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L’apport de la psychologie cognitive à l’étude de l’adaptation aux changements climatiques : la notion de vulnérabilité cognitive

Lammel Annamaria, Dugas Emilie and Guillen Gutierrez Elisa

Abstracts

This article examines both the role of cognition in human adaptation to climate change and the role that cognitive psychology can play in this field. We start from the assumption that human cognition, mediated by culture, plays a central role in the adaptation to climatic and environmental changes. However, the current acceleration of global climate change perturbs the cognitive treatment of climate information. The character unpredictable and highly complex of climate in addition to the fact that culture does not provide knowledge as well as cognitive tools necessary to understand it might produce cognitive vulnerability. Taking into account the environmental constraints and cultural characteristics, firstly we present some preliminary results of our fundamental research conducted among adults in New Caledonia and Paris on the representation of climate, climate change and the representation of the human capacity to adapt to global climatic changes. Secondly, we will provide a comparison of intra-cultural representation of the climate in different geographical and climatic conditions in France. Our results suggest that both culture and climatic experience affect cognitive adaptation. Parisian adults exhibit the highest cognitive vulnerability, therefore a less adaptive cognition. We believe these results can be explained by the persistence and inadaptability of analytical thinking dominant in western urban populations along with the lack of bi-metric representations.

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Full text

Introduction

« … Il y a donc les changements climatiques et puis le fait que je me sens inefficace pour faire quelque chose. J’ai l’impression de ne pas avoir assez de moyens à ma disposition pour pouvoir faire quelque chose. C’est comme si un professeur disait à ses élèves, allez-y, faites votre devoir, mais sans feuille et sans crayon. » (Vincent, 19 ans, Paris, 2008)

1La multiplication des études sur les différentes formes d’adaptation des groupes humains aux changements climatiques met en évidence l’urgence que soit traitée cette problématique. Les travaux actuels cherchent principalement à expliquer la manière dont les « systèmes humains » peuvent modifier leurs stratégies d’adaptation économique et le développement de celles-ci dans des environnements « imprévisibles ». La majorité de ces études ont repris la notion d’adaptation définie dans le dernier rapport du GIEC (2007). Elles démontrent que les solutions d’adaptation ne se situent pas au niveau des populations concernées, mais des responsables politiques et territoriaux qui doivent assister cette population dans ses processus d’adaptation. Cependant, depuis toujours, les individus et plus largement les groupes humains se sont adaptés aux aléas et aux contraintes du climat de façon très variée (Hassan, 2009; Mayewski, et al., 2004; Scarborough, 2003; Tainter, 1988). L’histoire du climat nous montre que des changements abrupts ont déjà existé dans le passé (Taylor, 1999). Mais la situation historico-culturelle de cette époque était telle que des déplacements étaient envisageables, en raison du faible peuplement de la planète. De plus, les besoins des groupes humains étaient notablement des besoins élémentaires (Crate et Nuttal, 2009). Nous considérons, en nous appuyant sur la littérature existante, que ce sont les capacités cognitives spécifiques à l’être humain et médiatisées par la culture qui ont essentiellement permis l’adaptation à toute forme de climat sur la planète. Ainsi, notre approche est contraire au déterminisme environnemental encore largement répandu. Effectivement, depuis Hippocrate et à travers par exemple les textes de Montesquieu, la vision selon laquelle les cultures humaines sont déterminées par l’environnement et le climat est encore partagée dans de multiples disciplines (Peterson et Broad, 2009). En effet, comprendre, expliquer, organiser et transmettre des informations sur le climat, y compris communiquer sur sa nature imprévisible, a été essentiel à la survie et au développement des civilisations (Pointing, 2007; Acot, 2003 ). Les études d’anthropologie (Lammel, Goloubinoff et Katz, 2008; Strauss et Orlove, 2003; Katz, Lammel et Goloubinoff, 2002; Sahlins, 1964) rapportent que les sociétés à tradition orale disposent d’une plus grande quantité de connaissances sur le climat, car elles organisent davantage leurs activités en fonction de celui-ci. Ces sociétés sont mieux préparées aux caprices de la météorologie, car chaque individu dispose d’un petit modèle conceptuel du climat qu’il peut partager avec les autres (Lammel, 2002). Même si ces connaissances peuvent être erronées, les individus sont capables de donner du sens aux phénomènes climatiques observés. Par ailleurs, la pensée holistique dominante dans ces sociétés permet aux individus de saisir la nature systémique des phénomènes. Aujourd’hui, dans les travaux relatifs aux changements climatiques, le rôle de la cognition n’est pas encore mentionné, même si certains de ces travaux signalent de façon fragmentaire le rôle des connaissances et des stratégies de résolution de problème dans l’adaptation au climat et aux changements climatiques (Adger, Saleemul, Brown, Conway et Hulme, 2003). Néanmoins, un certain nombre d’études de cas mettent en évidence l’impact des connaissances et des stratégies de résolution de problème dans la capacité d’adaptation (Dube et Sekhwela, 2008; Vedwan, 2006; Krupnik et Jolly, 2002; Huber et Pedersen, 1997; Orlove, Chiang et Cane, 2002).

