1La plupart des pays de l’Afrique subsaharienne sont exposés à l’insécurité alimentaire. Environ 17 à 34 % de la population de l’Afrique subsaharienne, caractérisée par un taux d’accroissement moyen annuel de 2,5 % (World Bank, 2006), est sous-alimentée selon la Stratégie de Croissance et de Réduction de la Pauvreté (SCRP, 2007). Pour atténuer cette situation alarmante, les tubercules en général et l’igname en particulier entrent en ligne de compte puisqu’ils disposent d’un potentiel leur permettant d’assurer la sécurité alimentaire des populations qui s’en nourrissent dans la zone tropicale humide et de savane soudanienne à laquelle appartient le Bénin (Mémento, 2002; Bricas et Vernier, 1997, Igué, 1974).
2De par sa production en igname, le Bénin occupe la quatrième place après le Nigéria, la Côte d’Ivoire et le Ghana avec une production annuelle estimée à 4 % de la production totale de la ceinture d’igname « yam belt » (Baco et al., 2007a). Sur le plan national, l’igname est le deuxième produit vivrier après le maïs avec une production de 2 529 718 tonnes en 2009 et reste l’aliment de base des populations du centre et du nord du pays (DPP/MAEP, 2009; Auriole et Aboudou, 2006). En effet, l’igname bénéficie d’une image de produits prestigieux à fortes valeurs nutritionnelle et diététique qui lui permet de supporter la concurrence des autres amylacés comme les céréales et le manioc (Bricas et Vernier, 2000). Sa consommation est fortement ritualisée et déterminée à chaque nouvelle récolte par des cérémonies et festivals entretenant la cohésion des groupes sociaux et activant leur identité à travers les fêtes d’igname dans certaines sociétés africaines (Bricas et Attaie, 1998, Hahn et al., 1987). Elle entre progressivement dans l’économie familiale des ménages ruraux et tend à gagner les marchés urbains comme ceux des villes du Sahel (Baco et al.; 2007c; Bricas et Vernier, 2000).
3Aujourd’hui, la culture d’igname se trouve dans un nouveau contexte marqué par le développement du marché dans un milieu ayant connu depuis longtemps une généralisation de la culture cotonnière (Bierschenk, 2003). Cette culture cotonnière avait un rôle moteur dans la diffusion des innovations techniques et occupait une place importante dans les revenus des exploitations agricoles (Baco, 2007). Ces dernières années, de graves perturbations ont caractérisé la filière coton. De ce fait, elles ont occasionné le développement des vivriers marchands susceptible d’affecter leur biodiversité dont son importance n’est plus à démontrer dans la vie socioculturelle, économique et alimentaire d’un homme. De ce fait, la biodiversité en général et celle de l’igname en particulier se trouve menacée au Nord-Bénin par la diffusion incontrôlée de certaines technologies, l’absence d’un schéma clair pour les systèmes semenciers, le privilège accordé aux cultures industrielles et commerciales ainsi que l’abandon et la disparition des pratiques et des savoirs (Baco et al., 2007 b). La promotion des cultures commerciales a façonné l’agriculture commerciale dont l’extension a réduit la production autour des variétés hautement performantes (Weiskopf et Lossau, 2000). La recherche de la rentabilité et les critères des marchés tendent à homogénéiser la flore cultivée (Bareau, 1990). La commercialisation accrue de la patate douce a réduit le nombre de cultivars de 25 à moins de 5 au cours des 50 dernières années au nord des Philippines (Campilan et Prain, 2005).
4L’igname est restée depuis la nuit des temps orpheline de la recherche malgré son importance. Son système semencier est autogéré et auto-entretenu par les producteurs depuis des siècles (Baco et al., 2007 b). De ce fait, l’état de la biodiversité de l’igname devient inquiétant face au développement du marché et si rien n’est fait, l’avenir des générations futures risque d’être compromis, car elles disposeront de peu de matériels génétiques pour s’adapter aux réalités de l’environnement (Weiskopf et Lossau, 2000). La plupart des chercheurs qui ont abordé cette question l’ont analysée en termes de contribution et d’évaluation des savoirs paysans à la conservation de la biodiversité, de l’origine et de la diversité de l’igname, des facteurs géographiques et socioéconomiques de la biodiversité de l’igname, etc. (Dumont et al., 2010; Baco et al., 2008a, Baco et al., 2004). Mais, l’analyse des conséquences du développement du marché sur la biodiversité de l’igname est restée vierge. C’est donc pour fermer ce trou scientifique que nous avons entrepris cette étude afin d'analyser les conséquences du développement du vivrier marchand sur la biodiversité de l’igname. Elle est partie de l’hypothèse selon laquelle le développement du marché de l’igname affecterait sa biodiversité cultivée dans la commune de Tchaourou au Nord-Bénin.
