1L’eau est à la fois une ressource et un patrimoine. Historiquement, ce potentiel a été un atout du développement des activités humaines. Aujourd’hui, les pratiques et les usages domestiques, agricoles et industriels exercent des pressions qui agissent sur la préservation de la qualité et de la quantité des ressources en eau. À l’échelle des régions naturelles, les fonctionnements hydrologiques, plus ou moins perturbés par les activités humaines, peuvent aussi être à l’origine de risques pour les biens et les personnes. Dans tous les cas (dangers sanitaires et catastrophes naturelles), nous sommes confrontés à des enjeux de société qui nécessitent une bonne connaissance des processus hydrologiques pour alimenter les choix d’organisation et les prescriptions de prévention et de restauration. Cette réflexion, en matière de politique de développement durable, se heurte rapidement à la difficulté d’une analyse systémique pluridisciplinaire impliquant à la fois une bonne connaissance de la complexité des fonctionnements « naturels » et de leurs interactions avec les activités humaines. Dans ce cadre, l’objectif de ce papier consiste à présenter les modalités du fonctionnement hydrologique régional en identifiant les conséquences, interactions et enjeux par rapport aux activités humaines.
2Dans le cadre des substrats crayeux de l’Ouest du Bassin de Paris (Haute-Normandie et Picardie), les activités humaines sont très diversifiées puisque ces régions sont caractérisées par une production agricole importante de culture et d’élevage, des concentrations urbaines et industrielles conséquentes, en particulier autour de l’axe portuaire de la basse Seine et le développement d’un habitat pavillonnaire plus ou moins dispersé dans le milieu rural.
3Son contexte paysagé est caractérisé par de vastes plateaux, d’altitude modérée (< 300 m), fortement entaillés par un faible réseau de vallées assez étroites. L’opposition plateaux/vallées et le faible degré de hiérarchisation du réseau hydrographique traduisent le caractère karstique de la morphologie du secteur étudié.
4Le contexte climatique est de type tempéré océanique avec une température moyenne annuelle proche de 13 °C et des hauteurs de précipitation annuelle comprises entre 550 et 1000 mm qui présentent une variabilité interannuelle et une distribution mensuelle des précipitations quasi aléatoire avec, toutefois, une légère augmentation des précipitations en automne-hiver. Cette époque de l’année est aussi caractérisée par un couvert végétal faible à nul dans les zones de culture et correspond donc à la période de recharge des ressources souterraines en eaux souterraines.
5L’aquifère de la craie de l’ouest du bassin de Paris correspond à une nappe libre sous couverture de formations superficielles (Figure 1). Son fonctionnement hydrologique est mixte, caractérisé par des écoulements de type poreux fissuré et drainé par des conduits karstiques de taille modeste. Dans ce contexte, les ressources en eau potable proviennent exclusivement de l’exploitation des eaux souterraines de l’aquifère de la craie. Les pressions sur les ressources en eau sont importantes et diversifiées et nous illustrerons les interactions entre les processus hydrologiques et les activités humaines en suivant le cheminement de l’eau, depuis les zones de recharge de l’aquifère sous les plateaux, jusqu’aux vallées (lieux privilégiés de l’exploitation des ressources) et aux rivières qui drainent l’ensemble du système hydrologique.
Figure 1. Réseau hydrographique (en bleu) et carte piézométrique (isopièzes en gris avec cotes piézométriques NGF en m) de l’aquifère de la craie en Haute-Normandie
NGF : Nivellement Géographique Français ; Manche : Mer de la Manche ou English Channel.
