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Des objets changeants : paradigmes et postures des scientifiques

Perception sectorielle face À la nécessité d’une vision globale et partagée de l’estuaire de la Seine

Sector-based Management Towards the Need of Shared Global Ecosystem Management of the Seine Estuary
Jean-Claude Dauvin

Abstracts

The estuary of the Seine is a continuum between its upstream part (the watershed and its input in the hydrological system) and the downstream part (the Seine Bay and the eastern part of the English Channel). However, according to, their sensitivities, scientists, administrators or policy makers consider various limits of this interface constituted of diversified natural heritage environments but strongly made man modified. The degradation of the Seine estuary began in the middle of 19th with the decreasing of the water quality, the contamination of the ecosystem and the reduction of the intertidal surfaces by the silting of industrial and harbour surfaces. Nevertheless, since the 1980’s, several indicators show the improvement of the estuary quality but other contaminants remains important, i.e. PCB, PAH, and endocrine biomarkers … In spite of all these natural and anthropogenic constraints, the Seine estuary shows remaining high specific and habitat diversities. After a phase of increasing of the knowledge on the structure and the functioning of the Seine ecosystem (Phases 1 - 3 of the Seine-Aval programme), the ambition of the programme is to restore the estuarine functionalities. But the nowadays harbour projects continue to maintain the existing ecological compartments of the Seine estuary and are still studied independently. It is necessary to support the promotion of a Global Management Plan of the Seine Estuary, and to surpass the sector-based vision to a global vision. Moreover, the ecologists can share this ecosystem-based management, i.e. a global holistic spatio-temporal approach.

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Introduction

1L’estuaire la Seine tel qu’on le connait aujourd’hui se met en place à la fin de l’ère tertiaire, sur un substratum rocheux datant du secondaire. Les rives concaves sont dominées par des falaises de craie, alors que les rives convexes, couvertes d’alluvions, descendent en pente douce vers le fleuve et accueillent des marais et des zones humides (Dauvin, 2006). Remontant au-delà de Poses, en amont de Rouen, avant la construction du barrage infranchissable pour la marée au milieu du 19ème siècle, l’estuaire s’étend sur une longueur de plus de 160 km, de son embouchure à Poses (Figure 1). Le lit majeur, témoin de la divagation du fleuve au gré des périodes glaciaires et interglaciaires des derniers millions d’années, s’étend sur plusieurs dizaines de kilomètres dans sa partie la plus large. Cependant, ces limites géographiques ne correspondent pas, la plupart du temps, aux limites considérées par les aménageurs, gestionnaires et décideurs, qui prennent en compte « leurs territoires » couvrant, soit partiellement l’estuaire, soit présentant des limites plus étendues. À côté de ces visions sectorielles (géographiques, administratives ou foncières), on assiste, depuis plus d’une décennie, à la prise de conscience de la nécessité de considérer une vision partagée du territoire estuarien et de promouvoir une approche globale de sa gestion. Outre le fait d’être un territoire convoité, aux multiples usages, l’estuaire de la Seine se caractérise par de nombreux paradoxes, témoins des ambigüités entre le développement économique et la préservation du patrimoine naturel, en absence de plan d’aménagement global. Il en résulte qu’aujourd’hui, l’estuaire dans son continuum eau douce/eau salée est un territoire compartimenté, fruit de son aménagement progressif, où la biodiversité résiste toutefois, non seulement en nombre d’espèces y vivant, mais aussi dans les fonctions qu’elles assurent.

2L’anthropisation de l’estuaire de la Seine a commencé très tôt, dès le milieu du 19ème siècle et se poursuit encore aujourd’hui (Guézennec et al., 1999 ; Dauvin, 2006). L’estuaire connaît une fragilisation des écosystèmes liée aux usages anthropiques et se traduisant par le morcellement extrême des unités biologiques et la réduction drastique des zones intertidales avales (perte de plus de 100 km2 entre 1850 et aujourd’hui). Parallèlement à cet aménagement, les conditions physico-chimiques du milieu estuarien se sont dégradées inexorablement pendant plus d’un siècle, aboutissant à un milieu fortement contaminé à la fin des années 1980. En effet, les niveaux de contamination en métaux comme le Cadmium et le Mercure, en Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (HAP) et en Polychlorobiphényles (PCBs) sont parmi les plus élevés monde (Abarnou et al., 2000). Il existe également un très fort déficit en oxygène en aval des agglomérations parisiennes et rouennaises, ce qu’explique la déficience du traitement des eaux usées. Dans la partie aval, le dysfonctionnement biologique s’est traduit par un écroulement des pêcheries, notamment celle de la crevette grise, alors que pour la partie fluviale, les pêches professionnelles ont cessé dans les années 1970, parallèlement à la quasi-disparition des poissons migrateurs. Aujourd’hui, malgré une amélioration significative de la qualité des eaux, ce sont les dangers et risques chimiques et microbiologiques (présence de produits pharmaceutiques et de bactéries résistantes aux antibiotiques dans les eaux) qui sont préoccupants pour la fonctionnalité à long terme de l’estuaire (Dauvin, 2002a).

