Navigation – Plan du site
Dossier : Émergence et mise en politique des services environnementaux et écosystémiques

L’émergence des services environnementaux dans le droit international de l’environnement : une terminologie confuse

Marie Bonnin

Résumés

Cet article montre que l’apparition récente des termes de services écosystémiques et services environnementaux comme outils de conservation de la biodiversité ne s’accompagne pas de définition claire ni même d’un consensus sur le terme utilisé. La pluralité d’appellations existantes pour ces services révèle une certaine confusion et indique un manque de consensus entre les accords internationaux en matière d’environnement, les organisations internationales et les institutions nationales.
Les premières traces de ce concept peuvent être relevées dès le début des années 90, à la fois dans des textes contraignants et des textes non contraignants même si dans la majorité des exemples le concept apparaît par le biais des textes adoptés par les conférences des parties.
Cette utilisation de termes sans consensus a été considérée comme problématique par plusieurs conférences des parties. Certaines ont décidé de lui accoler un terme explicatif, d’autres ont mis en doute l’intérêt de son utilisation. Cet amalgame terminologique appelle une clarification qui devrait être un préalable au développement de ce concept dans les règles de droit. Une définition précise des concepts de services environnementaux et écosystémiques pourrait être un premier pas vers une meilleure appréhension de ce concept et permettre une utilisation raisonnée de l’évaluation environnementale favorable à la conservation de la biodiversité.

Haut de page

Texte intégral

1Les premières études sur les services fournis par la nature correspondent à l’émergence de la problématique environnementale soulevée, entre autres évènements, par la Conférence de Stockholm en 1972. Mais c’est au cours des années 90 que les travaux de recherches sur les services écosystémiques vont se multiplier. La genèse du concept en écologie a été présentée dans l’ouvrage coordonné par Gretchen Daily (1997) alors qu’en parallèle des analyses économiques étaient menées sur la valorisation économique de ces services (Costanza, 1997) et sur les paiements qui peuvent être faits sur leur base (Landell-Mills et al., 2002). La médiatisation du concept par l’Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire (Millenium Ecosystem Assesment – MEA) a suscité nombres de nouvelles recherches ainsi que la rapide diffusion du concept dans les relations internationales. Pourtant peu d’analyses juridiques ont été réalisées sur le concept de services fournis par les écosystèmes, même s’il apparaît progressivement dans les textes juridiques sous différentes appellations, parfois services écosystémiques, d’autre fois services environnementaux ou encore services écologiques.

2L’apparition du concept de services fournis par la nature dans les textes juridiques se fait tardivement de manière explicite, mais plusieurs exemples peuvent être cités de traductions de ce concept dans le droit même si elles sont pour la plupart implicites. Les mesures agroenvironnementales, introduites dans la législation communautaire dès le milieu des années 80 (Le Roux et al., 2008; Bonnin et al., 2007) ont ainsi participé à la conservation de services écosystémiques, via le paiement de subsides aux agriculteurs européens (Aznar et al, 2010; Bonnal, 2010; Valette et al, ce numéro). Et le plan d’action communautaire en faveur de la biodiversité dans l’agriculture indique d’ailleurs que l’application des mesures agroenvironnementales depuis 1992 a « concerné un agriculteur sur 7 et a fourni plus de 20 % des services environnementaux sur le territoire européen ». De la même manière, certaines conventions internationales se sont attachées aux fonctions des écosystèmes qui sont à rapprocher du concept de services écosystémiques. Il en est ainsi, notamment, de la convention relative à la protection des zones humides qui reconnaît dès 1971 l’importance des fonctions des zones humides ainsi que leurs valeurs économiques, culturelles et scientifiques.

  • 1 Le plan national pour l’environnement de l’Uganda dispose que les forêts d’Ouganda fournissent de n (...)

3Quelques pays pionniers1 ont également développé un corpus juridique relatif à ce concept, et plus spécialement le Costa Rica dès le milieu des années 90 (Camacho et al., 2000; Ballar, 2007), mais c’est à partir des années 2000 que l’expression apparaît dans plusieurs pays (Ruhl et al., 2007) et à plusieurs échelles décisionnelles. En effet, elle apparaît dans le même temps, dans différents droits nationaux et en droit international, principalement dans les textes officiels adoptés par les conférences des parties de plusieurs conventions internationales ainsi que dans de nombreuses déclarations politiques (Lugo, 2008).

  • 2 La définition exacte est : Environmental services refer to qualitative functions of natural non—pro (...)

