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Biodiversité et paysages : analyses structurales et fonctionnelles

Intérêt de l’approche systémique pour l’étude de formations végétales en milieux forestiers : l’exemple de la Forêt de Fontainebleau

Micheline Hotyat

Abstracts

Forests are complex systems that have a large number of structures subjected to spatial and temporal variations. This complex landscape is marked by geological structure and soils but also by human activities. If these landscapes are well known today, even famous, it is important to understand how these various floristic entities are structured? What role have had the human activities past on the current constitution of plant cover? How to do the relative share between environmental conditions, biological data and multiple societal interventions to build dynamic patterns to help a better understanding of "anthropo-forestry-systems" to better understand their evolution and to manage them better.

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Full text

1Les forêts sont aujourd’hui au cœur de grands enjeux internationaux, environnementaux, mais aussi économiques et sociétaux, aussi, elles peuvent être abordées de multiples façons selon la discipline envisagée. Mais si le géographe souhaite apporter sa contribution à la connaissance des espaces forestiers, il doit considérer à la fois l’organisation spatiale verticale et horizontale des formations forestières, mais aussi les phases préalables à l’établissement de la forêt et les histoires naturelles et anthropiques variées et complexes. Ces différents éléments doivent être mis en relation les uns avec les autres ce qui nécessite une approche systémique afin de comprendre le fonctionnement des forêts et d’élaborer des schémas dynamiques susceptibles de mieux faire appréhender les évolutions futures en intégrant les mutations du passé.

2Dans un premier temps, le concept de système est abordé, puis la dynamique des différentes unités végétales réparties le long d’un profil topographique est systématiquement analysée, enfin les relations entre des systèmes répartis le long de ce profil sont examinées. Comment définir les schémas dynamiques des différentes entités? Comment comprendre l’ensemble du fonctionnement de formations végétales réparties depuis la surface d’un plateau jusqu’au bas fond d’une dépression en passant par des versants plus ou moins réguliers?

3Pour répondre à de telles interrogations, une toposéquence choisie en Forêt de Fontainebleau appuiera la démonstration.

Concept de système et boucles de rétroaction

4L’approche systémique commence par une analyse structurale qui comprend deux phases : la délimitation spatiale de l’objet d’études puis son organisation structurale. Dans un premier temps, l’objet d’étude est cerné, que ce soit une forêt, une lande, une pelouse, puis les éléments qui constituent l’une ou l’autre formation végétale étudiée sont dénombrés, enfin les réservoirs dans lesquels les composants peuvent puiser des éléments nutritionnels sont définis. L’ensemble du système établi des échanges de matière, d’énergie entre les éléments du système et entre les différents réservoirs.

5Pour analyser la structure d’une formation végétale, on effectue des relevés de terrain, appelés placettes, dont la taille varie en fonction de la formation étudiée (de 1m x 1m à 20m x 20m). Ces placettes sont réparties dans l’espace de la zone étudiée, le plus souvent selon un échantillonnage stratifié aléatoire. À partir de ces relevés, des pyramides structurales sont construites qui traduisent les deux dimensions du couvert végétal: la dimension verticale qui se réfère à la stratification des végétaux et la dimension horizontale qui traduit le taux de recouvrement de l’ensemble des espèces de chaque strate. De même, la qualité sanitaire de la formation peut-être transcrite, si nécessaire, avec le dénombrement des individus morts par espèce et par strate.

6Le deuxième aspect abordé du système est l’aspect fonctionnel qui comprend des flux d’énergie et de matière qui font baisser ou monter le niveau des réservoirs, les vannes qui contrôlent les débits, les différents flux auxquelles il faut ajouter les délais « résultants des vitesses différentes de circulation des flux, des durées de stockage dans les réservoirs […] entre les éléments du système » (J. de Rosnay, 1975). Enfin, la combinaison de tous les effets des réservoirs, des délais, des vannes et des flux permet d’analyser le comportement du système sous forme de boucles de rétroaction qui présentent deux aspects : la boucle positive et la boucle négative. La première engendre une modification profonde du système, voire sa disparition, la seconde consiste en une régulation du système, voire sa stabilité par compensation. « Ainsi une boucle de rétroaction positive conduit au cumul d’entrants qui vont tous dans le même sens, soit en plus, engendrant l’effet boule de neige, soit en moins, conduisant à l’effet peau de chagrin » (G. Benest et al., 2009) ce qui conduit à la destruction du système, soit par explosion, soit par blocage des fonctions. « Inversement, dans une boucle de rétroaction négative, toutes les variations vers le plus engendrent des corrections vers le moins et vice versa, ce qui permet le maintien du système oscillant plus ou moins largement autour d’un point d’équilibre jamais atteint » (G. Benest et al., 2009). Cette approche intègre le temps de deux façons : le temps entre les entrées et les sorties liées au fonctionnement du système et le temps historique lié aux actions sociétales.