5Le Nord-Bénin représente 73 % de la superficie nationale et est considéré comme le « grenier » du pays avec la plus forte production de cultures vivrières. Il est composé de quatre départements que sont l’Alibori, l’Atacora, le Borgou et la Donga. Parmi ces départements, celui de Borgou est le plus grand producteur d’igname avec une production annuelle de 90 000 tonnes en moyenne depuis près d’une décennie (CeRPA Borgou-Alibori, 2008). En effet, le Borgou est dominé par l’ethnie Bariba qui produit et détient plus de variétés d’igname que les autres ethnies (Baco et al., 2004). Dans ce département, l’étude a été réalisée dans la commune de Tchaourou à cause de sa plus forte production d’igname (CeRPA Borgou-Alibori, 2008) (tableau 1), son caractère multiethnique (ethnies majoritaires : Bariba (34,2 %), Peulhs (18,9 %) et Nago (15,8 %) (Plan de Développement Communal (PDC), 2004) et le développement des marchés des produits vivriers caractérisé par plusieurs points de vente (marché bord route) (Baco, 2007).
Tableau 1. Productions moyennes et superficies moyennes d’igname par commune de Borgou
Communes
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Superficies moyennes (en ha)
|
Productions moyennes (en tonnes)
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Pèrèrè
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5515
|
59 279
|
N’dali
|
5980
|
76 348
|
Parakou
|
9269
|
101 742
|
Sinendé
|
7198
|
105 517
|
Bembérèké
|
8616
|
105 702
|
Kalalé
|
10 285
|
107 421
|
Nikki
|
10 375
|
117 823
|
Tchaourou
|
11 038
|
144 026
|
Source : Rapports annuels des campagnes agricoles 1998-2008 (CeRPA Borgou-Alibori)
6La commune de Tchaourou est caractérisée par un climat sud-soudanien unimodal (une saison sèche et une saison humide). La pluviométrie varie entre 1100 et 1200 mm/an avec 6 à 7 mois humides. Cette répartition pluviométrique favorise les cultures à cycle long telles que l’igname et le manioc, qui occupent environ 87 % des superficies de la commune (PDC, 2004).
7Dans cette commune, trois villages ont été choisis en tenant compte de leur niveau de production d’igname, de leur stade de développement marchand et de leur accessibilité (tableau 2). Ce choix a été opéré après l’entretien avec plusieurs personnes ressources, des agents de vulgarisation et des producteurs de la commune lors de la phase exploratoire. Il faut préciser qu’un marché développé est caractérisé dans cette étude par la présence d’infrastructures marchandes en matériaux définitifs et la provenance de ces acteurs des grandes villes du pays (Cotonou, Porto-Novo, Bohicon, Parakou, Malanville).
Tableau 2. Critères de choix des villages
Villages
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Production
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Marché
|
Accès
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Tekparou
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Très forte
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Développé
|
Route bitumée
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Yerri-Marou
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Très forte
|
Néant
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Piste
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Wari-Maro
|
Très forte
|
Développé
|
Route non bitumée
|
8Au total, 30 exploitations ont été enquêtées par village. Elles ont été choisies de manière à couvrir toutes les diversités ethnique, socio-économique et démographique des exploitations agricoles rencontrées dans les trois villages étudiés.
