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Communication socioculturelle comme outil de prévention des maladies sexuellement transmissibles et le VIH chez les adolescents au Tchad

Abdias Nodjiadjim Laoubaou, Kaspar Wyss, Patricia Schwärzler, Brigit Obrist and Manfred Max Bergman

Index terms

Lieux d'étude :

Afrique
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Full text

Introduction

1Quand le VIH est apparu la première fois au milieu des années 1980, un des principaux problèmes se posant à tous les secteurs concernés pour répondre à l’épidémie était le manque général d’information et de compréhension au sujet de la sexualité (Parker et Aggleton, 2006). Depuis l’apparition de l’épidémie au Tchad, on est passé de 2 cas de VIH signalés en 1986 à plus de 25.000 cas notifiés avec un taux de séroprévalence qui tourne autour de 3,5% dans tout le pays et autour de 6% dans les cinq plus grandes villes (Onusida, 2006 : 23).

2Cette progression fulgurante du VIH touche tous les secteurs dont aussi celui de l’éducation où les impacts commencent à être perceptibles dans la population des adolescents. Au Tchad, une étude sur les impacts socio-économiques du sida a démontré le fardeau que la maladie impose aux ménages (Wyss et coll., 2004). Le groupe des jeunes continue d’être identifié selon les littératures nationales et internationales comme un des groupes les plus vulnérables (Onusida, 2006). Selon certaines sources, dans les régions africaines se situant au sud du Sahara, des changements de comportements (utilisation plus systématique des préservatifs, réduction du nombre de partenaires, fidélité) sont intervenus dans la population - incluant des groupes cibles tels que les jeunes scolarisés (Cleland et Ali, 2006). On note cependant que des conduites à risque persistent (Moore et Oppong, 2006) et que la tendance majoritaire n’a pas changé d'habitude tant en milieu rural qu’en milieu urbain malgré les discours et campagnes de sensibilisation sur la pandémie du VIH.

3Dans ce contexte, il existe un vide aussi bien théorique qu’empirique dans la recherche. Les études entreprises depuis les années 1990 se sont surtout concentrées sur les actes sexuels concrets de groupes à risque (Parker, 1996). En d’autres termes, on s’est demandé «que font les gens? Comment? Et avec qui? ». En revanche, on ne s’est guère préoccupé de savoir comment le sens d’une interaction, les rapports de pouvoir et la construction de l’identité sexuelle affectaient le comportement face au risque. Par conséquent, il existe un manque de connaissance et un manque d’outils conceptuels permettant de mieux comprendre la dynamique de l’intimité et les mécanismes de communication autour du VIH.

4L’infection par le VIH ne se repend pas au hasard dans la population. Elle résulte de comportements individuels. C’est pourquoi, il est crucial pour les chercheurs d’analyser les concepts de «risque», de pratiques à risques et les pratiques de communications qui entourent ces risques. La grande majorité des chercheurs examinent les comportements à risque comme le résultat de décisions et de cognitions individuelles (Bergman et Mottier, 1998). Pour tenter de cerner ce qui détermine un tel comportement, ils recourent à des modèles développés dans le domaine de la santé. Or, la sexualité n’est pas définie comme un problème individuel de santé, mais d’abord comme un enjeu d’intimité et de plaisirs (Bastard et Cardia-Vonèche 1997; Ingham et Van Zessen 1997). Une augmentation forte dans la recherche sur la vie sexuelle a eu lieu à partir de 1986 et a permis de mieux comprendre les expériences sexuelles afin de répondre aux dilemmes posés par l’épidémie (Parker, 1996).

5Cette étude examine le niveau de vulnérabilité des jeunes en milieu scolaire et cherche à comprendre comment la pandémie du VIH trouve son lit dans les pratiques sexuelles et de communications des adolescents. Elle nous met au cœur du risque social et culturel par rapport aux pratiques révélées par le comportement de notre population à l’étude. Rudelic (1997) soulignait l’importance d’entreprendre des recherches permettant de contextualiser des données et de comprendre les raisons pour lesquelles les individus s’engagent dans des comportements à risque par exemple au niveau des pratiques sexuelles. Selon Moser (1998), un risque est un danger, un inconvénient plus ou moins probable auquel une personne est exposée. Un individu vulnérable est particulièrement prédisposé à certains inconvénients, exposé à des dangers, des pertes ou des échecs. Durant leur vie, tous les hommes et toutes les femmes sont exposés à une grande variété de risques. La vulnérabilité sexuelle dans le contexte actuel du VIH est devenue le résultat des trois éléments suivants : les risques liés à l’argent (monnayabilité), l’usage des préservatifs (condomisation) et les risques socioculturels (environnementaux). En abordant la question du risque et des mécanismes d’atténuation de ses effets, on peut se poser la question comment y faire face en tant que jeune personne? Quelle importance attribuer à la communication entre les générations et parmi les adolescents pairs?

6L’étude se situe dans le cadre de la prévention du VIH chez les adolescents. C’est pourquoi le terme « sida » qui relève du domaine clinique ou de l’état de la maladie liée à l’infection à VIH, n’est pas utilisé dans de cet article. La recherche lève le voile sur les préoccupations des adolescents et soulève ainsi la question de dialogue social entre parents et enfants tout autant qu’entre enseignants et élèves et de la responsabilisation des jeunes et des institutions d’éducation dans la prise en main de la prévention.

