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La crise alimentaire, le développement durable et les biocarburants : perspectives d’avenir

Erwan Cheneval, Ariane Adam-Poupart and Joseph Zayed

Abstracts

Biofuels, extracted from cereals and other food crops, are attracting greater interest, especially as a substitute for fossil energy. However, the use of food products for biofuel production has been recently described as crime against humanity, since it contributes to raise the world market food prices and intensifying the world hunger. To assess the effect of the biofuels market on the global food crisis, an analysis based on key dimensions of sustainable development (economic, social and environmental) was performed. Economically, biofuels compete with food, which causes an increase in food prices. In social terms, this energy may increase food insecurity and malnutrition via decreased availability of food for consumption, but also because of the significant amount of water used for irrigation of crops. On the environmental front, the market for biofuels will affect the quality of ecosystems through the depletion of water resources, soil pollution by fertilizers and loss of biodiversity. Biofuels made from raw materials other than food products are currently being studied and appear to offer promising solutions. It is advisable to conduct an environmental and social impacts assessment before massive exploitation, in order to avoid side effects, such as those created by the first generation of biofuels.

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Full text

Introduction

1Les biocarburants, carburants provenant des énergies renouvelables, connaissent un intérêt mondial grandissant depuis les dernières décennies, notamment comme substitut de l’énergie fossile. Deux types de biocarburants sont en demande sur le marché mondial : l’éthanol et le biodiesel. L’éthanol, qui provient de l’amidon ou d’autres formes de sucres, est produit à partir du maïs, de la canne à sucre, de la patate ou de la patate douce, du sorgho, et plus récemment du manioc. Pour sa part, le biodiesel, qui est principalement produit en Allemagne et en France, provient de la transestérification, induite par de l’éthanol ou du méthanol, des huiles extraites du colza, du tournesol, du soya, ou de l’huile de palme (IEA, 2007).

2Ainsi, la croissance de la production d’éthanol et de biodiésel a été fulgurante au cours des dernières années (Ajanovic, 2010 ; Sordaa et al., 2010). Différents facteurs peuvent l’expliquer, comme la demande et la consommation croissantes de carburants, les objectifs mondiaux de réduction de gaz à effet de serre et la volonté d’indépendance des pays importateurs de carburants en provenance de territoires politiquement instables (Ajanovic, 2010 ; De la Torre et He, 2007 ; Timilsini et Shrestha, 2010). Depuis les dernières années, de nombreux pays ont adopté différentes cibles politiques de remplacement de combustibles fossiles par des biocarburants ; en Europe, 5,75 % de l’énergie utilisée pour les transports devait provenir de biocarburants en l’an 2010 alors que ce pourcentage atteindra 10 % aux États-Unis en 2020 (Ajanovic, 2010 ; Sordaa et al., 2010).

3Les biocarburants sont en développement depuis peu, mais ils entrent déjà en compétition avec la consommation alimentaire (Brown, 2008). Le marché des biocarburants a d’ailleurs été associé, du moins en partie, à l’augmentation dramatique des prix des produits comestibles ayant conduit à l’importante crise alimentaire vécue mondialement en 2008. L’origine de cette crise est toutefois complexe et semble être associée à plusieurs facteurs (Nellemann, 2009). Parmi ceux-ci, il faut compter 1) la révolution verte de l’après-guerre qui a influencé les modes de production agricole, 2) l’explosion démographique mondiale, 3) le ralentissement de la croissance économique et le déséquilibre macroéconomique, 4) l’augmentation des prix de pétrole et des fertilisants, 5) la diminution des stocks et la demande croissante des pays développés qui ont expérimenté une hausse des revenus familiaux, 6) la diminution de la recherche et du développement en agriculture, 7) la spéculation financière 8) les perturbations de l’offre causées par les aléas climatiques (Ajanovic, 2010 ; Paiment 2008 ; Werly, 2009). La flambée des prix ayant résulté de ces facteurs a conduit près de 130 millions d’individus sous le seuil de la pauvreté selon la Banque Mondiale (Headey, 2010). À noter que selon plusieurs journalistes ou économistes qui citent Peter Brabeck (Président de Nestlé), Josette Sheeran (Cheffe du Programme alimentaire mondial) ou Jacques Diouf (Directeur de la Food and Agriculture Organization of the United Nations), la crise alimentaire n’est pas passée, elle est à venir (Blas, 2009 ; Werly, 2009 ; Cha, 2008 ; Clavreul, 2008 ; Runge et Senauer, 2007) (Figure 1). D’ailleurs, l’année 2011 s’annonce particulièrement difficile en raison d’une hausse importante des prix des denrées alimentaires.

