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Des objets changeants : paradigmes et postures des scientifiques

Des fleuves et des estuaires : Pour qui ? Pour quoi ? L'émergence de l'interdisciplinarité dans l'étude des hydrosystèmes

Christian Lévêque

Abstract

Longtemps considérés comme des objets naturels exploités par l’homme pour y mener ses activités économiques, les fleuves et estuaires européens ont été fortement modifiés pour répondre à ces fonctions. Ce sont des "anthroposystèmes", des systèmes hybrides et interactifs entre des écosystèmes et des sociosystèmes. Les populations urbaines de plus en plus nombreuses y voient maintenant des lieux de récréation et de détente qu’il faut aménager en conséquence. Leur gestion, et donc les mesures à prendre pour les faire évoluer dans le futur, ne peut donc pas se résumer à une seule démarche technique. Elle doit prendre en compte également ce rôle de régulation sociale que jouent les plans d’eau en tant que lieu d’accueil et de détente pour une population urbaine de plus en plus nombreuse. Les aspects patrimoniaux, paysagers, ludiques, prennent ainsi une place de plus en plus importante dans une vision prospective de ces milieux. Cette réflexion nécessite de mettre en place une démarche multidisciplinaire basée sur une organisation des recherches à l’échelle régionale. C’est le principe des zones ateliers de recherche en environnement.

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Full text

1L’environnement est un domaine de recherche scientifique encore jeune qui cherche à stabiliser ses paradigmes. On s’y pose régulièrement la question : qu'est-ce que la nature ? Poser cette question à un Gaulois aurait certainement était incongru. Car c’est progressivement que nos sociétés occidentales ont construit cette réflexion sur l’existence de la nature... avec ou sans l’homme, pour reprendre une rengaine habituelle. Quoi qu'il en soit, les rapports de l’homme à la nature sont fort anciens, notamment en ce qui concerne les systèmes aquatiques continentaux. Ces derniers ont été utilisés aussi bien pour la pêche que pour l’alimentation en eau, l’agriculture, ou l’élevage dans les plaines limoneuses. Ils ont pendant longtemps servi pour le transport, et les rivières furent de grandes pourvoyeuses d’énergie au Moyen Âge. L’importance stratégique des cours d’eau n’avait pas échappé aux responsables politiques puisque les rois, et leurs successeurs ont reconnu la propriété de l’État sur les cours d’eau domaniaux, c'est-à-dire les fleuves et rivières susceptibles de servir au transport des bois et des marchandises. Et les seigneurs tiraient une partie de leurs revenus de la banalité, c'est-à-dire du monopole obligeant la population de leur fief de moudre le grain dans leur moulin, contre redevance bien entendu. Bref, le développement économique de nos sociétés a pu se faire en grande partie grâce à ces objets naturels que sont les cours d’eau. Les aménagements ont fortement modifié la morphologie des rivières, et donc leur fonctionnement. Ces aménagements se sont accumulés au cours des siècles, et nombre de ces réalisations sont encore bien présentes aujourd’hui. Avec ce que cela comporte comme conséquences éventuelles.

2Mais les cours d’eau sont également nécessaires à notre équilibre mental et social. Vers le 19e siècle, on a vu se développer une vision romantique des cours d’eau, ainsi que nombre d’activités artistiques et ludiques sur et au bord de l’eau. Les loisirs ont investi les espaces aquatiques, avec les résidences, les lieux de détente (les guinguettes…), les manifestations (la grande parade par exemple), etc. On aime s’y baigner et rêver devant l’eau qui coule et les paysages qui défilent. Certains aménagements, à l’image de ces nombreux moulins hydrauliques qui parsemaient les linéaires, sont maintenant devenus des objets patrimoniaux que l’on essaie de restaurer et de valoriser. Et les chemins de halage ont retrouvé un emploi : la promenade dominicale et le jogging.

3Les foules qui affluent sur les rives lors des périodes de vacances témoignent de cette attirance et nous incitent à réfléchir sur la nécessité de prendre en compte le rôle de régulation sociale joué par les cours d’eau. Or l’étude et l’aménagement des cours d’eau dans notre société moderne ont surtout été le fait des ingénieurs soucieux de gérer la ressource physique en eau y compris dans ses excès et ses pénuries. On a endigué les fleuves, créé des barrages, rectifié les cours, construit des ponts, etc.… Les Corps des Eaux et forêts et des Ponts et chaussées ont développé une extraordinaire activité dans ce domaine.

4Les géographes ont probablement été parmi les premiers scientifiques à s’être intéressés aux cours d’eaux en tant qu’objet physique, éléments de paysages qu’ils ont contribué à façonner. Les écologistes y sont venus tardivement, car les lacs étaient plus simples à étudier que les rivières… Quant aux sociologues, ils sont encore peu nombreux, et depuis peu, à s’intéresser aux rapports qu’entretient le citoyen à ces objets dits naturels. Pourtant, à une époque où les mots à la mode font florès (développement durable, biodiversité, restauration, etc.) la représentation sociale des cours d’eau devrait être une des composantes fortes des politiques d’aménagements et de reconquête.

