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La végétation des Petites Antilles : principaux traits floristiques et effets plausibles du changement climatique

Philippe Joseph

Abstracts

According to all spatial scales, the uneven topography of the Lesser Antilles leads to a great lot of biotops. So, from species to landscapes, through phytocenoses and ecosystems, numerous types of floristic organisation occur. Despite an important anthropization, this archipelago belongs to one of the Hotspots of the planetary biodiversity: the Caribbean. In the Long-Term, climatic change will have consequences on the spatial distribution and on the function of species and vegetal associations.

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Full text

  • 1 Territoires fortement anthropisés où la biodiversité relictuelle est encore élevée : ce sont les po (...)
  • 2 UICN : Union Internationale pour la Conservation de la Nature.

1Au 17e siècle, la colonisation européenne des Petites Antilles entraîna rapidement la régression des sylves. L’économie qui se développa, encore appelée système des habitations ou de plantations était liée aux cultures spéculatives et correspondait à une agriculture extensive. À la moitié du 18e siècle et au 19e siècle, toutes les terres cultivables furent occupées par des plantations de canne à sucre et plus marginalement par des jardins destinés à la production de vivres. Corrélativement, les manteaux sylvestres climaciques anté-coloniaux avaient fortement régressé à cause de la fragmentation des habitats, ce qui conduisit à leur insularisation écologique. Aujourd’hui, la végétation est constituée principalement de communautés arbustives, herbacées ou mixtes (herbacées/arbustives) et présylvatiques. Cependant, grâce à la diversité floristique, à l’architecture, à la structure et au fonctionnement des biocénoses, cet archipel est une composante importante d’un Hotspot1 de la biodiversité planétaire : celui des Terres qui enserrent le bassin Caraïbe (UICN2-ONERC, 2008 ; Gargominy, 2003 ; Myers et al., 2000 ; Hobohm, 2003).

2Les aléas naturels, d’occurrence variable, ont toujours été des éléments structurants tant pour les environnements physiques et biologiques que pour les sociétés. Des premiers défrichements à nos jours, les aménagements et les infrastructures socioéconomiques, quelque peu anarchiques et sectoriels, ainsi que la croissance démographique n’ont fait qu’accentuer les effets des phénomènes naturels. Ces îles sont devenues des terres à risques telluriques, climatiques et écologiques.

  • 3 L’élévation du niveau de la mer devra se situer autour de 20 centimètres à la fin du 21e siècle (UI (...)

3Dans la littérature scientifique, peu d’articles traitent des conséquences plausibles ou attendues, à moyen et à long terme, du changement climatique sur les écosystèmes insulaires (Loope et Giambelluca, 1998 ; Mueller-Dombois et Daehler, 2005 ; Fordham et Brook, 2010). Il n’est fait mention, le plus souvent, que de la fragilité des littoraux au regard de l’élévation du niveau3 de la mer. Pourtant, la position géographique des Petites Antilles, leurs reliefs, leurs climats font que leurs écosystèmes subiront les effets du réchauffement planétaire. Notamment dans les îles montagneuses où les gradients pluviométriques altitudinaux constituent le principal facteur bioclimatique.

4Les variations d’humidité atmosphérique futures et donc de précipitations devraient logiquement influencer la chorologie des espèces (leur distribution), leurs modes d’association ainsi que la densité de leurs populations. À la lumière des connaissances floristiques actuelles et au regard des données du GIEC, les développements qui suivent ont pour principal objectif : premièrement de présenter de façon synthétique les caractéristiques générales de la végétation des Petites Antilles et deuxièmement de proposer un scénario hypothétique des réponses écosystémiques face au changement climatique.