Figure 1. Nombre et pourcentage d’individus sous-alimentés dans le monde.

Figure 1. Nombre et pourcentage d’individus sous-alimentés dans le monde.

Source : adaptée de Dubuis 2009

4Selon l’International Food Policy Research Institute (IFPRI), les biocarburants ont aussi leur part de responsabilité. En effet, ceux-ci compteraient pour 30 % de l’augmentation du prix des céréales entre 2000-2007 et pour environ 40 % de l’augmentation du prix global du maïs (Tiradoa et al., 2010). L’augmentation des prix des denrées alimentaires est associée à un accroissement du déficit calorique et peut ainsi hausser la malnutrition chez les populations à faibles revenus. L’utilisation de produits comestibles à des fins de production de biocarburants a d’ailleurs été qualifiée de « crime contre l’humanité » par le Rapporteur spécial de l’Unité sur le droit à l’alimentation du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies (Tiradoa et al., 2010). Ainsi, le détournement des denrées alimentaires vers le secteur de l’énergie est éthiquement discutable, et une analyse des répercussions mondiales est nécessaire avant de poursuivre la production.

5L’objectif du présent document est d’évaluer l’effet de la demande croissante des biocarburants sur la crise alimentaire mondiale, en posant un regard critique à l’aide des grands axes du développement durable que sont l’économie, le développement social et la protection environnementale.

Les biocarburants : Aspect économique

6Comme les denrées alimentaires font partie des produits du marché mondial, leur prix est influencé par des facteurs spécifiques qui modulent l’offre (la production), la demande (la consommation) et les stocks de nourriture qui permettent de gérer les surplus et diminuent l’impact des différences annuelles des récoltes (Le Puill, 2009).

La production et la consommation mondiale des denrées alimentaires et les biocarburants

7Selon les chiffres fournis par la Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO), la production mondiale de nourriture par habitant est en hausse régulière depuis les années 1960. Ceci est vrai pour tous les continents sauf pour l’Afrique, où la production par habitant a augmenté en Afrique du Nord, alors qu’elle tend à diminuer en Afrique subsaharienne (Figure 2). En ce qui concerne spécifiquement la production de biocarburants, celle-ci est également en croissance depuis les dernières années (Figure 3). Près de 79 milliards de litres de biocarburant (éthanol et biodiesel confondus) ont été produits en 2008. À noter que le bioéthanol, qui provient très majoritairement des États-Unis et du Brésil, a surpassé dans un ratio d’environ 6/1 (ce ratio était de 8/1 en 2005) la production principalement européenne de biodiesel (Martinot et Sawin, 2009 ; IEA, 2007). Afin d’atteindre cette production, environ 100 millions de tonnes de céréales ont été utilisées, soit 5 % de la production mondiale de toutes les céréales confondues. Brown (2008) estime que les États-Unis ont transformé 20 % de leur production annuelle de maïs en bioéthanol, alors que ce biocarburant n’alimente que 4 % du transport dans le pays. Toutefois, pour certaines productions spécifiques, près de 50 % de celles-ci sont utilisées par le secteur de l’énergie. Tel est le cas du Brésil, qui utilise notamment la moitié de la récolte de canne à sucre pour produire du bioéthanol.