7Dans tout système il ya des entrées et des sorties et entre les deux il y a une durée. Les entrées sont liées à l’environnement même du système étudié, tandis que les sorties résultent des rejets du système dans son environnement. Le lien entre les entrées et les sorties et le type de boucles se comprend de la manière suivante : si les constituants d’une sortie sont renvoyés dans l’environnement et entrent dans le système en accélérant la transformation dans le même sens que les entrées précédentes, on se trouve en présence d’une boucle positive, car les effets sont cumulatifs. Inversement si les nouvelles entrées agissent en sens inverse des précédentes, la boucle de rétroaction est négative et il y a stabilité du système et par conséquent maintien, ce qui ne veut pas dire que le système n’évolue pas. Outre les impacts des données environnementales sur la forêt et les effets de la forêt sur l’environnement, il faut ajouter le temps historique et les actions anthropiques qui ont influencé et influencent encore les systèmes forestiers.

8Enfin, il faut prendre en considération les différents types d’occupation du sol qui cernent la formation étudiée. Car les forêts de la zone tempérée océanique sont en contact avec d’autres écosystèmes, des paysages agricoles ou urbains de manière tranchée ou progressive et qui influencent les entrées dans le système forestier. En effet, la composition floristique de l’écosystème voisin, la production de semences des ligneux environnants, la rapidité de croissance des essences ligneuses peuvent jouer un rôle dans les différentes phases d’évolution de la formation étudiée. De même que la configuration des parcellaires présents et passés doit être prise en considération.

9Le concept de système est attaché à trois mots clés : élément, interaction et dynamique ainsi que l’exprime G. Rougerie dès 1991: « À quelque niveau scalaire auquel se situe l’intérêt […], le système est constitué par un complexe d’éléments et d’interactions qui participent d’une dynamique commune. Éléments, interactions et dynamique relèvent des trois types d’organisation : le potentiel écologique, fait de la combinaison des données physico-chimiques du contexte abiotique ; l’exploitation biologique exprimant les communautés vivantes liées à ce dernier, comme les écosystèmes ; l’utilisation anthropique qui correspond aux impacts des activités humaines sur les combinaisons des facteurs biotiques et abiotiques »

Approche systémique des principales unités végétales le long d’un profil topographique

10Pour démontrer l’importance de l’approche systémique dans l’étude de formations végétales une toposéquence est prise comme exemple (Figure 1) et qui se situe dans la partie occidentale de la forêt de Fontainebleau. Elle présente un plateau supérieur (autour de 137 m d’altitude) sous-tendu par le calcaire de Beauce et recouvert de sables soufflés, souvent appelés « limons des plateaux », puis à quelques mètres en contre bas se trouvent les platières sous-tendues par le niveau supérieur grésifié du sable stampien de Fontainebleau constituant une corniche, les versants concaves développés dans les sables et plus ou moins encombrés de blocs de grès issus du démantèlement de la corniche, enfin, la dépression dégagée dans les sables stampiens recouverts de colluvions plus ou moins enrichies de cailloutis calcaires provenant du démantèlement de la couche de calcaire de Beauce du plateau supérieur, parfois quelques blocs épars de grès jonchent la dépression. À cette ossature géologique correspondent des couverts végétaux différenciés. Ainsi sur les plateaux se développent surtout des futaies de hêtres (Fagus sylvatica) et de chênes (Quercus petraea) et se localise la réserve biologique intégrale (RBI) du Gros Fouteau, sur les platières une juxtaposition de petites unités végétales se partage l’espace, comme des landes à callune (Calluna vulgaris) piquetées de bouleaux (Betula pendula) des plages de fougères aigles (Pteridium aquilinum)et des vasques, larges trous creusés dans les grès, de faibles profondeurs, remplis d’eau de pluie et envahis par une végétation hygrophile. Les versants présentent une mosaïque composée de landes, de plages de fougères plus ou moins parsemées de bouleaux, de pins (Pinus sylvestris) et de quelques hêtres épars. Enfin, les bas-fonds sont tapissés d’une pelouse rase. Tel est le décor étudié depuis 1969 dont certains sites ont été plus spécifiquement analysés pour illustrer l’approche systémique.

