1Cet article puise à deux mouvements de plus en plus présents au sein des universités et des collèges nord-américains : celui de l’écodéveloppement des institutions et celui de l’apprentissage par le service communautaire (ASC). Essentiellement, il présente un plan de développement viable de l’Université de Sherbrooke fondé sur deux choix centraux. Le premier est de miser sur les étudiants et les étudiantes des universités et des collèges pour exercer le leadership dynamique et durable nécessaire à l’évolution de ces institutions afin qu’elles deviennent exemplaires comme milieux de vie, de formation et de recherche, du point de vue de la viabilité. L’autre choix que nous faisons est de considérer ce processus de transformation comme étroitement lié à la communauté régionale au sein de laquelle évoluent les collèges et universités.
2Après avoir présenté et justifié les composantes du plan, nous précisons quelles sont les compétences citoyennes que doivent développer les étudiantes et les étudiants pour être en mesure d’exercer un tel leadership au sein de l’institution et dans la communauté. Nous analysons ensuite le cas d’un cours dans lequel les étudiants et les étudiantes ont participé à un programme d’apprentissage par le service communautaire et ont par la suite été interrogés au sujet des compétences qui ont pu y être développées. Les résultats positifs de cette analyse débouchent sur la proposition de création d’un portail web qui permettrait de prolonger l’expérience de l’intervention communautaire et de l’inscrire dans la durée, plaçant l’université et ses étudiants au cœur d’un développement viable de sa région.
- 1  Sans entrer dans un débat sémantique qui pourrait être stérile, nous soulignons d’entrée de jeu qu (...)
- 2  SEdA (Sustainability and Education Academy). URL : http://www.yorku.ca/seda , consulté le 20 décem (...)
3Il importe de préciser que nous ne décrivons pas ici un plan officiel approuvé par l’Université de Sherbrooke. Le plan décrit est plutôt le reflet d’une démarche entreprise lors de notre participation, en mai 2008, à la Sustainability and Education Academy (SEdA) de l’Université York. La SEdA offre un programme de formation pour les leaders éducatifs du Canada afin de les soutenir dans l’implantation d’une culture du développement viable1 dans tous les aspects du système d’éducation au sein duquel ils œuvrent 2. Nous avons collaboré avec l’équipe restreinte qui a conçu et élaboré ce programme depuis 2005 et nous étions présents lors du séminaire de mai 2008 à titre de représentants de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Pendant les trois journées que dure ce séminaire, nous avons choisi de concevoir un plan pour l’Université de Sherbrooke mettant à profit l’engagement du plus grand nombre possible d’étudiantes et d’étudiants pour le développement viable.
4La stratégie de changement organisationnel mise de l’avant par l’équipe de la SEdA est émergente et non descendante. Elle suggère de repérer les forces déjà actives dans un milieu au regard des objectifs poursuivis et d’identifier les personnes prêtes à travailler vers la transformation visée. En congruence avec cette orientation, la première étape du plan que nous proposons sera l’inventaire de ce qui se fait déjà à l’Université de Sherbrooke au regard du développement viable : projets de recherche, cours, comités, groupes, etc. Un portrait mettant en évidence la diversité et les complémentarités de ces diverses activités sera ensuite produit. Puisque notre choix est de considérer les étudiantes et les étudiants comme les principaux leaders du changement, ce sont les activités où ils peuvent prendre le plus de place qui sont priorisées à l’intérieur de ce portrait d’ensemble. D’abord, dans l’ensemble du corpus des quelque 6000 cours offerts à l’Université de Sherbrooke, il faudra identifier ceux dont les contenus touchent explicitement aux enjeux du développement viable et ceux qui peuvent facilement les intégrer de façon significative. Les professeures et professeurs responsables de ces cours seront par la suite rencontrés pour décrire leur perception des liens possibles entre les contenus de leur cours et le développement viable ainsi que pour exprimer leur degré d’intérêt au regard d’une participation de leurs étudiantes et étudiants à des actions pour le développement viable à l’intérieur du cours.