Méthodologie

7L’étude s’est déroulée au Tchad au sein de deux établissements scolaires et s’est adressée aux élèves ayant l’âge de 14 à 20 ans et de niveau 4e à Terminale. Les enseignants et responsables des lycées ont été également interrogés. De mai à septembre 2005, les deux localités de l’étude ont été visitées, soit les villes de N’Djamena et de Mongo. N’Djamena est la capitale politique et administrative du Tchad et compte une population d’environ un million d’habitants. Cette ville a une population cosmopolite, majoritairement musulmane, avec environ un tiers de la population chrétienne. La localité de Mongo, à l’opposé, est une ville intermédiaire ayant encore une forte influence rurale et se situant au centre du Tchad à plus de 600 Km de N’Djamena. Sa population est à majorité musulmane et très enracinée dans l’agriculture et l’élevage.

8En ce qui concerne la collecte des données au niveau du lycée de Mongo, en mai 2005 nous avons réalisé 45 entrevues individuelles, dont 40 auprès des jeunes du lycée et 5 auprès des responsables administratifs (proviseur, censeurs et surveillants). Ces entrevues ont été complétées par des discussions approfondies avec 15 groupes, notamment des enseignants (3), des élèves filles (6) et des élèves garçons (6). Au Lycée Féminin de N’Djamena, en septembre 2005, nous avons privilégié exclusivement les discussions de groupe avec les élèves (15 séances de groupes de discussion dirigée, des « focus groups ») et les entrevues individuelles avec les personnes ressources du lycée (5 entrevues). Ce choix d’outils de collecte des données au niveau du lycée féminin s’explique par le fait qu’avec la reprise des cours, les activités scolaires sont intenses et il nous était impossible d’obtenir la disponibilité individuelle des élèves pour les entrevues. Les données collectées ont été saisies sur ordinateur avec le logiciel Word et traitées avec le logiciel de traitement qualitatif le MAXQDA en octobre 2005. L’analyse a été faite sur la base des variables en lien avec les préoccupations d’analyse clé.

Résultats

9L’enquête réalisée au niveau de ces deux grands lycées au Tchad n’est pas représentative de l’ensemble de la population des adolescents issus du milieu scolaire. Il s’agit plutôt d’une étude exploratoire menée auprès des adolescents du lycée féminin de N’Djamena et du lycée de Mongo. Elle a permis de se rendre à l’évidence que quatre déterminants apparaissaient régulièrement dans les réponses des participants tant au niveau des discussions approfondies qu’au niveau des entrevues individuelles. Ces facteurs identifiés et reconnus par les jeunes se situent à quatre niveaux distincts, notamment : (1) le déficit de communication sociale autour de la sexualité tant au niveau familial que scolaire, (2) l’influence des pratiques socioculturelles sur le comportement sexuel des adolescents, (3) la non implication des jeunes dans la prise en main des problèmes liés à leur sexualité et les activités de prévention du VIH et enfin, (4) la lenteur et le peu d’intérêt accordé par les établissements scolaires dans la prise en compte de l’éducation sexuelle et du VIH dans le programme de l’enseignement dispensé aux élèves. La recherche s’articule autour de ces quatre domaines.

Communication socioculturelle autour de la sexualité et ses limites

10Beaucoup restent à faire pour que les parents rompent le silence vis-à-vis de leurs enfants en ce qui concerne le dialogue social sur l’éducation sexuelle. Aujourd’hui, que l’on veuille ou pas, avec le dispositif actuel des médias et d’autres canaux d’information qui véhiculent et déversent des masses d’informations en direction des jeunes, les familles courent le risque de voir se briser le mythe longtemps entretenu autour de ces questions sensibles qui entourent la sexualité. Ce déficit de dialogue autour des questions essentielles pour les adolescents ne reste pas sans effets perceptibles sur leur état de santé. Deux jeunes participants rapportent leur point de vue sur la question. «Je ne comprends pas l’attitude de mes parents. Ce sont des intellectuels, mais quand tu veux parler de la sexualité, ils ne veulent pas dire quelque chose » (garçon, 17 ans, classe de 3eme, Mongo); «Moi, je peux dire que je parle avec les frères, cousins et sœurs, mais difficilement avec les parents, parce qu’ils trouvent que c’est un sujet tabou. Mais, avec la maman, quelquefois, elle ne trouve pas que c’est banal, on en parle un tout petit peu et aussi à l’école entre les amies» (fille, 18 ans, classe terminale, N’Djamena).

11Les personnes ressources des deux lycées que nous avons abordées adoptent une attitude ambiguë, à la fois de parents et d’éducateurs, ce qui rend leur position sur la question ambivalente. Tantôt, ils sont pour le dialogue social et l’éducation sexuelle à l’école et plus loin, ils décrient le comportement des filles qui commencent à vivre leur sexualité en âge adolescent. Certains propos sont presque diabolisant et les écartent de la compréhension de la réalité actuelle du comportement des jeunes. Les réalités sont irréversibles quand on voit l’évolution actuelle des sociétés africaines et leur souci de résister aux changements. Lorsqu’on traite un groupe de filles de « brebis galeuses » par ce qu’elles adoptent un comportement qui n’est pas conforme à celui du groupe dominant, cela va sans dire qu’on manque d’arguments pour mieux expliquer la manifestation du comportement de ces filles et on se met abusivement en position de censeur. Voici ce que disent assez vaguement les personnes ressources : «La sexualité dans nos sociétés traditionnelles, et surtout en Afrique, est un sujet tabou. Mais de nos jours, c’est un problème connu et à chaque fois débattu. Je pense qu’en principe, dans les établissements scolaires on devrait parler de ce thème pour faire savoir aux jeunes surtout l’importance de la sexualité » (personne ressource, Mongo).