2L’adaptation aux changements climatiques est un objet d’étude qui demande une approche interdisciplinaire pour être expliqué et compris dans sa globalité. À ce propos, Grothmann et Patt (2005) ont mis en évidence l’échec de la littérature empirique sur l’adaptation aux changements climatiques lorsqu’elle n’intègre pas une réelle dimension cognitive. Dès les années 90, la nécessité de mieux connaître les processus cognitifs, c’est-à-dire les modes de traitement de l’information face aux changements climatiques, a été soulignée (Lévy-Leboyer et Duron, 1991; Pawlik, 1991). La compréhension du changement climatique, et plus largement du climat, est importante parce qu’elle influe sur les niveaux de préoccupation, de croyance et de perception du risque qui, à leur tour, ont un impact sur la motivation pour agir. Par ailleurs, la recherche en psychologie suggère que certaines caractéristiques perçues du changement climatique peuvent conduire les individus à sous-estimer l’ampleur des risques (Sundblad et al, 2007; Bohm, et Pfister, 2000). Les études menées en didactique (Anderson et Wallin, 2000; Boyes et al., 1999; Rajeev Gowda et al, 1997; Kempton, 1991) ont également permis d’approfondir les connaissances que l’individu peut appréhender concernant le changement climatique. D’autres travaux s’intéressent aux réponses comportementales face au changement climatique (Whitmarsh, 2009; Nilsson et al., 2004) et à la volonté de l’atténuer (Whitmarsh et O’Neill, 2010). Ces études suggèrent que la problématique du changement climatique est extrêmement complexe et pose des difficultés de compréhension tant aux enfants qu’aux adolescents et aux adultes.

3Depuis peu, l’Americain Psychological Association (2009) a rendu compte de l’importance de la psychologie dans la lutte contre le changement climatique. Son rapport précise l’existence de barrières physiologiques et psychologiques qui empêcheraient les modifications comportementales susceptibles de limiter les causes et les effets des changements climatiques. Le comportement reste un élément essentiel. Par exemple, la psychologie environnementale étudie les comportements des groupes, principalement urbains, vis-à-vis de l’environnement en rapport avec des valeurs morales sous-jacentes. Néanmoins, elle ne s’intéresse pas à la manière dont ces informations sont organisées. Le rapport rend compte également des difficultés de compréhension des changements climatiques, dans ses causes comme dans ses effets probables, par les individus dans différentes régions du monde. Ce rapport suggère que ces difficultés de conceptualisation sont dues au fait qu’il est difficile de faire l’expérience personnelle et directe du changement climatique. Aussi, les individus doivent-ils essentiellement admettre les jugements d’experts ou les informations des médias, pour lesquels leurs connaissances abstraites sur le climat ne leur fournissent pas une possibilité de réfutation.

Adaptation cognitive aux changements climatiques

4Les études exposées précédemment montrent que la cognition humaine joue un rôle important (dans la capacité à comprendre, prévoir, faire des projets) et constitue un élément essentiel dans le rapport avec l’environnement. Ce fait appuie un très grand nombre de travaux portant sur la relation homme/environnement qui prouvent le rôle primordial de la cognition dans les processus d’adaptation humain. Nous avons ainsi élaboré la notion d’adaptation cognitive en la situant dans le contexte de l’environnement et de la culture dans lesquels l’individu grandit et vit. Nous considérons que pour comprendre les capacités d’adaptation cognitive des groupes humains, il est nécessaire, de par la nature globale du changement climatique, de se situer dans une approche historico-culturelle de la cognition (Vygotsky, 1997; Wertsch, 1991, 1985). En conséquence, l’adaptation cognitive humaine est un processus de changement dans le traitement de l’information, médiatisé par la culture, pour une meilleure adaptation entre un organisme et l’environnement. Ainsi, la culture est-elle un médiateur actif entre les populations humaines et leur environnement. Selon ce processus, les modalités cognitives les mieux adaptées aux contraintes de l’environnement et à la modification de celui-ci seront retenues par le groupe dans une sorte de sélection progressive. De cette manière, notre approche permet d’intégrer les caractéristiques propres de l’environnement où vit le sujet, les caractéristiques de la culture, mais aussi le passage entre l’individu et le groupe.

5Dans la perspective de l’approche historico-culturelle, nous pouvons admettre qu’actuellement les individus se trouvent dans une situation où les changements climatiques se produisent sur une échelle de temps réduite. Dès lors, ni l’individu ni la culture (société) ne disposent des connaissances suffisantes, ou des modes de traitement adéquats, pour pouvoir s’adapter cognitivement aux changements accélérés. Cela peut conduire les individus à se trouver dans une situation menaçante et préoccupante, puisqu’ils ne savent pas à quel degré ils seront touchés. Autrement dit, du point de vue du sujet, la marge de résolution de problème semble être actuellement très faible. Ces constats nous ont conduits à définir la vulnérabilité cognitive dans son rapport aux changements climatiques. Il s’agit d’un état cognitif dans lequel le sujet ne dispose ni des informations/connaissances suffisantes, ni des modes de traitement de l’information nécessaires à la compréhension optimale des phénomènes climatiques.

