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2012

De quelques enjeux de Rio+20

Michel Rogalski

Abstract

Dans ce premier texte de la Série Rio+20 de [VertigO], Michel Rogalski économiste et chercheur au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement,  fait un constat sur les démarches internationales en terme de négociations internationales. Partant du cas des changements climatiques, il pose la question de la responsabilité dans les modifications environnementales.

Ainsi il conclut son texte ainsi : « La controverse scientifique est dépassée et ne devrait plus trop peser dans le débat. Mais un danger majeur guette toute avancée substantielle sur le climat. L’ampleur des efforts à faire pour changer de trajectoire est immense. Il ne s’agit rien moins que de rompre avec un régime d’accumulation et du paradigme techno-économique qui lui est rattaché pour s’engager vers des sociétés décarbonées. Des moyens considérables devront être mobilisés. Comment imaginer, alors que les objectifs du Millenium sont loin d’être atteints, que tous ceux qui sont victimes, ici et maintenant, des pires maux qui frappent la planète accepteront facilement que soient « détournés » ces moyens au bénéfice de générations futures, alors que la question qu’ils affrontent est celle de leur survie au quotidien. Vouloir les associer au sauvetage du climat sans satisfaire dès à présent leurs besoins pressants les plus essentiels ne saurait conduire qu’à l’impasse. »

Cette question se pose aussi en terme éthique et sous le large vocable de l’adaptation, terme à la mode, tout comme celui de la résilience, actuellement en sciences de l’environnement. De qui est la responsabilité financière et humaine de l'identification et la mise en oeuvre des paramètres devant permettre à une société de s’adapter aux changements environnementaux ? Jusqu’à quel niveau la responsabilité doit-elle être partagée ou pas.

Cette réflexion nous amène à un autre article publié récemment par [VertigO] : Thomas Heyd et Irène Dupuis, Réponses culturelles aux changements rapides de la nature,[VertigO] - la revue électronique en sciences de l’environnement, Débats et Perspectives, 2012, mis en ligne le 25 janvier 2012, [En ligne] URL : http://vertigo.revues.org/11526

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Editor's notes

Premier texte de la série Rio+20 initiée par [VertigO]. En regroupant de courts textes sur les éléments nécessaire pour comprendre les enjeux et défis du Sommet Rio+20, cette série laisse la parole aux acteurs. Pour voir l’appel : http://vertigo.revues.org/11289

Pour réagir à ce texte, visitez le carnet de recherche de [VertigO] en cliquant ici : http://vertigo.hypotheses.org/1253

Full text

1Un deuxième Sommet de la terre s’ouvrira à Rio en 2012 sous une triple constellation (Rio+20, Stockholm+40 et Johannesburg+10). La planète réunie s’interrogera sur ses capacités à faire face à son avenir et devra apporter des réponses. Cette préoccupation n’est évidemment pas que d’actualité. Elle vient de loin comme le laissent supposer les trois dates tutélaires sous lesquelles elle s’inscrit.

2Les dernières décennies ont vu monter l’exigence d’un développement durable qui s’est imposé comme dimension incontournable de domaines essentiels de l’activité humaine. En réaction tant aux visions excessivement pessimistes du Club de Rome, à la fin des années 60, sur l’épuisement des ressources naturelles et à ses appels à l’arrêt de la croissance, qu’à l’économisme sauvage ne pouvant conduire qu’au « maldéveloppement », un courant de pensée - l’écodéveloppement - se constitue à l’occasion de la Conférence de l’ONU de Stockholm en 1972. Il s’agissait alors de concilier les objectifs socio-économiques et écologiques en prenant en compte le double souci de la solidarité avec les populations présentes les plus démunies tant au Nord qu’au Sud et avec les générations futures dont le droit à vivre dans une planète habitable devait être préservé. Bref de résoudre, autrement que par l’arrêt de la croissance, le conflit latent entre une croissance sauvage et un environnement viable.