Figure 1. Paysages actuels le long du profil topographique depuis les « Monts » jusqu’à la dépression du Bas-Bréau, en Forêt de Fontainebleau

Figure 1. Paysages actuels le long du profil topographique depuis les « Monts » jusqu’à la dépression du Bas-Bréau, en Forêt de Fontainebleau

L’analyse structurale de la RBI du plateau

11La pyramide structurale (Figure 2) permet d’avoir un instantané de l’organisation spatiale d’une placette forestière de la réserve biologique intégrale du Gros Fouteau (RBI). Cette figure présente deux dimensions : la stratification verticale qui permet d’apprécier la distribution des espèces dominantes strate par strate et de saisir l’importance du taux de recouvrement de chaque strate toutes espèces confondues dans la strate considérée. Le profil pédologique permet d’appréhender l’organisation horizon par horizon du sol et de repérer la distribution du système racinaire. Ce profil est celui d’un sol podzolisé dont l’horizon gris cendré est parfaitement visible et qui traduit les conditions pédologiques spécifiques à savoir un matériau parental composé de sables siliceux et une matière organique essentiellement issue de la décomposition lente de feuilles de hêtres, ce qui produit des acides organiques agressifs susceptibles d’attaquer chimiquement les particules fines enrobant les grains de sable expliquant la présence de cet horizon cendré. Cette vision structurale d’une placette est complétée par une étude du couvert végétal environnant la RBI car les liaisons entre les parcelles juxtaposées offrent des structures différentes qui interfèrent dans la dynamique de l’ensemble de la RBI. Mais cet instantané traduit aussi une partie du passé par le mode d’occupation des ligneux à travers les différentes strates et devient un reflet des gestions antérieures qui s’insèrent dans « un flot incessant de développements dynamiques » (Hans-Jürgen Otto, 1998).

Figure 2. Exemple d’organisation structurale d’une placette de la Réserve Biologique Intégrale (RBI) du Gros Fouteau

Figure 2. Exemple d’organisation structurale d’une placette de la Réserve Biologique Intégrale (RBI) du Gros Fouteau