5Dans ce papier, nous retracerons brièvement l’histoire récente de la genèse de la notion de système appliquée aux cours d’eaux, et de la construction de la pluridisciplinarité et de la multidisciplinarité dans les recherches afférentes à ces systèmes écologiques anthropisés.

L’émergence du concept d’écosystème

6Avant la Seconde Guerre mondiale, l’écologie se développe dans les pays anglo-saxons autour du concept d’écosystème, et des flux de matière et d’énergie au sein de l’écosystème. Ce dernier est d’abord formulé par Tansley (1935) comme une abstraction, un concept écologique holistique, pour désigner des systèmes interactifs entre les organismes vivants et leur environnement physique, chimique et biologique. Tansley insiste sur le fait que les écosystèmes sont des créations mentales qui nous donnent la possibilité de les isoler du reste de l’univers. Ils sont pourtant constitués à partir d’éléments bien concrets. C’est pourquoi, par la suite, on assimilera l’écosystème à des objets, tels que le lac qui symbolise l’écosystème par excellence, car on peut identifier des frontières physiques avec les autres systèmes écologiques environnants (Lévêque 2001). Worster (1977) rappelle par ailleurs que l’écosystème de Stanley se prête admirablement aux conceptions agronomiques et industrielles de la nature, assimilée à un entrepôt de matières premières exploitables. On parle de stocks (biomasse), de flux, de production, de productivité, etc.… C’est un concept mécaniste issu des sciences physiques. C’est ainsi que naitra l’approche tropho dynamique des écosystèmes de Lindeman (1942) qui utilise comme principe unificateur la quantification des échanges d’énergie entre tous les éléments biotiques en interaction. Ce paradigme sera à l’origine d’un des plus grands programmes d’écologie dans les années 1960 : le Programme biologique international (PBI).

7Pour en finir avec un débat ésotérique sur la place de l’homme dans l’écosystème, rappelons que Tansley considérait que l’homme fait partie des écosystèmes et que les activités humaines sont un facteur important de leur dynamique dont l’analyse relève de la science écologique. Si les écologistes ont, par la suite, recherché des situations peu anthropisées pour réaliser leurs travaux, ce n’est pas par position philosophique ; c’est parce que dans leur quête d’une recherche de l’ordre de la nature et de la mise en évidence les lois de fonctionnement des systèmes écologiques, les scientifiques recherchaient les situations les plus simples possible afin de décrypter ces phénomènes complexes. Il fallait d’abord que l’écologie se constitue en tant que science de la nature. Ce n’était pas de l’ignorance, c’était tout simplement de la prudence. Il paraissait vain à l’époque de s’intéresser aux écosystèmes perturbés sans avoir un minimum de connaissances sur le fonctionnement des écosystèmes non perturbés.

Le temps des disciplines

8Après la Seconde Guerre mondiale, environnement rime toujours avec « milieu naturel ». On ne parle pas encore de multidisciplinarité, car c’est le temps des disciplines scientifiques. Les sciences de la nature, notamment l’écologie, s’approprient ce domaine de recherches qui demeure essentiellement cognitif.

9Même si le terme écosystème évoque la notion de « système », on privilégie toujours la démarche réductionniste en écologie. En France d’ailleurs, on parle peu d’écologie. Nous avons d’éminents botanistes ou zoologistes, mais la science écologique nous est en grande partie étrangère, car nous sommes encore très influencés par la phytosociologie dont le paradigme principal est la recherche des modes de distribution et d’abondance des espèces dans le temps et dans l’espace, ainsi que les interactions entre espèces vues sous l’angle de la compétition. Cet héritage historique va peser très longtemps sur la recherche écologique française qui sera surtout animée par des biologistes des populations, héritiers de botanistes et des zoologistes, alors que l’écologie des écosystèmes, celle qui est maintenant essentielle à la compréhension du fonctionnement des systèmes écologiques, est longtemps restée marginale.

  • 1  Silent Spring, Houghton Mifflin, 1962, Mariner Books, 378 pages, ISBN 0-618-24906-0

10Dans les années 1960 se développe la sensibilité environnementale, avec la prise de conscience que les activités humaines ont un impact sur l’environnement. L’ouvrage de Rachel Carlson, « le printemps silencieux » (1962)1, qui dénonce les conséquences de l’utilisation des pesticides (notamment le DDT qui devient le pesticide emblématique), est souvent considéré comme un des actes fondateurs de la pensée environnementale. Dans les années 1970, les sciences de la nature s’orientent alors vers les études d’impact, partant du principe que toute cause a un effet. On privilégie l’étude des conséquences de nos activités industrielles sur l’environnement. C’est une démarche de type clinique : les écosystèmes sont malades de l’homme : il faut donc diagnostiquer la maladie pour y porter remède. C’est durant cette période que se développe l’écotoxicologie.