4Mais cette diffusion du concept de services fournis par la nature ne s’accompagne pas de compromis ni sur l’expression utilisée, ni sur les définitions. Il a été démontré récemment que les expressions services environnementaux et services écosystémiques proviennent d’origines distinctes (Pesche et al, 2012). En effet, l’origine du concept de services environnementaux est très liée aux politiques de développement dans les pays du Sud alors que celle de l’expression services écosystémiques a été promue par des biologistes désirant mettre en avant l’importance de conserver la biodiversité (Méral, 2012). Des définitions différentes existent également pour l’une ou l’autre de ces expressions. Ainsi, l’Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire (MEA) propose une définition des services d’origine écosystémique entendus comme les bienfaits que les hommes obtiennent des écosystèmes. Le glossaire établi par les Nations Unies pour les statistiques en matière d’environnement (United Nations, 1997)2 indique que les services environnementaux se rapportent aux fonctions des biens non-produits de la terre, l'eau et l'air (écosystème relatif y compris) alors que la définition des services environnementaux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) inclut les services d'assainissement, les services d'enlèvement des ordures, les services de voirie et services analogues, la réduction des émissions des véhicules, les services de lutte contre le bruit, les services de protection de la nature et des paysages et les « autres » services environnementaux.

5Cette multitude de définitions de l’une ou l’autre de ces expressions n’est certainement pas sans lien avec le fait que ces expressions aient été dans un premier temps utilisées indifféremment, y compris dans des textes juridiques. Or, cette pluralité d’appellations existantes pour ces services révèle une certaine confusion et indique un manque de consensus entre les organes des accords internationaux en matière d’environnement, les organisations internationales, et les institutions nationales. Cet article s’attache à décrire cette mêlée sémantique et préconise une recherche de consensus.

Mêlée sémantique

6L’expression services écosystémiques comme celle de services environnementaux est au cœur d’une lutte d’idée qui oppose les tenants de la conservation de la nature pour sa valeur intrinsèque (Redford et al., 2009) et ceux qui considèrent que valoriser la nature permet une prise de conscience plus généralisée (Daily, 1997 ; Costanza, 1997). Le concept est un objet de recherche polémique, mais qu’une grande partie de la communauté scientifique, toutes disciplines confondues s’approprie (Bonnin et Rodary, 2012) et l’étude de sa genèse devient essentielle à sa compréhension.

Premières traces au début des 90’s

  • 3 Convention précitée.
  • 4 Cf note de bas de page 5, supra.
  • 5 Le nom exact de cette déclaration est la Déclaration de principes, non juridiquement contraignante, (...)
  • 6 Principe 6, alinéa c de la Déclaration sur les forêts.

7La convention de Ramsar relative à la conservation des zones humides3 fait partie de ces textes précurseurs qui ont cherché à valoriser les fonctions des écosystèmes avant l’émergence des services écosystémiques sur la scène internationale. Cette convention a même joué un rôle annonciateur en identifiant et en reconnaissant les valeurs économiques et culturelles des zones humides dans son préambule4. Cependant, cette démarche reste au début des années 70 assez isolée et ne se retrouve pas dans les autres conventions internationales adoptées durant cette période. Une autre trace annonciatrice du développement de l’utilisation du concept de services écosystémiques en droit international peut être relevée au sein de la Déclaration relative aux forêts5 adoptée à Rio de Janeiro en 1992. Celle-ci utilise en effet dans ses principes 2 et 6, l’expression de services forestiers. Il a ainsi, dès 1992, été reconnu qu’une « évaluation approfondie de la valeur économique et non économique des biens et services forestiers et des coûts et avantages environnementaux »6 devrait être utilisée pour les décisions relatives aux forêts. La valeur non économique des services forestiers est à rapprocher du concept de services écosystémiques que l’on retrouve par la suite dans différents textes relatifs à la conservation des forêts.

  • 7 Cet accord a été signé à San José (Costa Rica) en 1998 par le Costa Rica, le Nicaragua et le Panama (...)
  • 8 Le système des paiements pour services environnementaux a été introduit au Costa Rica par la loi su (...)

8Il faut attendre la fin des années 1990 pour trouver dans un texte de droit international contraignant l’expression « Paiement pour services environnementaux ». C’est à l’occasion d’un accord tripartite entre le Costa Rica et le Panama relatif à la conservation des tortues sur les côtes des caraïbes7 que l’expression apparaît, même si elle est utilisée de manière dérivée puisque le texte dispose que les fonds nécessaires à la protection des tortues pourront provenir entre autres sources des paiements pour services environnementaux. L’influence costaricienne est ici très claire et est liée à l’adoption récente d’un système juridique relatif aux paiements pour services environnementaux en droit national costaricien8.

Utilisation indifférenciée de termes distincts

  • 9 La Conférence des Parties est un organe créé par l’immense majorité des grandes conventions interna (...)

