratégies de résilience. Elle n’est pas une utopie ou une dérision face aux urgences matérielles, elle contribue à humaniser la catastrophe.

20Avant la catastrophe il convient de bien développer le droit à l’éducation pour renforcer la culture de prévention, d’assurer le droit à l’information préalable sur les risques, le droit à la prévention des catastrophes sur les lieux de travail, les lieux de tourisme et de loisirs, les lieux publics notamment les écoles et les hôpitaux, le droit à des mécanismes particuliers de prévention pour les personnes ou groupes les plus vulnérables, le droit à l’organisation d’exercice d’alerte et à la mise en place de systèmes d’alarme accessibles aussi aux handicapés. Le problème de l’évacuation préventive des populations doit faire l’objet d’un examen particulier au regard de la liberté d’aller et de venir.

21Lors de la catastrophe, les droits de l’homme sont particulièrement menacés du fait de la désorganisation et de la panique. Il faut donc bien énoncer les droits et les obligations des sauveteurs, garantir le droit à l’assistance humanitaire sans discrimination et l’assistance d’urgence aux plus vulnérables. L’évacuation forcée des populations doit reposer sur des principes clairs conciliant l’urgence, la sécurité et les droits essentiels relatifs aux personnes et aux biens. Les personnes doivent être traitées par les médias avec dignité et en respectant pleinement leur image et leur intimité.

22Après la catastrophe, les opérations de reconstruction et de restauration doivent tenir compte des principaux droits de l’homme à une vie digne et aux ressources essentielles, notamment dans les camps provisoires d’hébergement. Le regroupement familial et l’aide aux orphelins doivent être garantis. Les déplacés environnementaux volontaires ou forcés doivent avoir le libre choix de leur lieu d’accueil. Le respect des traditions doit être assuré lors des cérémonies dues aux morts. La restitution des biens et des documents d ‘état civil doit être facilitée même en cas de disparition des documents et preuves écrites.

23Un tel projet de charte éthique doit être avalisé d’abord par la réunion ministérielle de l’accord EUR-OPA qui se tient à Saint Petersburg en septembre 2010, puis par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Son caractère ambitieux risque de susciter des réticences ou des malentendus quant à sa portée. Il n’a pas pour but de se substituer aux droits de l’homme déjà applicables dans les pays du Conseil de l’Europe, mais simplement d’attirer l’attention des personnes concernées sur la nécessité d’intégrer ces préoccupations dans les stratégies nationales de prévention et de réaction aux diverses types de catastrophes.

24On peut supposer que cette formalisation du souci des droits de l’homme lors des catastrophes, complétera utilement les manuels et guides d’action déjà élaborés au niveau des Nations Unies par les organismes chargés des catastrophes à l’échelle universelle et qu’une fois de plus , le Conseil de l’Europe servira de guide et de modèle pour l’univers.

25Les drames récents, notamment celui d’Haïti en janvier 2010 consécutif au tremblement de terre, ont montré combien devenait urgent l’intégration des droits de l’homme dans les mécanismes de réaction aux catastrophes. C’est ainsi que le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a voté le 28 janvier 2010 une résolution spéciale (A/HRCC/S-13/L.1) et que la commission interaméricaine des droits de l’homme a fait un communiqué le 2 février 2010 sur les menaces aux droits de l’homme qui résultent de la catastrophe d’Haïti.

Biographie

26L'auteur est aussi Président du Centre international de droit comparé de l’environnement, Président adjoint de la commission de droit de l’environnement de l’UICN

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Notes

1  Voir de même art.8-a de la convention de Lugano de 1993 sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement ; art.4-2-b du protocole de Kiev de 2003 sur la responsabilité civile en cas de dommages causés par les effets transfrontaliers d’accidents industriels sur les eaux transfrontières ; art.4-5-b du protocole de Bâle de sur la responsabilité en cas de dommages résultant de mouvements transfrontières de déchets dangereux

2  comité permanent de l’Inter- Agence des Nations Unies sur l’aide humanitaire

3  voir Revue européenne de droit de l’environnement, n° 4-2008

4  voir le site : www.coe.int/europarisks

5  publié par Brookings-Bern project on internal displacement, Washington DC

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References

Electronic reference

Michel Prieur, « Le conseil de l’Europe, les catastrophes et les droits de l’homme Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Hors-série 8 | octobre 2010, Online since 20 October 2010, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/10270 ; DOI : 10.4000/vertigo.10270

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Michel Prieur

Professeur émérite, Université de Limoges, Université de Limoges, 33 rue François Mitterrand, BP 23204, 87032 Limoges, France

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