6Au niveau des plateaux, la craie de l’ouest du Bassin de Paris est recouverte par une formation d’altérites à silex qui provient essentiellement de l’accumulation des produits de dissolution des craies sous-jacentes (Laignel et al, 1998). Cette formation résiduelle à silex est d’épaisseur très variable (de 1 à 30 mètres), s’enfonçant dans la craie sous forme de profonds entonnoirs de dissolution plus ou moins connectés avec des cavités verticales qui correspondent à la notion d’un karst d’introduction (Nicod, 1994). En surface, ces argiles à silex sont recouvertes d’un « manteau » plus ou moins épais (de 1 à 15 mètres d’épaisseur) de limons des plateaux ou loess. Ces lœss sont des dépôts sédimentaires meubles continentaux, d’origine éolienne (Lautridou, 1993). Ils sont composés principalement de particules de la taille des silts dont la taille moyenne est proche de 20 µm. Ces limons des plateaux constituent le substrat des sols. Il s’agit de sols meubles, propices aux cultures. Ils sont plus ou moins lessivés ce qui témoigne de leur perméabilité. Localement, les pratiques agricoles peuvent être à l'origine de la réalisation de « croûtes de battance » (effet mécanique des pluies sur la surface des sols nus en hiver) qui peut favoriser les processus de ruissellement et l’érosion des sols (Cerdan et al, 2004). Ces ruissellements sont, régionalement, circonscrits à des petits bassins versants ou impluviums de plateau qui sont drainés par des points d'engouffrement ou dolines (régionalement, appelés bétoires). Dans certains cas, l’érosion des sols agricoles peut atteindre des taux exceptionnellement élevés (près de 103 kg de matières sèches par hectare et par an), dommageables à la pérennité des sols agricoles (Cerdan et al, 2004). À l’échelle des bassins versants, les bilans annuels des flux particulaires exportés par les rivières sont pourtant beaucoup plus modestes (Laignel et al, 2006). En effet, les ruissellements sont généralement circonscrits à des petits bassins versants ou impluviums de plateau qui sont drainés par les points d'engouffrement ou dolines (régionalement, appelés bétoires).
7La présence de bétoires ou dolines peut être détectée en surface par l’apparition de dépressions coniques qui témoignent d’un soutirage des matériaux des formations superficielles, entraînés par l’engouffrement des eaux de ruissellement, mais aussi des eaux d’un aquifère de subsurface alimenté par l’infiltration des eaux dans les sols (Lautridou, 1994 ; Jardani et al, 2007). Ces bétoires sont plus visibles dans les massifs forestiers que dans les zones agricoles parce que, dans les zones cultivées, les agriculteurs ont tendance à remblayer les dépressions. Au niveau des bétoires ou dolines, l'utilisation des outils géophysiques (Jardani et al, 2007) permet de mettre en évidence : i) l'existence de gradients piézométriques de la zone saturée dans les formations superficielles qui traduisent l’écoulement de subsurface vers les points d’engouffrement ou bétoires, ii) les modifications de l'organisation des formations superficielles à proximité des « bétoires » du fait des transports de matériaux : épaisseur accrue des limons par colluvionnement de surface et nivellements anthropiques et, la quasi-absence des argiles à silex qui ont été entraînées vers les vides du karst d’introduction de la craie sous-jacente.
8Les processus hydrologiques des bétoires, sont donc à l’origine d’un cortège de risques et d’impacts socio-économiques : i) l’érosion des sols agricoles déjà citée, ii) les risques d’inondation en plateaux lorsque la capacité d’engouffrement des bétoires est insuffisante par rapport aux apports infiltrés et ruisselés, iii) les risques de contamination chimique ou microbienne de l’aquifère de la craie sous-jacent par le transfert rapide des contaminants de surface via les bétoires, iiii) les risques géotechniques liés au soutirage des matériaux superficiels au niveau des bétoires.
9En Haute-Normandie, nous pouvons estimer entre 10 et 50 000 le nombre probable de bétoires. Les risques géotechniques, associés à ces cavités naturelles, correspondent à des effondrements qui peuvent atteindre plusieurs m3 et qui peuvent affecter des infrastructures routières et l’habitat, en particulier avec la multiplication de lotissements ruraux au cours des 50 dernières années. Compte tenu des risques, la préfecture de Seine Maritime a pris un arrêté qui déclare non constructibles les terrains localisés dans un rayon de 30 m autour des bétoires identifiées. L’inventaire des bétoires est en cours (BDCavités du BRGM), mais lorsqu’il sera exhaustif, nous risquons de constater qu’un grand nombre d’habitations récentes, localisées dans les thalwegs des plateaux, est menacé par cet arrêté.