9La biodiversité de l’igname est l’ensemble des variétés d’igname connues par la communauté qui les distingue par leurs noms ou caractéristiques morphologiques et les savoirs et pratiques associés (Smale et Bellon, 1999). Ainsi, les différentes variétés d’igname cultivées (en langue locale préférentiellement en bariba, ethnie majoritaire de la zone), le nombre de buttes total et par variété, les proportions de production d’igname affectée à la consommation, à la commercialisation, aux dons et aux semences et les changements des systèmes de culture d’igname (superficie, cultivars, savoirs et savoir-faire…) ont été collectées à partir des enquêtes individuelles, informelles non structurées donnant une large manœuvre aux enquêtés. Les superficies totales d’igname ont été obtenues à travers les enquêtes par exploitation. Nous avons évité les duplicatas dans l’établissement de la liste des variétés cultivées en prenant en compte les synonymies et les homonymies. Le nombre de buttes par variété a permis de calculer la superficie par variété (superficie par variété= superficie totale d’igname × nombre de buttes de la variété/nombre total de buttes d’igname). La superficie moyenne par variété d’igname a été calculée en faisant le rapport entre la superficie totale d’igname cultivée dans un village et le nombre total de variétés cultivées dans ce village. Les caractéristiques organoleptiques et commerciales des variétés et les acteurs des circuits de commercialisation d’igname ont été obtenus à partir de trois focus group par village et des observations participantes. Ces focus group ont eu lieu avec les producteurs et acteurs de commercialisation d’igname les jours du marché de chaque village et de la prière (vendredi pour les musulmans) compte tenu de leur disponibilité.
10Les outils d’analyse varient selon la nature des données. L’analyse de contenu selon laquelle une explication rationnelle et méthodique des discours peut permettre l’élaboration des principes ou d’une théorie a été utilisée. Elle a permis de retranscrire le contenu des discours des interviewés et de dégager les verbatims (mots et expressions clés) qui ressortent des entretiens. L’analyse comparative a été utilisée pour comparer l’incidence du développement du marché sur la diversité variétale d’igname avec d’autres cultures. Aussi, des diagrammes ont été utilisés pour apprécier le niveau de production des variétés d’igname dans chaque village. Le test de comparaison de moyennes (analyse de variance à un facteur) suivi de test LSD (Least Significantly Difference) et le test t de Student ont été utilisés pour comparer le portefeuille variétal entre différentes catégories d’exploitations.
11La diversité variétale de l’igname présente un visage différent entre les villages étudiés. La superficie totale emblavée au profit de l’igname, la superficie moyenne par variété, le nombre total de variétés et par exploitation, les variétés fortement et faiblement cultivées ainsi que les proportions qu’elles occupent en termes de superficie varient d’un village à l’autre (tableau 3).
Tableau 3. Caractéristiques générales de la biodiversité de l’igname par village
Villages étudiés
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Tekparou
|
Yerri-Marou
|
Wari-Maro
|
Superficie totale d’igname cultivée (ha)
|
45
|
32
|
29
|
Superficie moyenne d’igname par exploitation (ha)
|
1,5
|
1,1
|
0,96
|
Nombre de variétés cultivées et recensées
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41
|
35
|
30
|
Superficie moyenne par variété d’igname (ha)
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1
|
0,9
|
1
|
Portefeuille variétal moyen
|
7
|
8
|
6
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Variété plus cultivée
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Gonmini
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Warma
|
Moroko
|
Proportion de la variété la plus cultivée (%)
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28
|
31
|
28
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Variété moins cultivée
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Agarou
|
Eléesso
|
N’bamma
|
Proportion de la variété la moins cultivée (%)
|
0,01
|
0,01
|
0,2
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Source : Enquête 2009
12L’analyse des résultats montre que la variété la plus cultivée occupe au moins 28 % de la superficie totale destinée à l’igname, tandis que la variété la moins cultivée représente au plus 0,2 %. En effet, les variétés gonmini et warma sont des variétés tardives qui sont récoltées une seule fois par an. Elles sont aptes à la conservation sous la forme de cossette, car elles sont consommées non seulement sous la forme d’igname bouillie, frite ou pilée, mais aussi sous la forme de pâte de cossette d’igname. Elles s’adaptent à tous les sols quel que soit le niveau de fertilité et exigent moins d’efforts physiques pour la confection des buttes. De plus, leur rendement est élevé. Selon les producteurs, « gonmini et warma sont des variétés très productives dans leurs mains et gardent bien la famille ». Par contre, la variété moroko est une variété précoce récoltée deux fois dans l’année dont une première récolte pour la consommation ou la commercialisation et la seconde pour les semences. Elle est appréciée par les consommateurs de par sa capacité à faire une bonne igname pilée. De ce fait, elle est d’une grande valeur marchande. Elle est la variété qui arrive à maturité avant les autres selon les producteurs. Ces avantages diversifiés des variétés ont fait que les producteurs cultivent plusieurs variétés aussi bien tardives que précoces. Ce qui leur permet d’échelonner les récoltes dans le temps selon leur besoin.