5Une démarche similaire sera entreprise pour identifier des étudiantes et étudiants gradués dont les projets de recherche touchent aux enjeux environnementaux et/ou de développement viable et pour les rencontrer avec leur directeur ou leur directrice de recherche. Dans les deux cas, pour les cours et pour la recherche, les participantes et participants seront invités à établir un dialogue entre leurs disciplines et leurs expertises respectives par rapport aux divers enjeux du développement viable ; il s’agira d’un effort collectif de description de complémentarités qui pourront éventuellement conduire à des modifications de leurs activités de cours et/ou de recherche.
6L’ensemble de ces personnes, professeures et, majoritairement, étudiantes, constituera le groupe moteur de l’écodéveloppement institutionnel pour la communauté universitaire, puisqu’ils se préoccupent de développement viable au sein des activités de formation et de recherche, lesquelles sont au cœur de la mission universitaire. Dans notre plan, les politiques administratives, par exemple à l’égard de la gestion des déchets ou du transport en commun, sont considérées comme en arrière-plan, en soutien aux acteurs principaux de la vie universitaire que sont les étudiants et les formateurs. Il faudra donc resituer ces politiques, tout comme certaines actions bien implantées se déroulant hors des cours et de la recherche, par exemple le portail étudiant en développement durable, dans la nouvelle dynamique de transformation créée par le choix d’une approche émergente.
7Il ne suffira toutefois pas que les forces réelles de la communauté universitaire pour le développement viable soient dévoilées et orchestrées par une réflexion collective soutenue. En effet, l’impact du plan proposé repose également sur la mise en relation de l’expertise universitaire, et des savoirs qu’elle produit, avec les besoins et les savoirs d’expérience de groupes communautaires agissant sur des enjeux de développement viable. C’est à cette fin qu’est prévue la tenue de séminaires réunissant les acteurs du milieu universitaire et les acteurs du milieu communautaire. Ces rencontres seront présentées et animées comme des moments de co-construction de savoirs entre les formateurs, leurs groupes d’étudiants et les groupes communautaires, au cours desquelles seront conçus et régulés divers projets de collaboration pour le développement viable de l’Université et de la région directement en lien avec les activités de formation et de recherche.
8Pour que les orientations qui fondent ce plan se traduisent dans des actions concrètes, une méthodologie doit être développée ; des instruments – grilles d’analyse, guides d’animation, instruments d’évaluation, échéancier, etc. – doivent être produits. En route vers cette opérationnalisation, deux principaux repères seront utilisés afin d’avancer en cohérence vers les objectifs poursuivis : le cadre conceptuel de la citoyenneté environnementale et l’approche de l’apprentissage par le service communautaire (ASC).
9Pour donner forme à un tel plan vers l’écodéveloppement, il importe de préciser le sens de son objet principal. Que signifie exactement écodéveloppement ? Quelles significations les différents acteurs accordent-ils à ce mot ? Les expressions développement durable ou avenir viable en sont-elles synonymes ?Quelle place l’écodéveloppement fait-il aux enjeux environnementaux ? De nombreux débats peuvent être soulevés à partir de ces questions. Ces débats peuvent souvent s’avérer vains et essentiellement sémantiques, peu propices à l’action. Dans notre domaine, celui de l’éducation, de farouches oppositions existent entre tenants d’une Éducation relative à l’environnement (ERE) et ceux d’une Éducation au développement durable (EDD) (Jickling, 1992 ; Sauvé, 2002). Pour surmonter ces tensions que nous jugeons vaines et peu utiles, voire nuisibles, au progrès de l’éducation citoyenne, nous avons l’habitude d’utiliser l’expression Éducation relative à l’environnement et au développement durable (EREDD) pour désigner le domaine éducatif dans lequel nous nous situons. Ce choix indique que nous ne reconnaissons aucune opposition, mais plutôt une véritable continuité entre l’ERE et l’EDD. En effet, la seconde est historiquement apparue après la première, dans les années 1990, tout comme celle-ci était apparue, dans les années 1970, en continuité avec les importants mouvements de l’Éducation à la conservation et de l’Éducation au milieu naturel. Les documents de l’UNESCO témoignent bien de cette évolution vers une perspective de plus en plus intégrée sur les interrelations complexes et constantes entre les « trois sphères de la durabilité : l’environnement, la société et l’économie » (UNESCO, 2005, Annexe II – p. 7). L’expression Éducation pour un avenir viable (EAV) , utilisée notamment par le Ministère de l’Éducation du Manitoba (Éducation, Formation professionnelle et Jeunesse Manitoba, 2001) tout en reflétant moins bien l’évolution historique, a le mérite de dépasser la traditionnelle, et apparente, opposition entre environnement et développement, pour orienter les efforts éducatifs vers un futur à construire sur d’autres bases que celles qui ont conduit aux situations actuelles de déséquilibres écologiques, d’injustices sociales et d’inégalités économiques.