12Ainsi, dans les réponses aux entrevues individuelles, certains enseignants réagissent plutôt en parents et considèrent que la sexualité est un sujet tabou et ont la crainte que les enfants, surtout pubères et adolescents, ne considèrent les informations éducatives sur la sexualité comme une incitation à la vie dite « de débauche ». Le problème de l’éducation sexuelle dans le cadre familial et scolaire reste un sujet sensible pour des raisons diverses et on évite de prendre en main la responsabilité de transmettre cet aspect précieux de la vie aux jeunes. Dans leurs réponses à nos entrevues, la notion de famille est présente chez les jeunes dans la mesure où elle porte sur le risque d'avoir des problèmes dans leur futur ménage: instabilité conjugale, infidélité future, enfants sans père, stérilité, test de dépistage du VIH avant le mariage.Les jeunes ont besoin d’informations exactes sur la sexualité, mais l'importance que la société attache à la chasteté avant le mariage les empêche de recevoir des informations de base sur leur corps et leur sexualité. La communication et spécialement le dialogue entre parents et enfants demeure une des voies indiquées si l’on veut promouvoir l’éducation sexuelle en famille et à l’école.

13L’absence d’éducation sexuelle est relevée au cours de cette étude comme la principale cause de l’inaptitude des adolescents à maîtriser leur sexualité. Selon les informations recueillies au cours de nos discussions, les parents ne semblent pas disposés à expliquer les choses de la vie sexuelle à leurs enfants, car ils craignent de les encourager à des pratiques sexuelles précoces. Les jeunes déclarent que les parents se disent incapables de parler de ce sujet avec leurs enfants, mais plusieurs d’entre eux disent que, leurs parents ayant un niveau d’instruction suffisant, ils souhaiteraient que des cours d’éducation sexuelle soient dispensés dans les écoles ou les lycées. Pour les garçons interrogés au lycée de Mongo, on note à partir de leurs réponses que les problèmes de sexualité ne sont pas d’emblée discutés en famille. Même si les discussions sont engagées autour de la question, les parents trouvent toujours des prétextes pour les éluder. Certains parents se préoccupent de cet état des choses et tentent de dissuader leurs enfants par des mises en garde.

14Pour les parents, le sida est une nouvelle donne qui vient argumenter leur thèse de ne pas apprendre aux enfants comment gérer leur sexualité. Leur peur de tous les jours et de depuis toujours est de voir surtout leur fille contracter une grossesse non désirée. Cette peur de donner naissance hors mariage est reconnue chez tous les parents comme une malchance et un acte de déshonneur familial. Ces quelques faits rapportés par les jeunes garçons de Mongo illustrent bien la réalité : «Par exemple, dans notre famille, on discute des grossesses, des règles, des maladies ainsi de suite et puis on tombe sur le sida. Sinon, parler directement du sida ou de la sexualité, c’est un peu difficile. Parfois, les filles de chez nous, par exemple, elles nous demandent comment se passent les règles pour éviter les grossesses, parce qu’il y a beaucoup des filles qui n’aiment pas avoir des rapports avec des préservatifs. Elles veulent plutôt qu’on leur montre comment elles vont calculer leur cycle menstruel pour éviter la grossesse » (garçon, 18 ans, classe de première, Mongo).

15L’enquête relève que pour les filles de Mongo, le dialogue est presque fermé et l’attitude des parents plus sévères sur des questions liées à la santé sexuelle et le mariage. Les filles se cachent pour aborder certaines questions avec leurs camarades. Les parents préfèrent parler de ces problèmes sous forme de mise en garde. Les filles, par crainte de leurs parents, préfèrent se taire sur ces questions sensibles et elles cherchent hors du regard des parents auprès de leurs pairs ou dans les médias les informations dont elles ont besoin. Une informatrice rapporte l’attitude de son père lorsqu’elle ne se comporte pas bien. «Quand mon père voit que je fais des gaffes au quartier, il m’appelle et me met en garde qu’il y a la maladie. Sinon, rester comme ça et parler à propos de notre sexualité, non, il n’a jamais fait ça, même avec la maman» (fille, 17 ans, classe de 2nde, Mongo).

16Il faut aussi reconnaître que pour les filles de Mongo, l’influence des pratiques sociales liées à la religion musulmane contribue à leur maintien et leur enfermement dans les principes d’éducation musulmane. Cette situation d’enfermement semble protéger dans une certaine mesure les filles des risques de dérapage tel que la prostitution ou le mariage tardif. Cependant, ces pratiques ont aussi des aspects négatifs pour les jeunes filles, surtout le mariage précoce, l’embrigadement social et la privation des libertés.

17Selon les avis des informatrices au focus group à Mongo, les mamans de leur côté essaient de donner quelques informations à leurs filles sous forme de conseil de soumission aux principes socialement établis selon lesquels elles-mêmes ont été éduquées. Les questions liées à l’intimité ou à la sexualité ne sont pas abordées ouvertement. Lors de notre passage, nous avons fait le constat que le lycée de Mongo, comparé au lycée féminin de N’Djamena, est un établissement mixte avec une faible représentation des filles par rapport aux garçons. Cette observation illustre bien la situation particulière de la ville de Mongo par rapport aux autres villes où le taux de scolarisation des filles est relativement élevé par rapport aux garçons. Les filles sont sous scolarisées et éduquées à Mongo car la tradition veut qu’elles soient menées vers le mariage surtout. L’école est vue comme un moyen, un facteur exogène, de changement social et d’émancipation des filles. Elle est mal acceptée dans ce milieu.

