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2012

La difficile construction de la gouvernance internationale de la lutte contre les changements climatiques

À quoi servent les Conférences et les Réunions des Parties (COP-MOP) ?
The difficult construction of an international governance for climate change mitigation: what utility for the Conferences and the Meetings of parties (COP-MOP)?
Moïse Tsayem Demaze

Résumés

La gouvernance internationale de la lutte contre les changements climatiques s’est progressivement et péniblement élaborée au cours des négociations internationales menées chaque année dans les Conférences des Parties (COP). Elles rassemblent, depuis 1995, les pays qui ont ratifié la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Le Protocole de Kyoto, adopté en 1997, est l’instrument le plus important issu de ces arènes. Il organise la participation des États à la lutte contre les changements climatiques dans une perspective internationale de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il a donné lieu aux négociations qui se déroulent aussi chaque année, depuis 2005, dans les Meetings des Parties (MOP). Les difficultés de l’application de ce Protocole, et les questions en suspens, concernant la période post 2012, soulignent la difficulté de la construction de la gouvernance internationale de la lutte contre les changements climatiques. Les COP et les MOP se déroulent parallèlement et conjointement, de plus en plus suivant le principe de rotation géographique selon lequel l’organisation et la présidence de ces « sommets » sont confiées successivement aux pays appartenant à différents continents. Devenus des rendez-vous planétaires, ces COP et MOP, malgré leur multiplicité et leur fréquence régulière, donnent l’impression d’être inefficaces, peinant à déboucher sur des mesures dont l’application par les États serait capable de résoudre le problème du changement climatique.

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Notes de la rédaction

Pour réagir à ce texte, visitez le carnet de recherche de [VertigO] en cliquant ici : http://vertigo.hypotheses.org/1419

Texte intégral

Introduction

1La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques a été adoptée en 1992 pour organiser la participation des États à la lutte internationale contre les changements climatiques. Cette Convention est entrée en application dans 190 pays, soit la quasi-totalité des pays du monde (Tsayem, 2011). Considérée comme un premier pas au niveau international, elle ne fixe pas d’engagements chiffrés à respecter par les États. Les États qui l’ont ratifiée se réunissent chaque année pour faire le bilan de son fonctionnement et pour définir de nouveaux engagements et de nouveaux mécanismes à mettre en œuvre au niveau international en vue d’atténuer les changements climatiques. Dans le jargon onusien, cette réunion annuelle est désignée par le sigle COP (Conference of Parties), qui signifie Conférence des Parties, le terme Parties désignant les États.

2Au fil des ans, les COP sont devenues des rendez-vous planétaires, des sommets internationaux rassemblant des chefs d’États et/ou leurs représentants, des ONG, des scientifiques, des militants écologistes, des médias, etc. Les COP ont produit un important corpus d’accords et de décisions qui organisent la participation des États à la lutte contre les changements climatiques, et en particulier la répartition des efforts ou des engagements en termes de réduction des EGES. La lecture de ces accords et décisions, disponibles sur les sites Internet officiels de chaque COP, permet de rendre compte des faits marquants de l’élaboration et de la mise en œuvre progressives de la gouvernance internationale de la lutte contre les changements climatiques. Vingt ans après l’adoption de la Convention sur les changements climatiques, les COP ont abouti à une gouvernance internationale qui se résume essentiellement au Protocole de Kyoto, dont la première période d’application s’achève à la fin de cette année 2012 sans que les contours d’une seconde période d’application soient clarifiés. Cette note propose un bref récapitulatif des COP pour aborder les points discordants ou les points d’achoppement qui rendent difficile la construction d’une gouvernance internationale qui soit capable de permettre aux États de s’attaquer efficacement à la mitigation du changement climatique au-delà du Protocole de Kyoto.

Rétrospective des COP

3La première COP (COP1) a eu lieu à Berlin en 1995, année de l’entrée en vigueur de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Dès cette première COP, la faiblesse de la Convention a été constatée et les États ont admis la nécessité du renforcement des engagements de réduction des EGES des pays développés. Le « Mandat de Berlin » a été adopté pour ouvrir des négociations afin d’aboutir à un Protocole ou un autre instrument juridique pour compléter la Convention en renforçant et en précisant les engagements des pays développés. Le rôle et le fonctionnement des outils de mise en œuvre de la Convention ont été débattus et précisés : l’organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique (SBSTA), l’organe subsidiaire de mise en œuvre (SBI).