11Le paradigme dominant à l’époque en écologie est la notion d’équilibre des écosystèmes. L’étude d’impact vise essentiellement à évaluer l’écart à la norme. Les recherches restent sectorielles, et les Sciences humaines et sociales (SHS) sont très peu présentes. Pourtant la conférence de Stockholm en 1972 met sur les rails le concept d’écodéveloppement, précurseur du développement durable. Et la définition de l’environnement évolue : c’est désormais de l’environnement de l’homme dont il est question. Il faudra néanmoins un peu de temps pour que cette conception s’impose, les sciences de la nature continuant à considérer que l’environnement c’est l’ensemble des éléments naturels qui nous entourent. Ainsi, les Sciences de l’Univers (SDU), se réclame toujours de l’environnement puisqu’elles travaillent sur les éléments naturels : air, eau, sols, etc.

12Si les disciplines scientifiques restent bien cloisonnées, les cloisons sont tout aussi étanches entre les scientifiques et les gestionnaires. Par exemple, l’étude scientifique des systèmes aquatiques portait essentiellement sur la structure physico-chimique et sur le plancton des lacs. Quant aux poissons ils n’apparaissaient pas, ou peu, dans les études académiques. L’ichtyologie considérée comme relevant de la gestion était le domaine réservé d’institutions spécialisées telles que le Conseil supérieur de la pêche (CSP), l’ISTPM, etc. Les scientifiques avaient des objectifs purement cognitifs. Les gestionnaires (un mot valise qui recouvre des compétences très différentes) avaient le plus souvent une culture d’ingénieurs. On gérait pour le développement technique et économique de la nation, pour le bien du peuple. Au passage, le bien du peuple se confondait parfois avec celui des ingénieurs qui touchaient des primes sur les travaux d’aménagement. Bref, les gestionnaires étaient dans l’action et ne se mêlaient pas trop aux scientifiques.

Le PBI et l’approche « productiviste » des écosystèmes

13Au milieu des années 1960, le Programme biologique international (PBI) qui se met en place sous l’initiative de l’ICSU (Comité international des Unions Scientifiques) mobilise une grande partie des écologistes. L’objectif est toujours cognitif : rechercher des lois générales de fonctionnement des écosystèmes en matière de production biologique. Mais on commence à développer une approche systémique, même si les activités restent essentiellement sectorielles : la production primaire, la production secondaire, les cycles de nutriments, etc. En réalité, en l’absence d’une théorie unifiée des écosystèmes, on essaie alors d’appliquer la théorie des systèmes pour développer des modèles permettant d’organiser la connaissance (Golley, 1993). On est toujours dans une nature sans l’homme, et on privilégie les lacs comme objets d’étude, car les systèmes fluviaux sont trop complexes.

14Les recherches menées dans le cadre du PBI furent fortement orientées sur la production biologique, comme processus nécessaire au bien-être de l’humanité. Remarquons au passage que les notions de bien et de service mises en exergue par le « Millenium Ecosystem Assessment » ne sont pas de nature très différente…

15Le PBI fut un immense succès en matière de participation des scientifiques à un programme international. Pourtant internet n’existait pas encore à l’époque ! Mais en réalité l’objectif fixé ne fut pas atteint : la modélisation des écosystèmes encore balbutiante fut un échec, et la mise en évidence de lois générales de fonctionnement des écosystèmes se limita à quelques principes généraux.

16La suite logique du PBI qui se termina au début des années 1970 aurait dû être le programme MAB (Man and Biosphere) lancé en 1971 par l’UNESCO, mais effectif en 1974. L’homme entre alors en scène ! En réalité, le MAB vise d’abord à établir les bases scientifiques pour la gestion des ressources naturelles. Nous sommes encore loin du concept de socioécosystèmes. Cependant, le MAB n’arriva jamais au même niveau de mobilisation des scientifiques que le PBI, et demeura assez marginal.

Les premières tentatives de multidisciplinarité et le concept d’hydrosystème

17Il faut attendre la fin des années 1970 pour que le CNRS mette en place les programmes interdisciplinaires de recherches (les PIR). C’était tout à fait innovant à l’époque. Le PIREN, Programme interdisciplinaire de recherches sur l’environnement, va promouvoir une série de programmes sur les grands fleuves : PIREN Rhône, PIREN Alsace, PIREN Garonne, puis PIREN Seine fin 1980. On reste toujours dans un pilotage par les sciences écologiques, ou par les sciences physiques, mais quelques chercheurs en sciences sociales commencent à s’investir dans ces recherches.

18On doit au PIREN Rhône, dans le milieu des années 1980, l’émergence du concept d’hydrosystème. Le cours d’eau n’est pas un simple canal d’écoulement des eaux. Il fonctionne aussi avec les nappes souterraines qui l’alimentent en période d’étiage, et avec sa plaine alluviale qui est indispensable au cycle biologique de nombreuses espèces en période de crue. On commence à réfléchir en termes de système interactif avec, en plus, une dimension temporelle : le système évolue dans le temps. C’est pourquoi on a pu parler des quatre dimensions de l’hydrosystème. On doit souligner que ce concept, désormais banal, mais tout à fait nouveau pour l‘époque, a servi de base à la loi sur l’eau de 1992, et plus généralement à celles qui suivirent. Faut-il rappeler également que le concept d’hydrosystème est le produit d’une interaction entre des scientifiques issus de trois disciplines majeures dans le domaine : un géographe, un écologue et un hydrogéologue. En fournissant un cadre spatial d’organisation de l’habitat, le géographe a permis à l’écologue de comprendre l’organisation et la structuration des peuplements aquatiques. Et l’hydrogéologue a tout à la fois formalisé le rôle des nappes alluviales dans la dynamique des fleuves et introduit la notion de variabilité temporelle et interannuelle dans le fonctionnement du système.