Figure 2. Production de nourriture par habitant

Figure 2. Production de nourriture par habitant

Source : adaptée de FAO, 2006

8Comme il a été mentionné précédemment, les céréales ne servent pas qu’à l’alimentation humaine. La production de céréales a trois principaux débouchés : la consommation directe en tant qu’aliment immédiat ou après simple transformation ; la consommation indirecte via le fourrage utilisé pour nourrir les animaux d’élevage et finalement, la transformation en énergie pour les biocarburants.

9Ainsi, l’offre et la demande mondiales des denrées alimentaires sont influencées par différents facteurs. Parmi ceux-ci, il faut compter la démographie, la demande croissante en énergie combinée au déclin des combustibles fossiles et l’accroissement de la demande de produits de viande par les pays en développement résultant de l’évolution des sociétés. Outre les différents facteurs cités précédemment, l’offre et la demande sont récemment influencées par les différentes politiques internationales qui tentent d’atteindre des objectifs de développement durable et de réduction d’émission de gaz à effet de serre, via la production et l’intégration de biocarburants sur leur territoire. À titre d’exemple, les objectifs de production de biocarburants en Europe pour 2015 sont d’environ 130 milliards de litres et celui des États-Unis pour 2022 est de près de 140 milliards de litres (Figure 3). Rappelons que la production de bioéthanol de maïs des États-Unis était de moins de 32 milliards de litres en 2007 (Figure 3).

Figure 3. Objectifs de production de biocarburants pour l’Union Européenne et les États-Unis.

Figure 3. Objectifs de production de biocarburants pour l’Union Européenne et les États-Unis.

Source : adaptée de Martinot et Sawin, 2009.

La détermination du prix des denrées alimentaires

10La nourriture faisant partie des produits du marché mondial, son prix est influencé par plusieurs éléments. D’une part, le prix du pétrole influence le prix des aliments, notamment car cette matière est requise pour leur récolte, leur production et leur transport vers le consommateur (Nellemann, 2009). De par la dépendance au pétrole des moyens de production et du transport des céréales, il existe un lien entre la hausse du prix du baril et la hausse du prix de la nourriture (FAO, 2008). Cette relation est d’ailleurs évidente même si la complexité de la relation ne permet pas d’en tirer des conclusions univoques. Un simple regard sur la tendance du prix du pétrole et la fluctuation de l’indice de prix de la nourriture permet de mettre en lumière cette relation (Figure 4). Le pic de 2008, correspondant à la crise alimentaire, est d’ailleurs plus qu’évident (Nellemann, 2009) !

Figure 4. Index des prix de la nourriture et du pétrole brut de 2000 à 2008.

Figure 4. Index des prix de la nourriture et du pétrole brut de 2000 à 2008.

Source : adaptée de Nelleman et al., 2009

11Par ailleurs, le prix des engrais et des fertilisants est aussi influencé par les prix du pétrole et du gaz naturel, car ceux-ci sont nécessaires à leur fabrication. À titre d’exemple, le coût des fertilisants aux États-Unis a augmenté de 8 % entre 2002 et 2007 (Ajanovic, 2010). Il va sans dire que l’accroissement du prix des fertilisants pourrait également influencer les prix des denrées alimentaires.

12Le prix de la nourriture est aussi influencé par les changements dans les choix de productions agricoles. L’agriculture à des fins énergétiques semble être plus lucrative que l’agriculture traditionnelle visant à la consommation alimentaire. Ceci a notamment engendré la substitution des cultures de soya par la canne à sucre au Brésil, et des cultures de blé par le maïs aux États-Unis. La conséquence de ces changements en agriculture a été une augmentation des prix et une diminution des stocks de certaines céréales disponibles à la consommation (Ajanovic, 2010 ; Toradoa et al., 2010).

13Enfin, l’expansion des cultures à des fins de production de biocarburants dans des territoires nécessitant d’importantes irrigations (région avec des problèmes au niveau de l’aquifère) pourrait aussi influencer les prix des céréales en créant une plus grande rareté de l’eau (Toradoa et al., 2010).