6Les deux notions présentées ci-dessus nous ont permis de formuler plusieurs hypothèses, à savoir que les populations industrialisées, souvent considérées à tort comme les moins vulnérables, se trouvent en situation de vulnérabilité cognitive. Dans le cas des changements climatiques actuels accélérés, même la culture a des difficultés à jouer son rôle de médiateur en fournissant les outils nécessaires pour comprendre ces phénomènes. En effet, on peut déjà observer des conflits cognitifs et des difficultés de compréhension, ainsi qu’une défaillance des stratégies de résolution de problème. Il est donc nécessaire d’identifier les facteurs et les déterminants qui influencent cette vulnérabilité cognitive, tant au niveau individuel que du groupe en prenant en compte les processus cognitifs médiatisés à la fois par la culture et par l’environnement. Ces éléments ainsi identifiés permettraient de participer à une adaptation cognitive des populations.

Le projet ACOCLI

7C’est dans cette perspective que se situe notre projet de recherche, intitulé ACOCLI (Adaptation Cognitive aux Changements Climatiques), financé par l’Agence Nationale de Recherche Française et coordonné par Annamaria Lammel et Frank Jamet. Notre modèle théorique (Figure 1) s’appuie sur des modèles préexistants qui ont mis en évidence la réciprocité entre organisme, comportement et environnement (Bandura, 1986; Wohlwil, 1973). Le modèle présenté en figure 1 nous semble offrir un cadre théorique solide pour mieux comprendre les éléments qui déterminent l’adaptation cognitive et permettre d’explorer les variables impliquées dans la vulnérabilité cognitive. Ce modèle intègre de nouvelles composantes primordiales: la culture et la cognition, ainsi que les caractéristiques spécifiques du sujet. Ce dernier se situe au centre de notre modèle et est un sujet actif. Il apprend et contribue, à travers ses propres activités cognitives et ses comportements, aux modes de fonctionnement de la culture et de l’environnement. Il existe une interaction entre les différentes composantes, par exemple entre les performances cognitives et les comportements du sujet vis-à-vis du monde qui l’entoure ou encore entre la cognition et la culture. Le sujet lui-même a donc un impact sur l’ensemble de ces éléments.

Figure 1. Modèle théorique de l’adaptation cognitive. Theoretical Model of cognitive adaptation

Figure 1. Modèle théorique de l’adaptation cognitive. Theoretical Model of cognitive adaptation

8Le projet de recherche ACOCLI souhaite mieux appréhender la manière dont la cognition humaine traite les informations concernant les phénomènes climatiques, et principalement les changements climatiques, selon les caractéristiques du sujet (âge, sexe, niveau d’instruction, etc.), mais aussi selon les différents milieux culturels et environnementaux. Il s’agit d’un projet ambitieux étudiant à la fois des représentations spontanées, des connaissances culturelles et des processus élémentaires de traitement de l’information dans le domaine de l’adaptation cognitive aux changements climatiques. Nous considérons que les conditions climatiques, ainsi que le niveau de risque climatique des environnements vont influencer le traitement cognitif de la part des individus et des groupes y résidant. Par ailleurs, la prise en considération de la culture implique de porter une attention particulière aux différences éventuelles de contexte culturel chez les habitants de diverses régions. Pour répondre à ces questions, nous avons sélectionné différents terrains d’études en fonction des conditions climatiques et des expositions aux risques en France métropolitaine (Paris, Alpes, Ile de Ré) et en outre-mer (Guyane Française et Nouvelle-Calédonie). Dans les études comparatives, la culture, l’environnement ou les niveaux d’exposition au risque ne sont pas des variables que le chercheur pourrait manipuler et sont considérés comme des variables contextuelles (Matsumoto et van de Vijver, 2010; van de Vijver et Leung, 1997).

9L’équipe de travail du projet ACOCLI est composée de neuf chercheurs et trois doctorants. Dans un premier temps, nous avons procédé à des entretiens non directifs qui ont permis d’identifier les thèmes transversaux autour desquels s’organise la représentation du climat et des changements climatiques. À partir de cette étude préliminaire, nous avons constitué un questionnaire semi-directif composé de deux parties. La première contient des questions portant sur le climat, la deuxième des questions sur les changements climatiques actuels. La structure des questions a été élaborée avec l’objectif de recueillir des données sur les organisations sémantiques, le mode de raisonnement, la mise en relation des aspects locaux et globaux, les dimensions temporelles et spatiales des deux concepts. Les entretiens ont été conduits individuellement dans le milieu naturel des sujets. Nous avons choisi quatre groupes d’âge (11/12 ans, 14/15 ans, jeunes adultes et adultes) dans cinq environnements différents (Paris, Nouvelle Calédonie, Guyane française, les Alpes, et les Pyrénées). La durée des entretiens pouvait varier entre 15 minutes et 1 h 30. Au total, 800 entretiens ont été enregistrés et retranscrits. Les analyses préliminaires ont mis en évidence l’importance de la composante culturelle et des caractéristiques spécifiques de l’environnement dans l’organisation des connaissances des phénomènes climatiques et plus précisément des changements climatiques. Ces éléments nous permettent déjà de conduire des études expérimentales systématiques sur ces différents terrains afin d’identifier les mécanismes cognitifs pouvant constituer des obstacles à une adaptation optimale.

10Nous avons maintenant choisi de présenter quelques extraits des études concernant d’une part la relation entre cognition, vulnérabilité et culture, d’autre part l’influence de l’environnement sur la cognition.

Cognition, vulnérabilité et contextes culturels

11Dans notre modèle, l’influence de la culture sur l’adaptation cognitive est incontestable. Dans le cadre de cet article, nous présenterons quelques réflexions et des exemples concernant le rôle du système de pensée dans l’organisation des connaissances sur le changement climatique.