3Il faudra dix ans pour que les Nations Unies, s’emparant du problème, commandent un rapport. La «  Commission Brundtland  » (du nom de la ministre norvégienne de l’environnement) rendra son rapport en 1987 et reprendra sous le vocable de développement durable l’ensemble des idées-forces développées à Stockholm. Il y sera proposé, pour préserver la planète, d’adopter des modes de production et des styles de vie plus respectueux de l’environnement et d’éviter de généraliser à l’échelle de la planète le modèle gaspilleur et prédateur - les faux frais de la croissance - de l’Occident. Un grand «  Sommet de la Terre  » sera proposé. Ce sera le Sommet de Rio, en 1992 qui inscrira le double droit au développement et à un environnement sain et adoptera un programme d’action sous forme de recommandations - l’Agenda 21. Quelques années auparavant, en 1988 précisément, un Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, le fameux GIEC, avait vu le jour, témoignant par là même de préoccupations sur l’avenir du climat.

4Le monde ne sera plus tout à fait le même après le Sommet de Rio et la préoccupation du développement durable se propagera d’un bout à l’autre de la planète avec la volonté de concilier protection de l’environnement, efficacité économique et équité sociale. Ce triptyque - produire plus, répartir mieux, préserver l’avenir - ne pourra pas se décliner sans tensions ou lectures antagonistes. Ainsi la notion de développement durable se trouve attaquée de plusieurs côtés. Les tenants de la décroissance n’y voient qu’une façon habile de redonner un aspect présentable à la croissance économique indéfinie, tandis que les populations du Sud craignent qu’en son nom, on puisse brider le développement de sociétés, notamment de celles qui sont le moins avancées économiquement.

5Dans le même temps, des préoccupations croissantes sur l’évolution climatique et ses causes principales se sont peu à peu déplacées des milieux scientifiques à l’opinion publique et ont conduit les États du monde à s’engager dans des actions collectives coordonnées (Protocole de Kyoto) pour faire face à ce qui est apparu comme une menace globale pour la poursuite de l’activité humaine sur la planète. Sous l’action du GIEC, les savoirs se sont précisés sur le mécanisme de l’effet de serre, la part de son origine anthropique et ses conséquences en matière de changement climatique. À plusieurs reprises, des préconisations ont été formulées pour insister sur l’urgence des actions nécessaires et sur le coût potentiel engendré par tout retard à leur mise en œuvre.

6Aujourd’hui, la controverse scientifique s’est largement apaisée aussi bien sur le mécanisme de l’effet de serre que sur les tendances climatiques. Elle perdure néanmoins encore sur la part de la contribution humaine au réchauffement, c’est-à-dire sur l’endroit où fixer le curseur entre cause anthropique et cause naturelle. Le débat porte également sur les formes de régime de coordination internationale efficace, les critères et les instruments d’analyse économique utilisables pour permettre l’implication équitable des différents États et l’acceptation par les opinions publiques des coûts associés aux mesures nécessaires.

7La rencontre de Copenhague sur les négociations climatiques, qui s’est tenu à la fin de l’année 2009, a obtenu la promesse d’engagement de la plupart des pays sur des objectifs chiffrés de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, notamment de la part de pays jusque-là non contraints, ainsi que l’objectif de limiter la hausse moyenne des températures à +2°C par rapport à l’ère préindustrielle. Un an plus tard, la rencontre de Cancun confirmera les engagements pris et sera unanimement saluée comme un « pas en avant ». Cancun a su renouer le fil des négociations, car la mécanique proposée partait des propositions de chaque pays et visait à les mettre en cohérence. La rencontre de Durban a constitué la dernière rencontre intergouvernementale consacrée au climat avant la Conférence prévue à Rio en 2012 (Sommet de la Terre +20) qui se situe dans une perspective plus large.

8Plus que d’autres domaines, la négociation sur le « climat » nous renvoie tous les ingrédients des distorsions profondes qui travaillent la planète et les façons de la penser. Elle cristallise en même temps toute la difficulté de la prise de décision en univers scientifique controversé, alors même que des horizons temporels différents sont mobilisés entre l’action et le résultat, que le temps de l’action gouvernementale est en total télescopage chronologique avec le rythme de l’évolution climatique, et que le bilan coût de l’implication/avantage retiré est difficile à évaluer au niveau du maillon décideur qu’est le pays. Ce qui ouvre la porte à toutes les stratégies du type « laissons l’effort aux autres et profitons de ses éventuels effets ».

