- 1  L'objectif général de la politique internationale sur le climat tel qu’énoncé par la Convention Ca (...)
1La question du changement climatique, par essence planétaire, constitue à la fois un élément emblématique de la crise écologique et un enjeu historique du développement durable. La « crise climatique » vient reposer avec acuité les questions de l’équité dans le temps (entre les générations) et dans l’espace (entre les territoires), notamment parce que les mesures d’atténuation ne peuvent être effectives par rapport à l’objectif final poursuivi1 que si l’ensemble des territoires souscrit à cet objectif et vise simultanément à l’atteindre dans leurs actions. A cet enjeu mondial de réduction des émissions de gaz à effet de serre, s’ajoutent des enjeux d’adaptation aux effets des dérèglements climatiques qui se manifestent et se manifesteront, sous des formes diverses. Les réponses locales des sociétés humaines face aux impacts liés au changement climatique s’élaborent dans des conditions très inégales : inégalité dans les responsabilités du phénomène (les territoires les plus impactés ne sont et ne seront pas nécessairement les territoires historiquement les plus émetteurs de gaz à effet de serre − GES), inégalités « physiques » dans l’exposition aux différents risques et enfin, inégalités « socio-économiques », en termes de moyens (capacité d’expertise, d’anticipation et de réparation).
2Les petits territoires insulaires, notamment en raison de leurs caractéristiques physiques (un espace « clos » fini, des ressources naturelles limitées entraînant une forte dépendance aux approvisionnements extérieurs, et pour certains, une topographie particulièrement vulnérable à la montée des eaux), sont souvent considérés comme des espaces privilégiés de « révélation » locale des enjeux du changement climatique (traduction matérielle d’un phénomène globale guère visible). Cet article propose de vérifier l’hypothèse selon laquelle la manifestation ou la perspective des impacts associés au changement climatique viendrait « (re)mettre en lumière » et parfois accentuer certains dysfonctionnements déjà à l’œuvre (environnementaux, sociaux, énergétiques…) affectant des milieux insulaires fragiles.
3Cet article essaye de rapprocher une réflexion à portée générale sur l’insularité et la vulnérabilité de ces espaces dans la perspective du changement climatique (1) et leur prise en compte dans le contexte local de deux îles françaises aux situations géographiques contrastées (insularité relative et climat tempéré versus insularité extrême et climat tropical) (2) afin d’alimenter une réflexion à visée plus générale sur la prise en compte du changement climatique par les territoires insulaires et les conséquences pour l’aménagement de ces espaces (3).
- 2  L’enquête sur l’île de Ré s’est déroulée au cours de l’année 2007 dans le cadre du projet « Le cha (...)
4Ce texte propose ainsi, de présenter brièvement dans un premier temps les impacts du changement climatique auxquels sont, et seront potentiellement exposés les territoires insulaires, dans un second temps, sur la base d’études de cas réalisées en 2006 et 2007 dans le cadre de deux projets de recherche successifs sur deux îles françaises, une métropolitaine (Ré) et un Département d’Outre Mer (La Réunion)2, de comparer a posteriori différents processus de mise à l’agenda du « problème climat » et les stratégies d’action déployées par ces territoires insulaires en réponse à la problématique du changement climatique. Pour finir, à partir de ces éléments, seront, d’une part, mis en lumière les éventuels points communs observés dans les réactions locales face aux effets du changement climatique, et d’autre part, discutées les conséquences de l’adaptation des territoires sur l’application du principe de solidarité territoriale.
- 3  Pour Françoise Perron, « Une île est considérée comme petite quand chaque individu qui y vit a con (...)
5Malgré son apparente évidence, la notion d’insularité reste délicate à saisir et définir (Taglioni, 2006 : 665-672). On peut tout de même retenir qu’elle renvoie par définition à l’idée d’isolement, absolu ou relatif3. Il peut s’agir d’un isolement physique, socioculturel, économique, etc. Ainsi, toutes les îles ne disposent pas d’un niveau d’insularité comparable comme l’écrit Alexandre Magnan, « les îles sont plurielles, tout comme le sont les formes de leur(s) insularité(s) » (Magnan, 2009a). L’approche conceptuelle de l’insularité et son utilisation dans l’étude des phénomènes d’adaptation au changement climatique peut apparaître particulièrement intéressante pour l’analyse, en ce qu’elle circonscrit, au moins de manière théorique, un ensemble d’éléments en interaction. Devant la pluralité des formes d’insularité qui peuvent servir à la compréhension du fonctionnement des logiques de viabilités des systèmes, les îles constituent un exemple pertinent pour l’analyse des réponses territoriales au changement climatique, offrant par leurs caractéristiques, un contexte d’expérimentation privilégié : une proximité marquée des rythmes et risques naturels dans la vie quotidienne et la culture insulaire (marées, élévation du niveau de la mer, vents, tempêtes, érosion, soleil, etc.), la gestion des ressources finies (eau, foncier, alimentation, etc.), la recherche de l’autonomie énergétique, sont autant d’éléments sensibles aux impacts du changement climatique et à l’appréhension de ce phénomène.
Figure 1. Nouvelles stratégies de gestion du trait de côte
(Lenotre, 2010)
- 4  « Des suivis marégraphiques montrent que l’élévation annuelle moyenne du niveau de la mer varie de (...)
6Les îles sont composées pour partie d’une bande littorale, constituant un espace d’interface complexe entre la mer et la terre, sur lequel les pressions humaines s’exercent souvent le plus fortement, conduisant, là où des dispositifs réglementaires de préservation existent, à une dualisation entre espaces naturels préservés et lieux de forte concentration humaine. Ces espaces sont directement menacés par le changement climatique : l’élévation du niveau de la mer (due globalement à la dilatation thermique de l’eau de mer, à la fonte des glaciers de montagne, de l’Antarctique et du Groenland, ainsi qu’au phénomène de subsidence), qui a été de 12 à 22 cm durant le 20ème siècle (IFEN, 2007 : 30)4, est estimée pour le siècle à venir entre 18 et 38 cm dans le meilleur des cas, et entre 26 et 59 cm pour le scénario le moins favorable (MEDAD, 2007). L’élévation du niveau de la mer viendra surtout renforcer un ensemble de phénomènes naturels et se traduira probablement par une accentuation de l’érosion sur les côtes et/ou une extension des submersions temporaires ou permanentes. Elle pourrait également fragiliser de nombreuses digues et ainsi submerger les polders. Cette tendance à l'élévation du niveau de la mer aura (et a déjà ) des conséquences fortes sur le littoral qui va être fragilisé et modifié, de manières différentes selon la forme et la nature des côtes, bien que de fortes imprécisions demeurent quant à l’intensité du phénomène global et au poids des phénomènes locaux.
7Face à ces enjeux, on assiste du côté des gestionnaires des espaces naturels, notamment le Conservatoire National du Littoral, à un changement de paradigme, passant progressivement du modèle de conquête de l’homme et de la terre sur la mer, qui a prévalu jusqu’ici (« prendre des terres à la mer »), à un modèle intégré, plus souple, qui consiste à faire davantage « avec » et non plus contre la mer (notamment en envisageant de « rendre des terres à la mer ») (CNL, 2005 ; Verger, 2007). Toutefois, pour les espaces côtiers urbanisés, la question de leur protection demeure entière, et la perspective du changement climatique ne fait qu’accroître les vulnérabilités de ces espaces, en soulignant les faiblesses et les limites des systèmes de protection physique des biens et des personnes (Miossec, 1998 ; Paskoff, 2000). Actuellement, les solutions proposées s’orientent vers des stratégies variables en fonction de l’importance des enjeux, allant du « recul stratégique » au maintien du trait de côte, en passant par l’inaction ou l’accompagnement des phénomènes naturels (Lenotre, 2010) (cf. schéma ci-dessous).