3Président du Conseil Scientifique du Programme Seine-Aval de 2004 à 2006, élu en remplacement d’Axel Romana qui a été à l’initiative de la création de ce programme en 1995, et appelé à des responsabilités à la direction de l’Ifremer, j’ai œuvré à la fois pour un rapprochement interdisciplinaire et à la prise en compte de l’estuaire dans sa globalité et son intégrité environnementale. J’ai également souhaité une ouverture nationale et européenne du programme scientifique Seine-Aval. Cette ouverture s’est notamment traduite par l’édition d’un bulletin spécial Seine-Aval « Estuaires Nord-Atlantiques : problèmes et perspectives » (Dauvin, 2006), puis dans le Projet national Liteau III BEEST, « Vers une approche multicritère du Bon Etat/potentiel écologique des grands ESTuaires atlantiques Seine, Loire, et Gironde », associant des scientifiques sur les trois grands estuaires français de la façade Atlantique-Manche. Dans cet article est exprimé, non seulement le point de vue d’un écologue sur la nécessité d’une réelle approche globale partagée pour préserver durablement les richesses naturelles de cet espace estuarien, mais aussi celui d’un ancien responsable du Conseil Scientifique Seine-Aval.

Les perceptions du territoire estuarien convoité par de nombreux acteurs et usages

4Siège de nombreuses activités industrielles, portuaires et urbaines et riche d’un patrimoine naturel et paysager exceptionnel, l’estuaire de la Seine est un espace de conflits, cristallisant de multiples intérêts. Une multitude d’acteurs est intéressée par ce territoire : État, régions Basse et Haute Normandie, départements du Calvados, de l’Eure et de la Seine-Maritime, CELRL, grands ports Maritimes du Havre et de Rouen, communes et communautés d’agglomérations comme celles du Havre et de Rouen (pour développer leur capacité touristique et urbaine), associations écologistes, agriculteurs, industriels, chasseurs et pêcheurs. Les différents usagers sont dans une situation de concurrence, chacun tentant, grâce à une réglementation particulière, de s’approprier le territoire estuarien (Dauvin et Lozachmeur, 2008). On peut se demander s’il existe, au sein de l’ensemble de ces acteurs, une perception unique de ce territoire estuarien ?

5Trois zones sont distinguées par les scientifiques et les géographes (Figure 1) : estuaire amont ou estuaire fluvial, jusqu’à la limite de pénétration de la marée ; estuaire moyen (zone de variation de la salinité) et estuaire aval ou estuaire marin (de Honfleur à la partie orientale de la baie de Seine limitée, au nord par le parallèle du Cap d’Antifer et à l’ouest par le méridien de l’Orne). Latéralement, il inclut le lit majeur du fleuve, notamment les berges et les zones humides connexes et à l’aval, la frange littorale et la zone maritime proche. C’est l’emprise géographique sur laquelle porte le programme Seine-Aval depuis son origine. Néanmoins, les biologistes, outre les zones amont d’eau douce et aval d’eau marine, considèrent que le facteur salinité (S) est important dans la zone de mélange de l’estuaire moyen. Ils distinguent trois zones dans cette partie : zone oligohaline (S 0,5 à 5), mésohaline (S 5 à 18) et polyhaline (S 18 à 30). Une succession d’espèces adaptées à ces différentes gammes de salinité, mais aussi à sa variation, permet de distinguer ces trois zones. L’estuaire biologique, selon le critère de la salinité, s’étend donc de l’embouchure de la Seine jusqu’à Caudebec en Caux (limite de la marée saline).

Figure 1. Les principales zones de l’estuaire de Seine

Figure 1. Les principales zones de l’estuaire de Seine

 D’après Guézennec et al., 1999.

6L’estuaire juridique est conventionnellement compris entre la Limite Transversale de la Mer (LTM : limite séparant le Domaine Public Maritime (DPM) du Domaine Public Fluvial (DPF)) fixée au Cap Hode et la Limite de Salure des Eaux ((LES ; limite entre la pêche maritime et la pêche fluviale). L’emprise juridique de l’estuaire a été étendue, par la Loi Littoral du 3 janvier 1986, aux communes littorales estuariennes situées en aval de la LTM. La délimitation juridique de l’estuaire de la Seine n’a plus de sens aujourd’hui, la LTM et la LSE ayant été fixées par des décrets datant de 1869 pour la LTM et de 1925 pour la LSE. Ces limites administratives sont désuètes et ne correspondent plus à la réalité de l’estuaire. Ceci est particulièrement vrai pour la LSE, dont la localisation a changé suite aux grands travaux d’aménagement. L’endiguement de l’estuaire de la Seine a renforcé les effets naturels de la sédimentation entraînant une diminution de l’intrusion saline (Desroy et al., 2004).

7L’Agence de l’Eau Seine-Normandie a défini trois masses d’eau de transition pour la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) (Figure 2). La zone T1, de Poses à la Bouille, totalement dans le secteur fluvial en eau douce ; la zone T2, de la Bouille à Vieux Port, elle aussi entièrement incluse dans la parie fluviale en eau douce et enfin, la zone T3, correspondant à l’estuaire moyen de Vieux Port, à l’Aval de Honfleur, dans la zone de mélanges des eaux douces et marines, ce qui l’inclut par conséquent aux zones oligo- méso- et poly- halines des biologistes.

Figure 2. Localisation de l’estuaire de la Seine et des principaux lieux cités dans le texte.