18Ce qui rend difficile le débat autour de cette question sociale, c’est le poids des traditions qui fait visiblement corps avec la quotidienneté des femmes. Les explications des filles que nous avons rencontrées montrent bien le reflet d’une éducation rigide et dominée par des pesanteurs socio-culturelles. Les filles issues de ce milieu sont psychologiquement préparées pour supporter ces pratiques. Les difficultés de communication sociale autour de la sexualité se situent à plusieurs niveaux. Le refus des parents à aborder la sexualité avec les enfants dans leur mode d’éducation, le manque d’information et de communication suffisante autour de l’éducation et la santé sexuelle, le mariage précoce, endogamique et polygamique et le faible taux d’instruction des filles dans certaines localités telles que Mongo sont autant des faits reconnus et rapportés par nos informateurs lors de l’enquête de terrain.

Comportements des jeunes et les risques sexuels perçus

19Lorsque nous avons abordé, au cours de l’enquête avec les filles, la question sensible de savoir si elles ont déjà eu des rapports sexuels dans leur vie, certaines des filles, dont l’âge varie entre 14 et 18 ans, déclarent n’avoir pas encore connu de rapport et continuent de conserver leur virginité aussi par crainte du VIH ou d’une grossesse non désirée. Ce comportement est induit par l’éducation et l’influence des facteurs sociaux et culturels, les parents accordant plus d’attention au comportement abstinent et à la virginité des filles, car c’est un acte d’honneur familial. L’abstinence ou la conservation de sa virginité jusqu’au mariage est une preuve d’honneur pour la fille et pour les parents au moment de la célébration du mariage. A ce sujet, une élève nous confie ses propos en baissant la tête en signe de gène «je n’ai pas encore connu un homme dans ma vie par ce que j’ai horreur d’être humiliée par ma belle famille. C’est parfois difficile avec la vie d’aujourd’hui, mais j’aime bien me conserver pour mon futur mari» (fille 17 ans, classe de seconde, Lycée féminin de N’Djamena). Ces propos font éclater de rire une partie des participantes aux débats pour qui, ne pas connaître un homme à cet âge, c’est demeurer esclave des exigences de la famille ou avoir un retard dans son émancipation sexuelle.

20Cela va sans dire que celles qui se moquent de leurs camarades retardées dans leur sexualité sont aussi des groupes à risque dans la mesure où la sexualité précoce et le multi-partenariat sexuel des jeunes favorisent la propagation des maladies sexuellement transmissibles et le risque d’être infecté par le VIH. Entre l'émancipation et la soumission aux traditions, l’abstinence sexuelle chez les jeunes paraît être une des meilleures voies de protection contre les infections sexuelles dans la mesure où les conditions économiques ne permettent pas aux jeunes sexuellement actifs d’avoir financièrement accès aux préservatifs. Cependant, des articles indiquent des doutes sur l’efficacité d’interventions promouvant l’abstinence uniquement (Underhill et al., 2007). A cela, s’ajoutent les insuffisances d’éducation à l’hygiène sexuelle reconnues par les participantes. De tradition et selon les avis partagés au cours des focus group, les informatrices reconnaissent qu’une fille qui conserve sa virginité jusqu’au mariage a de l’admiration du côté de sa belle famille et du respect de la part de son mari. Ceci lui confère dans sa vie de couple un statut particulier, car elle est l’exemple d’un bon comportement et on la considère comme modèle dans le milieu.

21Ces problèmes sont des déterminants clés de vulnérabilité des jeunes en conflit permanent avec leur crise d’adolescence, l’influence de la modernité et les pratiques sociales liées au sexe. Une fille interrogée rapporte son expérience avec sa maman à travers ce récit :«Il y a d’autres parents qui sont compréhensibles. En discutant avec eux, ils peuvent te dire de tenir compagnie avec un seul partenaire ou bien en utilisant des capotes, etc. Mais, il y a d’autres mamans qui disent aussi qu’un jour la capote peut encore se trouer quelque part, donc tu auras toujours la maladie et le seul conseil qu’ils ont l’habitude de donner, c’est de tenir ferme à nos engagements. Si un ami se présente à la maison, peut-être s’il te demande la main, vous pouvez allez faire les examens de dépistage ensemble pour voir les résultats » (fille, 18 ans, classe de 1ere, N’Djamena). Les premiers actes sexuels chez les adolescents sont reconnus par ceux-ci comme un moment déterminant de prise de risque et c’est ce que nous rapporte une jeune fille au cours de nos discussions : «J’avais peur, comme c’est la première fois, je craignais de tomber enceinte et puis on a fait sans les préservatifs» (fille, 15 ans, classe de 4eme, Mongo). Les premières expériences sexuelles chez les adolescents sont essentiellement chargées de risques et de peur.

22À propos de rapports sexuels au quotidien entre filles et garçons et les intérêts que ceux-là procurent, nombreuses sont les filles qui déclarent qu’elles ont un ami avec qui elles vivent l’amour. Cependant, d’aucunes déclarent avoir rompu au fil du temps leur relation avec leur premier ami voire plusieurs amis tout simplement parce qu’elles sont jalouses et n’arrivent pas à tolérer le vagabondage sexuel de leur ami garçon. Cette attitude constitue un risque en soi, parce que la rupture se fait régulièrement, chaque fois que leur ami adopte un comportement douteux, mais le choix d’un autre ami ne tient pas compte du statut sérologique de celui-ci, ce qui rend vulnérables surtout les jeunes filles. Beaucoup de filles préfèrent très tôt leur liberté et n’hésitent pas à franchir le rubicond de l’interdit pour se livrer au multi partenariat et prétextant qu’elles ont l’âge de la raison. Certaines filles avouent ne pas du tout supporter l’attitude négative et réprobatrice des parents de voir leurs amis venir à la maison leur rendre visite et le refus d’accepter leur choix par rapport à l’homme qu’elles aiment. Voici ce qu’une informatrice relate : «Je n’ai jamais été déçue par mes amis. Par contre, moi, j’ai eu beaucoup d’amis que j’ai déçus. Par ce que dans ma vie j’aime être avec une et une seule personne. Bien que les parents soient contre cet ami, moi je l’aime et je préfère rester en amitié sincère avec lui. Le comportement du gars ne les intéresse pas. C’est un jeune qui aime l’ambiance. Pourtant, il est encore jeune. De toutes les façons, moi j’aime bien son comportement. Car c’est moi qui irai vivre avec lui un jour et non mes parents » (fille, 17 ans, classe de terminale, N’Djamena).