5Les Petites Antilles appartiennent aux arcs ancien (éocène, fin de l’oligocène) et récent (depuis le Miocène) issus d'une subduction intra-océanique (Biju-Duval et al., 1984). La mise en place des édifices géologiques est liée à des phénomènes géodynamiques propres à chaque île. Il en résulte une diversité topographique notable qui participe à la grande hétérogénéité des biotopes. Le climat général, quasi identique en tout point de l'espace caraïbe, est modifié de façon spécifique par les différents reliefs insulaires. Au sein de chaque « système-île », les variations spatiales des principaux facteurs sont spécifiques : pluviosité, température, évapotranspiration, nébulosité, insolation, humidité, vent. Toutes les composantes de cet archipel peuvent être assimilées à des tissus de contraintes factorielles singuliers subséquents à l’interaction des facteurs, au sein desquels la pluviosité est un paramètre prédominant (Joseph, 1997). Les îles montagneuses induisent un gradient pluviométrique altitudinal qui définit des bioclimats. À l’étagement bioclimatique correspond des étages végétaux dont les écotones (interfaces écosystémiques) varient en fonction des versants. En effet du littoral à environ 800 – 900 mètres d’altitude, selon les îles et les façades, les variations de précipitations conditionnent des types de végétation allant du sec à l’humide.

  • 4 Les cycles phénologiques correspondent aux cycles biologiques des espèces et des phytocénoses.

6Au cours du 21e siècle, il est fort plausible que le changement climatique global devienne un paramètre important dans la redéfinition des frontières de la biosphère et des dynamiques écosystémiques (Buckley et Jetz, 2007 ; Maley, 1973). Les modifications des caractéristiques physico-chimiques de l’atmosphère consécutives au réchauffement actuel auront des conséquences sur la distribution des températures et des pressions. La dynamique climatique risque d’être bouleversée à l’échelle mondiale comme à l’échelle régionale (Pachauri et Reisinger, 2007). À l’instar de l’océan, des glaciers polaires et des glaciers continentaux, les effets sur la végétation sont difficilement prévisibles (Smith et al., 2009 ; Kharin et al., 2007). Toutefois, des études montrent que les limites biogéographiques de certaines espèces voire de certains écosystèmes ont sensiblement varié au cours du dernier siècle ainsi que les processus liés à la morphogenèse et aux cycles phénologiques4 (Parmesan et Yohe, 2003). S’agissant des Petites Antilles, aucune étude ne fait référence aux conséquences contemporaines et futures du changement climatique sur la végétation. Les impacts de ce dernier doit, où devra, se surajouter à ceux permanents des activités humaines.

  • 5 Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, IPCC en anglais.
  • 6 La synécologie est un domaine de l’écologie qui étudie les biocénoses tandis que l’autoécologie tra (...)

7À la lumière des données relatives à l’influence des bioclimats sur la végétation (Joseph, 1997 ; Fiard, 1994) et des conclusions du GIEC5: nous proposons premièrement une synthèse des principales caractéristiques floristiques de ces systèmes insulaires et deuxièmement, par inférence, nous présenterons les modifications écosystémiques, biocénotiques et spécifiques plausibles induites par un changement climatique durable. Les éléments floristiques considérés sont la structure et l’architecture des peuplements, la répartition spatiale des espèces (leur chorologie) ainsi que leurs dynamiques à la fois synécologiques et autoécologiques6. Nous ne discutons pas ici de la véracité des méthodologies et des résultats du GIEC qui dans la zone Caraïbe et Amérique tropicale prévoient à court, à moyen et à long terme, une réduction des précipitations, et ceci au regard des scénarios de modélisation. Pour plus de détails concernant ces derniers, nous renvoyons les lecteurs aux références bibliographiques (UICN-ONERC, 2008 ; Pachauri et Reisinger, 2007). Cette prédiction est une hypothèse de travail que nous avons essayé de confronter aux modalités structurales et dynamiques de la végétation des Petites Antilles.