13Par ailleurs, les variétés faiblement cultivées sont celles entachées de certaines exigences et interdictions. Selon les producteurs, la consommation des tubercules de la variété agarou est incompatible avec la viande du mouton et toute personne consciente de cette interdiction sans la respecter mourra. Ces feuilles sont toxiques à la santé des ovins. Cette perception négative des producteurs sur certaines variétés limite leur production quelle que soit la qualité de l’igname pilée qu’elles offrent aux consommateurs. La faible production de la variété éléesso se justifie par son exigence en sols fertiles et son faible rendement comparativement aux autres variétés. La variété n’bamma, quant à elle, est une variété de l’Atacora et de la Donga nouvellement introduite dans le village (2006). Sa faible production s’explique par le fait qu’elle n’est pas dans sa zone traditionnelle de production et qu’elle n’a pas encore intégré les habitudes alimentaires des producteurs de Wari-Maro.
14Le développement du marché de l’igname qui se traduit entre autres par l’usage de nouvelles unités de mesure et l’apparition de nouveaux acteurs fait craindre le maintien de la diversité variétale de l’igname. Quatre principales poches sont réservées à la production d’igname selon les producteurs : la consommation familiale, le semis, la commercialisation et le don. De toutes ces poches, le marché reçoit annuellement 26 % en moyenne de la production totale d’igname dans les exploitations enquêtées. Afin de voir l’implication de la commercialisation de l’igname sur sa diversité, les exploitations ont été catégorisées de façon participative en fonction de la part de production d’igname destinée au marché puis leurs diversités variétales ont été comparées (tableau 4).
Tableau 4. Comparaison des portefeuilles variétaux des catégories d’exploitation
Catégories d’exploitation
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Non marchandes
|
Semi-marchandes
|
Marchandes
|
Totaux
|
Proportion p vendue (%)
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p < 20
|
20≤ p < 40
|
p ≥ 40
|
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Fréquence (%) par catégorie
|
8
|
75
|
17
|
100
|
Nombre moyen de variétés
|
5
|
7
|
9
|
7
|
Écart-type
|
1,4
|
3,3
|
4,1
|
3,4
|
Test de Fischer; F=2,67; ddl=89; p=0,03
|
Source : Enquête 2009
15Les exploitations non marchandes, semi-marchandes et marchandes détiennent respectivement en moyenne 5, 7 et 9 variétés. Cette différence des nombres moyens de variétés entre les trois catégories d’exploitation est globalement significative au seuil de 5 %. La comparaison par paire des nombres moyens de variétés entre les catégories d’exploitation révèle que les exploitations marchandes cultivent plus de variétés que les exploitations non marchandes et semi-marchandes respectivement au seuil de 5 % et de 10 % (tableau 5). Par contre, les exploitations semi-marchandes et non marchandes cultivent le même nombre de variétés au seuil de 5 %.
Tableau 5. Comparaison croisée des portefeuilles variétaux entre les catégories d’exploitation
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Différences des moyennes
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Exploitations marchandes
|
Exploitations semi-marchandes
|
Exploitations semi-marchandes
|
1,73 (0,073)
|
|
Exploitations non marchandes
|
3,31 (0,03)*
|
1,57 (0,24)
|
* : significatif au seuil de 5 %; les valeurs en parenthèse sont les probabilités
Source : Enquête 2009
16Les différentes variétés d’igname ne requièrent pas la même importance sur le marché vis-à-vis des consommateurs qui s’intéressent à la qualité organoleptique. Les variétés préférées sur le marché sont plus chères que les autres. De ce fait, il s’avère indispensable d’établir une relation entre les variétés plus cultivées, celles de grande valeur marchande et le nombre de variétés détenues par l’exploitation. Le degré de cherté d’une variété varie suivant les exploitations, car il dépend de la période pendant laquelle la variété a été vendue et du lieu de distribution. Le producteur est le seul pouvant associer la question de cherté à la variété la plus cultivée dans son champ. Néanmoins, il est à noter que les variétés kpounan et moroko sont plus chères compte tenu de leur qualité organoleptique plus appréciée par les consommateurs selon la plupart des producteurs. La variété la plus cultivée est celle dont le nombre de buttes est plus élevé quelle que soit la grosseur des buttes dans l’exploitation. L’hypothèse selon laquelle les portefeuilles variétaux des producteurs cultivant plus la variété chère sont plus réduits que ceux des autres producteurs a été testée (tableau 6). Deux catégories de producteurs ont été donc considérées (tableau 6).