9C’est principalement par le biais des textes adoptés par les conférences des parties qu’apparaît le concept de services écosystémiques ou environnementaux en droit international9 (Tableau 1). Ces résolutions ou recommandations adoptées par les conférences des parties ne sont pas juridiquement contraignantes, mais elles peuvent être traduites dans des textes juridiquement contraignants par la suite, soit par le biais de l’adoption d’un protocole, soit par un amendement du texte initial. Composantes de cette forme de droit couramment appelé Soft Law (Duplessis, 2007; Virally, 1983), elles constituent un indice de l’évolution du droit international de l’environnement et en cela intéresse spécialement l’étude de l’émergence du concept de services fournis par la nature en droit international.

Tableau 1. L’apparition du concept dans le droit international

  • 10 Force Contraignante (FC) / Non contraignante (NC). Dans ce cadre, la nature juridique du texte est (...)
  • 11 On trouve les premières allusions au concept dans l’évaluation de l’état de la dégradation des sols (...)

Textes

Date

Lieu

Article

FC/NC10

Texte

Déclaration de principes, non juridiquement contraignante, mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts

1992

Rio de Janeiro

Principe 2 alinéa b

Principe 6 alinéa c et e

NC

Services forestiers, avantages environnementaux

Cooperative Agreement for the Conservation of Sea Turtles of the Caribbean Coast of Costa Rica, Nicaragua and Panama

1998

San Jose

Art 3

FC

Services environnementaux

Convention sur la diversité biologique CoP5

Décision V/6 de la COP 5 de la Convention sur la diversité biologique : L’approche par écosystème

2000

Nairobi

Principe 5 

NC

L'écosystème, pour préserver les services qu'il assure

Convention pour la coopération et la protection et le développement durable de l’environnement marin et côtier du Pacifique du Nord-Est

2002

Antigua Guatemala,

Art 3-1 c)

FC

Services environnementaux

Art 10

FC

services environnementaux

Déclaration conjointe des commissions d’Helcom et Ospar; Vers une approche écosystémique en matière de gestion des activités de l’homme.

2003

Breme

Point 5

NC

Services de l’écosystème

Accord international de 2006 sur les bois tropicaux

Jo 9 oct. 2007 (L 262/8)

2006

Genève

Préambule

FC

Services environnementaux,

Article 1 objectif q)

FC

Services écologiques

Convention sur le droit de la mer, Résolution adoptée par l’Assemblée générale Les océans et le droit de la mer 61e session

2007

---

Point XIV

NC

Services environnementaux

Convention sur la désertification CoP8

11Décision 4/COP.8

2007

Madrid

Point 4

NC

Services liés à l’écosystème

Convention sur la désertification CoP8- Décision 6/COP 8

2007

Madrid

Préambule

NC

Services écosystémiques

Convention sur la diversité biologique CoP9

Décision IX/11

2008

Bonn

Préambule

NC

Services fournis par les écosystèmes

Le Plan stratégique Ramsar 2009-2015

2008

Chang-won

Stratégie 1.4

NC

services fournis par les zones humides

services écosystémiques

Stratégie 1.6

NC

Services écosystémiques,

Convention de Ramsar CoP10

Résolution X.24 de la 10e COP

2008

Chang-won

Préambule point 1, 11 et 13

NC

Rendent de nombreux services au niveau de l’écosystème

services relatifs à l’atténuation des changements climatiques

Point 36

NC

Services rendus par les zones humides (...).

Point 39

NC

Services écosystémiques

Note : Ce tableau a une vocation illustrative, mais n’est pas exhaustif

L’utilisation de l’expression services écosystémiques

  • 12 Convention signée à Rio de Janeiro en 1992.
  • 13 Décision V/6 de la COP5 de la Convention sur la diversité biologique (2000).
  • 14 Pour un exemple : Décisions IX/11 prises par la CoP9 qui s’est tenue à Bonn en 2008 relative à l’ap (...)
  • 15 §I de la Décision X/2 Cop10. Pour un autre exemple, voir la décision sur les aires protégées n° X/3 (...)

10À l’échelle globale, c’est l’adoption par la conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique12 de l’approche par écosystème13 qui propulse sur la scène internationale à la fois le concept d’écosystème et les services qui lui sont associés. L’utilisation de l’expression services écosystémiques ou de celle de services fournis par les écosystèmes au sein de la convention sur la diversité biologique paraît bien stabilisée désormais puisqu’à plusieurs reprises la Conférence des parties a eu l’occasion d’utiliser l’expression14. Sur 47 décisions adoptées lors de la 10e Conférence des parties qui se tenait à Nagoya en octobre 2010, 18 décisions font explicitement référence à plusieurs reprises aux services écosystémiques. Le plan stratégique de la convention 2011-2020 adopté à cette occasion dispose d’ailleurs que « la diversité biologique sous-tend le fonctionnement des écosystèmes et l’approvisionnement en services d’écosystèmes essentiels au bien-être humain »15.