8La Caraïbe est l’une des composantes de l'empire floral néotropical et certaines de ses entités géographiques constitutives, telle que les Grandes et les Petites Antilles présentent de fortes similitudes taxonomiques notamment au niveau des familles. Dans les Petites Antilles, l’endémisme des arbres croit avec l’altitude. En effet, les sylves sempervirentes saisonnières, ombrophiles submontagnardes et ombrophiles ont respectivement un taux d’endémisme arboré de 9%, 34% et 64% (Rollet, 2010). Logiquement l’assèchement continu rendrait encore plus vulnérables les forêts pluviales. D’une manière générale, la végétation des Petites Antilles peut être assimilée à un ensemble de formations végétales déterminées par des conditions écoclimatiques et spécifiées par des cortèges floristiques. Les îles volcaniques montagneuses accueillent tous les couverts végétaux observables dans l’archipel et cela quels que puissent être leur stade d'évolution et leur extension spatiale. À grande échelle, il y a une certaine correspondance entre les limites spatiales des bioclimats et celles des principaux types sylvatiques potentiels. Les données sur la végétation et sur les pratiques humaines de l'époque précolombienne qui ont été prégnantes pendant 4000 ans permettent d'affirmer que les couverts végétaux étaient purement forestiers et d'une complexité élevée (Joseph, 1997 ; Fiard, 1994). Il est fort plausible qu'à cette période préhistorique, malgré la présence des Amérindiens, les formations sylvestres étaient parvenues, en majorité, au terme de leur évolution : au stade climacique ou encore elles avaient atteint leurs apogées structuraux (Joseph, 1997 ; Fiard, 1994). Ces îles furent un centre de spéciation notable d’où la présence de nombreuses espèces végétales (figure 1). La Martinique est l’île la plus éloignée des foyers de dispersion (Grandes Antilles et Amérique tropicale) et se singularise par un endémisme plus accentué.

9Figure 1. Quelques éléments de la diversité floristique des Petites Antilles

Figure 1. Quelques éléments de la diversité floristique des Petites Antilles

10Schématiquement, les étages végétaux inférieur, moyen et supérieur des îles montagneuses se situent respectivement entre 0 à 250 m, 250 à 500 m, 500 à 1300 m et plus. Ils sont influencés par les bioclimats sec, moyennement humide et hyperhumide dont les pluviométries moyennes annuelles sont 1500 mm, 1500-2500 mm, 2500-4000 mm et 4000 mm et au-delà (figures 2 et 3). On trouve respectivement selon l’altitude croissante : 1) la forêt sempervirente saisonnière tropicale d'horizon inférieur et de faciès xérique (forêt xérophile), la forêt sempervirente saisonnière tropicale type (forêt mésophile), 2) la forêt ombrophile sub-montagnarde tropicale (forêt hygrophile) et 3) la forêt ombrophile montagnarde tropicale (forêt hygrophile de montagne). À ces types forestiers originels sont associées des collections d'espèces végétales qui ne sont pas nécessairement identiques d'une île à l'autre. L'ensemble forme le fonds d'espèces floristiques des Petites Antilles ou potentiel floristique global (figure 4). S'adjoignent aux types forestiers précédents ceux qui sont dus à la présence de zones de transition ou frontières écosystémiques entre les étages inférieur et moyen ou encore entre les étages moyen et supérieur. Dans cette catégorie on trouve (Fiard, 1994 ; Joseph, 1998 et 1997):

  • la forêt ombro-sempervirente saisonnière tropicale (forêt hygro-mésophile) se développant à l'interface ou à l'intersection des forêts ombrophile montagnarde et sempervirente saisonnière,

  • la forme intermédiaire ombro-ombrophile submontagnarde se situant dans l'étage supérieur entre les sylves ombrophile montagnarde et ombrophile submontagnarde colonise une mince frange altitudinale (données personnelles non publiées).

11En dépit de leur analogie physionomique et fonctionnelle, les groupements forestiers potentiels des différentes îles ne peuvent théoriquement pas être identiques. En effet à l'intérieur d'un même étage végétal, l'hétérogénéité des biotopes conduit à des prépondérances floristiques très variables.