10C’est dans cette dernière ligne de pensée que nous proposons un écodéveloppement institutionnel résolument orienté vers un avenir écologique, du point de vue de la relation entre l’être humain et son environnement naturel, et équitable, du point de vue des relations sociales et économiques des êtres humains entre eux. L’expression de développement viable que nous avons utilisée dans ce texte veut refléter cette double intention. Cet énoncé demeure vague à souhait, car il faut que soit maintenu l’espace de délibération nécessaire aux acteurs d’une communauté pour prendre les décisions leur permettant de mieux vivre ensemble sur un territoire donné. Les enjeux de développement viable traités dans ce dialogue pluridisciplinaire et interactif qui caractérise notre plan seront ceux que les acteurs eux-mêmes – étudiants, formateurs, groupes communautaires, etc. – détermineront ; ils évolueront au gré des besoins et des savoirs co-construits.
11Somme toute, en congruence avec la nature même de l’institution universitaire, le plan est centré non pas sur un objet qui serait constitué d’aspects spécifiques de l’écodéveloppement, mais plutôt sur un objet d’apprentissage et de construction de savoirs qui se veut transversal et commun à tous les acteurs. Cet objet, c’est le développement des compétences citoyennes nécessaires à un engagement pour le développement viable. Plutôt que de prédéterminer la direction du changement institutionnel et régional, nous proposons un travail en amont sur ces compétences citoyennes, en postulant que des acteurs devenus civiquement compétents sauront induire des changements significatifs vers l’écodéveloppement. Le concept de citoyenneté environnementale, élaboré dans des travaux antérieurs, a servi à définir ces compétences et l’approche d’apprentissage par le service communautaire a été privilégiée pour les développer.
12Nous en sommes arrivés au construit de citoyenneté environnementale (Boutet, 2003)en rassemblant sous un même terme les principaux objets d’apprentissage de l’ERE. Ce construit est notre réponse à la question : Qu’est-ce que devraient apprendre des personnes participant à des programmes d’ERE ? L’expression même de citoyenneté environnementale est la traduction que nous retenons de l’expression anglaise environmental citizenship utilisée notamment par Environnement Canada pour désigner la responsabilité particulière de l’être humain par rapport à son environnement. À nos yeux, elle reflète ce que Leopold (1949) nommait une position éthique situant l’humain comme un citoyen et non comme un propriétaire des habitats. De plus, elle présente l’avantage de mettre en lumière les aspects démocratiques du rapport de l’humain aux ressources qui l’entourent, insistant plus sur le rapport de participation collective à leur utilisation qu’au rapport individuel de consommation. Enfin, elle pose l’être humain comme un être en relation avec son environnement naturel, ce qui rejoint une des idées qui font un large consensus dans le domaine (Sauvé, 1994). De notre côté, nous avons précisé deux dimensions à cette relation (Boutet, 2000) :
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une relation de solidarité avec les autres êtres vivants par laquelle l’être humain se sent, non pas maître et possesseur du monde, mais plutôt participant d’une biosphère : l’industrialisation, l’urbanisation et l’éloignement graduel d’un contact direct avec les milieux naturels ont fait en sorte que cette relation ne fait plus partie de l’expérience d’un grand nombre de jeunes et doit donc faire l’objet d’un enseignement-apprentissage ;
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une relation de responsabilité envers le maintien des systèmes de vie, par laquelle l’être humain se reconnaît et assume un rôle particulier, lui qui ajoute de la conscience à la biosphère et qui est capable de compassion : c’est sur une telle relation que peuvent se fonder un développement durable et un avenir viable.