Vers une approche intégrée des systèmes aquatiques : le GIP Hydrosystèmes

19L’idée selon laquelle l’environnement est une coproduction des milieux naturels et des sociétés humaines fait peu à peu son chemin. Le rapport Bruntland en 1987 formalise le concept de développement durable, prémices de la conférence de Rio de Janeiro sur le développement durable en 1992. On voit monter en puissance la participation des économistes à cette réflexion. Car le développement est une affaire sérieuse, qui touche aux modes de développement et à l’économie internationale. Pas question de laisser le champ libre aux écologistes souvent politisés. On voit également poindre des juristes, car la biodiversité devient un enjeu économique, notamment avec la prise de brevets sur le vivant. Les écologistes en partie marginalisés dans cette nouvelle problématique vont trouver avec la biodiversité un relais médiatique, dramatisant l’action de l’homme pour justifier la poursuite de leurs recherches. Quant aux SDU, le trou dans la couche d’ozone, puis le changement climatique, vont devenir des domaines de recherche hypertrophiés dans lesquels les conséquences potentielles pour la société ne sont souvent qu’un prétexte au développement de recherches elles aussi disciplinaires. Bref, l’environnement interpelle de plus en plus de disciplines, mais chacune essaie d’assurer sa promotion, pour avoir accès aux financements et aux médias.

20Les grandes agitations au niveau international ont bien entendu des ondes de choc aux échelles plus locales. Mais les questions que l’on se pose à ces échelles sont souvent d’une autre nature, beaucoup plus proches de la vie quotidienne des citoyens. Comment gérer localement les ressources en eau ? Quelles sont les conséquences de l’agriculture sur la qualité de l’eau et la biodiversité ? Quelles sont les conséquences des pollutions urbaines et industrielles sur la santé ? L’eau, les sols, les villes, les pollutions, etc., sont des objets autour desquels se développent des réseaux et des programmes de recherches. Les programmes du PIREN sur les fleuves, le milieu rural et sur les pollutions en témoignent. L’INRA avec le Département SAD (Sciences pour l’Action et le Développement) créé en 1979 s’interroge sur les techniques, les pratiques et les représentations des agriculteurs. Il développe dans les années 1990 des programmes intégrés sur la conduite des systèmes de culture et d'élevage, le travail agricole, la formalisation des savoirs professionnels et les processus d'innovation.

21Par ailleurs, on commence à s’interroger sur le poids de l’histoire, sur les conflits d’usages, sur les relations santé et environnement. Cette dernière thématique, il faut le souligner, fut longtemps dédaignée par l’INSERM (pas assez sérieux ?) et émergea dans les années 1990 dans les activités du Programme environnement du CNRS, pour être récupérée par la suite par le Ministère de l’Environnement.

22À la demande de René Curien, alors ministre de la Recherche, des Groupements d’intérêt public (GIP) de recherche sont mis en place au début des années 1990. Le « GIP Hydrosystèmes », enfant des PIREN fleuves, voit le jour en 1994. Conçu d’emblée comme un programme Interorganismes et multidisciplinaire, il associe les sciences de la nature et les sciences sociales. Plusieurs Instituts de recherche s’y associèrent : CEMAGREF, CNRS, IFREMER, INRA, IRD. Ainsi, le GIP Hydrosystèmes a permis un rapprochement entre scientifiques et gestionnaires sur la thématique des indicateurs biotiques portée en collaboration avec les Agences de l’eau et le soutien du Ministère de l’Écologie, qui anticipe la Directive-cadre sur l’eau. Il a permis l’émergence de programmes multidisciplinaires en écologie tels que le programme habitats-poissons associant hydrologues, géomorphologues et biologistes (BFPP, 1995). Il s’est préoccupé, avant que le thème ne devienne à la mode, des introductions d’espèces en milieu aquatique (BFPP, 1997). Il a aussi été le lieu d’incubation de la notion de zones ateliers qui sera développée par la suite. Le GIP Hydrosystèmes mis en oeuvre des programmes de sciences sociales relatifs aux hydrosystèmes, notamment en économie (Point, 1999) et sur les représentations de l’eau et des milieux aquatiques (Aspe et Point, 1999).

23Sa durée de vie sera limitée malgré des succès certains. En effet, les organismes scientifiques co-fondateurs n’étaient pas préparés en réalité à partager une partie de leurs prérogatives en matière de programmation scientifique. Un phénomène récurrent dans le domaine de la gestion de la recherche sur l’environnement en France, balkanisée entre diverses structures de recherche beaucoup plus soucieuses de préserver le champ de leur influence que de dynamique scientifique nationale. Comme ce sera le cas par la suite pour le Programme Environnement du CNRS, les sciences de l’univers au CNRS, et les sciences du sol à l’INRA, n’auront de cesse de critiquer le GIP Hydrosystèmes pour s’en tenir à l’écart et conserver leur indépendance en matière de programmation. Ils finiront par obtenir sa disparition.