- 5  Sur l’île de Föhr (Mer du Nord, Allemagne), en 2005, deux tiers de l'énergie étaient fournis par l (...)
8Cependant, si les espaces littoraux partagent la plupart des risques climatiques avec les territoires insulaires (érosion, submersion, élévation du niveau de la mer), leur appartenance à un territoire continental semble modifier en partie leur appréhension des enjeux associés au changement climatique. L’isolement relatif des espaces insulaires apparaît ici comme un élément central dans les constructions de cultures locales du risque et les représentations des vulnérabilités des territoires, notamment en ce qui concerne les questions énergétiques5 (autonomie en approvisionnement, maîtrise de la consommation…).
9Un aperçu de quelques situations insulaires exemplaires par l'ampleur des impacts et/ou des réponses mises en œuvre, doit permettre de mieux visualiser les implications concrètes des changements climatiques en termes d’aménagement de l’espace et les réponses que les territoires, dans leur ensemble, devront mettre en œuvre à moyen terme.
- 6  Le réchauffement climatique menace particulièrement l’île de Sarichef, village inuit de Shishmaref (...)
10Un aperçu des situations actuelles les plus critiques provoquées par le dérèglement climatique, à partir de l'étude de quelques situations insulaires extrêmes, montre que les impacts avérés ou attendus à court terme peuvent être catastrophiques, puisque dans certains cas, le changement climatique pourrait engendrer la disparition même de l'espace terrestre par submersion. L'aménagement du territoire n'a plus, dans ces cas extrêmes, grand chose à proposer puisqu'il s'agit littéralement d'un déménagement du territoire. Ce pourrait notamment être le cas de l’archipel de Tuvalu dans l’océan Pacifique (dont l’altitude maximale est de 5 mètres au-dessus du niveau de la mer) ou encore de l’île de Sarichef6, en Alaska. Toutefois, ces cas emblématiques méritent d’être examinés avec plus d’attention et de prudence par les chercheurs, afin de ne sombrer ici ni dans le catastrophisme ni dans le scepticisme, tant la dimension politique, le « poids de l’extérieur » et les incertitudes scientifiques apparaissent importants (Rufin-Soler, 2004 : 238 et suiv.)
- 7  Un groupe d'étudiants de seconde année de l’ENPC (Département VET-Ville, Environnement, Transports (...)
11La migration "externe", vers d'autres îles, apparaît en effet in fine comme la seule véritable solution d'adaptation. Elle consiste à abandonner définitivement une île ou un atoll et à se reloger sur l’une des autres îles qui composent l’Etat ou même à se réfugier au sein d’un autre Etat. Il y a déjà des cas de migration : après 3 typhons successifs sur l’île Tau des Samoa Américaines (1987, 1990 et 1991), un tiers de la population a abandonné leur foyer et migré vers Pago Pago sur l’île Tutuila.7.
- 8  Selon les travaux du GIEC, les changements climatiques liés au réchauffement de la planète pourrai (...)
12Ces exemples posent à petite échelle la question de l'accueil des « réfugiés climatiques » et des déstabilisations régionales importantes qui pourraient en résulter (par exemple avec un pays comme le Bangladesh et ses 123 millions d'habitants)8. Ils posent également les questions de l'équité face aux effets du changement climatique (déplacement forcé de populations et conditions d’accueil très variables) et de la survenue de tensions et conflits, suite à ces effets. Ainsi, lors d’une réunion internationale de l’ONU consacrée aux petits Etats insulaires en développement (PIED) à l’île Maurice en janvier 2005, le chef d'Etat de Kiribati, un atoll du Pacifique de 90 000 habitants à seulement quelques mètres au-dessus du niveau de la mer, a dénoncé les émissions de GES, les comparant à des actes d’éco-terrorisme : « Ces actes délibérés de la part de certains, destinés à sécuriser leurs bénéfices au détriment des autres, peuvent être comparés à des actes de terrorisme, d'éco-terrorisme ». Les espaces insulaires apparaissent actuellement, notamment dans leurs représentations médiatiques, comme les premières victimes d’un phénomène échappant à leurs responsabilités.
- 9 "The Alliance of Small Island States (AOSIS) is a coalition of small island and low-lying coastal c (...)
- 10  La déclaration préconisait une baisse de 85 % des rejets de GES d'ici 2050 par rapport à 1990, et (...)
- 11  Paul Vergès, président de l’ONERC et sénateur de La Réunion, rappelait, à l’occasion du colloque d (...)
13Les Etats et collectivités insulaires se sont réunis de façon précoce au sein de plusieurs réseaux pour faire entendre leurs voix en tant que premières "victimes climatiques", notamment à travers l’alliance des petits états insulaires (AOSIS)9 qui a proposé, lors du dernier sommet mondial sur le climat à Copenhague, une déclaration sur le changement climatique comportant des objectifs précis et ambitieux de réduction des émissions de GES10. Les risques directs les plus importants contre lesquels lutte l’AOSIS sont la diminution, voire la suppression de la totalité de l’espace physique, du territoire proprement dit de ces petits territoires insulaires, ainsi que la vulnérabilité liée à des situations de mono-activités constituant la ressource principale de certaines des sociétés insulaires11.
- 12  Cf. les exemples des îles de Föhr (Mer du Nord, Allemagne) et d’Hierro, Canaries (Espagne), cités (...)
14Si les besoins d’atténuation font aujourd’hui l’unanimité, leurs modalités de mises en œuvre divisent bien plus largement la communauté internationale, amorçant de profonds conflits relevant, selon le président du conseil scientifique de l’association française pour la prévention des catastrophes naturelles (AFPCN), non pas d’un « simple désaccord sur la répartition de l’effort à faire » mais bien d’une « différence de perception des priorités et des méthodes » (Bourrelier, 2010 : 23). Finalement, par leur extrême sensibilité aux variations climatiques, force est de constater que plusieurs de ces territoires insulaires naturellement exposés mettent en œuvre des réponses concrètes et importantes à l'échelle du territoire12 .
- 13  « Ainsi en Outre-mer, grâce au rôle d’information de Météo France, grâce aussi à la culture de pré (...)
- 14  Petits Territoires d’Outre-Mer (PTOM) pour la France : Nouvelle-Calédonie, Polynésie Française, Te (...)
15En France, les territoires d'outre-mer sont perçus selon une double approche, considérés à la fois comme réserve de savoir-faire et de solutions inédites d'adaptation (aux fortes chaleurs, aux évènements extrêmes, séismes, cyclones…) pour la métropole et comme relais aptes à diffuser les savoir-faire français et à exercer la solidarité envers d'autres territoires insulaires moins préparés. Ils constituent des « têtes de pont » du territoire national, porteurs d’enjeux en termes de coopération régionale, avec les territoires voisins. Ainsi lors du colloque de l'ONERC de 2004 consacré aux stratégies d'adaptation des collectivités locales, Paul Vergès, sénateur de la Réunion et président de l'ONERC, a rappelé l'intérêt de la "culture du risque" développée par les territoires d'outre-mer13. De la même manière, Christiane Taubira, députée de la Guyane, soulignait lors de ce colloque qu'il existait « un savoir empirique local considérable, spécifique à l'outre-mer, qui demanderait à être réellement valorisé » (ONERC, 2004 : 53). Cependant, certains territoires d’outre-mer français et européen n’ont pas accès aux débats politiques internationaux sur ces questions. En effet, pour certains, leur statut de « dépendances » empêche leur participation directe aux négociations internationales sur le climat. Ainsi « (…) de nombreux territoires sont tout bonnement exclus du Protocole de Kyoto » (Petit, 2009), comme l’illustre la déclaration de la France qui précise que la ratification « se limite à la métropole et aux départements d’outre-mer (DOM), et exclut donc les PTOM14 ».