12Nos études préalables dans le domaine de la perception et de la représentation des phénomènes météorologiques, du climat ou des risques liés à la pollution (Lammel et Resche-Rigon, 2007; Lammel et Kozakai, 2005) nous ont montré l’importance des systèmes de pensée dans le processus de co-construction entre l’homme et l’environnement. Des études de psychologie (Nisbett et al, 2001) ont mis en évidence que les différences culturelles et sociales existantes entre les groupes ne concernent pas seulement leurs croyances relatives aux différents aspects du monde, mais aussi leur système métaphysique, leur épistémologie et, à un niveau plus profond, les processus cognitifs. Deux systèmes de pensée peuvent être identifiés. La pensée holistique qui se construit avant tout à partir de connaissances obtenues par l’expérience et non par la voie de la logique abstraite. Cette pensée prend en considération l’ensemble du contexte et les relations de l’objet avec celui-ci, en expliquant et en prévoyant les évènements à partir de ces relations (Varnuma et al., 2008; Lammel et Kozakai, 2005; Peng et Nisbett, 1999; Michael, Nisbett, 1998). À l’inverse, dans la pensée de type analytique, les objets sont souvent isolés de leur contexte, et la compréhension se focalise sur les caractéristiques propres à l’objet, pour déterminer son appartenance catégorielle, permettant d’expliquer et de prévoir les événements à partir de ses propres règles. Concernant « l’objet climat », les études en anthropologie ont montré que les sociétés traditionnelles qui relèvent d’une pensée holistique considèrent le climat dans sa globalité, alors que dans les sociétés occidentales qui relèvent d’une pensée analytique, le climat est pris comme un objet isolé de l’environnement (Katz et al., 2002). Étant donné que le climat et les changements climatiques sont des phénomènes holistiques et systémiques, nous pensons que la pensée analytique peut constituer un obstacle dans leur compréhension en provoquant une vulnérabilité cognitive chez les individus et les sociétés concernés.

13L’analyse préliminaire de nos données va dans le sens de nos prédictions. Ici à titre d’exemple, nous avons choisi de présenter d’abord les représentations mentales du climat et des changements climatiques ainsi que l’adaptation humaine à ces changements, à travers l’analyse de tâches de définition et d’argumentation.

Étude 1. Les représentations mentales du climat et du changement climatique

14La définition peut être conçue comme une donnée prescriptive, spontanée et naturelle qui se base sur un « terme définisseur » (Giboreaux, Dacremont, Egoroff, Guerrand, Urdapilleta, Candel et Dubois, 2006; Candel, 2004). La définition est une activité à la fois fondamentale et naturelle (François, 1985). Elle n’est pas univoque, pas nécessairement réversible; elle peut prendre « du temps », il y a plusieurs façons de définir et on définit différemment selon que le référent est visible ou non, abstrait ou concret, qu’il fait appel au côté expérientiel du mot, du monde, ou d’autrui (François, 1985). Autrement dit, les définitions, selon l’approche cognitiviste, permettent de saisir le cadrage élémentaire des représentations. Ainsi les définitions nous semblent être de bons indicateurs pour identifier les représentations mentales des sujets concernant ces concepts, mais aussi pour discerner des différences culturelles, notamment entre la pensée holistique et analytique.

Méthodologie

15Lors de l’entretien semi-directif évoqué auparavant, nous avons demandé aux sujets de répondre dans un premier temps à la question « Qu’est-ce que le climat pour vous? » et, dans un second temps, nous avons posé la question « Qu’est-ce que le changement climatique pour vous? ». Ces entretiens ont permis de recueillir 800 définitions pour chaque concept, 50 par groupes d’âge et selon le lieu d’habitation (voir les spécificités des sujets, précédemment présentées). Dans le cadre de cet article, nous présentons l’analyse qualitative des définitions de seulement deux sujets tirés au hasard: une adulte de la Nouvelle-Calédonie et une adulte parisienne. Exemple 1 - Femme de 40 ans, Bac +3, langue maternelle Kumak, née en Nouvelle Calédonie:

Définition du climat: « Le climat, alors le climat pour moi c’est la nature, les saisons et la nature, je n’ai pas d’autres mots à dire... Dans ma culture en fait, c’est un tout, donc le climat ça marche avec la culture (agriculture), ça marche avec notre façon de vivre, notre habitat. Le climat c’est aussi au niveau des saisons pour les cultures, comme la culture des ignames, tout ça marche ensemble quoi. Voilà c’est ça le climat. Personnellement, le climat en fait, c’est beaucoup de choses. Nous on a une histoire dans notre clan, j’avais un arrière-grand-père qui avait le pouvoir sur la mer, sur le vent, je ne peux pas non plus rentrer dans les détails parce que c’est un truc qui nous appartient. Donc le climat c’est tout ça, mais maintenant tout est codifié et tout est affiché. Mais avant les vieux marchaient beaucoup avec le temps qu’il faisait par rapport aux arbres, par rapport à la floraison, par rapport à tout ça. » (Nouméa, 2010, Recueil Olga Marest)