13À partir de cette réflexion fondamentale sur ce qui est à apprendre, nous avons repéré dans la littérature des objets d’apprentissage de programmes d’ERE qui peuvent être mis en lien avec le développement de cette double relation. Nous situant donc en dehors des débats sémantiques, nous avons trouvé une convergence la pensée de plusieurs auteurs (Engle et Ochoa, 1986 ; Cohen, 1989 ; McClaren, 1989 ; Hungerford et Volk, 1990 ; Roth, 1991 ; Sauvé, 1994, Ninacs, 1995 ; Brinn, 1996 ; Greene, 1997 ; UNESCO, 1997 ; Commission du développement durable, 1998 ; McKeown, Hopkins et Rizzi, 2000 ; Peters, 2000 ; Bowers, 2001 ; Santerre, 2004) sur l’importance des cinq aspects suivants que nous avons retenus comme composantes de la citoyenneté environnementale : le développement d’une sensibilité envers le milieu naturel, la responsabilisation (empowerment),l’exercice d’une pensée critique, l’acquisition d’habiletés de participation démocratique, la mobilisation des connaissances nécessaires pour cerner les enjeux environnementaux et passer à l’action.
14L’hypothèse sous-jacente à notre programme de recherche en ERE est la même que celle qui sous-tend le plan d’écodéveloppement que nous proposons. En travaillant à développer les cinq composantes de la citoyenneté environnementale, la possibilité que l’intervention éducative ayant cours au sein de programmes d’ÉRE ait un impact sur l’engagement citoyen des personnes y participant est augmentée. Cette corrélation n’est pas encore établie de façon indiscutable par la recherche, mais plusieurs résultats déjà obtenus convergent vers cela (Boutet, 2009a ; Boutet, Samson et Myre-Bisaillon, 2009 ; Boutet et Samson, 2010). En définissant un objet d’apprentissage transversal à tous les programmes d’ERE, comme nous l’avons fait en nous appuyant sur un grand nombre d’auteurs, il est devenu possible d’élaborer un dispositif d’évaluation continue de ces programmes. En appliquant ce dispositif à un nombre élevé de programmes d’ERE et en suivant les participants sur plusieurs années pour constater la durabilité de leur engagement pour l’environnement, nous pourrons tirer des conclusions plus définitives.
15De la même façon, nous croyons nécessaire de bien définir ce qui est à apprendre par les acteurs d’un plan d’écodéveloppement institutionnel pour que leurs pratiques de vie quotidienne, de formation, de recherche et d’action communautaire évoluent vers un développement viable. Cela étant fait, il devient possible de décrire cette évolution et de fournir aux acteurs les éléments nécessaires à la régulation de leurs actions. Le tableau 1 présenté dans la section suivante (p. 9) illustre comment nous avons adapté la description déjà faite des composantes de la citoyenneté environnementale afin de décrire les composantes d’un engagement citoyen pour le développement viable. Afin que cet exercice soit bien ciblé, nous l’avons limité au contexte de l’apprentissage par le service communautaire des étudiantes et des étudiants qui, rappelons-le, est l’axe principal du plan proposé.
16C’est le philosophe américain John Dewey qui a établi au début du 20e siècle les fondements éducatifs sur lesquels s’appuie le mouvement d’apprentissage par le service communautaire. En effet, sa théorie de l’apprentissage expérientiel (qui peut se résumer par la fameuse formule : « learning by doing »,1938) et sa prise de position au sujet de l’importance de l’éducation pour la vie démocratique d’une société (Dewey, 1916) fournissent les assises qui ont donné naissance à une approche qui a graduellement pris de plus en plus de place dans les universités américaines et, depuis 1999, dans les universités canadiennes. Voici comment l’Alliance canadienne pour l’apprentissage par le service communautaire (ACASC), créée en novembre 2004 avec l’appui financier de la Fondation McConnell, définit l’ASC :
- 3  ACASC, Alliance canadienne pour l’apprentissage par le service communautaire, URL : http://www.com (...)
« L’apprentissage par le service communautaire (ASC) est une stratégie d’apprentissage et de développement passionnante qui suscite de plus en plus d’intérêt sur les campus et dans les collectivités partout au Canada. C’est une démarche pédagogique qui intègre des expériences de service communautaire à des activités d’apprentissage planifiées. Dans les projets ASC efficaces, à la fois les membres des établissements d’enseignement et ceux des organismes communautaires travaillent de concert à l’obtention de résultats mutuellement avantageux. »3
- 4  PAEIC (Programme d’apprentissage expérientiel par l’intervention communautaire). URL : http://www. (...)