16La Polynésie française, pour exemple, en raison de sa situation géographique et de ses spécificités environnementales, économiques et sociales, est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique (Avagliano et Petit, 2009) : blanchissement des coraux, impacts des cyclones et de l’élévation du niveau marin sur les écosystèmes et les infrastructures, menaces pour le tourisme, émergences d’espèces envahissantes nouvelles et de maladies potentielles, etc. Le changement climatique apparaît comme une menace sérieuse pour l’environnement et l’économie de ce pays. Cependant, les initiatives concrètes d’adaptation face aux effets du changement climatique sont extrêmement restreintes (UICN, 2008).
17Concernant les instruments de gestion et les stratégies de réponse, une étude, commanditée par le ministère de l’environnement de la Polynésie Française conclut que les plans d’aménagement du territoire, comme le Plan Général d’Aménagement, le Plan de Gestion des Espaces Maritimes ou les Plans de Protection des Risques, constituent des outils appropriés pour se préparer aux nouvelles contraintes, mais leur champ d’action reste parfois limité. Il n’existe que très peu d’autres actions concrètes, publiques ou privées, pour initier l’adaptation des écosystèmes, des économies et des sociétés à la nouvelle donne climatique. De la même manière, en ce qui concerne l’atténuation, le potentiel en énergies renouvelables de la Polynésie française est important, et leur utilisation contribuerait à l’adaptation du territoire à la transition énergétique, luttant ainsi contre le changement climatique, et anticipant le risque d’une hausse du prix du pétrole. Mais leur développement reste également très limité. La maîtrise de l’énergie pourrait également être considérablement améliorée, notamment par l’exemplarité du secteur public. Certaines initiatives du secteur privé sont très avancées, mais il n’existe pas encore d’effort collectif, d’objectifs de réduction d’émissions clairs et quantifiés et de plan d’action concret et partagé par la société civile à l’échelle de la Polynésie Française (Avagliano et Petit, 2009). Finalement, ici comme ailleurs, la recherche se présente comme une première étape pour fournir des orientations raisonnées aux décideurs lors de l’élaboration de stratégie d’adaptation.
18Après cet aperçu général des principaux enjeux associés aux effets du changement climatique pour les territoires insulaires, nous proposons une présentation des résultats de deux études de cas insulaires français, Ré et la Réunion, approfondissant les processus de mise à l’agenda de la question de l’adaptation.
19Le volet « adaptation » des politiques climatiques locales est appréhendé comme une action de gestion des vulnérabilités territoriales créées et/ou renforcées par les effets avérés ou à venir du changement climatique. C’est dans cette optique que la comparaison de deux territoires insulaires français, Ré et la Réunion est proposée. D’un point de vue méthodologique, le choix des deux études de terrains insulaires n’a pas été guidé a priori pour réaliser une comparaison directe mais a été réalisé au cours de deux projets de recherche se succédant et se complétant. Cependant, a posteriori, une analyse de ces deux territoires insulaires confrontés à la prise en compte des effets potentiels du changement climatique nous est apparue pertinente.
- 15  Avec respectivement, pour l’île de Ré et l’île de la Réunion, 17 640 habitants (Insee 2006) sur 85 (...)
20Les deux territoires étudiés ne sont donc guère comparables par leur taille, leur population15, leur climat ou encore leur situation géographique (Ré est à 15 minutes en voiture du territoire métropolitain français alors que la Réunion est à plus de 10 heures d’avion de ce même territoire). Leurs insularités sont d’ailleurs fort différentes entre une île bordière de la métropole et une « île extrême » : l’île de Ré est une communauté de communes reliée au territoire métropolitain par un pont (depuis 1988) et bénéficiant d’un climat tempéré alors que l’île de la Réunion est un Département d’Outre Mer, très éloigné de la métropole et avec un climat tropical. Ces différences ne permettent pas une comparaison stricto sensu entre ces deux territoires, mais une mise en perspective de l’étude de deux territoires insulaires français, aux situations contrastées afin d’identifier des points discriminants et récurrents, et ainsi participer à la compréhension des processus d’adaptation au changement climatique des territoires insulaires français.
21Cette étude de terrain a été menée dans le cadre d’un projet de recherche intitulé « Le changement climatique, révélateur des vulnérabilités territoriales ? - Action publique et perceptions des inégalités écologiques » (Bertrand & Rocher, 2007) Cette recherche a approfondi la question des effets du changement climatique sur les territoires, en étudiant différentes formes de réaction et en s’intéressant plus particulièrement aux vulnérabilités territoriales que peut « révéler » la problématique du changement climatique. Pratiquement, la recherche a mis en évidence quels secteurs d’activités ou quelles politiques publiques, quels programmes d’intervention ou de planification, quels acteurs, organismes et institutions sont mobilisés dans l’intégration et la déclinaison locales des enjeux liés à l’adaptation au changement climatique. Est ainsi proposé, après une brève présentation du territoire rétais, d’expliquer en quoi le problème « climat » vient relégitimer certains aspects de la gestion territoriale des risques préexistants, sans que l’on assiste pour autant à l’émergence simultanée d’une politique climatique locale en tant que telle.
- 16  Cf. l’exemple paru dans le journal Le Phare et Ré sur « Ces salariés qui quittent l’île », 17 octo (...)
- 17  « A l’image des centres historiques des métropoles, les îles sont aujourd’hui touchées par une for (...)
22L’île de Ré est un territoire touristique suburbain, fortement peuplé en proche périphérie de la ville de La Rochelle, et où la pression de l’occupation humaine sur l’environnement est forte du fait de la rareté des espaces (pas d’arrière-pays et une « patrimonialisation » importante des espaces) et de l’activité touristique. Face au développement d’un urbanisme de résidences secondaires et à une « fuite des actifs » vers le continent motivée par la flambée des prix de l’immobilier16, l’agriculture peine à se maintenir devant cette forme de gentrification insulaire17. Ainsi la question du maintien des espaces, de la diversité sociale, environnementale, et économique est clairement posée, mais encore trop souvent utilisée en faveur d’une révision de la loi Littoral pour augmenter les capacités de développement de l’île (Barthon, 2005 : 27).
- 18  Cf. carte du géographe Alain Miossec « Ré ou comment une île est progressivement corsetée d’ouvrag (...)
23Parallèlement à ce contexte de pressions anthropiques importantes, ce territoire insulaire porte des enjeux forts concernant l’érosion et la défense des côtes. L’île de Ré, particulièrement soumise à l’érosion, notamment sur sa façade ouest, en contact direct avec les courants marins et les vents dominants, a été aux avants postes des équipements de défense contre la mer, d’abord artisanaux, puis développés de façon massive et systématique18, bien avant l’apparition, sur la scène scientifique et politique, du phénomène de changement climatique. Comme le rappelle le géographe Alain Miossec, « Ré et Noirmoutier ont été, à partir du XVIIIe siècle, de véritables laboratoires dans l’expérimentation des techniques de lutte contre la mer » (Miossec, 1998 : 2).