10Dans le même contexte de plateau, les « marnières » constituent une autre cause d’effondrement. Il s’agit de cavités souterraines creusées dans la craie pour l’extraction de blocs de craie. Les blocs les plus friables étaient utilisés pour l’amendement des sols limoneux qui sont essentiellement siliceux et les bancs rigides fournissaient des pierres pour les constructions. Ces cavités souterraines étaient reliées à la surface par des puits de descente. Cette pratique est très ancienne puisqu’elle a débuté dès l’époque gallo-romaine, mais elle s’est généralisée du 17e jusqu’à la moitié du 20e siècle. Depuis lors, les piliers qui maintiennent les voûtes se sont dégradés. Les effondrements qui s’ensuivent peuvent alors dépasser plusieurs dizaines de m3 et les arrêtés préfectoraux prévoient une non-constructibilité dans un rayon de 60 à 120 m. Avec les obligations de déclaration dans le cadre du code minier, à partir du début du 19e siècle, il est possible de retrouver les archives des exploitations les plus récentes qui sont aussi celles qui ont les volumes les plus importants. Il s’avère toutefois que les archives administratives sont incomplètes et l’inventaire des cavités souterraines artificielles, en plateau, reste très partiel. L’apparition d’aléas géotechniques (affaissements localisés) conduit à des recherches systématiques de vides dans le cadre de nouveaux aménagements en matière de construction et d’infrastructures routières notamment. La présence des argiles à silex, entre les vides souterrains et la surface rend délicate l’interprétation des prospections géophysiques classiques, en surface. Dans ce contexte géomorphologique, Jardani et al (2006) ont toutefois proposé une méthode de détection des cavités souterraines à partir des méthodes électriques. Compte tenu des enjeux socio-économiques, la prospection des vides par forages de reconnaissance reste néanmoins la seule méthode préconisée pour lever les doutes. Si le maillage des sondages est suffisamment dense, cette approche permet d’identifier la présence de vides, mais lorsqu’ils sont détectés, il faut procéder à la descente de caméras pour caractériser la cause soit naturelle (karst d’introduction ou cavités de suffosion) soit artificielle (marnière) puisque les vides sont de forme (conduits verticaux ou développements horizontaux de « chambres d’extraction ») et de volumétrie différentes.
11Reposant sur le mur des argiles du Gault, l’aquifère de la craie en Haute-Normandie et Picardie correspond à une nappe à surface libre. La nappe de la craie fonctionne comme un aquifère poreux fissuré qui répond partiellement aux lois d’écoulement de Darcy puisque les gradients piézométriques témoignent du drainage de l’aquifère vers les vallées. Cette augmentation de la transmissivité hydraulique, aux abords des vallées, est liée à l’effet du drainage par des conduits de tailles modestes du karst de restitution qui n’ont aucun rôle de stockage, mais un rôle transmissif. En matière de fonctionnement hydrologique, l’aquifère de la craie constitue un modèle original d’aquifère karstique sous couverture dont l'écoulement est influencé par la charge hydraulique des réserves amont. Au cours de l’évolution karstogénétique, le développement vertical des karsts d’introduction, en amont (plateaux), et le développement des conduits karstiques de restitution, à l'approche des vallées, conduisent à l’établissement de connexions des vides qui assurent des transferts rapides plateau/vallée (Figure 2). Dans de nombreux cas, les traçages, réalisés à partir de bétoires, fournissent des vitesses de transport de 100 à 600 m.s-1 avec des taux de restitution élevés (Massei et al, 2003).
Figure 2. Schéma du contexte du fonctionnement hydrologique régional avec les cavités verticales du karst d’introduction sous couverture, plus ou moins connectées avec les cavités subhorizontales du karst de restitution.
R =ruissellement, I =infiltration et les forages F1 = forage exploité en vallée et F2 =ancien puits, en plateau, utilisé pour le suivi du niveau d’eau des réserves de l’aquifère de la craie.