Les biocarburants : Aspect social

14Dans un premier temps, la production et la demande de biocarburants provenant de matières comestibles peuvent accroitre l’insécurité alimentaire, la malnutrition et la famine mondiale.

15D’une part, il est généralement accepté que chez les familles à faibles revenus, comme celles retrouvées principalement dans les pays en voie de développement, les dépenses associées à l’alimentation sont une part importante du revenu familial. Étant donné que la demande de biocarburants peut induire une augmentation des prix des denrées alimentaires et une diminution des quantités de graines disponibles pour l’alimentation, il est possible d’imaginer que ceci aura un effet sur les familles à faibles revenus des pays en voie de développement (Tiradoa et al 2010 ; Timilsini et al., 2010). Il est d’ailleurs suggéré que l’indice FAO du prix des céréales soit inversement corrélé aux quantités totales de céréales expédiées sous forme d’aide alimentaire par les agences internationales (Figure 5), amplifiant les problèmes de famine chez les plus démunis (FAO, 2008). Notons d’ailleurs que près de 80 % de la population mondiale vit actuellement dans les pays en voie de développement et que ce chiffre atteindra près de 85 % d’ici 2030 (FAO, 2005). Une forte proportion de la population mondiale provient de l’Afrique subsaharienne, et de l’Inde, deux importants consommateurs de céréales (FAO, 2005). À titre d’exemple, l’Afrique subsaharienne, qui comptait plus de 30 % de sa population sous-alimentée en 2003 (FAO, 2009) représente un peu moins de 12 % de la population planétaire aujourd’hui, et devrait compter pour presque 16 % de celle-ci en 2030. Des scénarios ayant estimé la malnutrition infantile démontrent également un accroissement de ce phénomène en Afrique subsaharienne d’ici 2020 (Smith et Haddad, 2000).

Figure 5. Index des prix des céréales et aide alimentaire

Figure 5. Index des prix des céréales et aide alimentaire

Source : adaptée de FAO, 2008

16D’autre part, la production et la demande de biocarburants provenant de matières comestibles peuvent accroître la malnutrition et la famine mondiales via l’utilisation d’importantes quantités d’eau pour l’irrigation des terres. En effet, l’agriculture est l’activité humaine qui demande la plus grande consommation d’eau. Près de 70 % de l’eau utilisée sur la planète l’est à cette fin (Brown, 2008). La pression sur les ressources hydriques mondiales se font d’ailleurs sentir avec entre autres conséquences, la baisse de rendement des productions agricoles de certaines régions du globe dont l’Inde, la Chine, le Moyen-Orient, le Mexique, les États-Unis. (Brown, 2008).

17Bien que la part en eau utilisée pour la production de biocarburants reste marginale (estimée à 1,4 %) en comparaison à celle utilisée pour l’agriculture alimentaire en général (De Fraiture et Berndes dans Howarth et Bringezu, 2009), certaines difficultés d’accessibilité à l’eau peuvent être à prévoir, notamment dans des pays sous-développés, où l’accès est limité et où l’eau sert principalement à la cuisson et à l’assouvissement des besoins primaires d’hydratation. Ainsi, si la demande en nourriture augmente pour une simple question de démographie, qu’à cette demande s’ajoute celle en biocarburants pour atteindre les objectifs mondiaux de réduction de gaz à effet de serre, il faudra donc largement augmenter la production céréalière par l’expansion des surfaces cultivées et l’augmentation du rendement par hectare afin de satisfaire les besoins mondiaux. Ce constat implique fort probablement une hausse de l’irrigation des terres, et pourra diminuer l’eau disponible pour la consommation des populations locales. À noter que les effets de la malnutrition ont été intimement reliés au manque d’accès à une eau de qualité (Smith et Haddad, 2000).