- 19  La définition de l’aléa de référence est basée sur les événements de hautes eaux survenus en 1936 (...)
- 20  En décembre 1999, il y a eu des dégâts considérables avec un coefficient de marée de 75, ce qui co (...)
- 21  C’est notamment ce qui s’est passé récemment lors de la tempête Xynthia des 27 et 28 février 2010, (...)
24Sur l’île de Ré, la prise en compte des effets du changement climatique dans l’action locale apparaît exclusivement associée au risque d’inondation, par submersion ou rupture de digue. En effet, le relief plat de ce territoire insulaire en fait un espace très sensible face à une montée du trait de côte. Si l’île est historiquement préparée et équipée pour faire face à l’érosion, problématique inhérente aux territoires littoraux et insulaires, ce n’est que lors de la rédaction du Plan de Prévention des Risques Naturels (PPRN élaboré de décembre 1999 à juillet 2002), consacré aux risques « Erosion littoral et submersion marine » et « Feux de forêts », que la problématique du changement climatique a été officiellement évoquée et intégrée dans les documents règlementaires. Ce document, élaboré sous l’autorité de l’Etat, prescrit une remontée des digues à 4 mètres, à partir d’un aléa de référence pour la submersion (niveau des plus hautes eaux marines à prendre en compte)19, en mentionnant notamment les « incertitudes liées à la montée des océans » (DDE Charente-Maritimes, 2002 : 6). Le choix de relever les digues à la cote de 4 mètres a été arrêté en partie selon un processus intuitif et consensuel, au sein de la « commission départementale des sites ». Ce choix ne s’appuie pas uniquement sur des données scientifiques « solides », mais également sur un travail auprès des habitants les plus anciens, et semble plutôt issu d’une conciliation entre le souhaitable et le faisable. D’après les personnes interrogées (Conseil Général, Communauté de Communes, Conservatoire du Littoral…), la remise en l’état, le rehaussement et l’entretien des digues permet aux territoires protégés d’être à l’abri pour plusieurs dizaines d’années. Cependant, personne ne maintient une insubmersibilité absolue de ces ouvrages, chacun reconnaissant à sa manière qu’en cas de phénomènes extrêmes, et surtout en cas de conjonction de plusieurs phénomènes extrêmes (fort coefficient de marée, force et direction du vent, pression barométrique)20, ces digues ne seraient pas totalement insubmersibles et pourraient éclater par endroits, selon leur niveau de solidité et selon la force des phénomènes21. Ces témoignages semblent marquer la sortie du « mythe » de la protection totale grâce aux seules infrastructures techniques, ou soulignent du moins une certaine reconnaissance des limites de cette pensée technicienne. Hormis le risque direct pour les personnes (par dépassement ou rupture de digues) et les effets d’accentuation de l’érosion (et de détérioration des digues), le PPR identifie plusieurs autres conséquences en cas de submersion en termes de déplacements mais aussi concernant les infrastructures d’alimentation de l’île (réseau d’eau, d’électricité, de télécommunication…).
- 22  Le maire des Portes-en-ré (Jacques Labonde, jusqu’en 2008) est en effet l’acteur qui apparaissait (...)
25À la suite de l’élaboration du PPRN, la Communauté de Communes de l’île de Ré a commencé à élaborer une politique locale de « défense des côtes », notamment en se dotant de la compétence de gestion des digues, et en recrutant deux personnes pour former une cellule « mer et littoral » (2007). L’objectif final affiché par la Communauté de Communes était d’aboutir rapidement à la mise en place d’une Gestion Intégrée des Zones Côtières (GIZC). Cette mobilisation intercommunale doit toutefois être nuancée. Elle ne résulte pas d’une prise de conscience unanime de l’ensemble des élus de l’île face aux effets du changement climatique, mais est plutôt portée par des élus des communes les plus exposées (cantons nord). Plus encore, les activités entreprises reposent essentiellement sur l’action du maire de la commune la plus directement exposée au risque de submersion et aux effets de l’érosion côtière (commune des Portes-en-Ré)22.
- 23  Cf. cahier de la mémoire N° 75 du Groupement d’Etudes Rétaises – Revue d’art & tradition populaire (...)
- 24  Ces phénomènes sont décrits dès le XVIème siècle : « Le 22 août 1537, ce fut principalement contre (...)
- 25  Phénomène mis en évidence par plusieurs travaux, notamment en ethnologie, cf. notamment Langumier, (...)
26Si le risque de submersion du territoire est étroitement associé à la culture rétaise et marque les imaginaires (nombreux épisodes de tempêtes accompagnés d’inondations marines temporaires, localement appelés Vimers23, décrits depuis le XVIe)24, la population ne semble pas pour autant avoir intégré et accepté le risque de submersion. Cette question serait au contraire davantage déclinée sur le mode du traumatisme. Ce balancement entre croyance et déni du risque doit sans doute être compris comme un mouvement dynamique entre reconnaissance et mise à distance du risque, entre souvenir et oubli de la catastrophe25.
27La question des impacts du changement climatique sur le territoire apparaît uniquement associée aux problématiques de « défense des côtes », notamment dans la perspective d’un risque de montée des eaux et d’une augmentation en fréquence comme en intensité des événements climatiques extrêmes, tandis que d’autres difficultés (en termes de transport et d’alimentation en eau potable et en électricité) ne sont pas mentionnées a priori par les acteurs interrogés. Seuls les gestionnaires d’espaces naturels mentionnent certaines observations concernant les effets du changement climatique (remontée visible du niveau de la mer, observations de changement de comportement migratoire de certaines espèces d’oiseaux).
28Les effets du changement climatique, ainsi exclusivement associés au risque de submersion et d’inondation, apparaissent mobilisés en second plan dans la politique de « défense des côtes », pour justifier l’engagement non pas d’un simple entretien (dans une optique de protection à court terme) mais aussi d’une action de consolidation et de rehaussement de ces ouvrages (dans une optique de protection à moyen/long terme). Les impacts du changement climatique fournissent en quelque sorte une justification supplémentaire à cette action publique, un « surplus » de légitimité. Finalement, les actions d’adaptation, si elles existent localement en pratique, s’inscrivent hors de toute politique « climat » locale explicite, mais semblent plutôt prolonger et renforcer les outils de gestion des risques naturels. En ce qui concerne l’absence de saisie particulière des questions énergétiques, elle peut s’expliquer par un isolement très relatif de cet espace insulaire, directement relié au continent par la route, à la différence d’autres territoires insulaires (cf. plus haut), faisant in fine de Ré un territoire vulnérable au changement climatique comme une presqu’île ou un espace littoral.
29Cette étude régionale a été menée dans le cadre du projet de recherche « Gestion territoriale du changement climatique – Une analyse à partir des politiques régionales » (Bertrand & Larrue, 2007). Une observation des modalités d’élaboration de la politique climatique régionale, des acteurs associés, des enjeux et des instruments mobilisés, a été menée, ainsi que l’identification des principaux leviers de changement et facteurs de blocage.