9Très tôt, le principe de la responsabilité commune, mais différenciée fut admis. C’est ainsi que, depuis 1997, les pays du Sud mettent en avant trois revendications centrales dans les négociations  : bénéficier d’un moratoire, recevoir des compensations financières pour s’adapter, et s’engager sur des objectifs moins ambitieux que les pays du Nord. Ils soulignent qu’il faudrait tenir compte tout autant du lieu de production que du lieu de consommation des marchandises dans les évaluations des émissions de gaz à effet de serre. Ils sont entraînés par de grands pays émergents à forte croissance et donc fortement émetteurs de ces gaz (Chine, Inde, Brésil), que les pays du Nord voudraient dissocier des autres pays du Sud. Demander à de grands pays émergents, à 8 ou 10 % de taux de croissance, de réduire en pourcentage leurs émissions de gaz à effet de serre ne signifie rien d’autre que de leur proposer de casser leur développement. Ce qui est politiquement informulable.

10Il convient de réfléchir sur des infléchissements de trajectoires nécessitant des transferts massifs de technologies et de partage de connaissance, obligeant les pays du Nord à déroger au principe de la propriété intellectuelle afin de gagner en efficacité énergétique, de développer des énergies renouvelables et de mettre en œuvre une transition vers une économie décarbonée. Peu importe la mécanique – de toute façon onusienne – qui portera l’architecture mondiale à bâtir. Elle ne réussira qu’à la condition d’être perçue non pas comme une contrainte, mais comme un levier, à l’égal de ce qu’a été l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui a réussi à aider une quarantaine de pays à se doter de centrales nucléaires sans les laisser pour autant proliférer vers le nucléaire militaire. Probablement faudra-t-il épauler du « bilatéral » comme la coopération sino-américaine dans le domaine de l’environnement dès lors qu’elle va dans le bon sens. Faute d’autre construction, le protocole de Kyoto doit être conforté. Il faut évidemment l’élargir aux pays du Sud et aux États-Unis, sans nécessairement interconnecter les marchés de permis négociables. Les instruments économiques de gestion de l’environnement sont divers et complémentaires : les plafonds d’émissions et les permis négociables qui les accompagnent pour pouvoir les respecter dans les secteurs « non diffus » où les entités émettrices sont identifiables et contrôlables, et les taxes pour le secteur diffus, qui concernent plus le consommateur et visent à promouvoir d’autres styles de vie. À condition, bien sûr, que l’on ne considère pas la planète comme une économie mondiale déjà constituée où les mêmes normes seraient appliquées sans discernement et sans tenir compte des niveaux de développement et des trajectoires propres à chaque pays. Car, comme Copenhague nous l’a enseigné, il faudra encore apprendre à faire avec les coordinations souveraines et ne pas oublier qu’en période de crise, la mobilisation des efforts est plus problématique.

11La controverse scientifique est dépassée et ne devrait plus trop peser dans le débat. Mais un danger majeur guette toute avancée substantielle sur le climat. L’ampleur des efforts à faire pour changer de trajectoire est immense. Il ne s’agit rien moins que de rompre avec un régime d’accumulation et du paradigme techno-économique qui lui est rattaché pour s’engager vers des sociétés décarbonées. Des moyens considérables devront être mobilisés. Comment imaginer, alors que les objectifs du Millenium sont loin d’être atteints, que tous ceux qui sont victimes, ici et maintenant, des pires maux qui frappent la planète accepteront facilement que soient « détournés » ces moyens au bénéfice de générations futures, alors que la question qu’ils affrontent est celle de leur survie au quotidien. Vouloir les associer au sauvetage du climat sans satisfaire dès à présent leurs besoins pressants les plus essentiels ne saurait conduire qu’à l’impasse.

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References

Electronic reference

Michel Rogalski, « De quelques enjeux de Rio+20 Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Débats et Perspectives, Online since 30 January 2012, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/11539 ; DOI : 10.4000/vertigo.11539

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About the author

Michel Rogalski

Chercheur au Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement, Paris (CNRS/EHESS) Campus du Jardin Tropical, 45 bis, avenue de la Belle Gabrielle, 94736 Nogent-sur-Marne Cedex, France; Directeur de la revue Recherches internationales, Courriel: rogalski.michel@orange.fr

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