  • 16 Voir Tableau I.
  • 17 La commission d’Helsinki (HELCOM) est la commission pour la protection du milieu marin de la Baltiq (...)
  • 18 La Commission OSPAR pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est est issue de la (...)
  • 19 Résolution X.24 de la 10e COP qui s’est tenue en 2008 à Changwon, Corée.
  • 20 Voir, notamment les fiches relatives aux services écosystémiques des zones humides publiées en 2010 (...)
  • 21 Décision 4 de la COP.8 qui s’est Madrid en 2007.

11De manière logique puisqu’elle en est une application régionale, la déclaration conjointe16 des commissions HELCOM17 et OSPAR18 qui prônent une approche écosystémique en matière de gestion des activités de l’Homme dans l’Atlantique et la Mer du Nord utilise également l’expression services de l’écosystème. On retrouve aussi l’expression services écosystémiques dans les décisions récentes de plusieurs grandes conventions internationales de conservation de la nature. Ainsi une résolution de la 10e conférence des parties de la convention de Ramsar19 relative à la conservation des zones humides qui s’est tenue en 2008 préconise, dans son point 39, l’étude du concept de paiements appliqués aux services écosystèmiques et plusieurs documents du secrétariat de la convention de Ramsar ont depuis réutilisé l’expression à des fins de communication20. De la même manière, la conférence des parties à la convention sur la désertification invite ses parties à renforcer leurs actions en vue de « maintenir des services liés à l’écosystème 21».

  • 22 Ces conventions étaient représentées au Conseil d’administration du MEA.

12Il est intéressant de noter que lors du MEA, les travaux préparatoires utilisaient de manière indifférenciée les expressions de Services écosystémiques et services environnementaux. Cependant, les travaux de synthèse réalisés sur la base de ce rapport font référence à l’expression services des écosystèmes. Or les conventions internationales précitées ont participé au processus du MEA. En effet, les organes de la Convention sur la diversité biologique, de la Convention sur la désertification, de la convention de Ramsar et de la Convention sur les changements climatiques ont été associées au processus d’élaboration de l’Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire22 et aux choix réalisés dans ce cadre, ce qui les a certainement incités à utiliser cette expression et non pas celle de services environnementaux.

L’utilisation de l’expression services environnementaux

  • 23 Paragraphe 119 de la Résolution 61/222 sur les océans et le droit de la mer adoptée par l’Assemblée (...)
  • 24 Cet accord, signé à Genève en 2006, s’inscrit dans la continuité des accords sur le commerce des bo (...)

13À l’inverse, la 61e session de l’Assemblée générale des Nations Unies dans une résolution relative au droit de la mer utilise l’expression « biens et services environnementaux »23. Plus troublant, la seule traduction dans un texte juridiquement contraignant à l’échelle internationale que l’on ait trouvée utilise dans le même document des expressions différentes. Ainsi, l’accord international de 200624 sur les bois tropicaux reconnaît dans son préambule l’importance des « services environnementaux » et dans son article 1, des « services écologiques » sans paraître différencier les expressions par des définitions différentes.

  • 25 L’utilisation de la base de données Ecolex pour cette recherche limite les réponses aux pays ayant (...)

14Troublante également est la traduction du concept dans les droits nationaux (voir : Tableau 2 : L’apparition du concept de SE dans les droits nationaux). À l’échelle nationale, l’usage des termes paraît moins disparate, mais guère plus explicite. Sur 10 pays pour lesquels une référence législative au concept de SE a été identifiée25, 8 utilisent l’expression Services environnementaux, un seul celle de services écosystémiques (Australie) et un celle de services écologiques (France). Pour autant, si la majorité des pays regardés utilisent l’expression services environnementaux, les quelques définitions qui sont données se rapportent plus au concept de services écosystémiques tel qu’il est défini dans les sphères internationales et notamment par l’Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire (MEA).

Tableau 2. L’apparition du concept de SE dans les droits nationaux

Tableau 2. L’apparition du concept de SE dans les droits nationaux

Notes : Ce tableau a une vocation illustrative, mais n’est pas exhaustif

Recherche de consensus

15Cette utilisation de termes sans consensus a été considérée comme problématique par plusieurs conférences des parties tant il est vrai que cette mêlée sémantique nuit à la lisibilité du concept.