Vers les zones ateliers de recherche

24Fin des années 1990, on se rend de plus en plus compte de la nécessité de mobiliser de nombreuses disciplines et de disposer de bases de données diversifiées pour aborder les problèmes aux échelles régionales et locales. Car pour étudier tous ces objets environnementaux, il fallait sortir du carcan disciplinaire et développer des recherches de nature systémique.

25Système, le mot est lâché…Actions, rétroactions, interactions… on aborde la complexité des relations entre les éléments d’un système et on s’interroge sur les moyens de les formaliser et des les gérer. On s’inscrit dans des dynamiques temporelles, avec le développement de recherches rétrospectives qui font appel à l’histoire des milieux naturels, et à celle des sociétés. Et on commence à se poser des questions sur l’avenir. La prospective monte elle aussi en puissance au cours des années 2000 qui ont vu se développer les recherches sur les anthroposystèmes à l’échelle régionale (Mermet, 2005). Beaucoup de ces recherches se sont organisées autour de l’eau dans le cadre des zones ateliers. On y développe bien entendu des recherches cognitives. Mais il n’est plus mal venu, comme ce fut souvent le cas dans le passé, d’afficher que ces activités se développent en liaison avec les utilisateurs des résultats de la recherche (les "stakeholders"), en vue de répondre à des questions concrètes de gestion de notre environnement. Cette recherche-action n’est plus seulement de nature technique comme les gestionnaires s’en sont rendu compte. Le citoyen a de plus en plus son mot à dire, et il le manifeste parfois avec véhémence. On sollicite de plus en plus les sciences de la société, pour savoir comment communiquer avec le public, cerner ses attentes, éviter les conflits en anticipant le degré d’acceptation de certaines mesures. En bref, les SHS, des géographes aux sociologues, des historiens aux économistes, investissent maintenant le champ de l’environnement régional, peut-être encore trop timidement pour certains.

26Fin des années 1990, c’est le PEVS (Programme environnement, vie et sociétés) du CNRS, héritier du PIREN, mais aussi porteur des réflexions menées dans le cadre du GIP Hydrosystèmes, qui reprendra et formalisera la notion de zone atelier, et développera le concept d’anthroposystème, système hybride et interactif entre deux ensembles : sociosystèmes et écosystèmes, qui s’inscrit dans une échelle temporelle : passé, présent, futur… Les zones ateliers (Lévêque et Van der Leuuw, 2003) sont des plateformes de recherches centrées sur des ensembles régionaux ayant une certaine unité fonctionnelle. L’objectif est de rassembler les compétences scientifiques multidisciplinaires et les moyens techniques nécessaires aux études à long terme, en associant, dès le départ, les gestionnaires et utilisateurs des résultats de la recherche. Il s’agit de privilégier l’étude des anthroposystèmes dans un cadre régional, et de favoriser la mise en œuvre des recherches autour des thématiques scientifiques identifiées. Avec ces zones ateliers, on souhaite promouvoir la pérennisation des équipes multidisciplinaires, le développement des instruments d’observation et de mesure aux différentes échelles en privilégiant la dimension régionale, gérer l’information sur le long terme (mémoire environnementale). Le GIP Seine-Aval qui n’était pas dans la mouvance des zones ateliers à l’origine est néanmoins une excellente illustration de cette démarche.

27Le PEVS va également tenter de promouvoir la prospective (Lévêque et Van der Leuuw, 2000). La perspective du réchauffement climatique, et le fait que les aménagements de fleuves se poursuivent amènent en effet à réfléchir sur les objectifs en matière de gestion, et de restauration de ces milieux. C’est la quatrième dimension de l’hydrosystème, la dimension temporelle, qui nécessite une réflexion multidisciplinaire pour dégager différents scénarios de trajectoire dans le futur. Par ailleurs, le PEVS va promouvoir plusieurs programmes de sciences sociales notamment sur les milieux aquatiques et l’histoire des interactions milieux/sociétés (Bravard et Magny, 2002 ; Muxart et al., 2003).

28Las, les appétits disciplinaires et les rivalités entre départements scientifiques reprennent une fois de plus le dessus. Loin d’une réflexion sereine sur la programmation multidisciplinaire, le CNRS-INSU s’engage une nouvelle fois dans une tentative d’annexion du champ de l’environnement au niveau national, en proposant la mise en place de l’INSU-Environnement qui ne verra jamais le jour, car aucun organisme de recherche ne souhaitera bien entendu se séparer de ce champ de recherche en pleine expansion. Le PEVS est le dernier des programmes interdisciplinaires à disparaitre en 2003. Le champ de l’environnement au CNRS entre alors dans une période de turbulence, alors qu’il s’organise dans d’autres instituts de recherche comme l’INRA et le CEMAGREF. De nouveau, nous sommes confrontés à la concurrence entre Départements scientifiques du CNRS, et aux visions hégémoniques des sciences de l’Univers, alors que les SHS restent étrangement muets dans ces luttes de pouvoirs (Muxart, 2004).