4Au cours de la COP 3 en 1997, le Protocole de Kyoto a été adopté. C’est sans doute le résultat le plus marquant des COP. Il est le plus grand instrument international qui organise la réduction des EGES par les États. Conformément à la Convention, le Protocole a chiffré les réductions des EGES pour les pays développés, les pays en développement et les pays émergents étant exonérés en raison du principe de la « responsabilité commune mais différenciée » (Lavallée, 2010), souvent réduite à la « responsabilité historique » des pays développés. L’année 1990 a été retenue comme année de référence, les réductions devant être effectuées entre 2008 et 2012, pour aboutir à une réduction globale d’au moins 5%, afin que les EGES en 2012 ne soient pas supérieures à ce qu’elles étaient en 1990. Bien que les réductions soient exigées seulement aux pays développés, le Protocole prévoit qu’elles puissent se dérouler dans les pays en développement et dans les pays à économie en transition, à travers deux mécanismes de flexibilité dénommés Mécanisme pour un Développement Propre (MDP) et Mise en Œuvre Conjointe (MOC).

5Jusqu’à la COP 7 à Marrakech en 2001, les négociations ont porté essentiellement sur les modalités d’application du Protocole de Kyoto : vérification du respect des engagements (procédure dite de l’observance) et sanctions éventuelles en cas de non-respect, modalités de l’utilisation des mécanismes de flexibilité, etc. Particulièrement houleuses, ces négociations ont abouti à une impasse à la COP 6 en 2000 à La Haye, la confrontation étant vive, en particulier entre les États-Unis et l’Union Européenne, à propos des mécanismes de flexibilité, des puits de carbone, de l’observance, du financement des pays en développement. En l’absence d’accords, cette COP fut suspendue et une COP6 bis fut organisée en 2001 à Bonn. Au cours de cette COP 6 bis, les États-Unis annoncèrent leur décision de ne pas ratifier le Protocole de Kyoto. Depuis lors, ils ont un statut d’observateur au sein du Protocole, en étant membres de droit de la Convention, puisqu’ils l’ont ratifiée. Ils continuent donc de participer pleinement aux COP. A la suite des Accords de Marrakech en 2001 (COP7), le Protocole de Kyoto a été ouvert à la ratification par les États.

6La lenteur et les difficultés avec lesquelles les États ont ratifié ce Protocole avaient tempéré l’optimisme et suscité des inquiétudes alors que son adoption en 1997 avait été perçue comme un grand pas en avant, un succès diplomatique devant conduire à la résorption du réchauffement de la Terre. Il a fallu attendre 2004 pour que, suite à la ratification russe, le quorum soit atteint pour que le Protocole entre en application à partir de 2005. Avec cette entrée en application, le réchauffement de la Terre ne s’est pas pour autant atténué et est encore loin de l’être, tant les engagements des États apparaissent insuffisants, couplés à une absence de perspective à long terme, puisque le Protocole n’a défini qu’une période d’application, allant de 2008 à 2012. Les insuffisances du Protocole ont amené les États à aborder, dès la COP 10 à Buenos Aires en 2004, la nécessité d’un Accord multilatéral de plus grande envergure pour la période post 2012.

L’adjonction des MOP aux COP

7La COP 11, à Montréal en 2005, a coïncidé avec l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto. Depuis cette année, la COP a lieu conjointement avec le Réunion of Parties (MOP), qui est la réunion des États ayant ratifié le Protocole. Au cours de la MOP1, des négociations ont été ouvertes pour amener les pays développés à prendre des engagements de réduction de leurs EGES pour la période post 2012. Un groupe de travail a été créé à cet effet : c’est l’« Ad Hoc Working Group on Further Commitments for Annex I Parties under the Kyoto Protocol (AWG-KP), ou, en français, Groupe de Travail spécial des nouveaux engagements des Parties à l’Annexe 1 au titre du Protocole de Kyoto. Il était attendu que ce groupe de travail mène et finalise des négociations pour permettre qu’une deuxième période d’application du Protocole de Kyoto ait lieu à partir de 2013, sans hiatus avec la première période qui s’achève en 2012.