Une problématique soulignée par plusieurs conférences des parties

16Certaines conférences des parties ont décidé d’accoler un terme explicatif à celui de services écosystémiques ou services environnementaux, d’autres ont mis en doute l’intérêt de son utilisation.

  • 26 Résolution VIII.7, § 15.

17La conférence des parties de la convention de Ramsar relative aux zones humides s’est ainsi interrogée sur le choix des termes à utiliser, notamment en lien avec celui des caractéristiques écologiques, dès 2005. L’article 3.2 du texte de la Convention de Ramsar, dispose que « chaque Partie contractante prend les dispositions nécessaires pour être informé dès que possible des modifications des caractéristiques écologiques des zones humides situées sur son territoire et inscrites sur la Liste, qui se sont produites, ou sont en train ou susceptibles de se produire ». La 8e conférence des parties de cette convention avait demandé au Groupe d’évaluation scientifique et technique (GEST) de préparer un rapport pour la 9e conférence des parties sur les lacunes et les inconséquences identifiées dans les définitions et descriptions des caractéristiques écologiques des zones humides26. Le GEST a, entre autres remarques, estimé pertinent de mettre à jour la définition des « caractéristiques écologiques ».

  • 27 Résolution IX.1 Annexe A paragraphe 15/2005
  • 28 Cf note de bas de page 22.
  • 29 Résolution IX.1 Annexe A, paragraphe 7.
  • 30 Signe d’une évolution, il est intéressant de noter également que l’expression « Services écosystémi (...)

18La définition mise à jour27 des « caractéristiques écologiques » précise qu’ils « sont la combinaison des composantes, des processus et des avantages/services écosystémiques qui caractérisent la zone humide à un moment donné ». Depuis, les organes de cette convention ont dépassé le stade des questionnements quant à l’utilisation de ce concept puisque plusieurs documents n’utilisant que la seule expression services écosystémiques relatifs à l’importance des zones humides ont été publiés28. Et le Cadre conceptuel pour l’utilisation rationnelle des zones humides et le maintien de leurs caractéristiques écologiques précise que dans le contexte de la Convention de Ramsar, le concept de services écosystémiques « recouvre les produits, fonctions et attributs définis dans la résolution VI.I, et est élargi aux valeurs matérielles et non matérielles 29», décrites dans le document relatif aux aspects culturels des zones humides30.

  • 31 La troisième session du Comité chargé de la Mise en Œuvre de la Convention sur la Lutte contre la D (...)
  • 32 IIdd, Bulletin de la terre.
  • 33 « We believe that our process should use conceptually precise definitions. Specifically, it is rele (...)
  • 34 Les services environnementaux, selon l’Organisation mondiale du commerce, incluent les services d'a (...)

19Des interrogations sur le choix des termes ont aussi amené le Comité chargé de la mise en œuvre de la Convention sur la Lutte contre la Désertification, lors de sa troisième session31 à prendre des dispositions pour modifier les choix préétablis. Le débat s'est en effet focalisé sur l'insertion de l'évaluation des services écosystémiques dans le cadre de la surveillance et de l'évaluation des terres sèches africaines. Et les délégués ont décidé de remplacer le terme « services écosystèmes » par « protection, réhabilitation et restauration des écosystèmes dans les terres sèches » dans le texte. S'agissant des références aux services écosystémiques dans les chapitres consacrés à la mobilisation des ressources et au transfert des technologies, l'Inde, appuyée par le G-77/Chine, Cuba et l'Argentine, mais contrée par l'Union européenne, a demandé leur suppression, soulignant l'absence de consensus autour de la signification de l'expression dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique32. Cette problématique a donc été, à plusieurs reprises, soulevée par des conférences des parties ou des réunions préparatoires et la question de déterminer plus clairement les termes et leurs implications apparaît désormais nécessaire. L’Argentine s’est engagée dans cette voie en demandant dans le cadre de la Convention sur le changement climatique33 d’établir une différence conceptuelle entre services écosystémiques (qui consiste dans les bénéfices/indemnités rendus par les écosystèmes) et les services environnementaux (comme définis dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce34).

20Pour l’instant, ces débats ne semblent pas avoir trouvé de traductions juridiques. Il n’en reste pas moins qu’ils soulignent les difficultés à utiliser un concept qui peut prendre diverses appellations selon la sphère dans laquelle il est utilisé. D’autant plus que l’absence de consensus s’étend aussi aux organisations internationales qui utilisent différents termes pour le même concept ou à l’inverse des termes identiques pour des concepts qui ne le sont pas forcément.

Vers une tentative de définition

21Cet amalgame terminologique appelle une clarification qui devrait être un préalable au développement de ce concept dans les règles de droit. Une définition précise des concepts de services environnementaux et écosystémiques pourrait être un premier pas vers une meilleure appréhension de ces concepts et permettre de différencier les bénéfices fournis par les écosystèmes, des bénéfices résultant d’une action humaine.