Figure 2. Localisation de l’estuaire de la Seine et des principaux lieux cités dans le texte.

8La « Directive Territoriale d’Aménagement » (DTA) est un nouvel instrument de planification étatique, à la fois pour l’aménagement du territoire et la protection de l’environnement en application de la « Loi Pasqua du 4 février 1995, estuaire de la Seine ». La DTA s’étend sur un territoire différent des précédents puisqu’il n’inclut pas la partie « amont » de l’estuaire jusqu’à Poses. En revanche, elle concerne toute la partie côtière du Calvados et l’estuaire de l’Orne, jusqu’à l’agglomération caennaise. C’est donc un territoire étendu sur les deux régions et les trois départements qui est concerné par la DTA (Conseil général des ponts et chaussées et Inspection générale de l’Environnement, 2004).

9L’association des élus de l’estuaire rassemble seulement cinq régions de la partie aval de l’estuaire (Basse et Haute-Normandie) et s’intéresse donc à un territoire estuarien restreint alors que le Conseil de l’Estuaire (sous l’autorité du préfet de Haute-Normandie en tant que coordinateur interrégional) considère, soit l’estuaire géographique jusqu’à Poses, soit le territoire de la DTA, lorsque ce Conseil se réunit en formation DTA.

10La Loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008, portant réforme portuaire, donne aux deux grands ports maritimes du Havre et de Caen des responsabilités accrues en matière de gestion environnementale. L’article L. 101-3.-I. indique que, dans les limites de sa circonscription, les grands ports maritimes doivent veiller à l’intégration des enjeux de développement durable dans le respect des règles de concurrence. Ils sont également chargés, selon les modalités qu’ils déterminent, des missions suivantes : la gestion et la préservation du domaine public naturel et des espaces naturels dont ils sont propriétaires ou qui leur sont affectés. À cet égard, ils consultent le conseil scientifique d’estuaire, lorsqu’il existe, sur leurs programmes d’aménagement affectant les espaces naturels. Il y a donc une forte reconnaissance des autorités portuaires sur les territoires publics dont la gestion leur est confiée. Bien entendu, le territoire du GPMH concerne uniquement la rive droite de la partie aval alors que celui de Rouen est plus étendu et s’étend sur les deux rives de la Seine de Honfleur à Rouen.

11Enfin, les habitants et riverains de la Seine n’ont pas la même perception du territoire estuarien. Ceux de Caudebec à Rouen sont installés le long d’un fleuve alors que ceux vivant du Pont de Tancarville au Havre-Honfleur (la mer) habitent dans un estuaire (O. Sirost, communication personnelle).

12Comme nous venons de le voir, on ne s’entend donc pas sur les limites de l’estuaire de la Seine estuarien et donc sur les espaces et les territoires à gérer. Cette constatation est le principal handicap à l’élaboration d’une vision globale de cet espace et au d’un Plan de Gestion Global Partagé de l’estuaire de la Seine.

L’estuaire de la Seine : un cumul de paradoxes

Paradoxe hydrologique : un débit du fleuve trop faible par rapport à l’occupation humaine de son bassin versant

13Le débit à Poses est relativement faible (410 m3.s-1) avec des crues automnales ou hivernales dépassant 2200 m3.s-1 et des étiages aux débits inférieurs à 100 m3.s-1. Des barrages construits bien en amont de Paris régulent les crues et soutiennent le débit lors des étiages. Cependant, en période d’étiage, environ la moitié de l’eau arrivant de l’amont à Poses est une eau ayant transitée au moins une fois par les usines de traitement des eaux usées de la région parisienne, dont celle d’Achères. Toujours en étiage estival, près de 30 % du débit du fleuve en aval de Rouen provient des nappes phréatiques latérales alors que cette proportion est de beaucoup moindre en période de débit moyen et en crues.

14La Seine et son estuaire représentent un territoire économique majeur pour la France, notamment par ses deux ports maritimes. Il se caractérise par sa situation à l’exutoire d’un bassin versant de 79000 km2 où se concentrent 16 millions d’habitants, 50 % du trafic fluvial français, 40 % de l’activité économique et 30 % de l’activité agricole nationale. Outre la métropole parisienne, qui contribue fortement aux apports amont (plus de 10 millions d’habitants), on note la présence de deux agglomérations riveraines majeures - Rouen (400000 habitants) et Le Havre (400000 habitants) - et de deux grands ports : le Grand Port Maritime de Rouen (GPMR) et le Grand Port Maritime du Havre (GPMH).

15Le régime hydrologique et la conjugaison de concentrations humaines, industrielles, agricoles et portuaires ont deux principales conséquentes. La première est un apport multiple de nombreux intrants par ruissellement, déversement et traitement, entraînant une contamination importante des eaux. La deuxième est une faible capacité de dissolution et de dispersion des contaminants dans un volume d’eau douce relativement restreint. Les concentrations en contaminants organiques ou métalliques demeurent élevées en Seine et ce, en dépit des réglementations, des aménagements et des investissements subséquents, réalisés pour réduire les pollutions, notamment la présence de trop nombreux apports diffus, mais aussi de sites « industriels orphelins » qui continuent de déverser en Seine des polluants comme les PCBs.