8Au cours de la COP 13 et de la MOP 3 en 2007, le Plan d’Action de Bali a été adopté pour que des négociations se déroulent en vue de parvenir à un accord global en 2009, pour une application intégrale, effective et continue de la Convention, au-delà de 2012 et à long terme. Un autre groupe de travail a été créé pour mener ces négociations : c’est l’ « Ad Hoc Working Group on Long-term Cooperative Action under the Convention » (AWG-LCA), ou, en français, Groupe de travail spécial sur l’action concertée à long terme au titre de la Convention. Alors que le premier groupe de travail conduit des négociations pour une période Kyoto 2 concernant seulement les pays développés ayant déjà des engagements de réduction de leurs EGES durant la période 2008-2012, ce deuxième groupe est créé pour mener des négociations pour que tous les pays qui ont ratifié la Convention s’engagent plus activement dans la coopération à long terme pour lutter contre le changement climatique, l’objectif étant d’obtenir des engagements chiffrés de réduction des EGES non seulement pour les pays développés, mais aussi pour les pays en développement et surtout pour les pays émergents.

9Cet Accord global devait être finalisé et adopté lors de la COP 15 et de la MOP5 à Copenhague en 2009. Les négociations n’ayant pas abouti, un accord élaboré in extremis par un groupe de pays a été « pris en considération » par la COP15. Ses contours juridiques sont flous et les engagements qu’il contient dans ses annexes sont volontaires et manquent de cohérence et d’ambition, par rapport à l’ampleur du défi de la lutte contre les changements climatiques (nécessité de limiter le réchauffement de la Terre à un seuil maximum de 2°C d’après le GIEC, ce qui implique, d’ici 2020, une réduction de 20 à 40% des EGES des pays développés par rapport à l’année de référence 1990). L’accord de Copenhague peut néanmoins être interprété comme marquant une avancée, dans la mesure où, pour la première fois, des pays en développement, et surtout les pays émergents, ont annoncé des engagements chiffrés de réduction de leurs EGES, alors qu’ils ont toujours été réticents à le faire, invoquant la « responsabilité historique » des pays développés (Tsayem, 2011).

10La COP17 et la MOP7, à Durban en 2011, ont entériné le principe d’une deuxième période d’application du Protocole de Kyoto. Elle durera 5 ou 8 ans, à partir de 2013. La durée précise et les modalités opérationnelles devraient être définies lors de la COP18 et de la MOP8 qui auront lieu en décembre 2012 à Doha au Qatar. La Plateforme de Durban, qui est le principal résultat de la COP17 et de la MOP 7, a ouvert un nouveau processus de négociations pour un Accord global ambitieux qui entrerait en application en 2020. Un 3e groupe de travail spécial a été créé pour mener ces négociations : c’est l’ « Ad Hoc Working Group on the Durban Platform for Enhanced Action » (AWG-EA), qu’on peut traduire en français par Groupe de Travail spécial de la plate forme de Durban pour l’Action Renforcée. Il a le mandat de mener les négociations pour qu’elles soient finalisées au plus tard en 2015, sous la forme d’un protocole, d’un autre instrument ou d’un accord convenu ayant force juridique, applicable dès 2020.

Lieux de tenue et importance de l’organisation des COP/MOP par les États

1118 COP et 8 MOP ont été organisées entre 1995 et 2012 (Tableau 1 et Figure 1). En raison principalement du respect du principe de rotation géographique (chaque continent ou région à son tour) très utilisé dans le cadre des Nations unies, on observe une diversité de pays hôtes de ces COP et MOP : Montréal au Canada en 2005, Nairobi au Kenya en 2006, Bali en Indonésie en 2007, Poznan en Pologne en 2008, Copenhague au Danemark en 2009, Cancún au Mexique en 2010, Johannesburg en Afrique du Sud en 2011, Doha au Qatar en 2012. Cependant, ce principe est relativisé par le fait que les candidatures pour l’organisation des COP/MOP sont spontanées et que les coûts de l’organisation sont souvent à la charge des pays hôtes, ce qui peut dissuader des pays pauvres dans la mesure où leurs moyens logistiques et leurs capacités d’organisation et d’accueil peuvent être limités.