Définition du changement climatique: « C’est le réchauffement, c’est le trou d’ozone, le réchauffement climatique, le changement, c’est le changement du climat au niveau de la température. Moi ce que je peux dire, c’est à notre niveau ici, il y a les choses qu’on vit aujourd’hui et qu’on n’a pas vécues il y a 10 ans. Et puis les changements climatiques c’est aussi que dans un sens maintenant on fait beaucoup de prévention au niveau des enfants, même au niveau de la population pour essayer de changer les choses, pour pouvoir améliorer, non pas améliorer, mais pour pouvoir stopper ce qui est déjà arrivé. Et à notre niveau, faire un peu des choses pour pouvoir aider à mieux vivre. » (Nouméa, 2010, Recueil Olga Marest)

Exemple 2 - Femme de 37 ans, Bac +2, langue maternelle française – née à Paris

Définition du climat: « C’est le temps tout simplement. » (Paris, 2010, Recueil Dugas Émilie)

Définition du changement climatique: « C’est la météo qui entraîne des inondations. » (Paris, 2010, Recueil Dugas Émilie)

Analyse

16Notre choix n’est pas caricatural, les études en cours montrent bien, en effet, des différences importantes dans les définitions selon les variables contextuelles (culture, environnement, exposition aux risques). À titre d’exemple, nous avons procédé à l’analyse des deux séries de définitions présentées ci-dessus. Dans le premier exemple, l’aspect holistique du climat est clairement exprimé. Le climat, l’homme et les plantes sont en interrelation, il s’agit d’un tout qui change, d’un ensemble où tout se modifie mutuellement, et qui forme ainsi un système. Cette vision holistique du climat produit le même type de vision sur les changements climatiques. Bien que dans sa réponse, le sujet de l’exemple 1 fasse une erreur au niveau de la cause (trou dans la couche d’ozone), elle a déjà expérimenté des changements de l’environnement dont elle fait partie. Dans sa représentation, la population, en faisant partie du climat, doit agir activement pour sa protection et pour au moins diminuer les risques. La définition du changement climatique par cette même personne, dans sa richesse, est tout à fait cohérente avec sa définition du climat et montre l’implication du sujet dans le système climatique. Dans l’exemple 2, nous voyons une définition prototypique dans laquelle le sujet confond le climat avec la météo. Elle substitue le mot « temps » au mot « climat » dans une correspondance directe 1=1. Il n’y a pas de relation, mais l’application d’une logique simple, propre à la pensée analytique. Cette première définition influence celle du changement climatique, qui est construite sur l’identification initiale entre temps (météo) et climat. Une explication causale extrêmement simple et dépourvue de sens réel constitue la définition. Celle-ci montre que le sujet n’a aucune représentation mentale sur le changement climatique. Cette personne ne se représente qu’un objet prototypique isolé du contexte: l’inondation, suivant le mode de pensée analytique.

Discussion

17En ayant établi préalablement des équivalences dans le profil démographique des deux individus (femmes, âge proche, niveau d’études équivalent, éducation dans le système scolaire français, catégorie socioprofessionnelle identique et intérêts similaires mis en évidence par un questionnaire), nous pouvons attribuer les différences de leurs réponses aux variables contextuelles. Sans tirer de conclusions hâtives, ces données suggèrent que les modèles culturels, le rapport à l’environnement et les modes de pensée participent à la construction des représentations mentales du changement climatique, elles-mêmes construites sur celles du climat. Nous considérons que le deuxième sujet présente une vulnérabilité cognitive plus importante et nous pouvons supposer également que cela empêche une adaptation cognitive efficace, ce qui peut ensuite se répercuter sur les comportements.

Étude 2. Les représentations mentales de l’adaptation aux changements climatiques

18Dans nos entretiens semi-directifs, nous avons posé la question: « Est-ce que l’être humain peut s’adapter au changement climatique? » À travers cette question, nous demandions au sujet de proposer une argumentation. L’argumentation en tant que telle constitue une porte ouverte sur le raisonnement qualitatif et la pensée du sujet, mais également sur ses représentations mentales.

Méthodologie

19Sur un échantillon de 48 sujets habitant Paris (moyenne d’âge= 34,3; ET 15,6; H=25, F=24) et 48 sujets habitant la Nouvelle-Calédonie (moyenne d’âge= 26,2; ET=11,11; H=21, F=27), nous avons procédé à une analyse thématique des entretiens. L’analyse thématique avec des juges indépendants est une méthode d’analyse qualitative des données verbales qui permet de catégoriser les réponses des sujets grâce au calcul des scores de validité des correspondances entre les juges. Trois chercheurs ont codé les argumentations, le coefficient Kappa (Cohen, 1960) était de 0,92. Il est jugé excellent d’après l’échelle de Landis et Koch (1977) et révèle une forte intensité d’accord entre les juges.

20Nos analyses mettent en évidence cinq types de représentation de l’adaptation aux changements climatiques: adaptation évolutionniste, adaptation partielle, adaptation conditionnelle, adaptation temporelle et finalement disparition (Tableau 1). Comme précédemment, notre échantillon contenait des équivalences démographiques nous permettant de procéder à des comparaisons. Les résultats sont présentés dans la Figure 2 et mettent en évidence des différences conceptuelles qui peuvent être attribuées aux variables contextuelles. Effectivement, bien que nous ayons trouvé quelques explications similaires, on note dans la distribution des réponses une différence considérable quant à la vision de la capacité d’adaptation humaine aux changements climatiques.