Paradoxe marégraphique : un atout pour l’estuaire

16Situé en Manche, l’estuaire de la Seine est un estuaire dont le fonctionnement hydrodynamique est fortement influencé par la marée : près de 8 mètres de marnage en aval au niveau d’Honfleur en eaux vives et encore près d’un mètre en amont à Poses. Ce régime mégatidal introduit dans l’estuaire un volume d’eau de mer, oscillant au gré des flots et jusants, des marées de vives eaux et de mortes eaux et marées d’équinoxe, beaucoup plus important que le volume d’eau douce arrivant de l’amont et assure ainsi un mélange des eaux douces amont contaminées avec des eaux marines plus propres (Figures 1 et 2). Cet effet de dissolution en estuaire a sa contrepartie marine puisque les eaux dessalées provenant de l’estuaire apportent leur lot de contaminants en baie de Seine voire en Manche orientale.

17Dans la zone de mélange des eaux marines et des eaux douces (estuaire moyen) la formation d’un bouchon vaseux ou zone de turbidité maximale joue le rôle de piège de matière en suspension, de régulateur physico-chimique pour bon nombre d’éléments naturels (oligoéléments) ou polluants, notamment les métaux par des phénomènes de désorption, adsorption et se traduit pas une décroissance de la teneur en oxygène liée à l’oxydation de la matière organique piégée dans cette zone avec de rares anoxies. Ces hypoxies (concentration en oxygène < 2 ml. L-1) et anoxies (absence d’oxygène) sont cependant réduites en temps et en espace en estuaire et baie de Seine, en comparaison à celles que l’on trouve dans les estuaires et zones côtières des mers à faible marée, comme en mer du Nord. La marée est donc un excellent « mixeur », favorable au fonctionnement estuarien.

Paradoxes biologiques

18C’est au cours des premières crues automnales que l’essentiel des sédiments fins et des contaminants associés, accumulés pendant les étiages, est expulsé dans la baie de Seine. Or pendant cette période d’apports, les invertébrés aquatiques dulcicoles ou marins ont fini leur reproduction printanière-estivale. Il y a donc un contraste entre les périodes d’apports de contaminants et la période de reproduction et de recrutement des invertébrés aquatiques, favorable au maintien des populations. En effet, il existe une plus grande sensibilité aux contaminants chez les larves et les juvéniles que chez les populations adultes.

19Outre les apports en amont, il existe un transit sédimentaire important depuis la baie de Seine vers l’estuaire, entraînant un comblement naturel de l’estuaire (Guézennec et al., 1999). Ce comblement conduit à une augmentation des surfaces des herbus (pré-salé) et des roselières au détriment des vasières intertidales, lieu de nourrissage des oiseaux lors des marées basses et des juvéniles de poissons lors des marées hautes.

Paradoxe de biodiversité : un patrimoine naturel encore riche dans un environnement fortement anthropisé

20En dépit des diverses atteintes à son environnement, l’estuaire de la Seine constitue toujours un milieu très favorable aux juvéniles de nombreuses espèces de poissons et sa richesse ornithologique est un des atouts patrimoniaux majeurs de l’estuaire. Cette richesse patrimoniale s’évalue par une accumulation de mesures réglementaires et d’inventaires traduisant un « trop plein » juridique, d’où la nécessité d’une harmonisation (Alard, 2002). L’état de surprotection n’est-il qu’apparent ? En effet, à l’exception de la réserve naturelle de l’estuaire de la Seine et du Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande, seules quelques zones limitées en surface et déconnectées les unes des autres font l’objet de mesures de protection efficaces (acquisitions du Conservatoire des Espaces Littoraux et des Rivages Lacustres (CELRL), réserves naturelles régionales, arrêtés préfectoraux de biotopes…).

Richesse des habitats

21En écologie, le terme "habitat" désigne l’ensemble des conditions environnementales dans lequel une espèce, une population ou une communauté se maintient à l’état spontané. Il désigne ainsi les conditions particulières de ce lieu de vie (topographie, climat, nature de substrat, contraintes physico-chimiques telles que la salinité, l’oxygénation, la turbidité etc.). La variété des habitats physiques naturels ou artificiels et la présence de zones d’eaux calmes et de bras morts, de zones d’eaux douces, saumâtres ou marines, de zones inondables et intertidales, créent une mosaïque de conditions et de niches écologiques permettant une riche diversification biologique. Mais cette diversité des habitats, fruit des contraintes naturelles complexes d’un système estuarien, mais aussi de la compartimentation, entraîne des difficultés dans leur fonctionnement : absence de grands ensembles écologiques sauf pour les milieux forestiers ; mitage à l’extrême et nécessité de recréer des connexions entre habitats ; gestion d’espèces d’intérêt patrimonial dans des habitats artificialisés ; gestion globale de très nombreux habitats dont certains ne mesurent que quelques ares ou hectares.

22Le terme « habitat » a pris un nouveau sens dans la Directive Habitat Faune Flore (DHFF, 92/43/CEE) et concerne à la fois l’ensemble des conditions environnementales et les espèces végétales et animales vivantes (Dauvin, 2010). Le réseau Natura 2000 définit des zones prioritaires pour la conservation de la biodiversité (Sites d’Intérêt Communautaire déclinés en Zone de Protection Spéciale et Zone Spéciale de Conservation), analyse l’état de conservation du milieu et établit des objectifs de conservation, les moyens et les coûts des mesures envisagées. Pour la partie marine, quatre habitats génériques inscrits à la DHFF ont été définis sur le site Natura 2000 « Estuaire de Seine » : 1) les estuaires, 2) les replats boueux ou sableux exondés à marée basse, 3) les récifs et 4) les bancs de sable à faible couverture permanente d’eau marine (Dauvin, 2010).