12Figure 1. Lieux de tenue des Conférences et des Réunions des parties entre 1995 et 2012

Figure 1. Lieux de tenue des Conférences et des Réunions des parties entre 1995 et 2012

13L’Europe de l’Ouest a accueilli une grande quantité de COP/MOP (plus de 40% de la totalité des COP/MOP), ce qui illustre sa forte présence dans ces arènes (figure 1), en cohérence avec sa forte implication dans le Protocole de Kyoto, dont l’Union Européenne est le « poids lourd » (Maljean-Dubois et Wemaere, 2012). L’Allemagne a déjà été hôte de 3 COP. Le secrétariat de la Convention est situé à Bonn (décision de la COP 1). Le fait d’être candidat à l’organisation d’une COP/MOP peut être interprété comme significatif du souhait de peser sur la gouvernance internationale de la lutte contre les changements climatiques. L’organisation d’une COP/MOP par un pays illustre en quelque sorte l’importance de sa « diplomatie climatique » (Maljean-Dubois et Wemaere, 2010). Plusieurs observateurs ont indiqué que l’échec ou le succès de certaines COP/MOP était imputable aux stratégies de négociations déployées par les pays hôtes. Ainsi, l’accord de Copenhague, largement considéré comme un échec, est révélateur des stratégies diplomatiques adoptées par la présidente Danoise de cette COP/MOP (Connie Hedegaard), stratégies ayant provoqué l’ire et les protestations des pays en développement et des pays émergents (Dahan et al., 2010). Quant au succès relatif ou in extremis des COP/MOP de Cancún et de Durban, il illustre les qualités de négociatrices de la présidente Mexicaine de la COP/MOP de Cancún (Patricia Espinoza, qui a eu droit à une « standing ovation »), et de la présidente Sud-africaine de la COP/MOP de Durban (Maite Nkoana-Mashabane), qui a utilisé « l’indaba », sorte de négociations informelles (arbre à palabres) pour trouver des consensus (Dahan et al., 2012 ; Maljean-Dubois et Wemaere, 2012).

Tableau 1. Synthèse récapitulative des conférences et des réunions des parties entre 1995 et 2012

COP

Lieu

Année

Principaux résultats

COP 1

Berlin

1995

Mandat de Berlin : reconnaissance de la faiblesse de la Convention et lancement des négociations pour un instrument juridique (Protocole) qui renforce et précise les engagements de réduction des EGES des pays développés

COP 2

Genève

1996

Reconnaissance de la gravité du changement climatique (d’après le 2e rapport du GIEC) et acceptation du principe d’objectifs chiffrés de réduction des EGES des pays développés (avec possibilité de flexibilité demandée par les États-Unis)

COP 3

Kyoto

1997

Adoption du Protocole de Kyoto avec chiffrage des réductions des EGES pour les pays développés et prise en compte des mécanismes de flexibilité

COP 4

Buenos Aires

1998

Négociations houleuses sur les modalités d’application du Protocole de Kyoto et sur la vérification du respect des engagements (observance) ; adoption d’un calendrier de 2 ans pour ces négociations

COP 5

Bonn

1999

Poursuite des négociations amorcées à la COP 4

COP 6

La Haye

2000

Échec des négociations ; opposition entre les États-Unis et l’Union Européenne sur les puits de carbone, les mécanismes de flexibilité, le financement des pays en développement ; désaccords et suspension de la COP

COP 6 bis

Bonn

2001

Refus des États-Unis de ratifier le Protocole, accords sur le recours aux mécanismes de flexibilité, création de fonds pour aider les pays en développement (dont un fonds pour l’adaptation des pays les moins avancés)

COP 7

Marrakech

2001

Accords de Marrakech sur les modalités de mise en œuvre du MDP; compléments et précisions ouvrant le Protocole à la ratification

COP 8

New Delhi

2002

Appel à la ratification du Protocole et à l’engagement dans la lutte contre le changement climatique dans une optique de développement durable, adoption de guides pour la quantification des EGES

COP 9

Milan

2003

Accords sur les modalités d’utilisation du fonds pour l’adaptation et sur les inventaires des EGES des pays non Annexe 1

COP 10

Buenos Aires

2004

Adoption du Plan d’Action de Buenos Aires sur l’adaptation des pays en développement au changement climatique, évocation de l’ouverture d’un régime climatique multilatéral pour la période post 2012

COP 11 et MOP 1

Montréal

2005

Entrée en application du Protocole de Kyoto, réunion conjointe des pays ayant ratifié la Convention (COP) et des pays ayant ratifié le Protocole (MOP); début des négociations pour les engagements post 2012 des pays développés (création d’un groupe de travail spécial)