12Cette pyramide structurale démontre la prédominance du hêtre dans toutes les strates, alors que le chêne n’est important que dans la strate haute et faiblement présent dans toutes les autres strates, voire absent comme dans la cinquième. Cette simple analyse de la distribution verticale de la végétation permet de poser au moins deux questions : pourquoi cette absence de chêne ou faible présence dans les strates 1 à 5? Pourquoi cette domination du hêtre? Pour répondre à ces questions et comprendre le paysage actuel, il faut prendre en compte le temps et les modes de gestion qui se sont exercés sur ces espaces. Ainsi, cette pyramide traduit le rôle des forestiers qui ont géré cette parcelle selon les recommandations de la Grande Ordonnance de Colbert de 1669. Colbert constatant l’état catastrophique des forêts royales décide de remédier à cette situation en exigeant une gestion beaucoup plus rigoureuse des forêts royales avec le souci d’une gestion durable et patrimoniale de la ressource forestière. Il préconise de favoriser le chêne là où c’est possible en éliminant une partie du hêtre, en densifiant le nombre de pieds de chênes à l’hectare pour favoriser une croissance en hauteur afin d’obtenir des troncs rectilignes de belle venue et haut branchus. Ainsi, la forêt serait en mesure au bout d’un siècle et demi ou deux de produire des fûts de qualité pour alimenter les chantiers navals. Cette gestion fut conduite avec rigueur dès la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle et les forêts de chênes se sont fortement densifiées et assombries permettant la croissance en hauteur des arbres. Des travaux sylvicoles auraient dû ouvrir le couvert forestier pour faciliter le grossissement des diamètres et favoriser la régénération de la forêt en facilitant l’éclairement des houppiers, ce qui engendre une abondante floraison et par conséquent une production généreuse de semences. Mais dès le début du XIXe siècle, sous l’impulsion du mouvement romantique, se développe le goût de la nature qui apparait effrayante, parfois apaisée, voire lumineuse, mais toujours attirante. Dès 1828, les peintres tels Jean-Baptiste Corot, Théodore Rousseau, Narcisse Diaz de la Pena, souhaitant peindre d’après nature en réaction contre l’académisme, parcourent les bois à la recherche de sujets pittoresques. Ils se rendent en forêt de Fontainebleau où ils admirent les magnifiques chênes colbertiens qu’ils couchent sur leurs toiles. Dès lors, ils s’opposent à leur exploitation par les forestiers et obtiennent, grâce à l’appui d’écrivains comme Victor Hugo qui rédige quelques pages célèbres sur la forêt de Fontainebleau et ses arbres bicentenaires, la protection de quelque 600 hectares de forêts dès 1853, qui deviendront « Séries artistiques » par arrêté impérial en 1861, puis Réserve Biologique Intégrale en 1953 et enfin réserve de biosphère en 1998. Même si ces « Séries artistiques » ont connu quelques variations surfaciques au cours du temps, un noyau central est demeuré intouché par les forestiers jusqu’à ce jour. C’est donc le plus vieil espace forestier protégé du monde, puisque Yellowstone n’a été créé qu’en 1872. Cet espace a donc repris, dès le milieu du XIXe siècle, sa dynamique spontanée, mais à partir de la structure obtenue suite aux règles de gestion imposées par Colbert. Le couvert étant devenu fort dense et sombre, presque seules les espèces sciaphiles pouvaient se développer. C’est la raison pour laquelle le hêtre s’est développé abondamment sous le dense couvert des chênes, ainsi que le démontre la pyramide évoquée ci-dessus. Les glands qui parviennent à germer donnent de jeunes plants qui meurent au bout de cinq ans manquant de lumière. Il est donc possible de mesurer l’impact combiné d’une gestion datant du XVIIe siècle, puis le rôle d’une communauté d’artistes éprise de beaux arbres et la décision de protéger à vie ces espaces qui ont entrainé le développement du hêtre alors que les deux plus anciennes mesures visaient à favoriser le chêne. Aujourd’hui, cet espace est un véritable laboratoire qui permet de comprendre les sens des dynamiques en milieu forestier en prenant en compte le temps pluriséculaire. Seule une approche systémique combinant le temps, les actions des sociétés et les conditions du milieu peut permettre de comprendre le paysage d’aujourd’hui et la substitution du chêne par le hêtre.

Le système « vasques » de la platière de grès

13Sur la platière de grès se succèdent depuis le bord de la corniche deux unités : là où la surface de grès affleure, un micro-modelé en creux de vasques plus ou moins profondes (30 à 120 cm de profondeur) apparait piégeant l’eau pluviale. En arrière, lorsque les sols s’épaississent, une lande à callune occupe toute la surface plus ou moins piquetée de bouleaux et de pins.

14Ces vasques ont une dynamique végétale originale liée aux divers usages que l’homme a exercés au cours du temps (Figure 3). Avant le début du XXe siècle, les platières étaient des lieux de pâturage. Ces espaces subissaient régulièrement des feux contrôlés afin que l’herbe tendre repousse et puisse servir de nourriture au bétail et les vasques étaient souvent curées pour faciliter le piégeage de l’eau et servir d’abreuvoir. Ainsi entretenue, cette surface ne connaissait qu’une formation herbacée récurrente. Au début du XXe siècle, cet usage cesse progressivement et après les derniers grands incendies de la Seconde Guerre mondiale les vasques vont connaître une reconquête végétale spontanée. Tout d’abord, les sphaignes (Sphagnum sp.) vont coloniser une partie centrale de la vasque, puis des joncs (Juncus conglomeratus) s’installent sur son pourtour, eux-mêmes envahis par des touradons de molinie (Molinia caerulea) constituant une surface bosselée sur laquelle se développe la callune. Dès lors, la vasque est comblée et les bois blancs s’installent tels saule (Salix caprea), tremble (Populus tremula) et bouleau (Betula pendula). L’exemple de ces petites structures que l’homme a su exploiter en son temps démontre bien que la dynamique est étroitement liée aux trois éléments évoqués dans la citation de G. Rougerie : les conditions du milieu abiotique, les communautés végétales liées à ce dernier et l’utilisation anthropique ou l’abandon des usages qui influencent l’évolution des couverts végétaux. De plus, les espèces environnantes et leur capacité à produire des semences susceptibles de germer rapidement orientent le sens de la reconquête des ligneux sur ces espaces ouverts. Seule l’approche globale multifactorielle a permis de comprendre la dynamique de cet espace original.