Tableau 1. Les représentations mentales de l’adaptation aux changements climatiques. Mental representations of climate change adaptation

Catégories

Exemples

Adaptation évolutionniste

« Les êtres humains ont toujours pu s’adapter par le passé, donc maintenant nous aussi »

Adaptation partielle

« Les pays riches peuvent s’adapter, nous pouvons déménager, mais pas les autres »

Adaptation conditionnelle

« L’être humain peut s’adapter si il change son mode de vie, si il trouve des énergies renouvelables »

Adaptation temporelle

« L’être humain va avoir de plus en plus de difficultés dans le futur pour s’adapter »

Disparition

« L’être humain va disparaître »

Figure 2. Pourcentages de réponses des sujets par catégories de réponses à la question « Est-ce que l’être humain peut s’adapter aux changements climatiques? ». Percentages of subject’s responses by categories to the question: Can humans adapt to climate change?

Figure 2. Pourcentages de réponses des sujets par catégories de réponses à la question « Est-ce que l’être humain peut s’adapter aux changements climatiques? ». Percentages of subject’s responses by categories to the question: Can humans adapt to climate change?

Discussion

21Dans les deux cas, nous pouvons observer des réponses toutes faites, que nous appelons des « représentations prêtes à intégrer », par exemple: « Les êtres humains ont toujours pu s’adapter par le passé, donc maintenant nous aussi ». Cette phrase représente une vision d’adaptation évolutionniste. Les divergences les plus importantes ont été observées entre les réponses des sujets de Nouvelle-Calédonie qui envisagent une disparition de l’être humain sur terre et les Parisiens qui évoquent des possibilités instrumentalisées d’adaptation (adaptation conditionnelle). Nous observons que même si les Parisiens ne sont pas vraiment optimistes, ils considèrent que l’humanité va survivre, tandis que presque la moitié des sujets interrogés en Nouvelle-Calédonie estiment que les humains peuvent disparaître aussi bien que certaines plantes ou certains animaux. Les Parisiens situent l’homme sur un autre registre que le reste des êtres vivants. Ceci concorde avec une pensée analytique qui ne saisit pas les éléments du monde dans leur continuité, mais au contraire d’une manière discrète. D’autre part, la vision des Parisiens reflète des valeurs anthropocentriques, celle des Nouveaux-Calédoniens, des valeurs éco-centriques (Gagnon et al., 1994). Selon la première vision, les humains sont supérieurs aux forces de la nature, ils la dominent, tandis que dans la deuxième vision, l’homme se situe dans un système écologique qu’il doit respecter. De ce point de vue, les deux populations montrent des positions opposées.

22Toutefois, nous pouvons identifier une vulnérabilité cognitive dans les deux cas. À l’exception des « représentations prêtes à intégrer », les réponses reflètent une part d’incertitude. Nous sommes ici en face de croyances concernant l’avenir. Effectivement, dans les deux cas, l’individu exprime une impuissance individuelle, c’est-à-dire que cet avenir lui échappe, et il délègue ce pouvoir à des forces extérieures à lui (technologies, nature). Toutefois, nous pensons que la vision holistique permet de diminuer l’angoisse face à cette incertitude, en acceptant que l’homme soit un des éléments constituants de ce système.

Cognition et environnement

23Notre modèle théorique (Figure 1) intègre, outre la culture, une seconde composante, l’environnement, qui nous semble fondamentale. Dans le cadre de notre projet, nous entendons, par environnement, les conditions climatiques (climat global et local) et les conditions géographiques, mais aussi l’exposition aux risques climatiques. Nous estimons qu’on peut observer, au sein d’un même contexte culturel, un certain nombre de différences. Nous supposons en effet que les conditions climatiques et géographiques locales vont influencer le traitement des informations climatiques venant de sources multiples (enseignements, médias, expérience directe). Nous utiliserons le concept de « représentation bi-métrique » (Lammel, 2003) qui fait référence, dans ce cas, à la relation entre les connaissances culturelles du sujet et l’expérience directe qu’il a de son environnement.

Étude 1. Représentation du climat et contexte environnemental

Méthodologie

24Pour cette étude, nous avons proposé une tâche de définition concernant seulement la représentation du climat dans trois environnements très contrastés en France métropolitaine: Paris (environnement urbain/climat océanique dégradé); l’Ile de Ré (environnement de type insulaire/climat océanique) et les Alpes (environnement montagnard/ climat de haute montagne). Cette question faisait partie d’un entretien semi-directif. L’échantillon était composé de 90 sujets (n=30 par environnement, moyenne d’âge 29,2; ET=2,74; H= 38, F=51). Afin de procéder à une analyse comparative, nous avons sélectionné des sujets de catégories socioprofessionnelles (ouvriers et employés) et de niveaux d’études (de bac à bac +3) équivalents dans les trois environnements. Les passations ont été réalisées en entretiens individuels. Trois chercheurs ont codé les réponses des sujets. Le coefficient Kappa (Cohen, 1960) de 0,83 est jugé excellent d’après l’échelle de Landis et Koch (1977).