COP 12 et MOP 2

Nairobi

2006

Examen et adoption de mesures pour améliorer le fonctionnement de la Convention et du Protocole, et pour renforcer les capacités des pays en développement

COP 13 et MOP 3

Bali

2007

Plan d’Action de Bali pour un Accord global en 2009 engageant tous les pays à avoir un objectif chiffré de réduction à long terme des EGES après 2012 (création d’un groupe de travail spécial)

COP 14 et MOP 4

Poznan

2008

Décisions sur le financement de l’adaptation des pays les moins avancés et sur la REDD (lutte contre la déforestation dans les pays en développement)

COP 15 et MOP 5

Copenhague

2009

Accord vague de Copenhague avec des engagements volontaires de réduction des EGES par des pays développés et des pays en développement, décisions de financement des pays en développement par des pays développés

COP 16 et MOP 6

Cancun

2010

Accords de Cancún consolidant l’Accord de Copenhague (confirmation du fonds vert pour le climat), création d’un mécanisme de technologie et d’un cadre pour l’adaptation, prise en compte de la REDD

COP 17 et MOP 7

Durban

2011

Plate forme de Durban actant une période Kyoto 2 (de 5 ou 8 ans à partir de 2013) ; lancement des négociations pour un nouveau traité global applicable à partir de 2020 (création d’un 3e groupe de travail spécial) ; débats sur la REDD

COP 18 et MOP 8

Doha

2012

Il est prévu que soient adoptées les modalités opérationnelles de la période Kyoto 2

14Quelles que soient les qualités de la « diplomatie climatique » du pays hôte, une COP/MOP peut néanmoins ne pas produire les accords escomptés si les positions des pays emblématiques, comme les États-Unis (lors de la COP 6) ou la Chine (lors de récentes COP/MOP), sont inflexibles (Dahan et al., 2010 ; 2011 ; 2012 ; Audet et Bonin, 2011).

15Les COP ont permis de construire un cadre de débats et de négociations qui ont structuré la participation des États à la réduction des EGES. On peut émettre l’hypothèse que les lieux de tenue de ces sommets internationaux sont révélateurs de l’emprise des pays développés, et en particulier des pays d’Europe de l’Ouest, dans les tentatives de structuration de la gouvernance internationale pour réduire les EGES. Au fil des ans, le lieu de tenue et le rôle de l’État organisateur d’une COP deviennent aussi importants, voire davantage, que les enjeux politiques, les positions défendues par des États à propos de l’objectif global et de la répartition des engagements de réduction des EGES. La forte médiatisation d’une COP amène de plus en plus l’État qui l’organise à déployer des efforts diplomatiques pour que cette COP ne soit pas un échec. Mais on assiste à une sorte d’enlisement de ces COP, puisque les accords qui en sont issus sont peu ambitieux, vagues, et parfois non consensuels. Outre les divergences entre les États et la logique de l’engagement des États pour réduire leurs EGES, la géographie des COP apparaît de plus en plus comme une clé complémentaire de compréhension de la situation actuelle, caractérisée par une sorte de consensus mou qui a évité l’échec sans pour autant permettre un succès ou une réussite dans la gouvernance internationale de la lutte contre le changement climatique.

Conclusion

16Cette note donne un aperçu de la difficulté de la construction de la gouvernance internationale de la lutte contre les changements climatiques. En près de 20 ans de COP (Tableau 1), le Protocole de Kyoto s’avère être le seul instrument qui ait permis dans un cadre international d’amener les États, en particulier les pays développés, à réduire leurs EGES. Or l’avenir de ce Protocole après 2012 est encore flou. Certains pays, comme le Canada, ont annoncé à Durban en décembre 2011 qu’ils ne participeront pas à une deuxième période d’application de ce Protocole, rejoignant ainsi les États-Unis qui avaient refusé de le ratifier. Il risque donc de s’affaiblir alors qu’il était déjà jugé insuffisant par rapport à l’enjeu de l’atténuation du réchauffement de la Terre. On est encore loin de résoudre le problème que pose le réchauffement de la Terre.