Figure 3. Dynamique des Vasques de la platière du XIXe siècle à nos jours

Figure 3. Dynamique des Vasques de la platière du XIXe siècle à nos jours

Le système du bord de platières à l’ensemble des versants

15Du bord de la platière à l’ensemble des versants développés dans les sables stampiens et plus ou moins recouverts de blocs de grès issus du démantèlement de la corniche sus-jacente, plusieurs formations végétales sont imbriquées. Tantôt ce sont des plages de callune vigoureuse ou dégénérescente, tantôt des aires de fougères aigles. Lorsque le sol atteint au minimum une dizaine de centimètres, tantôt, enfin des petits îlots de bouleaux ou de pins. Cette mosaïque colorée correspond à une variation pédologique et aux différentes phases érosives révélées par la présence de ravines ou de ravins qui griffent les versants. Ces formes d’érosion se développent depuis des décennies sur l’ensemble morphologique bord de platière-versants-dépressions. Comment expliquer cette dynamique géomorphologique et la mosaïque végétale qui recouvre les interfluves? La compréhension de la dynamique spatiale de cet espace intègre encore l’histoire et les usages antérieurs (Figure 4).

Figure 4. Dynamique des versants du XIXe siècle à nos jours

Figure 4. Dynamique des versants du XIXe siècle à nos jours

16Jusqu’au début du XXe siècle, comme pour la platière, les versants étaient incendiés afin d’étendre les zones de pâturage selon les besoins et l’importance des périodes de sécheresse. Puis, durant la Seconde Guerre mondiale, en 1944, cette zone à fait l’objet des vastes incendies de la part des Allemands pour déloger les résistants qui s’y cachaient transformant la platière et les versants en un écorché minéral ce qui peut être considéré comme un point zéro pour comprendre les dynamiques de la platière et celles des versants (Figure 5). Cette affirmation est possible grâce à l’analyse des photographies aériennes de la mission de 1947. Une étude diachronique a été ensuite effectuée sur l’ensemble des missions aériennes qui se répètent à intervalles réguliers depuis cette première date et complétée depuis 1972 par des relevés de terrain. Après l’arrêt du pâturage et au lendemain de la phase destructrice de la Seconde Guerre mondiale, une reconquête végétale s’amorce avec le développement d’un tapis discontinu et ras d’herbacées piqueté de quelques bouleaux et de pins. Mais, dès les années 1960, le développement d’un tourisme de masse apparait en forêt de Fontainebleau et ce sont des centaines de milliers de promeneurs qui fréquentent la platière d’Apremont et ses environs. Cette fréquentation provoque un piétinement, qui dans un premier temps écrase la végétation qui peu à peu disparaît remplacée par des plages de sol nu qui deviennent peu à peu des sentiers de plus en plus empruntés. Ces espaces dénudés sont repérables sur les photographies aériennes 1963, 1978, 1981 avec une augmentation progressive de leurs surfaces. Lors de fortes pluies d’orage, l’eau se concentre dans les zones dénudées engendrant des rigoles de quelques centimètres qui s’approfondissent peu à peu. Petit à petit, la couverture végétale se réduit et le phénomène de « peau de chagrin » s’enclenche. Les arbres en bord de ravins, qui maintiennent pendant un certain temps le sol, basculent brutalement lors d’un violent orage, entraînant avec eux un paquet de sols important. Alors le creusement des ravins s’accroît, ils s’élargissent par sapement latéral et parfois plusieurs ravins se rejoignent par coalescence entraînant la disparation totale du couvert végétal des interfluves. La poursuite de la fréquentation touristique entretient le processus. Sur quelques interfluves assez larges, des bouleaux et/ou des pins se maintiennent présentant une répartition harmonieuse des individus dans toutes les strates depuis les jeunes plantules de quelques centimètres aux arbres de sept mètres, voire davantage. Selon la densité des bois blancs, des arbres forestiers différents vont s’implanter, à savoir : sous forte densité, les faines germent facilement tandis que sous couvert clair, ce sont les glands et les graines de pins qui germent abondamment. Mais quelle que soit l’essence colonisatrice, un couvert forestier se reconstitue spontanément.