12Dans ce contexte, les suivis hydrologiques révèlent que les périodes pluvieuses efficaces sont à l'origine d'épisodes de restitution d’eaux turbides (Massei et al, 2002) au niveau des exutoires karstiques (sources et forages), en vallée. La détermination, au MEB, des particules en suspension dans les exutoires karstiques permet de montrer que les matériaux fins proviennent de l’érosion et du lessivage des sols des plateaux ainsi que des produits de la dissolution et de l'érosion interne de la craie. Parallèlement à ces pics de turbidité, la baisse de la conductivité électrique, enregistrée dans les eaux restituées dans les ouvrages d'exploitation, en vallée, correspond à un apport d’eaux de surface qui contribue à une diminution temporaire de la minéralisation totale des eaux (Valdès et al, 2006). Avec les données de traçage, ces observations témoignent de la vulnérabilité des ressources et du transfert rapide des contaminants dissous et particulaires (contaminants chimiques et microbiens adsorbés à la surface des particules transportées : Dussart-Baptista et al, 2003) provenant des activités humaines dans le secteur des plateaux.
13Cette menace sanitaire conduit à la mise en place de mesures curatives (traitement des eaux avant leur distribution aux consommateurs) et préventives pour veiller à une amélioration globale des ressources en eau, conformément aux directives européennes.
14Dans le premier cas, la turbidité des eaux est prise comme un indicateur de la dégradation de la qualité des eaux. En absence de véritable filière de traitement des eaux (uniquement chloration), l'exploitation des eaux est interrompue dès que la turbidité dépasse le seuil de 1 NTU. Localement, lorsque ces dépassements sont trop fréquents, l'exploitation doit être soit abandonnée soit conditionnée à la mise en place de filières de traitement. Selon l'importance et la fréquence des réponses turbides aux événements pluvieux et le nombre des abonnés des réseaux de distribution, les traitements correspondent à des dispositifs plus ou moins coûteux de décantation, filtration sur lits de sable, filtration sur membranes (ultrafiltration voire nanofiltration).
15En terme de prévention, la réglementation prévoit essentiellement des périmètres de protection autour des points d’eau exploités (sources et forages) en vallée, mais les transports karstiques rapides plateau-vallée conduisent à développer la définition de périmètres de protection éloignée autour des bétoires les mieux connectées aux points d’eau. Cette protection concerne l’utilisation des sols et la réglementation des activités aux abords immédiats des bétoires : friche agricole avec interdiction du bétail qui constitue une source de contaminants. La prévention peut inclure des préconisations en matière d’aménagements hydrauliques des abords (piégeage des contaminants), voire la mise en place d’un « massif filtrant » au sein même du point d’introduction. La multitude des bétoires, hydrologiquement actives, rend difficile la systématisation d’une telle politique pour la préservation de la qualité des ressources en eau souterraine.
16En dehors d’événements très exceptionnels de ruissellement, le débit des rivières et fleuves est entièrement contrôlé par les apports de l’aquifère. Les eaux des rivières sont les eaux bicarbonatées calciques et magnésiennes de l’aquifère de la craie et les épisodes de crue (quelques jours au plus) résultent de l’évacuation rapide des apports des gros épisodes pluvieux par les conduits karstiques des sources de fond de vallée.
17Ces épisodes relativement courts s’inscrivent en fait dans un cycle hydrologique quasi annuel de recharge des réserves en eau de l’aquifère de la craie. Cette fonction de stockage dans la zone saturée des craies fissurées sous les plateaux fait l’objet d’un suivi des niveaux d’eau (réseau patrimonial du suivi quantitatif des eaux souterraines qui permet d’enregistrer des fluctuations à l'échelle des cycles hydrologiques quasi annuels, contrôlées par une fonction pluriannuelle du signal climatique en fonction des successions d'années pluvieuses et d'années « plus sèches » (Massei et al, 2009 ; Slimani et al, 2009). En revanche, ces piézomètres de plateau n’enregistrent pas de réponses aux épisodes pluvieux puisque ces excédents d’eau, engouffrés dans les bétoires, sont rapidement évacués, en aval, par les conduits karstiques. Conformément aux travaux de Maréchal et al (2008) sur un aquifère karstique, à proximité de Montpellier, l’aquifère de la craie s’avère aussi constitué de deux entités fonctionnelles emboîtées : les circulations rapides des conduits karstiques connectés à l’aval et les réserves en eau des craies fissurées qui sont plus ou moins drainées par les conduits karstiques. À la suite des longues périodes des pluies efficaces d’automne-hiver, la recharge de l’aquifère atteint généralement son niveau maximum au printemps. Cette recharge différée de quelques mois après la période pluvieuse s’explique par le rôle de stockage intermédiaire des eaux infiltrées dans les sols et les formations superficielles peu perméables (Jardani et al, 2006 b) avant de s’écouler vers la zone saturée de la craie.