29On ne manquera pas de rappeler que, sur le modèle des zones ateliers, l’INSU-CNRS a voulu imposer au début des années 2000, les ORE (Observatoires de recherches sur l’environnement). À l’origine il s’agissait de concentrer des moyens d’étude dans des espaces réduits (types BVRE) pour y étudier en priorité les processus biophysiques. A priori, il ne devait pas avoir de concurrence entre ces deux types de structures. Au contraire, une certaine complémentarité semblait évidente. Mais des responsables de l’INSU ont très vite décrié les zones ateliers (et le PEVS qui en avait fait son projet phare) en mettant en cause la qualité des recherches. En non-dit : on donnait trop de place aux SHS et l’argent dépensé serait mieux utilisé par un retour aux « vraies » sciences. Exit le PEVS trop compromis dans cette aventure multidisciplinaire… Quant au Département des Sciences de la Vie, autre tutelle du PEVS, il cherchait avant tout à conserver la main sur la biodiversité, et à récupérer l’héritage du PEVS dans ce domaine.

30Il y avait peut-être aussi un non-dit vis-à-vis des zones ateliers : c’était une entreprise de régionalisation de la recherche, politiquement peu correcte dans des organismes centralisés où le jacobinisme est de mise. Une fois encore les enjeux de pouvoir ont primé sur la dynamique scientifique.

31Point positif : le dispositif des Zones ateliers, bien que ne bénéficiant pas de tous les appuis nécessaires de la part du CNRS, va se maintenir, prouvant ainsi l’intérêt scientifique et structurant de ce type de démarche et l’adhésion des scientifiques à ce dispositif. Le rapprochement qui s’était effectué à la fin des années 1990 avec les LTER américains (Long Term Ecological Research) avait d’ailleurs montré combien la recherche française était en avance en matière de recherches multidisciplinaires. Cette coopération internationale ne sera pas poursuivie bien entendu par le CNRS.

Réflexions sur la question de la multidisciplinarité

32La multidisciplinarité est à la mode et des colloques, un peu nombrilistes, sont consacrés à la manière de pratiquer l’interdisciplinarité. Mais peut-on, en réalité, envisager de codifier la recherche multidisciplinaire ? Rien n’est moins sûr… Il faut avoir, dans ce domaine, une démarche assez pragmatique.

33Tout d’abord, la multidisciplinarité ne signifie pas obligatoirement une interaction entre sciences sociales et sciences de la nature. Il peut y avoir au sein des sciences de l’homme et de la société, ou au sein des sciences de la nature, des recherches associant différentes disciplines. Par exemple, des biologistes travaillent sur les fleuves et les estuaires avec des hydrologues et des géomorphologues. Ou des sociologues s’associent avec des démographes et des historiens. Mais il est vrai que lorsque les problématiques de recherche touchent aux relations entre les hommes et leur environnement, l’interaction entre sciences de l’homme et sciences de la nature s’impose d’elle-même. Car les questions émergentes interpellent l’ensemble de ces domaines de recherche. De fait, l’interdisciplinarité n’est pas une fin en soi, c’est une manière de répondre à des questions que nous nous posons ou qui interpellent la société. Et pour cela il est nécessaire, faut-il le rappeler, que la question posée se prête à une démarche multidisciplinaire.

34On peut dire également que la multidisciplinarité ne se décrète pas. Mais il est possible néanmoins de créer les conditions propices à la collaboration entre disciplines. On oublie peut-être un peu trop souvent que la multidisciplinarité c’est d’abord une aventure humaine et intellectuelle réservée aux esprits curieux. Il faut laisser place aux initiatives dans ce domaine, et avoir la latitude de les encourager. Une démarche qui va à l’encontre de la vision pour le moins jacobine et normative de la recherche, avec sa programmation et ses échéances administratives. La multidisciplinarité nécessite de la souplesse et de l’adaptation. Vouloir la codifier, c’est vouloir l’asphyxier.

Organiser la multidisciplinarité

35Selon le type de question abordée, la recherche multidisciplinaire peut prendre divers aspects. La forme la plus classique est celle de programmes que l’on construit sur des bases multidisciplinaires. C’était la démarche privilégiée au début par les Programmes interdisciplinaires de recherche du CNRS. C’est celle qui est la plus fréquente dans les appels d’offres de recherche, limités à quelques années de financement.

36Pourtant les questions relatives à l’environnement nécessitent une autre organisation de la recherche que celle des appels d’offres à durée limitée. Ces recherches nécessitent de prendre en compte le long terme dans la mesure où les questions qui sont traitées s’inscrivent dans la durée, avec une histoire, un présent, et un futur… La pratique des appels d’offres ne permet pas une telle démarche.