Figure 2. Potentialité écosystémique et bioclimats (Petites Antilles montagneuses)

Figure 2. Potentialité écosystémique et bioclimats (Petites Antilles montagneuses)

Figure 3. Exemple d’étagement végétal

Figure 3. Exemple d’étagement végétal

Figure 4. Les différents aspects du potentiel floristique

Figure 4. Les différents aspects du potentiel floristique

12Les diverses entités physionomiques observables aujourd'hui au sein des étages végétaux moyen et inférieur ne sont que des formes de régression ou de secondarisation des sylves originelles (Joseph et al., 2003). Leur degré d'organisation est variable et dépend de l'histoire anthropique de chaque site. En réalité, les activités humaines pluricentenaires ont mis en place et pérennisé essentiellement une végétation secondaire : forêts sèches et tropophiles (présentant des variations physionomiques saisonnières), forêts claires, formations préforestières, formations graminéennes arborées, formations graminéennes arbustives, formations arbustives, formations graminéennes et fruticées, etc. (Joseph, 1997, et 1998 et 2006a ; figure 5).

Figure 5. La végétation du présent : une mosaïque de profils écologiques

Figure 5. La végétation du présent : une mosaïque de profils écologiques

13À cette végétation anthropique s'ajoute la flore des cultures (plantes « anthropophytes »). L'ensemble produit un canevas paysager très hétérogène où s'imbriquent des communautés floristiques artificialisées appartenant à des phases temporelles différentes. Hormis certains secteurs de l’étage végétal supérieur abritant quelques biocénoses ombrophiles matures ou primaires, les Petites Antilles d’aujourd’hui sont donc des mosaïques d'écosystèmes artificialisés (figure 6). La biodiversité originelle et celle qui est entretenue par l'homme érigent ces minuscules contrées en laboratoire in situ où les processus fonctionnels peuvent être plus facilement approchés ou décryptés notamment les différentes phases de la dynamique végétale (Shugart, 2003 ; Williamson, 1997). Nous avons décrypté environ dix stades successionnels auxquels sont associés des séquences intermédiaires (Joseph, 1997 ; figure 7).

14Figure 6. Ensemble paysagers du présent (l’exemple de la Martinique)

Figure 6. Ensemble paysagers du présent (l’exemple de la Martinique)

Figure 7. Le Gradient Dynamique

Figure 7. Le Gradient Dynamique

15Les diagnostics climatiques disponibles via les rapports du GIEC (2007) ne permettent pas de quantifier précisément les changements climatiques dans les Antilles (Alexander, 2006 ; Aguilar et al., 2005). Néanmoins l’analyse des mesures de température effectuées de 1954 à 2004 dans les Antilles françaises indique un réchauffement caractérisé par une augmentation décennale de 0,5°C à partir de 1979 (Météo France, communication non publiée, colloque changement climatique Martinique 2005). Selon 21 modèles mondiaux de simulation du GIEC (IPCC, 2007), les variations moyennes de la température, des précipitations et du niveau de la mer prévues d’ici la fin du siècle pour la Caraïbe, sont distinctement : 2°C [+1,8 à 2,4], 12% [-19% à -3%] et 0,35 mètre [+0,23 à +0,47]. S’agissant des phénomènes extrêmes tels que les cyclones, il est fort plausible que les vents et les précipitations soient de plus forte intensité. Dans cet archipel, la pluviosité est le principal facteur qui conditionne l’étagement de la végétation. En conséquence, la baisse de pluviométrie annuelle prévue pour le bassin Caraïbe d’ici 2100 pourrait se traduire par un assèchement des biotopes. En effet, l’étage inférieur influencé par le bioclimat sec conditionnant le développement de la sylve sempervirente saisonnière tropicale d’horizon inférieur et de faciès xérique deviendra de plus en plus xérique. Les étages moyen et supérieur délimités par les bioclimats moyennement humide et humide accuseront progressivement une baisse de leur ressource en eau précipitée et de leur humidité. De la modification de la structure des gradients pluviométriques, il en résultera de nouvelles limites altitudinales des étages végétaux (figure 8).