18Les niveaux d'eau de cette réserve amont fournissent les gradients hydrauliques qui contrôlent le débit de base des rivières et les niveaux piézométriques dans les vallées. Dans ce contexte, les excédents de recharge, liés à une succession de plusieurs années pluvieuses, peuvent induire une surverse de l’aquifère qui provoque alors une véritable « inondation de nappe ». Dans ce cas, la période d’inondation peut durer plusieurs mois et la pression s’exerce sur toute la basse vallée. Une telle catastrophe a été enregistrée au cours du printemps 2001 en vallée de Somme. Dans son rapport, P. Hubert (2001) a explicité le scénario de surverse de nappe en précisant le seuil piézométrique de recharge, en amont, à partir duquel un tel événement peut se reproduire. En matière de prévention des risques pour les biens et les personnes, cela conduit à réviser l’ensemble des aménagements de basse vallée en envisageant la mise en œuvre de pompages exceptionnels pour drainer les réserves lorsque celles-ci risquent d’atteindre le seuil de risque évalué par l’auteur du rapport.
19Un tel scénario pourrait-il survenir en basse vallée de Seine ? Le contexte géologique nous fournit des indications. Comme en basse vallée de Somme, les dépôts tourbeux y sont très importants et témoignent qu’au cours de la fin du Quaternaire, ce secteur a été inondé par la nappe pendant de longues périodes. En revanche, le creusement et l’entretien du chenal Seine pour la navigation et le maintien de la vocation maritime du Port de Rouen (GPMR, Grand Port Maritime de Rouen) a pour résultat de favoriser le drainage et l’évacuation à la mer des excédents de l’aquifère de la craie. Ces aménagements du chenal Seine sont très certainement dommageables à l’hydromorphie des sols des zones humides, mais ont sans doute permis d’éviter le scénario catastrophe d’une crue massive de nappe en basse vallée de Seine au cours du printemps 2001 : période où l’on a enregistré les niveaux piézométriques les plus élevés dans l’aquifère de la craie de l’Ouest du bassin de Paris.
20Ces fluctuations interannuelles des niveaux d’eau dans l’aquifère ont aussi des conséquences sur l’évolution de la qualité des eaux des sources et des rivières. La problématique des nitrates en fournit la démonstration. Il est reconnu que ce contaminant du cycle de l’azote provient des effluents domestiques et de l’élevage ainsi que des fertilisants utilisés pour les grandes cultures. En dépit d’une politique de plus en plus vertueuse, en particulier des agriculteurs, depuis une vingtaine d’années, nous observons une lente et inexorable augmentation des concentrations moyennes en nitrates des eaux des sources et rivières. Au-delà de cette tendance, des augmentations plus significatives apparaissent à la faveur des plus fortes fluctuations piézométriques interannuelles. Conformément aux fonctionnements hydrologiques évoqués plus haut, ces fluctuations piézométriques amont exercent un drainage plus ou moins important des réserves de l’aquifère. En fonction des contextes, ces réserves d’eau peuvent être mal drainées par le réseau des circulations karstiques et sont alors constituées par un mélange entre des apports récents et des eaux plus anciennes qui représentent la « mémoire géochimique » de pratiques culturales qui peuvent remonter à quelques décades. Les plus fortes fluctuations piézométriques favorisent alors la restitution, en rivière, de contaminations anciennes, stockées dans l’aquifère. Cet exemple, illustré à partir des concentrations de nitrates dans les eaux, démontre que la mise en place d’une meilleure politique de prévention et de gestion des ressources n’implique pas obligatoirement la résolution à moyen terme des problèmes environnementaux.
21Dans le cadre de la thématique de l’eau et des enjeux de société, le survol hydrologique des pays de craie de l’ouest du bassin de Paris, présenté dans ce papier, peut s’avérer réducteur puisqu’il ne permet pas d’illustrer l’ensemble des interactions entre l’eau, l’environnement et les activités humaines.