Figure 5. Évolution de la platière d’Apremont et des hauts de versants depuis l’incendie de 1944

Figure 5. Évolution de la platière d’Apremont et des hauts de versants depuis l’incendie de 1944

17Ainsi deux dynamiques s’affrontent sur ces versants, d’une part une dynamique végétale progressive de reconquête, et d’autre part une dynamique géomorphologique progressive et agressive. Selon les lieux, l’une l’emporte sur l’autre et vice versa. Tout est question de vitesse. La cicatrisation de ce lieu n’est pas un processus linéaire, mais une succession de va-et-vient entre des forces érosives et la capacité des espèces végétales à coloniser un espace géomorphologiquement dynamique.

Le système de la dépression

18Le centre de la dépression du Bas Bréau, dégagée dans les sables en place et recouverts de formations superficielles actuelles plus ou moins épaisses et sans cesse remaniées croît une pelouse xérophile rase sur sols squelettiques. Le centre de la dépression est un espace en perpétuelle évolution (Figure 6), car ce bas-fond reçoit des apports fréquents de sables venant des versants qui recouvrent la pelouse. Si le dépôt est trop épais, la pelouse dépérit sous cet apport, si la pellicule qui la recouvre est fine quelques herbacées pointent au printemps suivant. De ce fait, le stade herbacé n’est jamais dépassé et si quelques plantules d’arbres ont réussi à se développer, elles meurent sous les sables lors d’un recouvrement suivant plus épais. Tous les espaces de la dépression situés au débouché des ravins sont en situation perpétuelle de reconquête par des herbacées des sables ruisselés. Ce stade permanent de blocage ne pourrait être dépassé que si une période de diminution significative d’érosion dure suffisamment longtemps pour que différents ligneux puissent s’installer durablement et stabilisent le milieu.

Figure 6. Dynamique de la dépression

Figure 6. Dynamique de la dépression

Approche combinée des systèmes le long d’un profil topographique

19Si dans un premier temps, l’analyse individuelle des diverses unités végétales a permis de construire des schémas fonctionnels et de dégager des possibilités d’évolution ; encore faut-il envisager le rôle des systèmes les uns par rapport aux autres et de comprendre l’importance de la position topographique dans ces relations.

20Sur l’ensemble du profil, outre la position topographique qui induit depuis le bord de la platière jusqu’au bas-fond une certaine dépendance, qu’en est-il de la formation végétale du plateau? Le plateau connait sa propre évolution, indépendamment des autres systèmes. La forêt évolue en fonction des phases de développement des arbres et des divers modes de gestion exercés par les forestiers, tandis que les vasques de la platière sont vouées à un comblement permettant le retour d’une forêt assez dense, même si sa qualité forestière peut être médiocre. La reconquête par les ligneux est flagrante, mais quelle espèce ligneuse l’emportera? Au départ, il y a une forte concurrence entre le bouleau et le pin. Qu’adviendra-t-il de la formation forestière future? Le fort pouvoir de dissémination et de germination des pins ainsi que leur vitesse de croissance peuvent fort bien contrecarrer l’évolution théorique conforme aux conditions du milieu, à savoir obtenir une forêt de feuillus de hêtres ou de chênes à partir d’une phase à bouleaux. Car si le pin est présent dans cet environnement, c’est qu’il a été introduit par l’homme dès 1786 et surtout entre 1831 et 1847. Si des parcelles de pins sont proches des espaces colonisés par des bouleaux, alors, des pins peuvent s’installer rapidement sous les bouleaux, qui surcimés, s’étioleront peu à peu et une pinède dominera, constituant une formation ligneuse de substitution. Mais si, en d’autres lieux de la platière, des parcelles de pins sont éloignées et que celles de chênes et de hêtres sont proches de la bétulaie et que la production de glands et de faines est abondante, alors, une formation de feuillus pourra se développer. Le devenir de cette platière dépend aussi des aléas climatiques et des risques d’incendie liés à la foudre lors de violents orages ce qui ramènerait à la situation d’après la Seconde Guerre mondiale. Une dynamique cyclique reprenant les stades de reconquête s’enclencherait jusqu’à ce qu’un nouvel aléa surgisse. Cet espace de platière étant voué à la fréquentation touristique, la politique des forestiers pourrait vouloir bloquer la reconquête végétale de cette platière pour garder les panoramas tant appréciés des promeneurs. L’évolution du manteau forestier de la platière est liée d’une part à l’ensemble des conditions du milieu et d’autre part aux actions anthropiques exercées sur l’espace et dans le temps. Le devenir dépend donc des choix politiques de gestion souvent guidés par des demandes sociétales. Le choix de telle ou telle gestion rejette, de fait, les autres possibles. Ce système est par contre indépendant des systèmes sous-jacents qui se développent depuis le bord de la corniche jusqu’à la dépression.