30Après une brève présentation du contexte réunionnais, seront présentés les principaux risques associés au changement climatique à la Réunion ainsi que les facteurs identifiés de mise à l’agenda du « problème climat ». Si la question des impacts du changement climatique est largement mobilisée dans les discours régionaux, cette étude réalisée en novembre 2006 montre que l’action régionale en matière de changement climatique est avant tout construite comme une politique énergétique ambitieuse, dans une perspective de lutte contre le changement climatique (atténuation).
31La situation insulaire du territoire réunionnais alliée à une forte pression démographique et une hausse brutale de la consommation des ménages rendent particulièrement visibles les situations de saturation et de sur-régime (sur l’environnement et sur les infrastructures –stations d’épuration, routes, décharges…-) qu’exercent les pressions humaines sur le territoire.
- 26  Cf. « Energie : La Réunion, une île dépendante du pétrole », document de la « Commission des Îles (...)
32De la même manière, les ressources locales se limitant au territoire insulaire, la société réunionnaise ne peut actuellement pas fonctionner « en circuit fermé » et est, de ce fait, très dépendante des ressources extérieures, et notamment des ressources énergétiques26. Tout ce qui n’est pas produit ou pas en quantité suffisante sur l’île doit être importé, avec des surcoûts importants. Cette situation conduit à une forte dépendance et à une certaine fragilité du système insulaire vis-à -vis de l’extérieur.
33Enfin, le contexte culturel est radicalement différent de celui des régions européennes : les plus proches voisins du territoire régional sont des pays en voie de développement, îles de l’Océan Indien (Maurice, Comores, Madagascar…) et pays de l’Afrique de l’Est et du Sud. En cela, la Réunion est réellement une région française hors d’Europe. L’ensemble régional Sud-ouest de l’Océan Indien auquel la Réunion appartient n’offre donc pas les mêmes conditions et possibilités en termes de mutualisation des savoirs, coopération régionale, solidarité territoriale et opportunité de collaboration, par rapport à l’Europe de l’Ouest dans lequel se situent les régions métropolitaines, et l’île de Ré.
- 27  Cf. la page consacrée aux « risques naturels à la Réunion » du site internet de la Direction Dépar (...)
34« L’île de la Réunion est soumise à différents risques naturels prévisibles, par son climat tropical humide et sa constitution volcanique. En effet, cyclones, pluies, crues, inondations, éboulements, glissements de terrain, coulées de lave... sont des phénomènes naturels inhérents au département. L’intensité des précipitations exceptionnelles, le relief tourmenté, la fragilité des sols propice à l’érosion, aggravent considérablement les risques ». Voilà comment la Direction Départementale de l’Equipement de la Réunion introduit la présentation des risques naturels à la Réunion27. Le changement climatique vient potentiellement accentuer certains de ces risques naturels déjà présents à la Réunion, notamment ceux liés à des modifications des régimes de précipitation, et largement aggravés par les pressions anthropiques directes (démographie, artificialisation, consommation énergétique…), et invite ainsi à anticiper afin de s’adapter à ces situations nouvelles, sans certitude sur l’évolution précise des aléas.
- 28  Berne P. (2006), « Le changement climatique : impacts sur le littoral. Quelles actions spécifiques (...)
- 29  Cf. la présentation d’un membre de la DIREN Réunion au 1er Forum Energie Réunion : KERJOUAN R. (...)
35De façon similaire, d’après les éléments présentés par le vice-président du Conseil Régional à l’aménagement et à l’environnement lors du colloque « Littoral en danger », qui s’est tenu à Marseille en février 200628, le changement climatique vient déjà et viendra de plus en plus augmenter certains phénomènes naturels : élévation de la température de l’océan, montées des eaux océaniques, et risque d’amplification des cyclones. Ces augmentations auront pour conséquences des inondations plus fréquentes des zones littorales habitées, une érosion accrue des plages, et un accroissement de la vulnérabilité du récif corallien (due également à des pressions anthropiques fortes : rejet de matières organiques (STEP), piétinement…) et un blanchiment des coraux (déjà observé également sur des îles non habitées). Plus largement, le changement climatique pose plusieurs questions en termes de viabilité socio-économique du système territorial réunionnais, notamment : le devenir des transports aériens, les impacts sur le tourisme (notamment avec la dégradation des côtes et des plages), la résistance de l’urbanisme et des constructions et plus largement de l’économie réunionnaise face à un éventuel renforcement de la fréquence des cyclones29.
- 30  Représentant des régions françaises au sein de la CRPM (2004-2006), président des Régions ultrapér (...)
36L’activité particulière de Paul Vergés, président du conseil régional, notamment à l’extérieur de l’île de la Réunion, inscrit l’intégration des enjeux climatiques à la Réunion, dans un contexte extraterritorial. A la tête de l’exécutif régional de mars 1998 à mars 2010, il est également président de l’ONERC (Observatoire National sur les Effets du Réchauffement Climatique) depuis sa création en 2001, ce qui souligne un attachement profond à convaincre qu’il faut agir de toute urgence face au changement climatique et ce qui l’amène à participer à de nombreux événements consacrés à cette question hors du territoire régional. Elu au Parlement européen pour la circonscription Outre-mer (depuis 2004), Paul Vergès est également très investi au niveau européen30. Pour ces raisons, la politique climatique de la Région est alors, bien évidemment, portée et irriguée par l’engagement de son président.
- 31  M. Vergès a occupé depuis 1956, date de son entrée en politique, tous les mandats électifs (maire, (...)
- 32  Conférence de presse du 4 septembre 1996, animée par Paul Vergès et Philippe Berne, sur le réchauf (...)
37Dès 1996, à l’initiative de Paul Vergès, fondateur du Parti Communiste Réunionnais31 et alors sénateur de l’île, on commence à parler de la question des changements climatiques et des éventuels impacts pour l’île32. Dés le départ, cette question est étroitement associée à celle de la dépendance énergétique de l’île, et est couplée à une réflexion sur l’avenir énergétique local et mondial (problématique globale de raréfaction des ressources énergétiques fossiles et donc de renchérissement de ces dernières ; et sécurisation de l’approvisionnement énergétique de l’île), dans le contexte d’une explosion démographique planétaire sans précédent (donc d’une explosion de la demande en énergie). La « déclinaison » régionale de la problématique des changements climatiques est particulièrement riche à la Réunion. Loin d’être un décalque des discours officiels internationaux ou nationaux, elle propose au contraire une traduction particulière, forte et adaptée, en mesure d’inspirer et d’alimenter les discours suprarégionaux. Elle revêt plusieurs caractéristiques particulières, liées aussi bien au contexte géographique (océan Pacifique, Afrique), physique (territoire insulaire), économique, historique (esclavage, engagisme, colonisation directe puis assimilation avec la départementalisation) et politique (histoire et particularisme du Parti Communiste Réunionnais) de l’île.
38Finalement, la problématique du changement climatique est traduite, localement à la Réunion, par une réflexion sur les vulnérabilités associées, tant énergétiques (approvisionnement, disponibilité), qu’économiques (coûts) et physiques (impacts du changement climatique et évènements extrêmes). C’est donc d’une certaine manière, moins par une réflexion écologique (nécessité de réduire les pressions des activités humaines sur les écosystèmes locaux et sur la biosphère) que par une réflexion énergétique prospective (assurer les moyens d’une croissance durable à la Réunion) que sont saisis les enjeux climatiques. « Outre les impacts environnementaux importants liés à l’utilisation des combustibles fossiles, où les trouvera-t-on dans dix ans, dans vingt cinq ans ? Les trouvera-t-on ? Comment nous approvisionnerons-nous ? Et à quel prix ? Quelle part de la richesse locale devrons-nous y consacrer ? L’économie réunionnaise en aura-t-elle les moyens ? » (CPRM, 2006).