23La mise en place de trames vertes, bleues et bleues marines devrait favoriser la reconnexion ou, à tout le moins, limiter la poursuite de la compartimentation des habitats estuariens.

Richesse en espèces

24Un recensement de tous les signalements des invertébrés aquatiques faits sur une période de deux siècles dans le périmètre d’intervention du GIP Seine-Aval, c’est-à-dire entre l’écluse de Poses et la latitude du Cap d’Antifer et la longitude de l’embouchure de l’Orne à Ouistreham, a été récemment réalisé (Ruellet et Dauvin, 2008). Ce « Catalogue des Invertébrés en Seine Aval, CISA » reflète l’état des connaissances à la fin 2006 et contient un total de 1485 taxa (5 % n’ont jamais été déterminés jusqu’au niveau spécifique). Cet inventaire, faisant état d’une riche biodiversité faunistique, ne doit pas conduire à penser que l’environnement et l’estuaire de Seine en particulier, seraient en meilleur santé qu’ils ne le sont. En effet, 70 % des taxa ont vu leur fréquence diminuer et 85 % d’entre elles ont vu leur abondance régresser entre le début du XXème siècle et celui du XXIème dans la zone d’étude. De plus, les signalisations traduisent la présence de taxa rares ou correspondent à des taxa peu étudiés. Dans la réserve de l’estuaire de la Seine environ 500 espèces végétales, plus de 250 espèces d’oiseaux, 70 espèces de poissons et 48 espèces de mammifères ont été répertoriés. Manquent à ce recensement, les insectes, groupe terrestre le plus riche ainsi que la microflore et la microfaune des sols, lesquelles compte sans aucun doute plus de 1000 espèces. C’est donc une biodiversité impressionnante comprise entre 3500 et 5000 espèces que compterait l’estuaire de la Seine.

L’estuaire de la Seine : un territoire de connaissances scientifiques

25La connaissance scientifique de l’estuaire de la Seine est récente et elle est due au programme « Seine-Aval » (www.seine-aval.fr), mis en place en 1995, avec pour objectifs de « fournir les connaissances nécessaires à la compréhension du fonctionnement de l’écosystème estuarien » et de « développer des outils nécessaires aux prises de décision des acteurs locaux dans l’optique d’une restauration de la qualité des eaux de la Seine et d’une préservation des milieux naturels de la vallée » (Dauvin, 2006). Le programme s’est orchestré en quatre phases. La première phase (1995‑1999), organisée en thématiques disciplinaires, avait pour objectif de mettre à niveau les connaissances scientifiques parcellaires sur l’estuaire. Les orientations de Seine-Aval 2 (2000-2003) se sont tournées vers l’opérationnel en plus de combler les lacunes qui subsistaient, notamment au sujet de l’approche biologique. Les objectifs de la troisième phase de Seine-Aval (2004-2006) se résument aux deux points suivants (Dauvin, 2009) : 1) continuer à acquérir les connaissances nécessaires à une meilleure compréhension des problématiques précédentes, en réalisant un effort de recherche particulier sur la compréhension et la modélisation d’une dynamique forte qui influe sur l’ensemble des fonctionnalités estuariennes à savoir l’évolution géomorphologique de l’estuaire et 2) développer des outils et s’attacher à appliquer véritablement les résultats de la recherche. La quatrième phase du programme (2007-2012), en cours aujourd’hui, cible trois thématiques principales : 1) la restauration et la reconquête de l’estuaire de la Seine ; 2) les risques chimiques et environnementaux et 3) le développement d’un système d’observation de l’estuaire.

Face aux pressions anthropiques : existe-t-il un avenir pour les habitats naturels artificialisés dans cet espace estuarien ?

26Récemment, l’extension Port 2000 (phase des travaux : 2002-2005) du GPMH a fortement contribué à l’évolution morphologique et sédimentaire de la partie aval de l’estuaire (Hamm et al., 2001 ; Travaux, 2006). Les travaux et les mesures d’accompagnement liés à la construction de Port 2000 participent à l’évolution morpho-sédimentaire, mais aussi à celles des habitats et des communautés estuariennes. Il faudra sans doute attendre plusieurs années avant que le système retrouve un certain « équilibre » dans ses nouvelles dimensions (Cuvilliez et al., 2009). L’évolution géomorphologique de la partie aval de l’estuaire, notamment le comblement et la progradation des bancs vers la baie, demeure une des préoccupations majeures pour l’avenir de l’estuaire.