Tableau 6. Comparaison des portefeuilles variétaux entre deux catégories d’exploitation
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Caractéristiques
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Fréquence (%)
|
Nombre moyen de variétés cultivées
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Écart-type
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Catégorie 1 d’exploitations
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Variété chère = variété plus cultivée
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12
|
9
|
3,8
|
Catégorie 2 d’exploitations
|
Variété chère ≠ variété plus cultivée
|
88
|
7
|
3,3
|
Totaux
|
100
|
8
|
3,4
|
Test t de Student; tc =1,69; ddl=88; p = 0,18.
|
Source : Enquête 2009
17L’analyse des résultats montre que les exploitations de la catégorie 1 et celles de la catégorie 2 cultivent respectivement 9 et 7 variétés en moyenne. Cette différence n’est pas significative au seuil de 5 %. Nous pouvons donc conclure que le nombre moyen de variétés des producteurs de la catégorie 1 est égal à celui des producteurs de la catégorie 2. Par conséquent, le fait qu’un producteur cultive plus la variété chère ou moins chère n’affecte pas la diversité variétale de l’igname à l’échelle ménage.
18L’état de la biodiversité de l’igname paraît semblable dans les trois villages d’étude. En effet, les variétés occupant les plus grandes superficies peuvent être regroupées en deux catégories et sont en nombre infime par rapport à la diversité variétale observée au niveau village. Il s’agit des variétés hautement commercialisées et celles destinées à la fabrication des cossettes. Cette affirmation est soutenue par Vernier et Dossou (2002) qui ont prouvé que deux cultivars chez les Dioscorea rotundata précoces couvrent plus de 50 % des surfaces cultivées en igname. Aussi, Vernier et Dansi (2006) et Baco et al. (2004) ont-ils mis l’accent sur le nombre réduit des variétés d’igname occupant la bonne partie des superficies cultivées. Cette situation de la diversité variétale d’igname s’apparente à celle de sorgho, dont le type safraari reconnu pour ses bons rendements et pour la qualité de sa farine, a occupé en moyenne 42 % des surfaces cultivées dans l’extrême Nord-Cameroun (Perrot et al., sd). Cette façon de prioriser certaines variétés au détriment d’autres ne garantit pas un lendemain meilleur pour la biodiversité de l’igname dans la zone d’étude et si rien n’est fait, le cas de sorgho observé au Mali, où le nombre de variétés est passé de 11 à 3 variétés en un an (Bazile et Soumare, 2004), pourrait arriver à l’igname.
19C’est le cas de moroko et kpounan par exemple pour la première catégorie qui sont non seulement des variétés précoces, mais aussi aptes à faire de bonne igname pilée. Selon Baco et al. (2007c), l’igname pilée est la forme de consommation la plus fréquente et plus appréciée. Aussi, la productivité et la flexibilité de certaines variétés à s’adapter à tout sol sont des facteurs favorables qui motivent les producteurs à s’y intéresser. Ces critères caractérisent les variétés plus cultivées observées dans les villages (tableau 3). Parallèlement à cela, la précocité de production, l’aptitude à la conservation, l’adéquation à la demande commerciale et l’adaptation du matériel végétal à la culture continue des terres imposée par une pression démographique croissante et l’adoption de la culture attelée sont d’autres critères que les producteurs recherchent dans la production des différentes variétés d’igname (Dumont et al., 2010). Certaines variétés d’igname sont moins cultivées parce qu’elles viennent d’être introduites dans les villages. Cela a été également le cas du niébé dans un village de Sori au Bénin où les variétés locales Yanti, Kpodjiguèguè, Sui gonan sont moins produites (Baco et al., 2008b).