Résultats

25L’analyse des définitions permet de mettre en évidence une typologie des représentations cognitives associées au climat (Tableau 2). À partir de l’analyse thématique, nous avons pu identifier quatre types de représentations qui montrent différents niveaux de compréhension de la complexité du climat. La représentation climat binaire est le niveau de compréhension le plus élémentaire suivi en complexité par la catégorie climat/météo, puis par la représentation de système climatique et finalement par le changement climatique. Les résultats présentés dans la figure 3 montrent que les sujets de Grenoble et de La Rochelle se représentent le climat de façon plus complexe que les habitants de Paris.

Tableau 2. Les différents types de réponses à la question « Pour vous, qu’est-ce que le climat? ». Different types of subject’s responses to the question: What is climate for you?

Types de réponses

Exemples

Climat binaire

« Le climat c’est la température, il fait chaud ou il fait froid ».

Climat/météo

« Le climat c’est la météo, le vent, la pluie, le soleil, etc. ».

Système climatique

« Le climat c’est tout ce qui nous entoure, l’atmosphère, la nature, les plantes, les animaux, mais aussi l’océan ».

Changement climatique

« Le climat il se modifie en ce moment, il y a le réchauffement de la planète, les températures augmentent et le temps se dégrade ».

Figure 3. Pourcentages de sujets mono climatiques par catégories de réponses. Percentages of subject’s mono climatic by responses categories

Figure 3. Pourcentages de sujets mono climatiques par catégories de réponses. Percentages of subject’s mono climatic by responses categories

Discussion

26L’analyse des données suggère que les représentations cognitives du climat peuvent être modulées par des phénomènes perceptifs dépendant des spécificités environnementales. Il semblerait que le milieu urbain parisien soit le moins propice à la construction d’une représentation complexe du climat. Ces résultats tendent à démontrer l’importance de l’expérience directe sur la construction des représentations. Plus précisément, les résultats indiquent que le fait que des espaces non urbanisés soient présents (dans le cas de Grenoble: la Haute Montagne, et à La Rochelle, la mer) permet de percevoir les phénomènes météorologiques dans leur complexité et leur variabilité; et grâce à cette expérience, ce fait contribue à la construction de représentations bi-métriques complexes.

Étude 2. Influence de l’expérience climatique sur la conceptualisation du climat

Méthodologie

27Pour cette seconde étude, l’échantillon était de 60 sujets parisiens (M=28,7; ET=2,8; H= 27, F=33). Nous avons constitué deux groupes: un groupe de sujets mono-climatiques, c’est à dire ayant vécu toute leur vie en région parisienne, et un groupe de sujets bi-climatiques, ayant vécu en région parisienne et dans au moins un autre climat. Les passations ont été réalisées dans les mêmes conditions que l’étude 1. L’analyse thématique révèle un coefficient Kappa (Cohen, 1960) de 0,80 jugé bon d’après la même échelle.

Résultats

28L’analyse des résultats montre des différences importantes dans la conceptualisation du climat entre les sujets mono-climatiques et bi-climatiques (figure 4). En effet, les sujets ayant une seule expérience climatique rencontrent plus de difficultés pour conceptualiser le climat. Plus précisément, leurs représentations du climat sont plus élémentaires et se concentrent principalement sur la composante atmosphérique (climat/météo). De même, nous observons une confusion entre le concept météo et le concept climat. Les sujets bi-climatiques présentent une représentation plus systémique du climat, en intégrant davantage des éléments de la biosphère, de l’hydrosphère ou de la cryosphère.

Figure 4. Pourcentages de réponses par catégories selon la variable expérience climatique. Percentages of subject’s responses according to the variable of climatic experiences.

Figure 4. Pourcentages de réponses par catégories selon la variable expérience climatique. Percentages of subject’s responses according to the variable of climatic experiences.

Discussion

29Nous pensons que les sujets les plus vulnérables cognitivement seront ceux qui ont toujours vécu en région parisienne, donc dans une zone urbanisée, sans autre expérience climatique. On pourra qualifier leur représentation de non bi-métriques. Nous soulignons par conséquent l’importance du facteur expérience climatique, qui doit être pris en compte dans l’évaluation des capacités potentielles d’adaptation aux changements climatiques.

Discussion générale, conclusions et perspectives

30L’analyse des données a permis de mettre en évidence des divergences dans les représentations mentales du climat et du changement climatique selon le contexte culturel et environnemental. On observe également, comme notre modèle le prévoit, des différences intra culturelles, qui semblent être influencées par le contexte environnemental et l’expérience climatique. Le présent article a tenté de fournir des éléments de réponse aux questions d’adaptation humaine face aux changements climatiques. Dans la partie théorique, nous avons mis en évidence que les capacités cognitives médiatisées par la culture ont toujours aidé l’adaptation des groupes humains aux différentes conditions climatiques. Les résultats des études évoquées vont dans le sens de notre modèle théorique qui postule que les variables contextuelles, « culture » et « environnement » peuvent influencer les traitements cognitifs des informations climatiques. Nous avons ainsi pu apporter des éléments qui, contrairement à ce que l’on pouvait imaginer, montrent que ce sont les populations urbaines avec une pensée plutôt analytique, sans véritable expérience climatique, qui seront les plus vulnérables cognitivement.