- 33  Notice du Parti Communiste Réunionnais sur Wikipédia, consulté le 29 octobre 2006
39Le leitmotiv d’autonomie énergétique électrique pour l’île de la Réunion, avancé et soutenu depuis 2001 par l’exécutif régional, au premier rang duquel figure le président du Conseil Régional, Paul Vergès, peut être perçu comme une certaine transformation des positions du Parti Communiste Réunionnais, qui a prôné depuis sa création une autonomie accrue de l’île (positions autonomistes mais non indépendantistes). « Aujourd'hui, l'ordre du jour du Parti communiste réunionnais n'est plus ladite autonomie de l'île, si ce n'est son autonomie énergétique ».33 Cependant, ce principe d’autonomie énergétique, étroitement associé à la politique climatique régionale ne peut être simplement perçu comme un recyclage du projet plus vaste d’autonomie politique. La spécificité géographique de l’insularité (éloignement et isolement), l’absence de moyens collectifs gérés par le niveau national assurant la production en électricité (parc nucléaire) et les compétences spécifiques allouées aux gouvernements régionaux des DOM sont autant de facteurs centraux qui participent à la proclamation de cet objectif d’autonomie énergétique pour l’île.
- 34  Réseau de coopération inter-îles « Island-News » : Natural Energy Ways toward Self-sufficiency for (...)
- 35  Organe de presse du PCR, fondé par Raymond Vergès en 1944
- 36  Aimé Habib « 6 février, date historique pour l’humanité : entrée en vigueur du protocole de Kyoto (...)
40La question du changement climatique apparaît pensée et déclinée comme un sujet de « politique étrangère », notamment du fait de la position géopolitique de l’île. Cette question semble représenter une opportunité de rayonnement régional (Océan Indien), national et international (projet de loi, rapport au parlement européen) pour le territoire réunionnais, via l’activité du président de Région, et une injonction à la solidarité avec les régions voisines, permettant de renforcer la coopération inter-îles (entre régions voisines à l’image du réseau Island News, animé par l'Agence Régionale de l'Energie Réunion34, entre régions Ultrapériphériques d’Europe et ente régions hors union européenne). Une rencontre des ministres de l’Environnement de la Commission de l’Océan Indien a également eu lieu en 2005 à Saint Denis, chef lieu de l’île, débouchant sur l’adoption d’une déclaration commune « Faire de l’Océan indien une zone d’application en matière d’adaptation et de lutte contre les effets des changements climatiques ». A cette occasion, un journaliste écrira dans le quotidien réunionnais Témoignages35 : « cette semaine de l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto montrera que notre île, lorsqu’elle s’en donne les moyens du fait de l’action de l’un des siens, est en mesure "d’adresser une parole réunionnaise au monde" ».36
- 37  Discours tenu par Paul Vergès lors du la clôture des Rencontres Energie Réunion 2004
- 38  « Problème planétaire [la question de l’énergie], celle-ci suscite l’angoisse du fait de la fin tr (...)
41L’investissement sur la question des changements climatiques, et particulièrement l’observation de leurs effets dans l’Océan Indien et l’élaboration de politiques d’anticipation de ces effets, représente un enjeu stratégique important pour la Région, notamment parce qu’il peut permettre à un territoire insulaire isolé de mieux comprendre et assumer sa place au sein du territoire planétaire, et de tisser un lien local-global conscient et responsable. Ce point se retrouve assez fréquemment dans les discours de Paul Vergès, où il avance notamment que la Réunion est « un point capital d’observation des changements climatiques », un lieu « où règnent les contradictions qu’apporteront des changements climatiques et un lieu d’observation de la ceinture planétaire intertropicale où vont se réaliser de grands changements océaniques »37. Cet enjeu recoupe la question de l’énergie (raréfaction des ressources et émissions de GES) et conduit à une volonté pour la Réunion d’être un « laboratoire », « un pôle d’excellence », une « base de rayonnement régional », pour toutes les îles de l’Océan Indien en termes de stratégie énergétique durable, fortement basée sur le développement des énergies renouvelables38. Cette emphase du discours réunionnais peut également témoigner de la saisie de la question du changement climatique en tant qu’opportunité politique, tant en ce qui concerne la lutte contre le phénomène (objectif d’autonomie énergétique), qu’en ce qui concerne la gestion des effets (laboratoire, lieu d’expérimentation rayonnant).
42Dans le prolongement de cette volonté d’excellence et de chef de file affirmée par la Région Réunion, le Conseil Régional a porté à partir de 2007 le projet européen NET-BIOME (NETworking tropical and subtropical Biodiversity research in OuterMost regions and territories of Europe in support of sustainable development), s’inscrivant dans le réseau européen ERA-NET, qui vise à coordonner les activités de recherches au niveau européen.
- 39  http://www.netbiome.org/index.php ?option =com_content&view =article&id =48&Itemid =29 (...)
- 40  Cf. « ERANET NET-BIOME », Témoignages, 11 mai 2007, pp. 6 & 7 et site internet de la Région Réunio (...)
- 41  http://www.uicn.fr/Les-iles-et-l-Union-Europeenne.html consulté en mai 2010 (...)
43L’objectif de ce projet est de valoriser la biodiversité à l'échelle des pays tropicaux européens. La coordination générale de Net-Biome est assurée par la Région Réunion. Net-Biome associe les sept régions ultrapériphériques d’Europe (les conseils régionaux de la Réunion, de la Guadeloupe, de Guyane et de la Martinique, et les gouvernements régionaux des Canaries, de Madère et des Açores) et la plupart des territoires et des pays d'outre-mer européens (les territoires de l’outre-mer britannique, les Antilles néerlandaises, la Polynésie et la Calédonie). Leur point commun est une biodiversité terrestre et marine exceptionnelles mais plus sensible aux changements climatiques et aux pressions engendrées par les activités humaines que le reste de l'Europe. Or la biodiversité est un atout fondamental pour le développement économique de ces zones, notamment dans l’agriculture, l’aquaculture, l’élevage, la recherche médicale, le patrimoine, le tourisme. Ces territoires tropicaux développent des stratégies et des modèles originaux qui pourraient avantageusement être partagés et inspirer l’Europe continentale : adaptation aux changements climatiques et aux pressions anthropiques, gestion et conservation intégrées et durables de la biodiversité39. Ce projet représente également pour ses promoteurs « une opportunité à ne pas manquer pour démontrer que l’outre-mer est à la pointe de la recherche, fait preuve d’un fort dynamisme et peut être un exemple pour d’autres régions »40 Dans le prolongement de cette activité, la Région Réunion (conjointement avec l’UICN et l’ONERC) a organisé, du 7 au 11 juillet 2008 à Saint Denis, un colloque consacré aux « Stratégies face au changement climatique et la perte de biodiversité » pour l’Outre-mer européen41.
44Cette démarche Net-Biome est une initiative de coopération interrégionale en matière de recherche qui vient s’ajouter à une autre initiative de coopération interrégionale autour de la maîtrise de l’énergie et de la production d’énergies renouvelables, la création et l’animation du réseau Island News. L’activité extra-régionale de la Région Réunion s’inscrit ainsi dans les deux dimensions d’une politique climatique, l’atténuation, via la maîtrise de l’énergie et de la production d’énergies renouvelables, et l’adaptation, via le développement des connaissances sur les impacts du changement climatique sur les écosystèmes.