  • 7 Ces paramètres sont aujourd’hui imprévisibles.

16Au regard de certaines simulations du GIEC, cette tendance pourrait se maintenir sur le long terme avec comme conséquence, une durée de la saison sèche supérieure à celle de la saison humide. Dans un tel cas, ces îles passeront progressivement, d’un régime tropical humide à un régime tropical sec. Ce phénomène sera surexprimé par l’importance de la saison sèche, les variations climatiques interannuelles et les modalités de l’anthropisation7.

  • 8 Ceci se réalisera selon des extensions spatiales variées.

17La connaissance des principaux traits structuraux et fonctionnels de la végétation des Petites, mentionnés ci-dessus, permet de déduire qu’un assèchement continu de cette zone géographique entraînera une sorte de translation ou un glissement des bioclimats dans le sens des altitudes élevées8. À très long terme, seuls les bioclimats sec et moyennent humide persisteront, car au niveau du tiers supérieur des ces moyennes montagnes les précipitations seront insuffisantes pour engendrer les bioclimats humide et hyper-humide (figure 8). De façon consubstantielle, les conditions écologiques primordiales pour le développement des types sylvatiques potentiels vont subir les mêmes redistributions spatiales dues à une modification de la chorologie des espèces végétales (leur distribution spatiale).

Figure 8. Translation altitudinale des bioclimats (Petites Antilles montagneuses)

Figure 8. Translation altitudinale des bioclimats (Petites Antilles montagneuses)

18Les types sylvatiques ombrophiles montagnards et ombrophiles sub-montagnards (forêts hygrophiles) risquent à longue échéance de disparaître ou d’occuper des surfaces marginales au profit d’une extension altitudinale très importante du type sempervirent saisonnier d’horizon inférieur (forêt xérophile). Dans cette perspective, la sylve sempervirente saisonnière type (forêt mésophile) serait réduite à une étroite bande au sommet des montagnes (figure 9). En réalité, il est fort plausible qu’il y ait une « insularisation » de la flore ombrophile et mésophile parallèlement à une potentialisation des espèces de la flore xérophile des stades dynamiques secondaires puisque les milieux actuels de l’étage inférieur sont régressifs. D’une manière générale, on pourrait s’attendre à une dominance démographique et donc écologique des xérophytes et auxiliairement des mésophytes qui sont distinctivement typiques des bioclimats moyennement humide et sec. Ce processus s’il devient effectif, correspondrait à une adaptation (biocénotique et écosystémique) à la possible récession pluviométrique de cette partie du monde. Cette capacité d’adaptation des végétations des Petites Antilles est en rapport avec leurs processus d’autoorganisation qui définissent leurs degrés de résilience. Les modifications de la distribution spatiale et des rapports de dominance démographique des taxa auront des conséquences sur les processus évolutifs relatifs à la dynamique floristique (Patrick et al., 2007). En effet, à chaque bioclimat est associé à un fonds d’espèces floristiques que nous avons appelé, plus haut, potentiel floristique. Celui-ci se subdivise en sous-potentiels floristiques correspondant aux taxons des différents stades de la succession végétale. À l’intérieur d’un bioclimat, pour un même stade dynamique, les faciès topographiques (crête, versant plus ou moins déclive, vallée ou vallon) et les caractéristiques édaphiques (types de sol) conditionnent une multitude de cortèges d’espèces végétales. S’ajoutent à ces éléments, les inversions de végétation dues à des corrections topographiques ou écosystémiques (Joseph, 2003). Dans les fonds de vallées confinées des secteurs soumis au bioclimat sec, les sols sont plus profonds grâce aux colluvions provenant des versants adjacents. La ressource en eau plus importance, permet l’installation et le développement, souvent en faible densité, de populations d’espèces typiques du bioclimat humide voire dans certains cas hyperhumide. À l’inverse, dans ces derniers (bioclimats humide et hyperhumide), les crêtes ou les arêtes exposées au vent accueillent des taxa affines des milieux plus secs. L’affinité des espèces et des phytocénoses aux bioclimats, aux stades dynamiques et aux variations de la topographie ainsi que les inversions de végétations concourent à la grande richesse floristique des Petites Antilles et leur confèrent une plasticité notable relativement aux changements environnementaux.