22Aux vues des premières réflexions pluridisciplinaires sur ce concept, il apparaît que l’expression « services environnementaux » pourrait être considérée comme ayant pour objet de décrire les efforts de conservation d’un utilisateur des terres. Autrement dit, cette expression impliquerait une intervention humaine. L’expression services environnementaux ne devrait alors théoriquement pas être utilisée comme synonymes des bénéfices que les personnes reçoivent des écosystèmes.

  • 35 La question se pose peut-être également d’inclure dans cette expression les services que procurent (...)

23Le terme services écosystémiques ou services des écosystèmes renvoie à la terminologie originale utilisée par les scientifiques qui ont favorisé le recours à ce concept et qui ont participé au MEA. Il est relatif aux bénéfices que retire l’être humain des écosystèmes35.

Conclusion et perspectives

  • 36 Cette convention a été signée à Antigua en 2002. L’article 3.1.C définit les services environnement (...)

24Cette première tentative de clarification ne doit pas occulter qu’un réel travail de définition doit être engagé pour que se dégage un concept utilisable dans les différentes arènes du droit. Certains textes ont déjà assorti l’utilisation d’une des expressions d’une définition, notamment, la Convention pour la coopération et la protection et le développement durable de l’environnement marin et côtier du Pacifique du Nord-Est36 qui associe à l’expression Services environnementaux celle proposée ici pour l’expression services écosystémiques, ce qui soulève d’autres problématiques relatives à la pérennité des règles de droit international.

25Il serait probablement intéressant également de mieux identifier les liens, oppositions et complémentarités entre le concept de services écosystémiques et celui d’approche écosystémique, car leur double usage pourrait porter préjudice à leur utilisation respective. Il est probable que l’utilisation de ces termes se généralise à court terme et il paraît essentiel que leur définition fasse sens et permette que leur appréhension corresponde le mieux possible à une éthique environnementale.

Remerciements

26Cet article présente le résultat de recherches menées dans le cadre du programme SERENA financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR).

Haut de page

Bibliographie

Antona, M. et M. Bonin, 2010, Généalogie scientifique et mise en politique des SE (services écosystémiques et services environnementaux). Document de travail n° 2010-1, Programme Serena.

Aznar, O., E. Valette, et al., 2010, Emergence de la notion de services environnemental en France, Programme SERENA, Document de travail n° 2010-02.

Ballar, G., 2007, The payement for environmental services in Costa Rica, Revista de ciencas juridicas, n° 114, p. 13-30.

Beurier, J-P. et A. Kiss, 2010, Droit international de l’environnement, Etudes internationales, Pedone, Paris, 590 p.

Bonnal, P., 2010, La brève incursion de la multifonctionnalité dans le champ politique, Programme SERENA, Document de travail, n° 2010-07.

Bonnin, M. , A. Bruszik, B. Delbaere, H. Lethier, D. Richard, S. Rientjes, G. van Uden, et A. Terry., 2007, The Pan-European Ecological Network: taking stock, Strasbourg : Council of Europe, Nature and Environment No. 146, 116 p.

Bonnin, M. et E. Rodary, 2012, L’influence des services écosystémiques sur les aires protégées : premiers éléments de réflexion, Document de travail SERENA.

Costanza, R., R. D'Arge, R. De Groot, S. Farber, M. Grasso, B. Hannon, K. Limburg, S. Naeem, R.V. O'Neill, J. Paruelo, R.G. Raskin, P. Sutton et M. Van Den Belt, 1997, 'The value of the world's ecosystem services and natural capital', Nature, 387: 253-60.

Camacho, M.A., O. Segura, V. Reyes et A. Aguilar, 2000, Pago por servicios ambientales en Costa Rica. Informe preparado en el marco del proyecto PRISMA. Fundación Ford “Pago de Servicios Ambientales en América Latina”. San Salvador, El Salvador, PRISMA, 78 p.

Daily, G., 1997, Nature’s services: societal dependence on natural ecosystems. Island Press, Washington, DC.

Doussan, I., 2009, Les services écologiques : un nouveau concept pour le droit de l’environnement. La responsabilité environnementale. C. Cans. Paris, Dalloz, pp. 125-141.

Duplessis, I., 2007, Le vertige et la soft law : réactions doctrinales en droit international, Revue québécoise de droit international, n° hors série, pp. 245-268.

Geloso Grosso, M., 2007, Regulatory Principles for Environmental Services and the General Agreement on Trade in Services, ICTSD Issue Paper No. 6, 2007

Landell-Mills, N. et I. Porras, 2002. Silver bullet or fools’ gold? A global review of markets for forest environmental services and their impact on the poor. IIED, London.