21Les formations végétales présentes sur les versants et jusqu’au fond de la dépression sont liées entre elles par des degrés de dépendance plus ou moins forts. Plus on s’approche de la dépression plus les apports de l’amont sont importants et entrecroisés. Les imbrications de plages de callune, de fougères et d’îlots de bouleaux et de pins sont dépendantes de la profondeur du sol et de sa relative stabilité. Mais il faut noter que la pédogénèse est très complexe avec les départs répétés de sables lors de fortes pluies, un lessivage oblique associé à une percolation qui entraînent vers le bas du versant les éléments les plus fins, sans omettre les basculements d’arbres qui créent un brutal arrachement libérant des quantités importantes de sables aisément mobilisables par les processus érosifs. L’ensemble du versant est tributaire de ce qui se passe en amont et l’aval récolte tout ce qui migre sur le versant. Ce versant s’inscrit, pour l’instant, dans une « boucle de rétroaction négative » qui fait que le paysage oscille autour d’un point où érosion et conquête végétale se neutralisent au final avec des temps forts d’érosion qui succèdent à des temps forts de conquête végétale.

22Quant au bas-fond, l’examen de la morphologie des végétaux et l’analyse de fosses pédologiques permettent d’appréhender la combinatoire des dynamiques végétales et géomorphologiques. Ainsi, pelouse et callunaie sont inégalement atteintes par les recouvrements. La pelouse ouverte, déchirée et chétive associée à des surfaces totalement dénudées présente, si on creuse une fosse, trois niveaux organiques intercalés entre des bancs de sable. Le plus profond est constitué de matière organique déjà décomposée tandis que le plus récent comporte encore des fragments de pelouse et des brindilles de callune ; preuves que la pelouse à connue plusieurs phases de recouvrement de sables ruisselés issus des versants. Quant à la callune, il suffit d’analyser une butte pour comprendre la morphologie de la touffe et son mode de croissance. Les rameaux sont couchés dans le sens de la pente et des petits rameaux latéraux émergent du sable, là où le recouvrement est le moins épais. Ce processus se réitère autant de fois que se poursuivent les recouvrements. Ainsi le bas-fond reçoit tous les apports issus du versant et le couvert végétal réagit selon l’importance des dépôts. Cela peut aller jusqu’à la disparition du couvert végétal si les dépôts sont trop épais. Cette zone topographique récolte à la fois les produits de ruissellement, mais aussi, dans les sols les apports des eaux et des fines issues de la percolation et du lessivage oblique de tout le versant. Ce bas-fond est une zone d’accumulation qui s’exhausse progressivement au fil du temps et que herbacées et callune colonisent ici et là.

23L’utilisation du concept de système a permis d’analyser les unités réparties le long du transect et de comprendre au mieux les dynamiques de chaque entité. Mais pour avoir une vision encore plus globale des mécanismes d’évolution de l’ensemble de cette toposéquence ; il faut aussi prendre en compte les interrelations entre les systèmes en fonction de leur position topographique. Ce qui permet d’aboutir à un métasystème dont la dynamique n’est pas l’addition de chaque dynamique, mais une combinatoire de dynamiques interagissant à des degrés divers selon leur position spatiale.

Conclusion

24À partir de cet exemple bellifontain, une typologie des dynamiques végétales peut être établie et cinq types peuvent être retenus :

  • des dynamiques linéaires qui passent du sol nu à une formation herbacée et qui parviennent étape par étape à la reconstitution d’un couvert forestier, schéma très connu.

  • des dynamiques cycliques connaissent d’abord une dynamique linéaire jusqu’à un stade forestier, par exemple, puis subissent un effondrement de la formation forestière, soit par vieillissement, soit par aléas climatiques, or la variabilité du climat est grande et souvent riche en perturbations, soit par l’intervention d’animaux ou de végétaux comme insectes ravageurs ou champignons pathogènes, soit par accident anthropique comme un incendie…et qui reprennent pas à pas le chemin de la forêt sans qu’elle atteigne, pour autant, la structure antérieure détruite.

  • des dynamiques de substitution d’espèces forestières sont liées soit à l’introduction d’une essence plus productive en semences et /ou à la croissance plus rapide, soit au choix d’une ancienne gestion forestière favorisant une essence plus qu’une autre, mais dont les actions ont changé les conditions du milieu ne permettant plus à l’essence favorisée de se développer.