Figure 9. Évolution plausible des potentialités écosystémiques des (Petites Antilles montagneuses)

Figure 9. Évolution plausible des potentialités écosystémiques des (Petites Antilles montagneuses)
  • 9 Les fluctuations autogéniques sont liées aux mécanismes d’autoorganisation des bio-systèmes.
  • 10 Ce sont les perturbations externes à l’écosystème.

19D’autres phénomènes pourraient également s’amplifier : ceux relatifs aux taxa introduits pouvant devenir envahissants et aux phénomènes extrêmes tels que les ouragans destructeurs (Turton et Siegenthaler, 2004 ; Imbert, 2002 ; Pedersen et al., 1996 ; Bythell et al., 1996). En effet, le changement climatique en modifiant la structure de certains facteurs écoclimatiques tels la température, la pluviométrie et le taux d’humidité, pourrait surexprimer les effets de l’anthropisation vis-à-vis des espèces introduites. La diminution (anthropique et naturelle) de l’efficacité des certains verrous écologiques tant biotiques qu’abiotiques entraînera une plus grande efficience écologique des espèces allochtones pouvant devenir invasives ou envahissantes (Loope et Mueller-Dombois, 1989 ; figure 10). Quelques données militent dans ce sens. Souvent après des ouragans violents ayant transformé la structure et l’architecture des formations végétales des systèmes insulaires tropicaux, certaines espèces naturalisées développent des populations de forte densité. Elles deviennent écologiquement dominantes et ont tendance à modifier les caractéristiques du biotope pour accroître le succès écologique de leurs régénérations (Joseph, 2006b ; Thomas et al., 2004). En toute logique, les perturbations seront tant autogéniques9 qu’allogéniques10. L’argumentaire développé plus haut découle essentiellement de l’hypothèse de départ et montre que les effets plausibles des variations des facteurs climatiques en cours sur les couverts végétaux des Petites Antilles, notamment les précipitations, constituent un axe primordial de recherche. D’une manière générale, les biodiversités de cet archipel sont sujettes à érosion anthropique. En conséquence, les impacts du réchauffement auront tendance à accélérer la disparition d’habitats et donc de taxons des biotopes hygrophiles voire mésophiles. Que ce soit par la submersion des littoraux, les phénomènes extrêmes tels les ouragans ou l’accroissement démographique des espèces introduites, ces mondes végétaux insulaires seront profondément perturbés. Pour leur assurer une forte résilience synonyme de plasticité écosystémique, il semble nécessaire de conserver au sein des aires protégées toutes les formes d’organisations végétales de l’espèce au paysage.

Figure 10. Évolution physionomique, biocénotique et écosystémique plausible

Figure 10. Évolution physionomique, biocénotique et écosystémique plausible

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  • 11 Unité Mixte de Recherche –ESPACE DEVELOPPEMENT (IRD-UAG-UR-M2).