17L’Université de Sherbrooke fait partie de l’Alliance depuis 2006, avec son Programme d’apprentissage expérientiel par l’intervention communautaire (PAEIC) qui « s'emploie à développer l'engagement citoyen des étudiantes et étudiants dans leur collectivité et à promouvoir un modèle pédagogique qui mobilise l'Université de Sherbrooke et la communauté pour répondre collectivement à des enjeux de société »4. Le PAEIC est l’un des dix programmes d’ASC financés par la Fondation McConnell dans les universités canadiennes. Chaque université expérimente divers modèles en vue de créer et d’adapter des activités de formation et de recherche favorisant la participation des organismes communautaires. Tout en respectant cette diversité, la Fondation formulait plusieurs suggestions en septembre 2007 afin de faire évoluer les programmes dans une direction commune, notamment la suivante qui va tout à fait dans le sens du plan que nous proposons pour l’écodéveloppement de l’Université de Sherbrooke et du rôle que nous reconnaissons au PAEIC à l’intérieur de ce plan :
« De concert avec des membres de la communauté, identifiez un enjeu communautaire et inventoriez les atouts des gens autour de la table – capacité de recherche, expertise pratique, expérience citoyenne, investissement du secteur privé et cadre politique gouvernemental. Fixez ensemble des objectifs intégrés pour l’apprentissage et le changement social et assumez-en collectivement la responsabilité. Un excellent exemple de cette démarche nous est donné par Lakehead avec le thème de la sécurité alimentaire, un enjeu qui mobilise des gens de tous les secteurs et tous les milieux. Des scientifiques de l’alimentation travaillent avec des sages autochtones, des professeurs de marketing avec des agriculteurs biologiques : chacun prend part à une action qui transcende sa profession ou sa discipline universitaire. » (Cawley, 2007, p. 9)
18C’est sur ce modèle que nous souhaiterions que se développe le PAEIC pour s’étendre à tous les cours et projets de recherche identifiés comme touchant à des enjeux de développement viable. Les formateurs et, surtout, les étudiants participant à ces activités mettent leurs compétences au service d’organismes communautaires préoccupés par divers enjeux ; en retour, leur action auprès des organismes leur permet de développer les compétences nécessaires à leur engagement durable comme citoyens envers ces enjeux. L’étude de cas que nous présentons maintenant peut nourrir la réflexion sur la faisabilité et l’impact de cette approche.
19Le cours ENV 794 (Éducation relative à l’environnement et au développement durable) est offert en option aux étudiantes et aux étudiants de la Maîtrise en environnement, programme qui est sous la responsabilité du Centre universitaire de formation en environnement de l’Université de Sherbrooke. À la session d’hiver 2010, treize personnes s’y sont inscrites. À titre de responsables de ce cours, nous avons choisi de l’intégrer au PAEIC. Concrètement, cela a signifié que notre plan de cours prévoyait que les étudiants devaient réaliser une intervention éducative en milieu communautaire afin de développer les deux compétences du domaine de l’EREDD visées par le cours, à savoir :
Élaborer des démarches pédagogiques favorisant la prise de conscience et la compréhension des enjeux environnementaux ainsi que le passage à l’action pour un développement durable ;
Développer un modèle cohérent d’intervention en éducation relative à l’environnement et au développement durable, adaptable aux caractéristiques de divers groupes d’apprenants, enfants ou adultes, et à leurs besoins de formation en divers contextes.
20Comme il le fait pour tous les cours participant au PAEIC, le coordonnateur a informé des organismes communautaires préoccupés par l’EREDD de la disponibilité de nos étudiantes et étudiants pour intervenir auprès de leurs clientèles respectives. Six d’entre eux ont manifesté leur intérêt : Le Hameau l’Oasis de Dunham (ressource communautaire jeunesse en agro-écologie et en environnement) – Le Centre de la petite enfance Imagémo – Les AmiEs de la Terre de l’Estrie – Le Tremplin (service aux jeunes adultes en recherche d’autonomie) – La Maize (Maison des jeunes de Fleurimont) - Le Cégep de Sherbrooke (programme de francisation). Un dialogue entre les organismes et les étudiants s’est amorcé dès le début de la session afin qu’à la fois les intentions d’apprentissage du cours et les besoins communautaires soient pris en compte pour l’intervention éducative. Cette adéquation a été atteinte à divers degrés selon les organismes. Il importe que les responsables de l’organisme et ceux de l’activité de formation fassent le point à ce sujet régulièrement dans une démarche d’intercompréhension qui ne peut qu’augmenter au fil des années.