31Nous considérons que la vulnérabilité cognitive peut freiner une adaptation cognitive nécessaire à la mise en œuvre de comportements indispensables dans la lutte pour l’adaptation effective aux changements climatiques. Nos études en cours, dans le cadre du modèle théorique que nous avons présenté ici, tentent d’identifier dans un premier temps le traitement cognitif du phénomène du climat et dans un second temps celui portant sur les changements climatiques. Nous considérons que sans une représentation complexe et correcte du climat en tant que système, les sujets ne peuvent pas développer une représentation du changement climatique. Les exemples présentés vont dans le sens de nos hypothèses de recherche et montrent que la pensée analytique peut constituer un obstacle à la compréhension du climat et du changement climatique. Nous avons pu voir aussi que cela peut engendrer un désinvestissement et même un optimisme non fondé concernant le danger des changements climatiques. Cela provoque inévitablement un état de vulnérabilité cognitive puisque le sujet, n’ayant pas les connaissances nécessaires ni les modes de traitement des phénomènes complexes, contourne et fait de fausses interprétations de ce problème. Par ailleurs, l’environnement direct de l’individu exerce aussi une influence sur la complexité de l’organisation de ces représentations. Ces exemples ne sont pour l’instant que des indicateurs et constituent la première partie d’une recherche qui tente d’identifier d’une manière expérimentale les capacités de compréhension et les stratégies de résolution de problème face aux changements climatiques.

32Du point de vue pratique, dans des recherches actuellement en cours, nous étudions les difficultés cognitives essentielles des sujets en fonction des variables « culture » et « environnement » en vue de proposer des remédiations cognitives permettant de développer des compétences nécessaires à l’adaptation. Nous supposons que les hommes qui ne disposent pas de représentations complexes et correctes du climat et des changements climatiques ne peuvent pas participer avec efficacité aux projets d’adaptation. L’extrait de l’entretien qui suit et qui clôture cet article illustre bien l’ampleur des difficultés d’adaptation à laquelle peuvent être confrontés les individus face aux changements climatiques.

33« L’espèce humaine est-ce qu’elle peut s’adapter? Bon, la question est de savoir jusqu’à quel point. Il y a l’histoire des grenouilles, moi je me rappellerai toujours des histoires de grenouilles. Une grenouille qu’on met dans l’eau, dans l’eau fraîche, et puis on fait réchauffer l’eau petit à petit, la grenouille s’adapte aux températures, plus ça va et plus elle s’adapte, mais à la fin elle cuit. Son adaptation l’a menée à être complètement cuite et elle est morte. Est-ce que l’adaptation de l’être humain va aller jusqu’à son suicide? C’est possible, mais je n’espère pas. Après tout, c’est possible. Moi, j’ai quand même envie de penser qu’il y a au moins quelques êtres humains, au moins quelques-uns sur cette planète, dans cette humanité. Que cette humanité a accouché d’au moins quelque personnes qui sont capables de faire bouger les choses pour nous sauver ». (Laurent, 37 ans, Bac+5, Nouméa, Nouvelle-Calédonie)

Remerciements

34La conduite de nos études ainsi que la préparation de cet article sont rendues possibles par le financement de l’Agence Nationale de Recherche française dans le cadre du projet ACOCLI (« adaptation cognitive aux changements climatiques »). De même, nous remercions l’Université Paris 8 ainsi que le CONACYT (Conseil National des Sciences et Technologies, Mexique) pour leurs financements respectifs des doctorats d’Émilie Dugas et d’Élisa Guillén Gutierrez. Par ailleurs, nous tenons à remercier Olga Marest pour les différents recueils de données qu’elle a effectués en Nouvelle-Calédonie. Enfin, nous remercions Catherine Durand, Lise Malvy, Adeline Boueilh et Myriam Léonard pour leur relecture attentive et leurs conseils pertinents.

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List of illustrations

Title Figure 1. Modèle théorique de l’adaptation cognitive. Theoretical Model of cognitive adaptation
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Title Figure 2. Pourcentages de réponses des sujets par catégories de réponses à la question « Est-ce que l’être humain peut s’adapter aux changements climatiques? ». Percentages of subject’s responses by categories to the question: Can humans adapt to climate change?
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Title Figure 3. Pourcentages de sujets mono climatiques par catégories de réponses. Percentages of subject’s mono climatic by responses categories
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Title Figure 4. Pourcentages de réponses par catégories selon la variable expérience climatique. Percentages of subject’s responses according to the variable of climatic experiences.
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References

Electronic reference

Lammel Annamaria, Dugas Emilie and Guillen Gutierrez Elisa, « L’apport de la psychologie cognitive à l’étude de l’adaptation aux changements climatiques : la notion de vulnérabilité cognitive », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 12 Numéro 1 | mai 2012, Online since 29 May 2012, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/11915 ; DOI : 10.4000/vertigo.11915

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About the authors

Lammel Annamaria

Maître de conférences en Psychologie, Université Paris VIII, Laboratoire Paragraphe, Equipe CRAC, 2 rue de la Liberté, 93200 Saint Denis, Courriel: anlammel@gmail.com

Dugas Emilie

Doctorante en Psychologie, Université Paris VIII, Laboratoire Paragraphe, Equipe CRAC, 2 rue de la Liberté, 93200 Saint Denis, Courriel: emilie.dugas1@yahoo.fr

Guillen Gutierrez Elisa

Doctorante en Psychologie, Université Paris VIII, Laboratoire Paragraphe, Equipe CRAC, 2 rue de la Liberté, 93200 Saint Denis, Courriel: elisa.guillen.gtz@gmail.com

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