20Avec une assez bonne connaissance structurale et fonctionnelle des formations végétales des Petites Antilles et sous l’éclairage des conclusions du GIEC, nous avons proposé une vision hypothétique qui ne s’érige point en vérité irréfutable. Beaucoup de zones d’ombres existent. Notamment celles relatives aux incertitudes des modèles et des simulations des instances scientifiques internationales traitant des diverses facettes de cette problématique. Compte tenu de l’exiguïté de ces territoires, les mesures, analyses et interprétations à l’échelle globale ne permettent pas d’éclairer nos questionnements. Hormis l’élévation de la température mentionnée plus haut, dans les Petites Antilles, les tendances des autres paramètres du changement climatique, notamment les précipitations, se déclinent des modèles à l’échelle planétaire. Le projet de recherche en cours de faisabilité « Évolution de la biodiversité des écosystèmes « cyclonés » et changement climatique », sous l’égide de l’Université Antilles-Guyane et de l’UMR ESPACE DEV11., permettra d’engendrer des données pertinentes à l’échelle locale. Le but est de suivre à l’intérieur de placettes permanentes, les successions floristiques et faunistiques, les dynamiques « interfaciales » entre biocénoses, écosystèmes et paysages ainsi que l’évolution des facteurs climatiques stationnels. Il sera en conséquence possible de corréler, à la dimension des Petites Antilles, les dynamiques de l’anthropisation, de la biodiversité et du changement climatique. Les données engendrées devront impérativement être en conformité avec les modèles régionaux existants ou en constitution.

21Aux collègues Henri Gusto et Jean Pierre Fiard pour la lecture des diverses versions de ce texte ainsi qu’aux trois relecteurs de [VertigO], pour leurs analyses, remarques et suggestions. Ce travail a été soutenu par l’Université des Antilles et de la Guyane.

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Notes

1 Territoires fortement anthropisés où la biodiversité relictuelle est encore élevée : ce sont les points chauds de la diversité biologique planétaire.

2 UICN : Union Internationale pour la Conservation de la Nature.

3 L’élévation du niveau de la mer devra se situer autour de 20 centimètres à la fin du 21e siècle (UICN-ONERC, 2008).

4 Les cycles phénologiques correspondent aux cycles biologiques des espèces et des phytocénoses.

5 Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, IPCC en anglais.

6 La synécologie est un domaine de l’écologie qui étudie les biocénoses tandis que l’autoécologie traite des problématiques liées à l’espèce.

7 Ces paramètres sont aujourd’hui imprévisibles.

8 Ceci se réalisera selon des extensions spatiales variées.

9 Les fluctuations autogéniques sont liées aux mécanismes d’autoorganisation des bio-systèmes.

10 Ce sont les perturbations externes à l’écosystème.

11 Unité Mixte de Recherche –ESPACE DEVELOPPEMENT (IRD-UAG-UR-M2).

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List of illustrations

Title Figure 1. Quelques éléments de la diversité floristique des Petites Antilles
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Title Figure 2. Potentialité écosystémique et bioclimats (Petites Antilles montagneuses)
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Title Figure 3. Exemple d’étagement végétal
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Title Figure 4. Les différents aspects du potentiel floristique
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Title Figure 5. La végétation du présent : une mosaïque de profils écologiques
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Title Figure 6. Ensemble paysagers du présent (l’exemple de la Martinique)
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Title Figure 7. Le Gradient Dynamique
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Title Figure 8. Translation altitudinale des bioclimats (Petites Antilles montagneuses)
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Title Figure 9. Évolution plausible des potentialités écosystémiques des (Petites Antilles montagneuses)
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Title Figure 10. Évolution physionomique, biocénotique et écosystémique plausible
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URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/10886/img-11.jpg
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References

Electronic reference

Philippe Joseph, « La végétation des Petites Antilles : principaux traits floristiques et effets plausibles du changement climatique  Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 11 Numéro 1 | mai 2011, Online since 22 June 2011, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/10886 ; DOI : 10.4000/vertigo.10886

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About the author

Philippe Joseph

Professeur des Universités de Biogéographie, Université des Antilles et de la Guyane, laboratoire UMR ESPACE DEV, Campus de Schoelcher Cedex - BP 7207 courriel : Joseph.phil@wanadoo.fr

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