27La construction de Port 2000 a été marquée par l’importance du débat public (le premier en France) et peut être considéréecomme une initiation à une réflexion environnementale globale sur l’estuaire. C’est en effet ce nouvel aménagement majeur qui a été à l’origine de l’émergence de la notion de Gestion Globale de l’Estuaire et de la mise en place du Conseil de l’Estuaire, sur lesquels reposent l’essentiel des espoirs d’une meilleure prise en compte du développement durable de cet espace estuarien (Conseil général des ponts et chaussées et Inspection générale de l’Environnement, 2004). À la demande de la Commission européenne, la réserve naturelle de l’estuaire de la Seine, créée le 31 décembre 1997 sur un territoire de 3800 ha d’espace d’intérêt écologique, a été étendue par le Décret n° 2004-1187 du 9 novembre 2004, à une superficie globale d’environ 8528 ha.

28De nouveaux projets d’aménagement sont d’ores et déjà connus et concernent les développements portuaires du GPMH et du GPMR. Le premier est promis à un projet de creusement d’une jonction entre le canal du Havre et celui de Tancarville, la construction d’une plateforme multimodale le long du canal du Havre en amont du Pont de Normandie et des réflexions sur Port 2020. Quant aux projets du second, ils visent l’amélioration du transport fluvial par un creusement du chenal de navigation sur 17 % pour accroître le tirant d’eau des navires de 1 mètre entre Rouen et la mer. Un troisième franchissement de la Seine, probablement entre les Ponts de Tancarville et de Normandie, a été jugé nécessaire, notamment pour accroître le transport ferroviaire dans le cadre du Schéma Régional d’Aménagement du Territoire de Haute-Normandie, mais le projet semble abandonné pour le moment. Des demandes d’extraction de granulats en baie de Seine sont déposées face à la demande croissante des besoins des entreprises de Bâtiment et Travaux Publics et de la raréfaction de la ressource terrestre et l’épuisement des granulats fluviaux. Le GPMR a demandé l’autorisation de faire une expérimentation de dépôts de ses dragages d’entretien à la navigation à une dizaine de milles au large de l’embouchure pour extérioriser le dépôt actuel intra-estuarien du Kannick sur le site du Machu à proximité du banc de Seine. Autant de projets qui continueront à transformer l’estuaire, pour certains à augmenter sa compartimentation, et qui devront être gérés dans la concertation, entre tous les usagers de la Seine.

La nécessité d’une approche globale intégrée et partagée

29Consacré par la communauté internationale lors de la Conférence des Nations-Unies sur l’Environnement et le Développement, organisée à Rio en 1992, le concept de « gestion intégrée des zones côtières » (GIZC) repose sur six principes qui devraient être retenus dans la mise en place d’une vision intégrative ou écosystémique du plan de gestion globale de l’estuaire de la Seine (Dauvin, 2002b ; Valence, 2006 ; Lozachmeur et Dauvin, 2008 ; Maquihem, 2008). Ces principes concernent :

  • une intégration spatiale visant à intégrer la gestion du continuum eau-douce/eau marine, ainsi que les zones à l’intérieur des terres qui ont une influence importante sur l’environnement estuarien. L’intégration devrait idéalement être mise en Å“uvre au sein d’unités cohérentes de gestion. Le périmètre du territoire reste donc à définir puisque, comme nous l’avons vu, il existe diverses perceptions et limites de l’estuaire de Seine, ce qui est l’handicap majeur pour mettre en place cette gestion globale et partagée.

  • une intégration administrative et institutionnelle, laquelle suppose une coordination des politiques et des actions de l’échelle locale à l’échelle régionale et nationale et à chacun de ces différents niveaux. Cela implique la mise en place d’une gouvernance adaptée, ainsi qu’une information et une participation de l’ensemble des acteurs, du secteur privé et public. Le Conseil de l’Estuaire devrait être le lieu de cette intégration administrative et institutionnelle légitime, en s’appuyant sur le Conseil Scientifique de l’Estuaire de la Seine créé en juillet 2008 dans la loi sur la réforme portuaire.

  • une intégration entre les différentes activités présentes ou pratiquées dans le territoire estuarien. Ceci implique par conséquent d’appréhender, à chaque fois qu’il y a un projet important, son implantation et ses impacts environnementaux, sociaux et économiques, dans la totalité du territoire estuarien. Toutefois, puisqu’il existe plusieurs perceptions de l’espace couvert par l’estuaire, la définition de l’entièreté du territoire estuarien reste à être élaborée. Des études d’impacts à l’échelle locale il faut passer à des études d’impacts à l’échelle globale, en mesurant la dimension cumulative des aménagements.

  • une intégration dans le temps, impliquant la mise en cohérence des objectifs de gestion à court terme avec les objectifs d’action à long terme. Les études prospectives réalisées sur la restauration des fonctionnalités estuariennes devraient servir de toile de fond à l’intégration dynamique du système. L’estuaire n’est pas un système figé, les changements globaux (anthropisation continue et réchauffement climatique) forcent sa trajectoire pour le futur : une mise à jour décennale des scénarios prospectifs devrait être entreprise.

  • une intégration environnementale qui suppose la prise en compte systématique des préoccupations d’environnement dans les différentes politiques sectorielles (agriculture, industrie, tourisme, urbanisme, transport maritime, etc.). Ici encore le Conseil de l’Estuaire devrait jouer son rôle de coordination et d’organisation de la politique globale de gestion de l’estuaire.