21Ce qui nous intéresse plus particulièrement dans ce cas-ci, c’est l’autoévaluation que les étudiantes et les étudiants ont faite du développement de leurs compétences citoyennes par le service communautaire que le cours exigeait. À cette fin, nous avons d’abord formulé ces compétences, car elles demeuraient implicites dans le PAEIC jusque-là , et, sur cette base, nous avons élaboré un questionnaire à compléter par écrit. Avant de livrer les résultats, nous présentons ces deux instruments.
22Il y a déjà un certain temps que le comité pédagogique du PAEIC reconnaît que la notion de compétence citoyenne, qui est au centre du développement du programme, doit être clarifiée. Comme nous l’avons expliqué plus haut, nous avons entrepris de le faire à partir de nos travaux déjà réalisés sur la citoyenneté environnementale qui ont conduit notamment à élaborer une liste de descripteurs (Boutet, 2009b). Rappelons ici que la position que nous adoptons au regard de la formation de citoyens engagés pour l’environnement et le développement viable est de travailler en amont des enjeux eux-mêmes sur cinq compétences reconnues (mais non encore démontrées scientifiquement) fondamentales pour l’émergence d’un engagement citoyen durable ; nous assumons que les citoyens ayant développé ces compétences sauront à la fois poser et faire face collectivement aux enjeux environnementaux et de développement viable. Le tableau qui suit illustre comment nous avons adapté la formulation des cinq compétences et de leur principal descripteur au contexte du PAEIC.
23Tableau 1. Adaptation de la citoyenneté environnementale au contexte PAEIC
Compétences pour la citoyenneté environnementale
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Principal descripteur général
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Principal descripteur reformulé pour le contexte PAEIC
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Sensibilité au milieu naturel
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Passer du temps en contact avec la nature
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Être sensible aux enjeux du développement viable de sa communauté
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Responsabilisation
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Croire en son action et agir pour la protection de l’environnement et l’amélioration du milieu de vie
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Croire en son action et agir pour le développement viable de sa communauté
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Pensée critique
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Adopter des positions nuancées sur les enjeux de la protection de l’environnement et de l’amélioration du milieu de vie
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Adopter des positions nuancées sur les enjeux de développement viable de sa communauté
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Sens démocratique
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Agir en concertation avec sa communauté pour la protection de l’environnement et l’amélioration du milieu de vie
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Agir en concertation avec les différents acteurs du développement viable de sa communauté
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Mobilisation de connaissances
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Poser des gestes informés pour la protection de l’environnement et l’amélioration du milieu de vie
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Poser des gestes informés pour le développement viable de sa communauté
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24Un questionnaire en cinq parties, correspondant aux cinq compétences, fut donc élaboré à partir des énoncés de la colonne de gauche. Douze des treize étudiants l’ont complété, révélant ainsi leur perspective sur l’impact de leur participation au PAEIC au regard de leur engagement pour le développement viable de la communauté.
25Concernant la sensibilité aux enjeux du développement viable de la communauté, nous avons constaté que les étudiants, tout en étant généralement satisfaits de leur intervention en milieu communautaire, n’ont pas pu prendre la mesure des enjeux propres à l’organisme avec lequel ils ont collaboré. Trois équipes (sur six) n’ont pas su définir la mission de l’organisme et neuf répondants (sur douze) se sont dits incapables de décrire le type de gestion de l’organisme.
26Au regard de la responsabilisation, presque tous les étudiants (10/12) expriment que leur intervention éducative leur a procuré le sentiment qu’il était possible d’agir pour le développement viable de la communauté et que, de plus, leur action avait fait une différence en se sens pour les participants.