23Une telle prise de position paraît naïve dans la mesure où la fille tolère le libertinage sexuel de son ami, malgré la vigilance des parents. Aveuglées par les premières expériences sexuelles, les filles se laissent facilement aller vers une sexualité à risque. En zone urbaine, les jeunes échappent de plus en plus au contrôle familial. Ils réclament à cor et à cri une certaine liberté qui va les conduire vers une sexualité précoce et mal entamée. Dans leurs pratiques sexuelles, il y a aussi les intérêts pécuniaires qui animent les filles que nous avons rencontrées. Reconnaissant leur statut d’élève, la plupart ont des amis ayant le même statut social. Pour ce faire, elles ne s’attendent pas à telle ou telle satisfaction matérielle ou financière. Cependant, les petits cadeaux par surprise leur font beaucoup plaisir. Elles trouvent que ça sera difficile pour elles de demander à leurs copains de pourvoir à leurs besoins du moment où ils sont des jeunes élèves comme elles. Voici ce que relate une informatrice au cours de l’entrevue : « Mon ami est très gentil et on s’aime bien avec lui. Il veut toujours me gâter avec des biscuits, du parfum et il m’a même offert une fois une robe pour mon anniversaire. Je ne lui demande rien, mais c’est lui qui me fait toujours des surprises avec des cadeaux et ça me plaît bien » (fille, 17 ans, classe de seconde, lycée féminin N’Djamena).

24Pour certaines filles, être exigeante avec son amant dans la satisfaction matérielle liée à leur vie sexuelle, c’est à la fois du matérialisme et une incitation de son ami à aller voler. Mais, cela n’exclut pas, dans le lot des filles qui se prostituent à travers les amis de leur âge, qui ont pour seul objectif la recherche constante des biens matériels (argent, cosmétique, habillement). Une autre informatrice déclare : «Moi, je sors avec un grossium (fonctionnaire). Il me paye beaucoup de choses. Mais, comme il me cherche, il doit me donner tout ce que je lui demande. Sinon, je vais déconner avec lui et quand je suis fâchée, il me donne beaucoup d’argent pour la réconciliation (rire) » (fille 17 ans, lycée féminin N’Djamena). Cette pratique rend vulnérables surtout les jeunes filles, car un tel amant, disposant du poids financier, peut abuser de la fille comme il veut sans se soucier de la protection de sa partenaire. Autant de pratiques sexuelles à risques sont perçues par les adolescents et font partie de leur quotidienneté. Mais, l’espoir n’est pas perdu face au VIH qui fait des ravages dans cette population des jeunes. Le chapitre suivant aborde la question de la prise de responsabilité chez les jeunes pour mieux prévenir les risques liés à cette maladie et d’autres problèmes de santé sexuelle.

Entre sexualité adolescente et la vulnérabilité: les jeunes prennent leur responsabilité

25Il faut que les enfants et les jeunes soient des participants importants dans tous les domaines de la prévention du VIH et ne doivent pas être seulement vus comme des groupes cibles. La participation active des jeunes par l’intermédiaire des activités théâtrales, de danse et débats ou d’autres canaux d’information et de prévention, est un moyen nécessaire et efficace d’adapter les messages et garantir la pertinence des activités de prévention. Cela deviendra à long terme une activité éducative permanente en milieu scolaire et se prolongera sans heurt en milieu familial où toute la problématique des questions liées à la maladie sexuelle relève encore du domaine des tabous. Une adolescente donne ses points de vue là-dessus : « Nous devons nous organiser pour lutter contre le sida. Il ne faut pas attendre les autres pour venir faire la sensibilisation. Nous-mêmes, on peut se donner des conseils entre nous élèves » (fille, 17 ans, classe de seconde, Mongo).

26Les jeunes se frottent au quotidien aux organisations engagées dans la lutte contre le sida et la promotion de la santé sexuelle. Ils sont attentifs à leurs discours publics sur les infections sexuelles et aux pratiques néfastes. Mais, ces informations de masse en direction des jeunes semblent être pilotées de dehors. Les jeunes se disent peu ou pas concernés et prennent comme telle la masse d’information sans changement apparent de comportement vis-à-vis de leur sexualité et du VIH. Néanmoins, les jeunes tiennent un autre discours plus simple hors de toute préoccupation financière. Dans leur discours, ils font des propositions d’actions centrées sur leur rôle dans la lutte contre le sida et prennent plusieurs options allant de l’abstinence à la fidélité en passant par le port des préservatifs et des campagnes de sensibilisation en faveur de leurs pairs. Les autorités locales, les responsables des établissements et les agences de santé peuvent se mettre à l’écoute des jeunes, leur parler et leur offrir les moyens pour se prononcer eux-mêmes sur le sida. C’est sur cette base que nous pourrions faire reculer la maladie. Les participantes au groupe de discussion sont conscientes de cette situation et une d’entre elles nous dit ceci : «De mon point de vue, je dirais que dans le monde des adultes d’aujourd’hui, tout est à l’envers. Nous avons d’abord les maladies, les épidémies et particulièrement le VIH qui expose presque tout le monde. Chez nous de tradition et avec  les coutumes, nous les filles sommes dominées par beaucoup d’interdits tels que le mauvais comportement vis-à-vis du sexe et la prostitution» (fille, 17 ans, classe de seconde, Lycée Féminin N’Djamena).