22L’eau, en tant que ressource, a été abordée sur le plan de la vulnérabilité liée à la présence d’une multitude de bétoires qui constituent, potentiellement, autant de points d’engouffrement de contaminants générés par les activités humaines. Les circulations karstiques favorisent la restitution rapide de ces contaminants dans les sites exploités. Le suivi climatologique (pluviométrie) permet une éventuelle prévision à court terme des périodes de plus fort risque (en terme de qualité des eaux), mais celui-ci est détecté par le suivi de l’indicateur que constitue la turbidité des eaux. Ces propos ne prennent pas en compte, la diversité du comportement des types de contaminants (en particulier microbiens) dont la restitution n’est pas réellement proportionnelle à la turbidité. Pour mieux assurer une distribution de qualité, les collectivités ont donc recours à des méthodes de plus en plus sophistiquées de filtration qui pèsent sur l’évolution du coût de l’eau. Néanmoins, ces méthodes ne permettent pas de se prémunir quand à la restitution de contaminants dissous tels que les nitrates : un enjeu de qualité crucial et chronique pour l’Eure et Loir qui reste épisodique en Haute-Normandie avec, toutefois, une tendance à une augmentation progressive liée à un temps de rétention pluri décadaire des réserves en eau dans la partie amont de l’hydrosystème karstique.
23L’eau est aussi un agent de l’évolution des « paysages » au sens large. Cet aspect n’a été illustré que par les problèmes de soutirage des formations superficielles au niveau des bétoires. Les conséquences, en matière de génie civil et de prévention de la qualité des eaux souterraines, constituent des contraintes fortes pour l’usage des sols et l’aménagement du territoire. Mais cette vision actuelle provient en fait d’une longue histoire des paysages au cours des temps géologiques du Quaternaire. En domaine côtier, l’évolution morphologique des réseaux karstiques a été contrôlée par les fluctuations climatiques du niveau marin et le creusement des vallées : dans le milieu souterrain, la superposition verticale des conduits karstiques de restitution résulte de cette histoire complexe des paysages.
24L’eau constitue également un élément fondamental de l’environnement et une entité environnementale avec le réseau hydrographique et les zones humides. Les vallées, vulnérables aux crues massives de l’aquifère, sont aussi d’authentiques zones humides qui abritent des environnements d’une biodiversité exceptionnelle qu’il convient de préserver. Dans le cadre des basses vallées côtières, les usages récréatifs et les intérêts écologiques sont des atouts qui sont confrontés à la concurrence de l’emprise de l’urbanisation et des installations industrielles et portuaires. Ces environnements sont ainsi soumis à la pression quantitative des prélèvements et à l’impact qualitatif des rejets des activités domestiques et industrielles.
25L’ensemble des aspects hydrologiques, développés dans ce papier est enfin à replacer en terme d’impact sur la qualité des eaux estuariennes et côtières (Dauvin et al, 2006) et dans une dimension prospective du développement durable et des changements climatiques (Ducharne et al, 2003).
26Cette synthèse hydrologique régionale repose sur l’expérience acquise par l’équipe d’hydrologie de l’UMR 6143 de l’Université de Rouen, à partir des travaux et publications de : N. Masséi, L. Dussart-Baptista, D. Valdès, M. Fournier, A. Jardani, B. Laignel, J. Rodet, S. Slimani, A. Mouhri et, des thèses en cours de J. Brown, J. Raux et S. El Janyani. Elle a été réalisée dans le cadre du Programme TEQQ (Transfert Eau, Qualité, Quantité) de la Fédération de recherche SCALE (FED 4116, Sciences Appliquées à l’Environnement) et a bénéficié des financements de l’Etat français, de la Région Haute-Normandie, de l’Agence de l’Eau Seine Normandie (AESN), du Département de l’Eure, de collectivités territoriales telles que la CREA (Communauté de l'Agglomération Rouen Elbeuf Austreberthe), la CODAH (Communauté de l'agglomération havraise) et le SERPN (Syndicat d’Eau du Roumois et du Plateau du Neubourg) ainsi que de partenariats avec le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), VEOLIA et de nombreux Bureaux d’Etudes.