27La question portant sur la pensée critique était la suivante : Diriez-vous que votre action vous a aidé à saisir les aspects sociaux, politiques, économiques et éthiques liés au contexte d’intervention ? Huit étudiants (sur douze) ont répondu avoir saisi l’une ou l’autre de ces dimensions, la dimension sociale étant la plus souvent mentionnée alors que la dimension économique est la moins mentionnée.
28Concernant le sens démocratique, quatre équipes (sur six) évaluent avoir vécu une expérience positive de collaboration avec l’organisme. Cependant, cette collaboration ne s’est pas rendue jusqu’à construire une vision partagée de l’intervention ; seulement deux équipes ont pu échanger un peu à ce sujet.
29Enfin, deux questions portaient sur la mobilisation des connaissances. La première était : Est-ce que votre intervention éducative vous a permis de faire des liens entre vos diverses connaissances au sujet de l’environnement et du développement durable ? Sept étudiants (sur douze) ont répondu oui. Alors que cette première question portait sur la capacité à mettre en relation des connaissances, la deuxième les interpelait davantage sur leur capacité à les utiliser pour l’action, dans ce cas-ci une intervention éducative. Elle était formulée ainsi : Est-ce que vous avez utilisé vos connaissances pour soutenir votre intervention éducative ? Dix étudiants ont répondu oui à cette question.
30D’une part, ces résultats démontrent que l’ASC, tel qu’elle est traduite dans le PAEIC, est perçue par les étudiants comme ayant un impact somme toute positif sur le développement de leurs compétences citoyennes. Ce qui ressort le plus clairement, c’est qu’ils trouvent un sens et reconnaissent un certain pouvoir à leur action, laquelle leur permet d’utiliser leurs connaissances. Par ailleurs, leur compréhension des enjeux liés à la mission de l’organisme demeure limitée, notamment au regard des aspects économiques, politiques et éthiques. De plus, une dynamique démocratique de co-construction de sens entre eux (avec leur projet d’intervention éducative) et l’organisme (avec ses objectifs propres) n’a pas pu être établie. La brièveté du contact avec l’organisme et le peu d’accompagnement direct du dialogue entre les équipes et les acteurs du milieu communautaire nous semblent être les principales limites du dispositif mis en œuvre. Nous en tirons la conclusion qu’un élément important doit être ajouté à notre plan pour surmonter ces limites. C’est ce qui fait l’objet de la prochaine section.
31Dans notre plan, les étudiantes et les étudiants sont considérés comme la ressource la plus importante de l’université pour que cette institution s’inscrive dans une démarche durable d’écodéveloppement en interaction constante avec la communauté régionale. Nous considérons aussi que la mise en relation des cours et des activités de recherche portant sur le développement viable avec des besoins d’organismes communautaires est le principal moyen à utiliser. Cependant, cette mise en relation doit pouvoir s’inscrire dans une continuité et être soutenue par un accompagnement pour que le dialogue complexe qu’elle induit ait le souffle nécessaire à une réelle transformation. La création et l’animation d’un portail Web sur l’écodéveloppement régional sont le moyen choisi pour y parvenir.
32Ce portail sera structuré autour des divers enjeux de développement viable sur lesquels portent les activités de formation et de recherche universitaires ou sur lesquels les organismes communautaires agissent. Sa partie statique permettra l’échange de savoirs, construits par la recherche ou dans l’expérience de l’action communautaire, au sujet des enjeux. Quant à la partieinteractive, la plus importante, elle comprendra des outils (forums, idéateurs, clavardage, vidéoconférences, etc.) favorisant l’émergence d’une communauté de pratique en ligne (CEFRIO, 2005 ; Wenger, 1998) par un dialogue continu. Une structure d’animation, qui pourra être en grande partie assumée par des étudiantes et des étudiants, sera mise en place pour mettre en relation significative les questions des uns avec les réponses des autres, les actions des uns avec les réflexions des autres, les pratiques des uns avec les théories des autres. Des synthèses régulières et fréquentes seront produites et déposées sur le portail pour jalonner ce parcours dialogique. Elles serviront de base aux séminaires en présence qui auront lieu au moins une fois par année et qui sont décrits précédemment.