18Finalement, la production et la demande de biocarburants de première génération peuvent aussi accentuer certaines crises politiques mondiales dues à la pratique de l’agrocolonialisme (néocolonialisme) ; pratique qui consiste à l’achat ou à la location de terres par des pays étrangers afin de contrer leur problème hydrique et leur baisse de production de céréales par personne (Gilland, 2006). Ce phénomène est d’ailleurs en explosion depuis la crise des prix alimentaires de 2008 (Biney, 2009) et le nombre de surfaces impliquées est gigantesque. Dans les médias, on parle de « land grab », qu’on peut traduire par « terre spoliée ». Hafiz (2009) cite un rapport des Nations Unies donnant un chiffre de 30 millions d’hectares (la surface agricole de la France) en transaction ou déjà achetés par des pays ayant des moyens financiers importants et dont les besoins croissent trop rapidement.

19Ainsi, la Corée du Sud a acquis 700 000 hectares au Soudan, l’Arabie Saoudite 500 000 hectares en Tanzanie et l’Inde a acquis près de 350 000 hectares en Afrique. Ces trois exemples, qui ne sont qu’une faible minorité des transactions réalisées, totalisent déjà une surface arable équivalente à la surface cultivée en Belgique ou en Guinée Bissau (Gilland, 2006 ; FAOSTAT, 2009). Une autre transaction dont la signature n’est pas confirmée est l’acquisition par la Chine de 2,8 millions d’hectares en République Démocratique du Congo pour la production cette fois de biodiesel (Von Braun et Meinzen-Dick, 2009).

20C’est d’ailleurs ce phénomène de « terre spoliée » qui est à l’origine de la crise politique de Madagascar en mars 2009, et qui a causé l’avortement d’une transaction de 1,3 millions d’hectares entre Daewoo (Corée du Sud) et le gouvernement (Von Braun et Meinzen-Dick, 2009).

Les biocarburants : Aspect environnemental

La qualité des sols et de l’eau

21La production et la demande de biocarburants auront des effets sur la qualité de l’eau et des sols. D’une part, tel que mentionné précédemment, la production de céréales (et de biocarburants) demande d’importantes quantités d’eau. De Fraiture et Berndes (dans Howarth et Bringezu, 2009) estiment qu’entre 800 et 3300 litres d’eau sont nécessaires à la production d’un litre de bioéthanol à partir de la canne à sucre et qu’entre 1500 et 7400 litres sont nécessaires pour la production à l’aide de maïs. Ces chiffres sont largement tributaires du degré d’irrigation nécessaire à l’agriculture. Les plantations de canne à sucre du Brésil, par exemple, reçoivent plus de pluie que celles de l’Inde, pays qui doit compenser par une importante irrigation de ses cultures.

22Afin de contrer les problèmes alimentaires et énergétiques, il a été suggéré d’augmenter la surface cultivée et/ou augmenter le rendement. L’augmentation de la production agricole est majoritairement due à un rendement accru, sauf dans le cas du soya pour lequel la surface cultivée s’est largement agrandie (Nellemann, 2009). Le rendement a crû de façon importante depuis la révolution verte, mais il existe un plafond et un prix à ce que l’agriculture moderne peut apporter. Le rendement dépend de plusieurs facteurs, dont les types d’engrais et de fertilisants. Il va sans dire qu’augmenter le rendement à grand renfort d’engrais et d’eau a un impact certain sur la qualité des sols et de l’eau (Ajanovic, 2010).

23Ajoutons que les dangers environnementaux, comme l’épuisement des ressources hydriques locales et la pollution des écosystèmes par les engrais, est particulièrement à craindre de la part des exploitants étrangers propriétaires de « terres spoliées » qui n’auront pas à supporter les conséquences sur leurs propres territoires (Hafiz, 2009).