45On voit ainsi que les initiatives prises à la Réunion face au changement climatique s’inscrivent pour une part importante dans une dimension suprarégionale (inter-îles, interrégional, national, européen) et internationale, notamment par le biais des réseaux organisés des territoires insulaires. C’est une des caractéristiques de l’action climatique réunionnaise que de « sortir » de son propre territoire pour aller également travailler avec les îles voisines mais aussi pour aller « porter une parole au monde ». Plusieurs enjeux sont associés à cette dimension de l’action climatique régionale :
-
la volonté de représenter des territoires éloignés, isolés, bénéficiant de peu de visibilité, avec la nécessité d’attirer l’attention sur leurs vulnérabilités, les risques différents auxquels ils sont et seront de plus en plus confrontés avec le changement climatique et le besoin d’une aide spécifique.
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la possibilité de servir de « laboratoire » aux territoires métropolitains en anticipant les effets et les éventuelles solutions à apporter face aux modifications liées aux changements climatiques, être « un poste avancé » en quelque sorte.
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l’intérêt de saisir ce nouveau risque commun pour en faire une opportunité afin de plus et mieux coopérer avec les îles et régions voisines.
46Enfin, l’appropriation du problème « climat » à la Réunion peut également être une vue comme la saisie d’une opportunité politique double pour renouveler et enrichir les discours adressés aux réunionnais comme à la métropole et l’Europe : d’une part, par effet d’aubaine, en « recyclant », au travers des enjeux de transition et d’indépendance énergétique, le projet autonomiste ; et d’autre part, l’exposition aux impact du changement climatique constitue un nouvel élément pour alimenter le discours entre la périphérie éloignée et le « centre » (la métropole et l’Europe) et justifier un accès élargi aux aides pour cette région française en « retard de développement ».
47Le changement climatique agit comme un facteur d’accentuation de la vulnérabilité pour les territoires de Ré et de la Réunion, en renforçant la perception de risques préexistants (submersion, érosion, modification du trait de côte, perte de biodiversité, risque économique associé au commerce et tourisme, etc.). Les vulnérabilités physiques des territoires insulaires étudiés, exposés à des phénomènes extrêmes (tempête, volcanisme…), sont anciennes et expliquent largement les pratiques existantes de lutte contre l’érosion, de maintien du trait de côte, etc. Les aléas liés au milieu naturel sont donc très présents dans les pratiques d’aménagement des espaces insulaires, particulièrement dans la zone littorale. Le changement climatique n’est donc pas à l’origine d’une prise en compte des phénomènes climatiques, météorologiques et marins pour ces territoires. En effet, s’ils fournissent une légitimité supplémentaire à la gestion de ces risques préexistants, les impacts du changement climatique, tels qu’ils sont perçus localement à Ré et à la Réunion, restent néanmoins « dilués » parmi d’autres facteurs menaçant directement l’équilibre local du système insulaire : pressions anthropiques directes sur les écosystèmes liés au tourisme et/ou à la démographie, fragilité du système économique, sécurité énergétique et alimentaire, etc. Dans le cas de la Réunion par exemple, le changement climatique semble offrir un gain de légitimité pour la sauvegarde de la biodiversité, qui se traduit dans un premier temps par un renforcement des activités d’étude et de connaissance (projet européen Net-Biome et conservatoire des espaces marins à la Réunion). Dans le même ordre d’idée, la fragilité du système économique souvent peu diversifié, où le tourisme représente une ressource importante pour une majorité de petites îles, est aussi révélée par le changement climatique, puisqu’en cas d’impacts associés (événements extrêmes comme Xynthia à Ré, ou érosion de la biodiversité et blanchiment de la barrière de corail à la Réunion), l’économie touristique peut s’effondrer.
48Finalement, l’hypothèse selon laquelle la manifestation des impacts associés au changement climatique viendrait « (re)mettre en lumière » et parfois accentuer certains dysfonctionnements déjà à l’œuvre (environnementaux, sociaux, énergétiques…) affectant des milieux insulaires fragiles peut être vérifiée. Toutefois, si le changement climatique peut agir comme un révélateur de vulnérabilités territoriales (Bertrand & Rocher, 2007), son incidence sur ces vulnérabilités est décrite localement de manière différente selon le niveau d’action et d’enjeux où l’on se place. Le changement climatique conduit finalement à des modifications dans l’appréhension des vulnérabilités insulaires, selon des dynamiques toutefois très différentes selon qu’il est associé à d’autres facteurs de vulnérabilité (Ré) ou saisi comme opportunité politique (la Réunion).
- 42  Bien que cet « objet » puisse être intégré dans le reste de l’action publique locale et assurer de (...)
49L’adaptation apparaît comme un nouvel objet d’action locale et donc comme un « surplus » d’action publique42, pour faire face aux effets du changement climatique. Dans cette optique, on observe que ce sont souvent des territoires se voulant très performants qui investissent les premiers cette thématique, notamment pour en tirer les avantages de « pionniers », précurseurs. Or, les petits territoires insulaires apparaissent moins investis dans ces logiques de compétitivité territoriale. Ils restent également souvent largement tributaires des aides extérieures, et celles-ci ne sont pas nécessairement établies en fonction du degré de vulnérabilité au changement climatique, mais davantage en fonction du niveau de développement économique (Petit, 2009). L’adaptation des territoires insulaires n’étant pas nécessairement développée de manière proportionnelle au degré d’exposition aux aléas climatiques, l’idée d’une lecture basée sur la substantialité des effets du changement climatique, reposant sur des impacts mesurables et objectivables, pourrait, en ce sens, être mise de côté au profit d’une lecture privilégiant les processus locaux d’interprétation et de définition de la question « climat ».
50Si la « nouveauté » des risques associés au changement climatique pour un territoire donné ne s’avère pas être une entrée pertinente a priori, c’est dans l’appréhension de l’enjeu climatique par les acteurs locaux, dans l’association de ce nouvel objet d’action locale à d’autres enjeux préexistants ainsi que dans la formulation de réponses, que se dessinent des variables intéressantes. Ainsi, une approche par les capacités d’action des territoires (moyens de mesure, d’anticipation, de veille, d’action, de réparation et de gestion de crise, etc.) apparaît alors pertinente pour appréhender les possibilités d’adaptation des territoires, ainsi que les capacités et les modalités d’intégration des « risques climatiques » dans les politiques locales. Le facteur insulaire apparait ainsi relatif dans la détermination des choix d’adaptations, en ce qu’il existe autant d’insularités différentes qu’il y a d’îles (Magnan, 2009a), même si son influence vraisemblable sur les modalités d’appropriation des enjeux d’adaptation, et sur les processus de mise à l’agenda locale de la question de l’adaptation (par association aux politiques de prévention des risques naturels, de développement du tourisme, de protection de la biodiversité, de coopération interrégionale et de solidarités territoriales, d’autonomie énergétique etc.) reste à explorer.