37Pour répondre à cette question de la balkanisation des recherches dans le domaine de l’environnement, le PEVS avait suscité la mise en place de zones ateliers. Il s’agissait de favoriser l’émergence de groupes interactifs de scientifiques de différentes origines, et la mise en place d’outils de gestion et de partage des connaissances. Car c’est en partageant des terrains communs et des questions communes que l’on construit la multidisciplinarité. Pour paraphraser les canons de la tragédie classique, on peut affirmer que la multidisciplinarité peut se pratiquer si l’on respecte trois critères : unité de lieu, unité d’action, unité de temps…

38De fait, la structuration de la recherche au sein des zones ateliers permet de pratiquer la multidisciplinarité à un autre niveau d’intégration que celui des seuls programmes de recherches. Il est possible, en l’occurrence, d’orienter les recherches d’un ensemble de disciplines scientifiques, de manière à pouvoir recueillir les diverses informations de nature disciplinaire, nécessaires pour répondre aux questions que se pose la société. Dans ce contexte, des recherches de nature disciplinaires peuvent s’inscrire dans une démarche multidisciplinaire, à condition qu’il y ait des lieux de discussion et de synthèse des informations. Des outils tels que les SIG, ou des travaux de prospective peuvent constituer par exemple des cadres d’échanges et de réflexion entre disciplines.

39Cette question de l’organisation de la recherche multidisciplinaire en environnement rejoint celle de l’écologie des écosystèmes. Pour mobiliser des équipes sur le long terme, il faut une organisation apte à animer différents programmes de recherche, à gérer les informations et à les valoriser. Il faut une volonté politique de mettre en place et de financer sur le long terme des équipements, du fonctionnement, du recueil d’information. C’est ainsi que sont organisées les recherches sur le climat, sur l’astronomie, sur la géophysique… On ne peut sérieusement parler d’environnement sans mettre en place les outils nécessaires à ces recherches. Mais nos Instituts de Recherche ont été incapables de s’organiser dans ce domaine.

Le GIP Seine-Aval

  • 2  http://seine-aval.crihan.fr (...)

40Le GIP-Seine Aval2 est une structure originale dans le paysage scientifique français. Il a été créé et financé par des administrations, des collectivités locales et les Grands Ports Maritimes du Havre et de Rouen.

41Il a, de fait, une structure de zone atelier, avec des équipes scientifiques de différentes origines participant à des programmes financés par appels d’offres. Mais il possède également une équipe d’animation, à l’interface entre la recherche et les utilisateurs des résultats de la recherche, qui assure la mise en forme des résultats scientifiques, la cohérence entre programmes, et la synthèse de l’ensemble des informations.

42Le GIP pose deux questions fondamentales qui vont structurer les recherches et les études : comment va l’estuaire ? Quel estuaire voulons-nous ? Des questions suffisamment larges pour que l’ensemble des disciplines puisse s’y retrouver, à l’intérieur desquelles on va, bien entendu, décliner des programmes plus précis.

43La question « Comment va l’estuaire ? » implique une connaissance de l’évolution des paramètres physico-chimiques et biologiques de l’anthroposystème, et soulève la question de ce qu’est le bon état écologique (sensu la directive-cadre sur l’eau). Pour y répondre, il faut assurer un suivi en continu des différents paramètres (rôle d’observatoire), mais aussi interpeller la notion de bon état qui ne peut se réduire à une simple logique d’indicateurs biologiques. Le bon état, tout comme l’approche paysagère de l’estuaire, fait appel à des questions de représentation, tant de la part des scientifiques que des gestionnaires et des citoyens.

44L’autre question, « Quel estuaire voulons-nous ? » s’appuie sur les principes de gouvernance, et de trajectoire temporelle des anthroposystèmes. Que voulons-nous faire de ces milieux ? Quels scénarios d’évolution peut-on proposer aux gestionnaires et aux collectivités locales ? Peut-on restaurer l’estuaire et pourquoi ? Autant de questions qui mêlent étroitement les approches écologiques et politiques, les approches sectorielles et systémiques.

Regard rétrospectif

45Les représentations de l’environnement ont beaucoup évolué en quelques décennies et ont fortement pesé sur la nature des programmes de recherche (figure 1). Mais certaines logiques en matière de dynamique scientifique ont dû en permanence composer avec des logiques institutionnelles et des enjeux de pouvoirs. L’histoire des recherches sur les hydrosystèmes en France traduit cette tension permanente entre le désir d’hégémonie de certaines disciplines ou institutions, au détriment de l’ouverture multidisciplinaire indispensable à une approche systémique. C’est l’intégration des SHS qui en réalité pose le plus de problèmes. D’une part, les sciences dites dures ont toujours regardé avec condescendance ces sciences qui ne partageaient pas les mêmes formalismes qu’elles. Mais inversement, au CNRS tout au moins, les SHS n’ont peut-être pas considéré que le champ de l’environnement était un domaine suffisamment important pour s’y investir massivement. Il a été accaparé très tôt par les géographes, un peu comme les écologues l’avaient fait dans les sciences de la vie. Mais dans les politiques scientifiques d’autres disciplines appartenant aux SHS, il était considéré comme mineur. Ainsi, des centaines d’économistes travaillaient sur l’économie internationale, alors qu’une petite poignée seulement s’intéressait à l’environnement. Il ne m’appartient pas d’aller plus loin dans cette analyse qui devrait être faite par des scientifiques de ce champ de recherche. Ce qui est néanmoins évident, c’est qu’il n’y a pas eu suffisamment de leaders qui se sont dégagés pour promouvoir l’environnement comme champ de recherche dans les SHS.