27Certains jeunes, et notamment des filles, courent des risques d’exposition au VIH parce qu’elles ont une mauvaise estime de soi ou ne se sentent pas à l’aise dans leur sexualité. Souvent, les jeunes ne pensent pas pouvoir maîtriser leur comportement sexuel ou les méthodes de contraception. Ils refusent de croire qu’ils ont besoin de contraceptifs ou ont des difficultés financières pour s’en procurer. Certains évitent de prendre des décisions concernant leur propre protection. Mais ceux qui refusent de croire qu’ils courent personnellement un risque de VIH peuvent méconnaître les messages de prévention de la maladie, faire fi de leur pertinence ou penser que leur propre protection ne relève pas de leur responsabilité. La responsabilité exige une éducation et l’acquisition des informations de qualité. Les participants au focus groupe de Mongo disent ceci:

28«Au quartier Gourouma, il y avait une sœur religieuse qui parlait du sida. Elle a créé une école. Ce n’est pas une école proprement dite, mais c’est un espace « Education à la Vie et à l’Amour » (EVA). Dans cet espace, on parle de tout et de rien, et les jeunes se retrouvent là-bas pour parler de tout ce qui est tabou. Cette éducation qu’elle nous a donnée, nous a beaucoup aidés dans la compréhension des tabous. Même ma vie a changé. Je crois que c’est bon de sensibiliser les jeunes » (fille, 17 ans, classe de 3eme, Lycée de Mongo). Un autre jeune renchérit : «Si on fait des rapports non protégés, c’est s’exposer aux dangers. Alors, la majorité va utiliser les préservatifs et autres pour assurer la sécurité. Parce qu’il y a les maladies sexuellement transmissibles qui sont là dans l’air (rire). En tout cas, c’est des rapports protégés que je fais et j’insiste dessus avec n’importe quelle partenaire que je rencontre» (garçon, 19 ans, classe de terminal, Lycée de Mongo).

29Les jeunes sont beaucoup plus vulnérables au VIH que leurs aînés. Comme leur développement social, émotionnel et psychologique n’est pas achevé, ils ont plus facilement un comportement à risque, souvent sans comprendre le danger qui les guette. En même temps, certains chercheurs préconisent la prudence à l’égard d’une vue simpliste qui range les adolescents parmi les groupes « vulnérables » ou « à risques ». En effet, une telle perspective peut fausser notre compréhension de la situation des jeunes, parce qu’ils ne forment pas un groupe homogène et, de plus, peuvent agir de façon indépendante. Quoi qu’il en soit, la plupart des jeunes n’ont qu’une connaissance limitée du VIH en grande partie parce que les sociétés ne leur facilitent pas l’obtention d’informations. Une des informatrices de N’Djamena donne, elle aussi, son point de vue sur cet aspect du problème : «Un jeune doit être responsable de soi-même. Ce n’est pas tous les jours qu’on va lui dire de s’abstenir. C’est à lui d’être conscient dans toute sa vie. Quand un jeune est instruit, c’est qu’il connaît la vie. Il connaît ce qui est du bien et ce qui est du mal. Donc, quand on lui dit un peu ce qui est du bien, il doit savoir qu’aujourd’hui, on m’a dit ça. Je vais appliquer un peu ce qu’on m’a dit»(fille, 19 ans, classe de terminale, Lycée Féminin N’Djamena).

30Souvent, les politiques sociales ont une attitude d’intolérance et de discrimination à l’égard des jeunes, par exemple quand elles limitent leur accès aux informations. Comme les adolescents vivent une période de transition durant laquelle ils ne sont plus des enfants sans être encore des adultes, les réactions de la santé publique à l’égard de leurs besoins sont souvent contradictoires et confuses. En même temps, les normes et les attentes sociales, ainsi que l’avis de leurs pairs, ont une incidence profonde sur leurs comportements et font souvent augmenter chez eux la prise de risques sanitaires.

Rôle des établissements scolaires dans la prévention du VIH

31La prévention du VIH implique qu’on s’attaque à la fois aux risques courus par des individus et les facteurs de vulnérabilité de la société ou du contexte. A ce niveau, des mesures doivent être prises pour atténuer les risques de vulnérabilité sociale de certains groupes, notamment des jeunes filles et garçons. Les écoles de concert avec les organisations qui oeuvrent pour atteindre les jeunes dans les contextes non scolaires ont un précieux rôle à jouer dans la prévention du VIH, en particulier quand il s’agit de toucher les enfants avant qu’ils n’atteignent l’âge de vulnérabilité maximale (de 15 à 24 ans). Pour prévenir l’infection par le VIH, il faut recourir à une double approche : d’une part agir pour réduire le risque individuel et, d’autre part, s’attaquer aux facteurs contextuels, environnementaux et sociaux qui rendent les personnes vulnérables. La réduction du risque individuel est d’abord axée sur l’individu et son comportement. La réduction de la vulnérabilité, en revanche, implique qu’on opère des changements dans le vaste contexte social, culturel, économique et politique qui constitue le cadre de vie des individus. Les deux types de mesures sont indispensables à la suite de la prévention.