Le Roux, X., R. Barbault, J. Baudry , F. Burel, I. Doussan, E. Garnier, F. Herzog, S. Lavorel, R. Lifran, J. Roger-Estrade, J-P. Sarthou et M. Trommetter (ed), 2008, Agriculture et biodiversité. Valoriser les synergies. Expertise scientifique collective, Rapport INRA, France.

Lugo, E., 2008, "Ecosystem services, the millenium ecosysstem assesment, and the conceptual difference between benefits provided by ecosystems and benefits provided by people." Journal of land use, 23(2), pp. 243-262.

Méral, P., 2012, "Le concept de service écosystémique en économie : origine et tendances récentes." Nature Sciences et Sociétés, vol 20, n°1, pp.30-38..

Millennium Ecosystem Assessment, 2005, Ecosystems and Human Well-being: Synthesis, Island Press, Washington DC.

Pesche, D., P. Méral, M. Hrabanski et M. Bonnin, 2012, Ecosystem Services and Payment for Environmental Services: two sides of the same coin? In (Ed) R. Muradian and L. Rival Governing the provision of environmental services, Springer. Sous presse.

Redford Kent, H. et M. Adams William, 2009, Payment for ecosystem Services and the challenge of saving nature, Conservation Biology, Vol 2, n°4, 785-787.

Ruhl, J.B. et J. Salzman, 2007, « The law and policy beginnings of ecosystem services », Journal of land use, vol 22.2, pp. 157-172.

Virally, M., 1983, « La distinction entre textes internationaux ayant une portée juridique entre leurs acteurs et textes qui en sont dépourvus », Annuaire de l’Institut de droit international, vol. 60-I, II, p. 221-223.

Haut de page

Notes

1 Le plan national pour l’environnement de l’Uganda dispose que les forêts d’Ouganda fournissent de nombreux services environnementaux comme l’amélioration du climat, la stabilisation des sols, etc. qui sont critiques pour le développement national, mais difficile à quantifier dans les marchés économiques à court terme.

2 La définition exacte est : Environmental services refer to qualitative functions of natural non—produced assets of land, water and air (including related ecosystem) and their biota.

There are three basic types of environmental services:

(a) disposal services which reflect the functions of the natural environment as an absorptive sink for residuals,

(b) productive services which reflect the economic functions of providing natural resource inputs and space for production and consumption, and

(c) consumer or consumption services which provide for physiological as well as recreational and related needs of human beings.

3 Convention précitée.

4 Cf note de bas de page 5, supra.

5 Le nom exact de cette déclaration est la Déclaration de principes, non juridiquement contraignante, mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts.

6 Principe 6, alinéa c de la Déclaration sur les forêts.

7 Cet accord a été signé à San José (Costa Rica) en 1998 par le Costa Rica, le Nicaragua et le Panama.

8 Le système des paiements pour services environnementaux a été introduit au Costa Rica par la loi sur la forêt n° 7575 de 1996 (Ballar, 2007).

9 La Conférence des Parties est un organe créé par l’immense majorité des grandes conventions internationales dans le domaine de l’environnement (Beurier et Kiss, 2010). Cet organe rassemble tous les ans, ou tous les deux ans, l’ensemble des États parties à la convention et a pour mission le suivi de l’application par les États Parties des règles qu’ils ont adoptées.

10 Force Contraignante (FC) / Non contraignante (NC). Dans ce cadre, la nature juridique du texte est utilisée pour déterminer la force contraignante ou non.

11 On trouve les premières allusions au concept dans l’évaluation de l’état de la dégradation des sols dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches (ICCD/COP4/INF6 2000 à Bonn). « L'impact de la dégradation des terres et les interactions avec les domaines d'intervention du FEM seront analysés au regard de certains indicateurs, tels que la fonction de services d'écosystème, le taux d'érosion et divers indicateurs économiques, permettant de mesurer les répercussions des différents degrés de dégradation des terres ».

12 Convention signée à Rio de Janeiro en 1992.

13 Décision V/6 de la COP5 de la Convention sur la diversité biologique (2000).

14 Pour un exemple : Décisions IX/11 prises par la CoP9 qui s’est tenue à Bonn en 2008 relative à l’application des articles 20 et 21.

15 §I de la Décision X/2 Cop10. Pour un autre exemple, voir la décision sur les aires protégées n° X/31.

16 Voir Tableau I.

17 La commission d’Helsinki (HELCOM) est la commission pour la protection du milieu marin de la Baltique. Elle est issue de la Convention sur la protection du milieu marin de la zone de la mer baltique.