  • une intégration entre la science et la gestion et entre les différentes disciplines scientifiques. Le programme scientifique et le Groupement Scientifique Seine-Aval jouent ce rôle d’intégration disciplinaire ; il reste à faire le lien entre science et gestion sans doute par le biais du Conseil Scientifique de l’Estuaire de la Seine. Si ce travail d’intégration entre scientifiques et décideurs peut être organisé ponctuellement dans le cadre de la mise en Å“uvre d’un projet d’aménagement ou de gestion, il peut aussi exister au sein des comités ou des conseils scientifiques qui sont mis en place de manière permanente auprès d’administrations ou de structures de gestion.

30Ajoutons que ce plan de gestion global et partagé n’aurait pas pour objectifs de se substituer aux politiques et aux projets sectoriels, mais à les encadrer et à les coordonner dans une perspective de développement durable.

Tableau 1. Composition des conseils et comités scientifiques intervenant en estuaire de Seine

Instances

Fonction

Composition

Remarques

Comité Scientifique du GIP Seine-Aval

Le CS est constitué de scientifiques locaux, nationaux et internationaux apportant leurs expérience et compétences dans les différents domaines qui composent le Programme de Recherche.

Le CS a différents rôles : force de proposition dans les orientations du Programme Scientifique ; évaluation des propositions scientifiques dans les différents domaines de recherche ; suivi des projets et conseil sur les actions entreprises par le Groupement.

26 membres en 2011 dont Bureau permanent (5 membres, Président, trois vice-présidents et directeur du GIP), 13 membres de droit, 4 membres associés et 4 membres permanents du GIP.

Renouvellement plus ou moins complet tous les trois ans (chaque phase du programme) et remplacement au coup par coup des membres de droit.

Conseil Scientifique de l’Estuaire de la Seine (arrêté du 27 février 2009)

Remplace le Conseil scientifique et technique (arrêté du 20 juin 2001)

Le Conseil Scientifique est saisi par l’Etat pour donner des avis sur l’ensemble des questions relatives à la préservation de l’estuaire, à sa gestion, à l’aménagement de ses milieux naturels ainsi qu’aux activités et travaux susceptibles d’avoir un impact sur ces milieux. Il peut faire des recommandations sur toute question relative aux milieux naturels de l’estuaire et à son fonctionnement. Le CS soutient une vision stratégique globale, fondée sur une gestion intégrée et concertée de la mer et du littoral, qui soit élaborée en prenant en compte l’ensemble des activités humaines concernées, la préservation du milieu marin, la valorisation et la protection de la mer et de ses ressources dans une perspective de développement durable.

14 membres en 2009 désignées en raison de leurs compétences scientifiques en matière de préservation et de gestion des espaces naturels (mandat de 5 ans, renouvelable). Un président et un vice-président. Les membres des autres conseils scientifiques sont associés avec voix consultative, les services de l’Etat, des ports maritimes, du GIP SA, et du CELRL sont associés.

C’est le modèle mis en place en estuaire de Seine (comité d’expert puis Conseil Scientifique et Technique) qui a prévalu à la création des trois Conseils Scientifiques d’Estuaire (Seine, Loire et Gironde) dans la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 sur la réforme portuaire.

Conseil Scientifique de la Réserve Naturelle (créé par le décret du 30 décembre 199 puis modifié par l’arrêté du 8 mars 2007)

Le conseil scientifique a été créé par décret précisant que sa ‘composition est arrêtée par le préfet’ et que, conformément à l’article R.332-18 du code de l’environnement, son ‘avis est requis sur le plan de gestion de la réserve et peut être sollicité sur toute question à caractère scientifique touchant la réserve naturelle’ (Premier ministre, 1997)

18 membres en 2007. Un président et un vice-président.

La Maison de l’Estuaire assure la gestion de la RNES.

Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel de Haute-Normandie (arrêté du 14 septembre 2006 puis modifié par l’arrêté du 17 juillet 2008)

Le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN) est une instance consultative à compétence scientifique qui peut être sollicitées par l’intermédiaire du préfet de régions et du président du conseil régional pour toutes questions relatives à la connaissance, la conservation et la gestion des patrimoines naturels régionaux.

16 membres nommés pour 5 ans renouvelables. Un président. CSRPN constitué de spécialistes désignés intuitu personae pour leur compétence scientifique, en particulier dans les universités, les organismes de recherche, les sociétés savantes, les muséums régionaux. Il couvre toutes les disciplines des sciences de la vie et de la terre pour les milieux terrestres, fluviaux et marins.

Fonctionnement défini par les articles R411-22 à 30 du Code de l’Environnement, et par son règlement intérieur. Il existe également un CSRPN pour la région Basse-Normandie.

Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande (créé le 17 mai 1974)

Le Conseil scientifique est chargé de ‘susciter et coordonner des programmes de recherche correspondant aux objectifs’ du Parc. Il peut également ‘proposer au Parc toutes les mesures de préservation, de gestion, de développement et d’animation" qu’il juge opportunes

Une quinzaine de membres. Un président.

Un PNR n’est pas obligatoirement assisté d’un conseil scientifique. La circulaire n° 95-36 du 5 mai 1995 précise que la charte du PNR indique ‘la liste des membres associés et, s’il existe, le rôle du comité scientifique’.