17Tant de COP et de MOP pour si peu de résultats, ou pour de piètres résultats, participe d’une gouvernance internationale débridée, entrée dans « l’ère de la réunionite » (Gahr Store, 2012). Sans reprendre la formule « trop de sommets tuent les sommets » (Gahr Store, 2012), on peut penser que les COP, qui dépendent de la Convention, vont continuer, avec ou sans les MOP, de jouer le rôle d’arène pour essayer de structurer davantage et de renforcer la gouvernance internationale de la lutte contre les changements climatiques. L’ampleur de la tâche est immense, compte tenu des difficultés d’obtenir par consensus des traités internationaux ambitieux qui tiennent compte des intérêts des États.

18Par ailleurs, le poids politique et économique des pays émergents devient de plus en plus important, contribuant à modifier les rapports de force (Delannoy, 2012 ; Kateb, 2011). Parallèlement, les divergences apparaissent dans les positions défendues par les pays développés, dont le poids politique et géopolitique s’affaiblit. Des divergences apparaissent aussi au sein des pays en développement, dont certains dénoncent l’attitude des pays émergents. Ainsi, à Cancún et à Durban, de nombreux pays en développement ont critiqué l’Inde, lui reprochant d’entraver le consensus. Ces divergences pourraient conduire à la remise en cause du principe des responsabilités communes mais différenciées, de sorte que le clivage Nord-Sud s’estompe (Tsayem, 2009). La gouvernance de la lutte internationale contre le changement climatique devrait alors être réorganisée sur d’autres bases (prépondérance des approches nationales et régionales ou continentales, création d’une institution internationale spécialisée, création du groupe des pays émergents, redéfinition des engagements de réduction des émissions, etc.).

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Bibliographie

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Dahan A., C. Buffet, A. Viard-Cretat, 2011, L’ère post-Copenhague du régime climatique. Le compromis de Cancún : vertu du pragmatisme ou masque de l’immobilisme ? Rapport de recherche, Centre A. Koyré, Koyré Climate Series, n° 3, 41 p. 

Dahan A., M. Armatte, C. Buffet, A. Viard-Crétat, 2012, Plateforme de Durban : quelle crédibilité accorder encore au processus des négociations climatiques ? Rapport de recherche, Centre A. Koyé, Koyré climate series, n° 4, 34 p.

Dahan A., S. Aykut, C. Buffet, A. Viard-Cretat, 2010, Les leçons politiques de Copenhague. Faut-il repenser le régime climatique ? Rapport de recherche, Centre A. Koyé, Koyré Climate Series, n° 2, 45 p.

Delannoy S., 2012, Géopolitique des pays émergents. Ils changent le monde, PUF, Paris, 178 p.

Gahr Store J., 2012, « Une frénésie planétaire de rencontres. Trop de sommets tue les sommets », Le Monde Diplomatique, septembre 2012, p. 11.

Kateb A., 2011, Les nouvelles puissances mondiales. Pourquoi les BRIC changent le monde, Ellipses, Paris, 267 p.

Lavallée S., 2010, « Le principe des responsabilités communes mais différenciées à Rio, Kyoto et Copenhague. Essai sur la responsabilité de protéger le climat », Revue Études Internationales, vol. XLI, n° 1, p.51-78.

Maljean-Dubois S., M. Wemaere (sous la direction de), 2012, Les négociations internationales du post-2012. Une lecture juridique des enjeux fondamentaux, rapport de recherche, Centre d’Étude et de Recherche1Internationales et Communautaires (CERIC), université d’Aix-Marseille, 82 p.

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Tsayem Demaze M., 2009, « Le protocole de Kyoto, le clivage Nord-Sud et le défi du développement durable ». L’Espace Géographique, n° 2, 2009, p. 139-156.

Tsayem Demaze M., 2011, Géopolitique du développement durable. Les États face aux problèmes environnementaux internationaux, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 228 p.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Lieux de tenue des Conférences et des Réunions des parties entre 1995 et 2012
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/13095/img-1.jpg
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Pour citer cet article

Référence électronique

Moïse Tsayem Demaze, « La difficile construction de la gouvernance internationale de la lutte contre les changements climatiques », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Débats et Perspectives, mis en ligne le 03 décembre 2012, consulté le 22 mai 2013. URL : http://vertigo.revues.org/13095 ; DOI : 10.4000/vertigo.13095

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Auteur

Moïse Tsayem Demaze

Maître de conférences en géographie, UNAM, UMR CNRS 6590 ESO, Université du Maine, Avenue Olivier Messiaen, 72085 Le Mans, France, Courriel : Moise.Tsayem_Demaze@univ-lemans.fr

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