Figure 1. Schéma représentant l’évolution des idées en matière de recherches sur l’environnement en France, dans la seconde moitié du 20e siècle.

Figure 1. Schéma représentant l’évolution des idées en matière de recherches sur l’environnement en France, dans la seconde moitié du 20e siècle.

46Un dernier point mériterait discussion : une ligne de fracture se dessine de plus en plus entre l’objet de recherche des scientifiques et la réalité du monde. Certes les paradigmes de l’écologie évoluent : de celui de l’équilibre de la nature qui fut un principe fondateur de l’écologie à ses origines, nous sommes passés à la reconnaissance de systèmes dynamiques et évolutifs dans le temps. Mais nous sous-estimons toujours le rôle du hasard (Lévêque et al., 2010). Or les systèmes naturels ne sont pas de nature déterministe, de même que les systèmes sociaux. En conséquence, l’écologie prend conscience que la quête d’un ordre de la nature qui fut longtemps son credo devient un objectif de plus en plus difficile à atteindre. On pourrait d’ailleurs s’interroger de la même manière sur les paradigmes propres à d’autres disciplines telles que l’hydrologie et l’économie. En d’autres termes, la compréhension des mécanismes complexes du fonctionnement des anthroposystèmes demeure-t-elle un objectif raisonnable ?

47Le point critique en réalité, c’est que la science dominante est par essence cartésienne alors que le monde dans lequel nous vivons n’obéit pas à des logiques implacables. Avons-nous réellement les moyens de réaliser ce rêve des scientifiques : anticiper, et donc piloter la co-évolution dynamique entre les éléments naturels et les sociétés ? Qui plus est, avons-nous la capacité d’intégrer dans ces réflexions les principaux « drivers » de cette dynamique. Certes le réchauffement climatique nous excite, mais on voit aussi la difficulté d’en prévoir les conséquences régionales. Quant aux paramètres sociaux, qui n’a pas compris que l’environnement est nécessairement un sous-produit de logiques économiques internationales pour lesquelles le profit à court terme est l’objectif principal ? Et que les lobbies financiers nous imposent leurs lois ? Comment prendre en compte cet état de fait ? Nous sommes un peu dans la situation de naviguer sur un navire endommagé sur lequel on essaie de combler les voies d’eau au fur et à mesure qu’elles se déclarent, sans la possibilité de réviser sérieusement le navire lui-même.

Conclusion

48Les cours d’eau sont des objets fascinants pour les approches multidisciplinaires. Ils sont chargés d’histoire : l’histoire du fleuve lui-même qui a creusé et organisé sa vallée ; l’histoire de son utilisation par l’homme se traduisant par de nombreux aménagements qui ont modifié plus ou moins durablement le milieu originel. Cette histoire s’inscrit dans un futur, et c’est ici que les scientifiques sont attendus pour proposer des trajectoires répondant aux vœux de différents groupes sociaux. Or, depuis quelques décennies, le fleuve n’est plus seulement un gisement de ressources exploitables comme le pensaient les ingénieurs d’autrefois. Il acquiert une personnalité, un statut. La Directive-cadre sur l’eau fixe des objectifs de « bon état », notion équivoque par excellence, mais qui signifie quand même qu’on ne veut plus en faire des poubelles, des tuyaux d’évacuation des eaux usées et des déchets. On prend conscience que les populations urbaines de plus en plus en plus nombreuses ont des besoins d’évasion, et que les berges des fleuves et des rivières deviennent des lieux d’élection. À condition qu’elles soient fréquentables… du point de vue de la sécurité et du paysage. On va y développer comme au début du siècle dernier des lieux ludiques. L‘enjeu est de taille, tant sur le plan de la « santé » sociale, mais aussi en matière d’aménagement des territoires et de la création d’emplois. Que dire de plus ! Les sciences sociales ont là un terrain de jeu tout tracé. Mais ce jeu il ne faut pas le jouer en solitaire ni par une approche sectorielle comme c’est souvent la tradition en matière de recherche. Il faut pouvoir le mener réellement, de façon interdisciplinaire. Si les écologistes ont souvent interpellé les sciences sociales, parfois maladroitement, il revient aussi aux sciences sociales d’interpeller les autres champs disciplinaires. Ce n’est pas encore une démarche très habituelle.

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Bibliography

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Notes

1  Silent Spring, Houghton Mifflin, 1962, Mariner Books, 378 pages, ISBN 0-618-24906-0

2  http://seine-aval.crihan.fr

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List of illustrations

Title Figure 1. Schéma représentant l’évolution des idées en matière de recherches sur l’environnement en France, dans la seconde moitié du 20e siècle.
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/11389/img-1.png
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References

Electronic reference

Christian Lévêque, « Des fleuves et des estuaires : Pour qui ? Pour quoi ? L'émergence de l'interdisciplinarité dans l'étude des hydrosystèmes Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Hors-série 10 | Décembre 2011, Online since 30 November 2011, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/11389 ; DOI : 10.4000/vertigo.11389

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Christian Lévêque

Directeur de recherche émérite, Institut de recherche pour le développement, 1 rue de Marnes, 92410 Ville-d'Avray, France, Courriel : christianleveque2@orange.fr

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