32L’éducation préventive doit aider à l’amélioration des comportements adéquats, permettre de retarder l’âge du premier rapport sexuel, développer l’usage des préservatifs chez les jeunes ayant une activité sexuelle, réduire le nombre des partenaires sexuels et limiter la consommation d’alcool et de drogues. L’information est nécessaire, mais la connaissance seule ne suffit pas à protéger les jeunes contre le VIH. Ce dont le besoin se fait sentir, c’est un processus interactif d’enseignement et d’apprentissage qui aide les jeunes à acquérir les connaissances, les attitudes et les compétences qui leur permettent d’assurer plus de responsabilités pour leur propre vie. Laissons les jeunes que nous avons interviewés parler des modes de prévention du VIH les plus accessibles et réalistes dans les paragraphes qui suivent. «Il faut leur montrer les dangers du sida. S’ils comprennent que s’ils ne font pas attention, ils vont attraper le sida, ils auront peur et ils vont changer de comportement » (fille, 16 ans, classe de 4eme, Lycée de Mongo) ; «Comme pour le moment il n’y a pas de remède pour cette maladie, ce qu’il faut faire, c’est de distribuer des préservatifs pour les garçons que pour les filles et faire de la sensibilisation pour que tout le monde ait la connaissance sur la maladie et partant, éviter tout risque d’exposition au VIH en cas de maladie douteuse et atténuer ainsi les effets de la propagation » (fille, 18 ans, classe de première, Lycée de Mongo).

33Les établissements scolaires comme cadre d’éducation des jeunes ont un rôle de premier plan à jouer tant dans la prévention du VIH que pour l’atténuation de ses conséquences sur les individus, les familles, les communautés et la société tout entière. Le VIH touche désormais toutes les régions du pays avec des effets désastreux. Les enfants et les jeunes représentent une proportion élevée des victimes et l’impact de l’épidémie sur les familles, les ménages et les communautés est souvent plus marqué encore parmi les jeunes qui font partie de ces groupes. Les lycées, de par leur statut actuel, demeurent le socle institutionnel de l’éducation formelle. C’est un cadre où tous les débats concernant la relation VH et éducation doivent transcender le système éducatif formel pour englober le secteur communautaire et le secteur informel. Un enseignant interrogé nous donne son appréciation du travail en cours : «Nous pouvons citer, entre autres, le FAWE qui est un forum des éducatrices, dont le siège est à Naïrobi, le PNLS, l’AMASOT, l’ASTBEF et l’Association Chrétienne d‘ Éducation à la Vie Familiale qui sont en train de nous aider dans ce travail de sensibilisation. Elles ne sont pas avec nous ici sur place, mais viennent momentanément nous aider dans les séances de sensibilisation et de projection des films » (personne ressource, Lycée Féminin N’Djamena).

34Les responsables des deux lycées émettent les vœux de voir des bonnes volontés venir utiliser en permanence ce cadre et partant, faire bénéficier autant que possible les élèves. Les deux lycées disposent des grandes salles, mais aucune activité de communication sociale n’y est réalisée pour le moment. Des personnes ressources de Mongo et N’Djamena ayant participé au focus groupe ont exprimé le besoin de dialogue social sur la sexualité et les maladies sexuelles. Un enseignant nous livre ses propos à ce sujet : « Je souhaiterais qu'il soit possible d’avoir des sages-femmes ou des éducatrices chargées de visiter les établissements scolaires pour rencontrer les filles. Par exemple, on doit leur donner au moins entre 15 à 30 minutes pour qu’elles expliquent aux élèves, surtout les filles, ce que c’est que la sexualité, leurs cycles menstruels. Nous avons des filles qui sont instruites, mais qui ne savent pas jusqu’à présent leurs cycles menstruels. Il serait intéressant que ces femmes passent pour rencontrer ces filles. Parce qu’il est un peu difficile qu’un homme se mette à la place d’une femme et explique cela à une femme, surtout à nos filles » (enseignant, Mongo).

35Les établissements ont également un rôle extrêmement important à jouer dans l’appropriation de cette activité par les jeunes. C’est lorsque les responsables pédagogiques et administratifs cesseront de croire aux tabous sexuels en reconnaissant que sans un dialogue permanent autour des questions sexuelles à partir de l’école, sinon on serait en train de former des futurs adultes, pères et mères de famille qui garderont les mêmes attitudes d’aujourd’hui vis-à-vis de leurs enfants face aux comportements tabous. Personnes-ressources et élèves se mettent d’accord sur cet état des faits et suggèrent « une sensibilisation à tous les niveaux me semble intéressant. Et je crois que nous y avons pensé déjà et nous avons l’intention de dire aux professeurs qu’avant de commencer les cours par exemple, qu’ils prennent au moins 5 minutes pour sensibiliser et à la fin du cours, avant de quitter la salle, qu’ils prennent également 5 minutes pour expliquer. C’est un mal qui ravage la population et surtout la couche la plus jeune, des filles, des garçons, des petites filles. Il faut donc une sensibilisation. Il faut également enseigner, pourquoi pas, comme une matière à part entière, l’éducation à la vie familiale » (personne ressource Lycée Féminin). Un soutien déterminant des responsables serait un atout majeur pour permettre aux jeunes de sortir du silence pour mieux prendre en main les défis qui menacent leur destin. Les jeunes tiennent un raisonnement significatif sur leur rôle dans la lutte contre le sida. Ils prennent plusieurs options allant de l’abstinence à la fidélité en passant par le port des préservatifs et des campagnes de sensibilisation. Les autorités locales, les responsables des établissements et les agences de santé devraient se mettre à leur écoute, leur parler et leur offrir les moyens de parler eux-mêmes du VIH et de leur sexualité. C’est par cette option seulement que nous pourrions faire reculer le spectre du VIH.