33Compte tenu de son caractère émergent, interactif et autorégulé, la proposition que nous formulons pour l’écodéveloppement de l’Université de Sherbrooke ne devrait probablement pas être décrite comme un plan. Il ne s’agit pas en effet d’un cadre prédéfini, pensé de façon séquentielle avec des sections et des sous-sections à mettre en application selon un échéancier établi. Il s’agit plutôt d’une démarche de mise en relation de deux principaux groupes d’acteurs, les étudiants et les intervenants communautaires, et des multiples expertises dont ils sont détenteurs, alimentés, en amont et en aval, par les ressources et la volonté d’une communauté universitaire et d’une communauté régionale pour évoluer vers un développement viable. Cette démarche doit être accompagnée pour qu’émergent des intentions et des repères partagés, et pour que se réalisent les indispensables et complexes dialogues entre les savoirs, entre les acteurs, entre recherches, formations et pratiques. Les formateurs intervenant dans le contexte d’un programme d’ASC comme le PAEIC, qui crée des ponts entre des situations déjà existantes, sont bien placés pour exercer un tel rôle d’accompagnement. Il en va de même pour les chercheurs dont les étudiants gradués travaillent sur des problématiques de développement viable et qui devraient pouvoir faire partie du programme d’ASC au même titre.
34Il est depuis longtemps reconnu que dans toute réforme éducative le corps enseignant est appelé à jouer un rôle central (Holmes Group, 1989) et celle-ci ne fait pas exception. Pour cela, les professeurs, chercheurs et chargés de cours ont certes besoin d’un cadre commun que nous proposons être celui de la citoyenneté environnementale. Cependant, cela ne suffit pas et il faut également qu’ils en reçoivent le mandat et les moyens par leur institution et par les organismes communautaires. En plus d’une reconnaissance dans leur tâche, ils doivent avoir droit à une formation respectueuse de leur expertise, qui leur laisse le temps et la liberté nécessaires pour trouver les meilleures voies d’intégration des préoccupations de développement viable dans leurs activités universitaires et qui leur permet de définir leur contribution au projet collectif.
35L’écodéveloppement d’une université ou d’un collège est ici présenté comme un apprentissage collectif. Dewey (1938) affirmait que l’apprentissage est le fruit de la recherche d’une continuité dans l’expérience. La discontinuité actuelle de l’expérience humaine sur Terre explique certes ce désir qui monte fortement dans de nombreuses communautés d’apprendre ensemble, de reconstruire le sens du contrat naturel (Serres, 1987). Dewey soulignait aussi que dans un cycle d’apprentissage par l’expérience, dans lequel réflexion et action sont en constante interaction, c’est le moment réflexif, celui du doute et de la délibération qui est le plus difficile à supporter. Mettre en place les conditions pour être capables de douter ensemble, à travers nos actions partagées, voilà un objectif difficile à atteindre, mais qui semble à la portée d’institutions d’enseignement supérieur, si elles choisissent de s’orienter vers un développement viable réfléchi plutôt que vers un développement entrepreneurial superficiel justifié par des contraintes financières. C’est une question de choix… et il ne serait pas étonnant que les étudiantes et les étudiants, soucieux d’un avenir soutenable, doivent l’imposer à leur université ou leur collège.
36Nous remercions le Programme d’apprentissage expérientiel par l’intervention communautaire (PAEIC), pour la subvention qui a soutenu l’élaboration et l’analyse du questionnaire sur les compétences citoyennes qui a été utilisé pour cet article. Nous remercions également Mme Line Bolduc, étudiante à la Maîtrise en environnement qui nous a assistés dans ce travail. Enfin, nous remercions M. Simon Bolduc, coordonnateur du PAEIC, pour sa collaboration.
37Marc Boutet est détenteur d’un doctorat en didactique de l’Université Laval (2000). Il enseigne et mène des recherches dans le domaine de la formation à la pratique de l’enseignement ainsi que dans le domaine de l’éducation relative à l’environnement et au développement durable. Il est président de l’Association pour la formation à l’enseignement (AFORME), qui regroupe les formateurs d’enseignants du Québec, particulièrement les formateurs de terrain. Il est chercheur associé au CRIE (Centre de recherche sur l’intervention éducative) et membre de l’Institut de recherche sur les pratiques éducatives.