18 La Commission OSPAR pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est est issue de la Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est.

19 Résolution X.24 de la 10e COP qui s’est tenue en 2008 à Changwon, Corée.

20 Voir, notamment les fiches relatives aux services écosystémiques des zones humides publiées en 2010 et disponibles sur le site internet de la convention : www.ramsar.org

21 Décision 4 de la COP.8 qui s’est Madrid en 2007.

22 Ces conventions étaient représentées au Conseil d’administration du MEA.

23 Paragraphe 119 de la Résolution 61/222 sur les océans et le droit de la mer adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies. Le paragraphe 119 de cette résolution a été réaffirmé lors de la session de l’Assemblée générale des Nations Unies de mars 2011 (Résolution 65/37).

24 Cet accord, signé à Genève en 2006, s’inscrit dans la continuité des accords sur le commerce des bois tropicaux. Une tentative de réglementation du commerce des bois tropicaux a été promue dès 1983 par les professionnels de la filière bois. Cet accord a eu, entre autres effets, celui de mettre en place une organisation permanente appelée l’organisation internationale des bois tropicaux.

25 L’utilisation de la base de données Ecolex pour cette recherche limite les réponses aux pays ayant des lois traduites en anglais. Ces informations ne se veulent pas exhaustives.

26 Résolution VIII.7, § 15.

27 Résolution IX.1 Annexe A paragraphe 15/2005

28 Cf note de bas de page 22.

29 Résolution IX.1 Annexe A, paragraphe 7.

30 Signe d’une évolution, il est intéressant de noter également que l’expression « Services écosystémiques » figure à de multiples reprises dans le plan d’action 2009-2015 adopté lors de la 10e conférence des parties, mais que le terme fonction n’est plus employé.

31 La troisième session du Comité chargé de la Mise en Œuvre de la Convention sur la Lutte contre la Désertification (CRIC-3) s'est déroulée du 2 au 11 mai 2005, à Bonn, en Allemagne.

32 IIdd, Bulletin de la terre.

33 « We believe that our process should use conceptually precise definitions. Specifically, it is relevant to take into account that there is a conceptual difference between “payments for ecosystem services” and “payments for environmental services”. The first is based on the presumption that it is possible and desirable to both quantify and commodify the values and assets of ecosystems. However, being some of the most important values of forests non-monetary, they cannot be easily integrated into the economic valuation process. The question should be raised about if all ecosystem benefits can or should be valued in monetary terms, taking into consideration the serious ethical questions involved, such as poverty reduction. On the other hand, with regard to the second category, “payments for environmental services”, it has to be taken into account that environmental services are subject to the GATS provisions, save for the case of services supplied in the exercise of governmental authority as it is stated in Article 1.3 (b) of the agreement, and therefore part of the Services negotiations under WTO ». United Nations Framework Convention on climate change, Subsidiary body for scientific and technological advice, 26ème session, Bonn, 7–18 May 2007, Submissions from Parties.

34 Les services environnementaux, selon l’Organisation mondiale du commerce, incluent les services d'assainissement, les services d'enlèvement des ordures, les services de voirie et services analogues, la réduction des émissions des véhicules, les services de lutte contre le bruit, les services de protection de la nature et des paysages et les « autres » services environnementaux (Geloso Grosso, 2007).

35 La question se pose peut-être également d’inclure dans cette expression les services que procurent certains écosystèmes à d’autres écosystèmes

36 Cette convention a été signée à Antigua en 2002. L’article 3.1.C définit les services environnementaux : « "Environmental services," means the services provided by the functions of nature itself (for example, the protection of soil by trees, the natural filtration and purification of water, the protection of habitat for biodiversity, etc.) ».

Haut de page

Table des illustrations

Titre Tableau 2. L’apparition du concept de SE dans les droits nationaux
Légende Notes : Ce tableau a une vocation illustrative, mais n’est pas exhaustif
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/12889/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 295k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Marie Bonnin, « L’émergence des services environnementaux dans le droit international de l’environnement : une terminologie confuse », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 12 numéro 3 | décembre 2012, mis en ligne le 31 octobre 2012, consulté le 22 mai 2013. URL : http://vertigo.revues.org/12889 ; DOI : 10.4000/vertigo.12889

Haut de page

Auteur

Marie Bonnin

IRD, Chargée de recherche IRD, Droit de l’environnement, (UMR LEMAR, Chercheur associé UMR AMURE, Faculté des sciences juridiques économiques et sociales, Université Ibn Zohr, Agadir, Maroc, Courriel : marie.bonnin@ird.fr

Haut de page

Droits d’auteur

© Tous droits réservés

Haut de page