31Sur l’estuaire de la Seine, cinq conseils et comités scientifiques différents sont ainsi chargés de formuler des avis, de réaliser des évaluations ou de faire des propositions aux gestionnaires et aux structures auxquels ils sont rattachés par la gestion des espaces d’intérêts patrimoniaux (Tableau 1 et Figure 3). Il s’agit du Comité Scientifique du Groupement Public Seine-Aval, du Conseil Scientifique de l’Estuaire de la Seine (CSES) qui s’est substitué en 2008 au Conseil scientifique et technique mis en place pour assister le Conseil de l’estuaire au début des années 2000, du Conseil scientifique de la réserve naturelle de l’estuaire de la Seine, du Conseil scientifique du Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande et du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel. Cette juxtaposition de structures a conduit les acteurs de l’estuaire à s’interroger sur une éventuelle fusion de ces différents comités ou conseils scientifiques. Cette fusion apparaît cependant difficile, voire impossible à mettre en œuvre, compte tenu des objectifs de gestion des limites des territoires considérés dans chacun de ces cinq conseils (Figure 3) (Lozachmeur et Dauvin, 2008)

Figure 3. Zones de compétence des comités et conseils scientifiques intervenant dans l’estuaire de la Seine

Figure 3. Zones de compétence des comités et conseils scientifiques intervenant dans l’estuaire de la Seine

D’après le GIP Seine-Aval, 2008

32Il apparaît, par contre, absolument nécessaire de renforcer la coopération entre ces conseils et ces comités, et plus particulièrement entre le CSES, le GIP Seine-Aval et son Comité scientifique. Par exemple, il serait intéressant que les présidents de ces comités et conseils scientifiques se rencontrent de manière informelle au moins une fois par an pour échanger sur la gestion et l’aménagement de l’estuaire, sur l’action de leurs structures ou sur les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Enfin, pourquoi ne pas imaginer l’organisation d’un séminaire commun aux différents conseils scientifiques de l’estuaire qui permettrait à leurs membres de se rencontrer, de mieux connaître l’activité des autres structures et de développer des relations, voire des synergies (Lozachmeur et Dauvin, 2008).

Conclusion

33Les estuaires cumulent-ils les handicaps ? Nous avons vu que pour ces milieux écologiquement complexes, la perception de leurs limites diffère selon les acteurs et décideurs. Les réglementations de cette zone d’interface concernent à la fois celles des zones continentales et celles des zones littorales, comme la Loi littorale qui intéresse les communes de la partie aval de l’estuaire. De plus, les différentes collectivités locales, régionales et l’État et ses établissements public (les Grands Ports Maritimes, l’Agence de l’Eau Seine Normandie) s’occupent chacun de limites également différentes. Ceci ne poserait pas de difficultés si cette vision sectorielle du territoire et de l’administration n’était pas contradictoire avec le plaidoyer d’une gestion globale et partagée comme gage de pérennité de l’écosystème estuarien. Ne peut être niée la volonté des acteurs d’insérer leurs projets d’aménagements dans une prise en considération des enjeux environnementaux. Mais le patrimoine naturel, encore riche comme nous avons pu le décrire, souffre d’une compartimentation extrême qui risque de se poursuivre, compte tenu des projets d’aménagement des deux grands ports maritimes présents sur l’espace estuarien. Il apparaît ainsi un nouveau paradoxe, celui de la poursuite de l’aménagement de ce territoire déjà fortement anthropisé et celui du lancement des trames vertes et bleues, censées maintenir les connexions entre des habitats et des populations isolés par l’Humain. Les estuaires sont-ils donc voués à cumuler ces contradictions ? Le constat aujourd’hui est l’accumulation (« mille feuille ») institutionnel de mesures réglementaires et d’inventaires concernant le patrimoine naturel, sans qu’il soit envisagé des gestions communes entre les territoires divers, comme la réserve naturelle, le parc régional, les terrains du CELRL, sites Natura 2000, etc. Il faut sûrement accepter cette complexité et diversité, mais également œuvrer pour la rédaction d’un plan de Gestion Globale de l’Estuaire de la Seine aboutissant à l’émergence d’une charte signée et partagée par tous les décideurs du territoire qui s’engageront, non seulement pour la préservation, mais aussi pour la restauration de l’ensemble du territoire estuarien.

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Bibliography

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List of illustrations

Title Figure 1. Les principales zones de l’estuaire de Seine
Credits  D’après Guézennec et al., 1999.
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/11436/img-1.jpg
File image/jpeg, 88k
Title Figure 2. Localisation de l’estuaire de la Seine et des principaux lieux cités dans le texte.
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/11436/img-2.jpg
File image/jpeg, 88k
Title Figure 3. Zones de compétence des comités et conseils scientifiques intervenant dans l’estuaire de la Seine
Credits D’après le GIP Seine-Aval, 2008
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/11436/img-3.png
File image/png, 873k
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References

Electronic reference

Jean-Claude Dauvin, « Perception sectorielle face À la nécessité d’une vision globale et partagée de l’estuaire de la Seine Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Hors-série 10 | Décembre 2011, Online since 30 November 2011, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/11436 ; DOI : 10.4000/vertigo.11436

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Jean-Claude Dauvin

Université de Caen Basse Normandie, Laboratoire Morphodynamique Continentale et Côtière, UMR CNRS 6143 M2C, 2-4 rue des Tilleuls, F-14000 Caen, France, Courriel : jean-claude.dauvin@unicaen.fr

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