20La commercialisation de l’igname semble préserver la santé de sa biodiversité. En effet, la commercialisation d’une proportion importante de la production d’igname n’a pas fait ressortir une baisse significative du nombre de variétés; ceci suggère que la biodiversité de l’igname n’est pas actuellement affectée par sa commercialisation dans la commune de Tchaourou. Comparativement à d’autres vivriers marchands tels que le maïs, le sorgho, le mil, le niébé, la patate douce et le manioc, le nombre de variétés d’igname est plus élevé (Baco, 2007). Selon ce dernier, on dénombre en moyenne par exploitation au Nord-Bénin, deux variétés pour les cultures telles que le maïs, le sorgho, le mil, le niébé, le manioc alors qu’il est dénombré pour la patate douce, le taro, la pomme de terre et le riz une moyenne d’une variété par exploitation. Dans certaines régions comme le nord des Philippines, la commercialisation de la patate douce a entraîné une réduction de sa diversité qui est passée de 25 cultivars à moins de 5 ces 50 dernières années (Campilan et Prain, 2005). La différence entre l’impact du marché sur la biodiversité de l’igname au Bénin et celle de la patate douce en Philippines pourrait s’expliquer par le fait que l’igname est une culture ancestrale ancrée dans la tradition des producteurs. Les variétés moins appréciées par les consommateurs ou de faible qualité organoleptique sont cultivées pour maintenir leurs semences. C’est le cas de sorgho au Nord Cameroun où des variétés aux qualités agronomiques ou gustatives médiocres sont maintenues et repiquées sur des petites superficies (Perrot et al., sd). Aussi, les variétés précoces d’igname n’arrivent pas à maturité au même moment. Par exemple, la récolte de moroko et de kpounan commence avant celle des autres variétés précoces pour vite finir au moment où d’autres commencent par se faire récolter. Les variétés précoces qui sont pour la plupart chères contiennent assez d’eau, ne favorisant pas leur conservation. Les semences des variétés plus chères sur le marché sont moins disponibles. Il faut noter aussi la possibilité des commerçants de faire usage de faux en vendant sous le nom des variétés appréciées, d’autres variétés morphologiquement semblables. Cette possibilité a été également constatée par Baco (2007) qui la qualifie de tricherie des commerçants. Ce qui fait que la production axée sur les variétés plus chères a gardé un effet neutre sur la diversité variétale de l’igname cultivée. Les variétés moins chères sont pour la plupart tardives et leur rendement est élevé comparativement aux variétés précoces. Elles sont plus aptes à la conservation rendant disponibles et accessibles leurs semences. Donc, elles répondent aux critères qui orientent le choix variétal (Dumont et al., 2010). Dans ce contexte, la commercialisation de l’igname répondrait aux fonctions d’arbitrage entre les producteurs et les consommateurs sans focaliser la production sur une variété donnée (Demont et al., 2003).
21La biodiversité de l’igname constitue un espoir dans un contexte de sécurité alimentaire. En effet, le développement du marché de l’igname ces dernières années a certes permis à la culture de connaître de nouvelles aires de consommation et commercialisation. Il a un effet positif sur la diversité variétale de l’igname. Les producteurs qui vendent une grande quantité d’igname cultivent plus de variétés que les autres producteurs alors que ceux qui centralisent leur production autour des variétés chères en cultivent un nombre égal à celui des autres. Il convient alors de dire que les producteurs marchands sont les meilleurs gardiens de la diversité de l’igname à l’heure actuelle. Mais, qualitativement, l’état de la diversité variétale est menacé au niveau des villages. Les variétés les plus appréciées pour leur consommation, leur commercialisation, leur rendement et leur flexibilité à tous les sols ont pris le dessus sur les autres. L’aire traditionnelle de production de certaines variétés constitue leur poids. Par contre, certains totems inhibent la production de certaines variétés.
22Nous adressons nos sincères remerciements à l’endroit de tous les anonymes ayant contribué d’une manière ou d’une autre à la réalisation de cette étude.