Conclusion

36Les résultats de l’étude exploratoire révèlent que les jeunes qui ont participé aux interviews parlent du sida entre eux, mais ils ne discutent peu ou pas du tout de la sexualité avec les parents en famille. Comme le VIH a de liens inextricables avec la sexualité, les jeunes sont conscients de l’attitude des parents à ce sujet, ils évitent d’évoquer de telles discussions au risque de provoquer leur colère. Néanmoins, certains adolescents déclarent que les parents s’efforcent d’en parler en terme de mise en garde contre le danger du sida. Cette attitude des parents qui consiste à ne pas aborder de telles questions avec les jeunes maintient ceux-là dans l’ignorance et le tâtonnement, ce qui va augmenter continuellement leur vulnérabilité. Moser (1998) l’a si bien relevé dans son approche de la vulnérabilité et des risques. Au lycée de Mongo par exemple, il n’existe aucune unité permanente d’information sur le VIH. Les enseignants en parlent ou discutent avec les élèves des problèmes liés au VIH et à la sexualité, mais de façon occasionnelle et non formelle. Par contre, au lycée féminin de N’Djamena, on note quelques interventions du côté des organisations non gouvernementales qui tentent sporadiquement de donner aux élèves des cours sur la sexualité et des informations sur le VIH. L’éducation sexuelle à l’école serait toutefois plus efficace si elle débutait très tôt, avant la première expérience sexuelle des adolescents et si elle mettait l’accent sur les normes sociales plutôt que sur l’acquisition des connaissances (Bastard et Cardia-Vonèche, 1997).

37Les adolescents soulignent dans leurs réponses, d'une part, la nécessité des actions de sensibilisation destinées à améliorer leurs connaissances sur la question de l'hygiène de la reproduction, à les préparer à l'établissement de bonnes relations ouvertes avec leur entourage familial et à les conseiller adéquatement dans le domaine de l'éducation sexuelle (Parker, 1996). D'autre part, ils soulignent le besoin d'introduction de programme d’enseignement d'éducation sexuelle dans les lycées. Les jeunes qui ont collaboré à l’enquête étaient tous informés sur la problématique du sida, de ses principales voies de transmission et ses méthodes de prévention. Ils n'en continuaient pas moins d'avoir des rapports sexuels non protégés susceptibles de les exposer aux risques d’infection aux maladies sexuellement transmissibles. Ainsi, l'information et la sensibilisation des jeunes sur les questions de la sexualité et du sida ne semblent pas suffire à les motiver à changer les comportements sexuels.

38La majorité des jeunes participants à l’étude avaient déclaré avoir eu des rapports sexuels non protégés avant l'âge de 16 ans, et qu’une partie d’entre eux étaient sexuellement actifs au moment de l'enquête. Il en ressort que les programmes de prévention du VIH devraient mettre davantage l'accent sur l’abstinence, la réduction du nombre de partenaires et l'usage du préservatif.

39Les résultats de cette enquête ayant constaté une forte relation positive entre les premiers rapports sexuels précoces et la plupart des autres comportements sexuels à l'étude, des mesures devraient également être incluses dans les activités de prévention du VIH dans les établissements scolaires du Tchad. En définitive, les comportements sexuels à risques des jeunes subissent l'influence de facteurs socioculturels parfois trop contraignants pour les jeunes qui ont souvent besoin de vivre leur adolescence sexuelle malgré le poids des interdits sociaux. Bergman et Mottier (1998) l’on si bien expliqué dans leur rapport d’étude sur la sexualité et VIH. L’étude met en lumière les déterminants sociaux et culturels de la vulnérabilité des adolescents vis-à-vis de leur sexualité dans un contexte de haute endémicité du VIH. Le changement de comportement ne saurait s’opérer véritablement sans un dialogue social et une éducation soutenue ouverte sur toutes les questions de la vie. La meilleure voie de prévention pour un changement de comportement chez les jeunes serait le long terme intégré dans les habitus des populations. Car en Afrique, seul le discours ne suffit pas, il faut travailler beaucoup plus en direction du changement de mentalité en se mettant dans un processus lent avec des approches socio-anthropologiques et une recherche ardue sur les invariants culturels de détermination de la vulnérabilité des jeunes (Ingham et Van Zessen 1997) ainsi que la recherche des informations plus approfondies sur le rôle social du sexe avec les parents et les jeunes.

Biographie

40Abdias Nodjiadjim Laoubaou est chercheur à l’Institut de sociologie de l’Université de Bâle en Suisse et collabore dans un des programmes du Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique, projet NCCR Nord-Sud IP4 dirigé par l’Institut Tropical Suisse. Ses champs de recherche sont l’éducation, la communication sociale et l’information en matière de santé. Il réalise actuellement des travaux sur les facteurs socio culturels de vulnérabilité au VIH chez les adolescents au Tchad.

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Bibliography

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References

Electronic reference

Abdias Nodjiadjim Laoubaou, Kaspar Wyss, Patricia Schwärzler, Brigit Obrist and Manfred Max Bergman, « Communication socioculturelle comme outil de prévention des maladies sexuellement transmissibles et le VIH chez les adolescents au Tchad », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Hors-série 3 | décembre 2006, Online since 20 December 2006, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/1852 ; DOI : 10.4000/vertigo.1852

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About the authors

Abdias Nodjiadjim Laoubaou

Centre de Support en Santé Internationale, BP 972, N’Djamena, Tchad,  abdias.laoubaou@gmail.comInstitut Tropical Suisse, Bâle, Suisse,Institut de sociologie, Université de Bâle, Suisse

Kaspar Wyss

Institut Tropical Suisse, Bâle, Suisse,

By this author

Patricia Schwärzler

Institut Tropical Suisse, Bâle, Suisse,Institut d’anthropologie sociale, Université de Bâle, Suisse,

Brigit Obrist

Institut Tropical Suisse, Bâle, SuisseInstitut d’anthropologie sociale, Université de Bâle, Suisse,  

By this author

Manfred Max Bergman

Institut de sociologie, Université de Bâle, Suisse

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