  • des dynamiques végétales bloquées qui ne peuvent pas dépasser un stade, car les conditions du milieu sont constamment modifiées soit par le fait d’incendies récurrents, soit par le fait de dynamiques géomorphologiques. Ces dynamiques géomorphologiques viennent contrecarrer les dynamiques végétales progressives en cours. La situation revient toujours au même point.

  • des dynamiques antagonistes, comme c’est souvent le cas lorsque dynamiques géomorphologique et végétale sont toutes les deux progressives et qu’elles s’affrontent dans le temps et dans l’espace; tout devient alors question de vitesse entre érosion géomorphologique et capacité de reconquête végétale en fonction de la dynamique érosive.

  • Enfin, des dynamiques combinées qui peuvent prendre l’un ou l’autre chemin en fonction du temps considéré et des événements extérieurs qui interfèrent dans le système en place engendrant un autre schéma dynamique. C’est ce qu’Otto appelle « la dynamique à succession multiple ».

25Une dernière question se pose : que deviennent ces dynamiques lorsque surviennent des modifications environnementales profondes, comme des tempêtes semblables à celles de 1999, des incendies dévastateurs, des insectes ravageurs, des changements d’utilisation du sol, qui sont autant de facteurs qui peuvent engendrer des bouleversements importants de direction dans l’évolution des formatons végétales? Il semble que, quel que soit le bouleversement envisagé, on se retrouve dans l’une ou l’autre situation évoquée dans la typologie précédente, soit en combinaison de parcours, soit vers une autre trajectoire possible prenant en compte les conditions nouvelles pour l’évolution du couvert végétal.

26Les diverses dynamiques présentées à partir de situations variées démontrent que les forêts sont des formations végétales en perpétuelle évolution dont la composition en espèces se modifie ce qui influence le fonctionnement propre de la forêt. Si elles peuvent se maintenir en se reproduisant sur elle-même dans un cycle en mosaïque spatiale. Mais elles peuvent être aussi endommagées, voire détruites, puis se reconstruire à nouveau sans pour autant ressembler à ce qui existait préalablement.

27L’approche systémique a permis de relier les éléments constitutifs d’un système entre eux, de faciliter la prise en compte des effets des interactions multiples, d’intégrer le temps court et le temps long, de s’appuyer sur une perception globale des phénomènes. L’approche systémique est une méthode susceptible d’appréhender au mieux l’ensemble des paramètres qui entrent en jeu dans les différentes phases de l’évolution des formations végétales et d’obtenir une typologie de dynamiques susceptibles de servir de modèles pour travailler sur d’autres espaces présentant des situations similaires. Modèles qui peuvent être améliorés ou contrecarrés, mais qui font gagner du temps pour la recherche, facilitent la compréhension des dynamiques et qui peuvent servir à la prise de décision en aménagement du territoire. Ces modèles doivent intégrer systématiquement le contexte géographique des forêts et analyser leur environnement qu’il soit agricole ou urbain.

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Bibliography

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List of illustrations

Title Figure 1. Paysages actuels le long du profil topographique depuis les « Monts » jusqu’à la dépression du Bas-Bréau, en Forêt de Fontainebleau
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/12446/img-1.png
File image/png, 195k
Title Figure 2. Exemple d’organisation structurale d’une placette de la Réserve Biologique Intégrale (RBI) du Gros Fouteau
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/12446/img-2.png
File image/png, 566k
Title Figure 3. Dynamique des Vasques de la platière du XIXe siècle à nos jours
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/12446/img-3.png
File image/png, 212k
Title Figure 4. Dynamique des versants du XIXe siècle à nos jours
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/12446/img-4.png
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Title Figure 5. Évolution de la platière d’Apremont et des hauts de versants depuis l’incendie de 1944
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/12446/img-5.png
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Title Figure 6. Dynamique de la dépression
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/12446/img-6.png
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References

Electronic reference

Micheline Hotyat, « Intérêt de l’approche systémique pour l’étude de formations végétales en milieux forestiers : l’exemple de la Forêt de Fontainebleau Â», VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Hors-série 14 | septembre 2012, Online since 18 September 2012, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/12446 ; DOI : 10.4000/vertigo.12446

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Micheline Hotyat

Professeure, Université Paris-Sorbonne, Recteur d’Académie

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