Terres arables et biodiversité

24Les quantités de matières premières pour produire des biocarburants sont également importantes. À titre d’exemple, 2,5 kg de maïs sont nécessaires pour produire un litre d’éthanol à partir du maïs brut contre 13,3 kg de canne à sucre (De Fraiture et Berndes dans Howarth et Bringezu, 2009). Ainsi, pour remplacer tout le carburant utilisé dans les transports par des biocarburants, il faudrait 30 millions de barils d’éthanol et 23 millions de barils de biodiesel par jour. Ce qui se traduit par 300 millions d’hectares de canne à sucre et 590 millions d’hectares de maïs. De la même façon, pour combler la demande en biodiesel, 225 millions d’hectares de palme seraient nécessaires, soit 20 fois l’aire actuelle de plantation (De La Torre Ugarte et He, 2007 ; Ajanovic, 2010). À noter qu’un des impacts connus de cette conversion des écosystèmes est l’importante perte de biodiversité.

Émissions de gaz à effet de serre

25Il est admis que les émissions de gaz à effet de serre découlant de l’utilisation de biocarburants sont généralement nettement inférieures à celles provenant de la combustion de combustibles fossiles. Toutefois, il est largement accepté que les transformations de terres ou de forêts à des fins de cultures de matières premières telles que l’amidon ou d’autres sucres, causent un relâchement exceptionnel de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre, notamment via les méthodes de coupe forestière et de brulage dirigé des sols, ainsi que par l’utilisation de fertilisants comme ceux qui rejettent de l’oxyde nitreux, gaz 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (Ajanovic, 2010 ; Tiradoa et al., 2010).

Les autres générations de biocarburants, une solution ?

26Une vaste majorité des recherches citées jusqu’ici cible les impacts négatifs de l’utilisation de produits comestibles pour la production de biocarburants. Il existe toutefois d’autres alternatives pour produire des biocarburants, telles que l’utilisation des ressources non alimentaires. Ces technologies font appel à la cellulose et à la lignine provenant des déchets de l’agriculture (paille, rafle du maïs) ou du bois pour produire de l’éthanol, et des graisses animales et autres huiles de cuisson pour produire du diesel (IEA, 2007). Ces alternatives portent le nom de biocarburants de deuxième génération et semblent très intéressantes, notamment car elles 1) réduiraient les effets concurrentiels de la production de biocarburants par rapport aux denrées alimentaires, 2) diminueraient les émissions de gaz à effet de serre, 3) induiraient un rendement énergétique plus grand et 4) demanderaient une quantité inférieure de substances agrochimiques pour la culture (Sordaa et al., 2010 ; Ajanovic, 2010).

27Les techniques pour produire de l’éthanol à partir de matières ligneuses ou autres sont encore en développement. Par contre, la culture de jatropha (plante impropre à la consommation, mais utilisée pour la synthèse de biocarburants) n’est pas très différente de celle de l’huile de palme et ne pose, conséquemment pas de défis technologiques particuliers. La jatropha n’a besoin que de petites quantités d’eau, et est très résistante à la sécheresse et aux parasites.

28Ainsi, les biocarburants de deuxième génération semblent prometteurs. Toutefois, une étude qui compare le cycle de vie du maïs et de sa rafle dans la production d’éthanol avec la production d’énergie à partir de combustibles fossiles rappelle que ces alternatives peuvent tout de même appauvrir les sols. En effet, même si la rafle est plus écologiquement avantageuse (écologiquement, pas économiquement), il faudra tout de même remplacer la perte en nutriments des sols si la rafle est récupérée plutôt qu’utilisée comme engrais naturel (Luo et al., 2009).

29Une autre piste, cette fois sans impact sur la surface agraire, consiste en l’utilisation d’algues pour produire de l’énergie sous différentes formes (diesel, éthanol, méthane et hydrogène). Cette production relativement nouvelle porte le nom de biocarburants de troisième génération. Selon Pienkos et Darzins (2009), la piste de recherche la plus encourageante porte sur l’extraction d’huile à partir des microalgues afin de produire du diesel. Ce processus n’est pas encore à un stade de production à grande échelle, mais ce domaine est en pleine expansion, car le rendement par hectare des algues semble largement supérieur à celui des différentes biomasses terrestres (plus de 13x celui du soya). Ce processus est aussi intéressant, car les algues sont facilement cultivables en milieu aqueux, saumâtre, ou en eaux usées. Néanmoins, plusieurs obstacles technologiques seront à franchir avant une réelle rentabilité, car les coûts de récolte et de production sont encore très importants.