51Spatialement, le phénomène du changement climatique est notamment caractérisé par une déconnexion entre ses causes (espaces fortement émetteurs) et ses effets (espaces fortement impactés par les effets du changement climatique). Cette déconnexion entre les « espaces du problème » et les « espaces de solution » se retrouve fréquemment en ce qui concerne les problématiques environnementales et l’action locale (Berdoulay & Soubeyran, 2000). Elle s’opère ici à toutes les échelles, du local au mondial, et pose avec acuité la question du partage des responsabilités à différentes échelles (par exemple, à l’île de Ré, quels financements pour reconstruire les kilomètres de digues détruites par la tempête Xynthia ? Et à une autre échelle plus dramatique, quelles modalités d’accueil pour les « réfugiés climatiques » ?). Plus généralement, les effets du changement climatique viennent reposer une question centrale pour l’aménagement du territoire, pensé dans une perspective de durabilité : comment des collectivités territoriales peuvent être des espaces de solutions à des espaces de problèmes qui leurs sont disjoints et dont ils ne se sentent guère solidaires ? (Bertrand, 2004 : 114) Dans cette perspective, l’affirmation inscrite dans les pages du centre de ressource pour les plans climat énergie territoriaux de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) selon laquelle, « l’adaptation aux impacts du changement climatique relève nécessairement de l’action locale. » (Ademe, 2010) est séduisante, bien qu’il faille ajouter qu’elle ne peut être ni intégralement ni exclusivement conçue et mise en œuvre par les autorités locales.
- 43  Les 21 PTOM ne faisant pas partie intégrante de l’UE, ils « ont seulement un régime d’association (...)
52Pour les DOM-TOM français, la question du partage de l’effort face au problème « climat » vient s’intégrer au débat plus général sur l’aide et la redistribution entre le territoire métropolitain et l’outre-mer. Mais pour de nombreux territoires insulaires comme pour les territoires « en retard de développement », le manque de moyens (financiers, techniques, cognitifs, etc.) rend indispensable le fait que l’adaptation au changement climatique ne soit pas pensée uniquement localement, de manière à éviter le renforcement des inégalités. Le cas particulier des petits territoires d’outre mer (PTOM), « victime oubliée » du changement climatique, en témoigne (Petit, 2009). Exclus par la France du protocole de Kyoto, à peine mentionnés dans les « communication nationales » de la France sur le changement climatique présentées à la CCNUCC, écartés d’une représentation directe au niveau international par leurs statut de « dépendances », ne pouvant prétendre également aux aides européennes (Fonds FEDER, FSE)43, les PTOM ne semblent pas disposer de moyens favorables pour leur adaptation, pourtant nécessaire (Petit, 2009).
- 44  Par exemple, des études menées par Lucien Sfez et Anne Cauquelin montrent notamment que des situat (...)
53Plus généralement, l’adaptation au changement climatique peut également contribuer à renforcer les mécanismes de redistribution, de transfert financier et technologique, et de partage d’expériences. La redistribution peut être assurée classiquement par un niveau supérieur collecteur et redistributeur (régional, national, continental, mondial). La coopération peut s’opérer horizontalement par la mise en commun de pratiques et de moyens (système de veille, d’alerte et de gestion de crise par exemple). Cependant, l’approche par les ressources économiques ne peut suffire à l’analyse des capacités d’adaptation des sociétés locales. En effet, de nombreux travaux indiquent clairement que les facteurs socioculturels jouent également un rôle central dans les processus locaux d’adaptation44 (Sfez, 2005 ; Magnan, 2009b ; Hulme, 2009).
54Enfin, il faut noter que pour les territoires insulaires, le changement climatique apparaît comme un objet particulièrement rassembleur, et fédérateur face à une menace et avec des revendications communes (gouvernance politique avec réseau et position commune aux COPs, gouvernance technique avec réseau de partage d’expérience et de coopération comme « Island News »).
55Le territoire insulaire, par son caractère clos et son isolement, fournit aisément une figure de société en taille réduite, et permet ainsi très souvent d’illustrer les menaces que font peser les activités humaines sur les écosystèmes et donc sur la viabilité même des sociétés humaines. Là encore, le degré d’isolement et la quantité de ressources disponibles apparaissent déterminants. La figure de l’île de Pâques fournit ainsi un exemple classique de ce genre d’analyse (cf. notamment les travaux du géographe américain, Jared Diamond). Le sociologue Harald Welzer souligne également ce point dans son dernier livre consacré aux futures « guerres climatiques » :
« Les historiens de l’environnement aiment beaucoup les îles, en particulier lorsqu’elles sont loin de tout. Quand les échanges avec d’autres sociétés sont proches de zéro, parce que les distances sont trop importantes et les possibilités nautiques trop peu développées, les facteurs d’influences extérieures sur les processus de développement et de déclin sont quasi nuls. L’île ressemble donc à un laboratoire où l’on contrôle les conditions dans lesquelles les choses ont abouti à telle ou telle évolution, et assez souvent aussi à la catastrophe » (Welzer, 2009)
- 45  James Alix Michel, président des Seychelles, IUCN Global Island Survey
56Les territoires insulaires constituent, par leur forte exposition aux aléas naturels (marées, vents, érosion), leur diversité biologique et, parfois aussi, leur relief relativement bas, des indicateurs sensibles des effets du changement climatique et de leurs évolutions. « Ainsi, tels de véritables territoires « sentinelles », les collectivités d’outre-mer de l’Union Européenne, disposées aux quatre coins du monde, apparaissent comme des indicateurs des effets précurseurs du changement climatique sur les écosystèmes et les sociétés de la planète » (Petit, 2009). D’autre part, la nécessité vitale de réponses rapides face aux effets du changement de climat, pourraient les amener, en théorie, à construire des stratégies originales, et innovantes en ce qu’elles précèdent la plupart des politiques d’adaptation métropolitaines, et les érigeraient ainsi comme laboratoire d’expérimentation de l’adaptation. Les situations insulaires favoriseraient donc l’émergence de politiques climatiques a priori plus équilibrées, associant dès le départ un volet atténuation (importance des réflexions sur l’autonomie énergétique et le développement des énergies renouvelables du à l’isolement et la multiplicité des gisements locaux –soleil, vent, marées, biomasse…) et un volet adaptation (renouvellement dans l’appréhension et la gestion des risques). Les territoires insulaires seraient alors des espaces réduits pour tester de l’efficacité des politiques de lutte face au changement climatique anthropique et ses effets. Ainsi, selon le président des Seychelles45, « les îles sont les meilleurs indicateurs de l’efficacité des politiques environnementales internationales. L’humanité pourra mesurer ses succès ou ses échecs sur les îles en premier lieu » (UICN, 2008).
57Les territoires insulaires sont ainsi souvent présentés comme des modèles d’adaptation, à la fois au changement climatique, et à la raréfaction des énergies fossiles. Ils sont également représentés et se représentent comme des laboratoires d’expérience pour l’adaptation au changement climatique : pour la France métropolitaine, ce seraient des « avant-postes », premiers témoins des phénomènes liés au changement climatique. Si la figure est séduisante, elle mériterait cependant d’être davantage discutée, au-delà de son usage incantatoire, notamment sur les conditions et possibilités de transposition.
58Au final, la figure de la petite île face aux effets du changement climatique semble osciller entre territoire avant-gardiste et victime oubliée, entre réservoir de savoirs et de savoir-faire pour penser l’adaptation, et avant-postes particulièrement exposés aux impacts du changement climatique. Mais derrière ces figures proposées, est rassemblée une diversité des situations insulaires, dont la typologie reste largement à construire afin d’identifier les systèmes et les secteurs les plus vulnérables selon les différents profils d’îles (Mimura et al. 2007 : 712).