Conclusion 

30Il est maintenant évident que le marché des biocarburants a eu des impacts tangibles sur la crise alimentaire de 2008 et plusieurs remettent en question les cibles adoptées par différents pays pour les années à venir. C’est ainsi que les objectifs européens d’utilisation de biocarburants sur le territoire ont été révisés à la baisse en 2008.

31Sur le plan économique, la relation entre la production agricole destinée à des fins énergétiques et l’augmentation des coûts des denrées alimentaires est relativement claire. Notons que l’envolée des prix des produits agricoles et du pétrole en 2008 aura ajouté 75 millions de personnes souffrant de malnutrition dans le monde. Paradoxalement, la seule production américaine de bioéthanol en 2008 aurait pu fournir près de 80 kg de maïs à chaque individu sous-alimenté sur la planète (Brown, 2008 ; Dubuis, 2009). La diminution des stocks céréaliers en dépit d’une augmentation de la production par personne soulève à juste titre plusieurs débats touchant notamment la pertinence de soustraire les aliments des spéculations boursières.

32Sur le plan social, la production croissante de biocarburants pourrait être corrélée à une augmentation des tensions sociopolitiques dans certains pays, notamment par le phénomène des « terres spoliées ». De plus, un questionnement éthique doit être soulevé quant à la pertinence de dédier une production agricole à des fins énergétiques plutôt qu’à des fins nutritionnelles.

33Finalement, sur le plan environnemental, la production de biocarburants présente des impacts significatifs tant sur la contamination des sols que sur la qualité et la quantité d’eau disponible à des fins de consommation personnelle. L’utilisation massive d’engrais et de pesticides et les énormes besoins  en eau pour la production de biocarburants sont des considérations majeures à cet effet.

34Les biocarburants de deuxième et de troisième générations semblent constituer des solutions prometteuses en raison d’un meilleur rendement énergétique et d’une diminution générale des pollutions terrestres et atmosphériques. Toutefois, il serait indispensable, sinon crucial, d’évaluer de façon exhaustive les impacts de ces nouvelles technologies avant leur exploitation massive.

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List of illustrations

Title Figure 1. Nombre et pourcentage d’individus sous-alimentés dans le monde.
Credits Source : adaptée de Dubuis 2009
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/10734/img-1.png
File image/png, 47k
Title Figure 2. Production de nourriture par habitant
Credits Source : adaptée de FAO, 2006
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/10734/img-2.png
File image/png, 12k
Title Figure 3. Objectifs de production de biocarburants pour l’Union Européenne et les États-Unis.
Credits Source : adaptée de Martinot et Sawin, 2009.
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/10734/img-3.png
File image/png, 10k
Title Figure 4. Index des prix de la nourriture et du pétrole brut de 2000 à 2008.
Credits Source : adaptée de Nelleman et al., 2009
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/10734/img-4.png
File image/png, 66k
Title Figure 5. Index des prix des céréales et aide alimentaire
Credits Source : adaptée de FAO, 2008
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/10734/img-5.png
File image/png, 49k
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References

Electronic reference

Erwan Cheneval, Ariane Adam-Poupart and Joseph Zayed, « La crise alimentaire, le développement durable et les biocarburants : perspectives d’avenir », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 11 Numéro 1 | mai 2011, Online since 09 May 2011, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/10734 ; DOI : 10.4000/vertigo.10734

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About the authors

Erwan Cheneval

Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal,
Montréal, Québec, H3C 3J7.

Ariane Adam-Poupart

Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal,
Montréal, Québec, H3C 3J7.

Joseph Zayed

Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal,
Montréal, Québec, H3C 3J7. Courriel: joseph.zayed@umontreal.ca

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