1Suite à l'augmentation graduelle des contraintes climatiques au cours de l'Holocène (Le Houérou, 1997), le Sahara est devenu un pôle d'aridité à l'échelle planétaire (Ozenda, 2004). Ce changement s’est accompagné de flux d’espèces végétales et animales, mais aussi d’adaptations diverses et souvent spectaculaires qui font de la faune et la flore sahariennes actuelles un enjeu de conservation biologique et de développement humain durable important, bien que le nombre d’espèces soit relativement faible (Ozenda, 2004).
2La dégradation des écosystèmes arides est liée classiquement à deux facteurs : les changements climatiques et les activités humaines. Les premiers sont considérés comme inéluctables à l'échelle du siècle. Cependant, la végétation des zones arides est adaptée à ce type de changements récurrents, et leurs effets sur la disparition d’espèces sont généralement limités (Darkoh, 2003). En revanche, l’impact des activités humaines (et notamment l'élevage) sur la végétation reste à définir sur le court terme. Il est susceptible d’être à l'origine de modifications majeures et peut-être irréversibles du couvert végétal, et donc des ressources naturelles vivantes (Khresat et al., 1998 ; Darkoh, 2003).
3Par leur hétérogénéité structurelle, les massifs montagneux rassemblent sur des surfaces restreintes l'essentiel de la biodiversité saharienne. C’est dans une volonté de protéger les espèces végétales et animales remarquables que la Réserve Naturelle Nationale de l’Aïr et du Ténéré a été créée en 1988. (RNNAT, Saibou, 1988). Elle regroupe la partie Est du massif de l’Aïr et une portion du désert du Ténéré.
4Les priorités de la réserve, d'abord orientées vers la conservation de la biodiversité, ont évolué vers le développement des populations locales, qui sont considérées comme des gestionnaires et des utilisatrices des ressources naturelles. Ces nouvelles priorités associées à l’instabilité politique qui a touché la zone dans les années 90 ont été peu propices aux travaux concernant l’état de la biodiversité et des ressources naturelles. De ce fait, depuis la synthèse des connaissances dans la réserve réalisée par l’UICN jusqu’à la période 1991 (Giazzi, 1996), les données concernant la faune et la flore du massif de l’Aïr sont rares et isolées (voir cependant Poilecot, 1999 ; Saadou et Lykke, 2001 ; Aoutchiki, 2001 ; Ostrowski et al., 2001 ; Abdoulkader, 2005 ; Anthelme et al., 2007).
5Le retour à une situation politique calme depuis quelques années a incité divers organismes nationaux et internationaux à relancer des programmes de recherche/gestion/développement dans la zone. Dans le cadre de la première phase du programme COGERAT (cogestion des ressources de l’Aïr-Ténéré), un état des lieux des conditions écologiques et socio-économiques de la région a été réalisé (Anthelme et al., 2005 ; Giazzi et al. 2005).
6En s'inspirant de ces travaux, l'objectif est ici d'identifier les relations qui existent actuellement entre des activités humaines en pleine mutation et les ressources végétales de l'Aïr. Il répond à un besoin urgent de suivi de la biodiversité en Afrique saharienne et subsaharienne sous la menace de la pression grandissante des activités humaines (Darkoh, 2003).
7Les résultats ont pour double objectif de servir de référence pour l’orientation des futurs travaux de recherche dans l'Aïr, et d’optimiser les plans de gestion à venir. Il s'agit de prendre en compte à la fois l'importance des habitants locaux en tant que gestionnaires des ressources et d'utiliser les connaissances écologiques à même d'optimiser la restauration des écosystèmes dégradés, en particulier les processus de facilitation plantes-plantes (Padilla et Pugnaire, 2006).
8Le massif de l’Aïr est une enclave granitique ponctuée de volcanisme ancien, située en zone sud-saharienne au Niger (Figure 1). Sa localisation lui confère une aridité particulièrement élevée qui se matérialise par des précipitations faibles et aléatoires (Newby, 1991), des températures moyennes très élevées et une humidité atmosphérique très basse (Ozenda, 2004, Anthelme et al. 2007). Excepté le long des cours d’eau temporaires (koris) les sols sont soit absents, soit squelettiques, ils appartiennent aux groupes des régosols et des lithosols (Giazzi, 1996).
9L’Aïr peut être divisé en deux types d’écosystèmes. Les montagnes (1000-2000 m) couvrent des surfaces fragmentées à l’intérieur du massif de l’Aïr (Figure 1). Elles forment des sommets souvent tabulaires, très isolés les uns des autres. Les principales montagnes sont les Bagzane (Idoukal’n’taghes : 2022 m), le Tamgak, le Takolokouzet, le Greboun et le Taghmert. Ces écosystèmes sont peu fréquentés – ou ponctuellement – par l’Homme, dont l’activité se réduit à la présence sporadique de bergères et de leurs troupeaux de chèvres. Les Monts Bagzane font toutefois office d’exception, ils abritent des plateaux argileux où les populations sont historiquement sédentarisées sous la forme d'une dizaine de villages entre 1500 et 1800 m d’altitude (Adamou et Morel, 2005).
10Les vallées et plateaux inter-montagneux abritent les écosystèmes situés autour des montagnes proprement dites. Situés entre 600 et 1000 m, ils abritent une végétation relativement abondante du fait d’un bilan hydrique favorable généré par les écoulements en provenance des montagnes (Saadou, 1990). C’est le siège des principales activités humaines, l’élevage et l’agriculture oasienne, qui peut être irriguée ou sous la forme de phoeniculture.
11L’Homme est présent dans tous les écosystèmes du massif. La population est estimée à 83000 habitants (Anthelme et al., 2005), et la commune de Tabelot au sud-est du massif dépasse à elle seule 30000 habitants (Adboulkass, comm. pers.). Les activités traditionnelles sont le pastoralisme nomade, l’agropastoralisme et le commerce caravanier (Bernus, 1978 ; Bourgeot, 1994). Cependant les zones les plus fertiles et les plus accessibles semblent actuellement se tourner massivement vers la culture irriguée de rente (Figure 1), en particulier celle de l'oignon (Waziri Mato et Anthelme, 2005). Les activités touristiques sont aussi progressivement en train de se développer (Abdoulkader, 2005 ; Anthelme et coll., 2005).
Figure 1. Situation du Niger et de l'Aïr dans un contexte saharien, et présentation du massif de l'Aïr, des limites de la Réserve, des localités (villages et zones pastorales) échantillonnées en avril 2005, et des principaux centres agricoles.
12Devant l’immensité de la zone d’étude, les données ont été récoltées prioritairement sous la forme d’enquêtes auprès d’un échantillonnage représentatif des populations de la réserve et de sa périphérie. Cette logique s'appuie sur le fait que les acteurs locaux de l'Aïr ont une connaissance particulièrement bonne de leur environnement (Bernus, 1978; Giazzi, 1996), comme c'est souvent chez les populations rurales en zone saharo-sahélienne (e.g. Lykke et coll., 2004).
13L'enquête a été de type hybride. De nature structurée, elle a concentré le questionnaire autour de trois points : état de l'environnement, changements depuis le dernier état des lieux réalisé en 1991 (Giazzi, 1996), et causes invoquées pour ces changements. Ces trois points ont été développés pour 16 composantes de l'environnement parmi lesquelles les suivantes ont été prises en compte: végétation, eau, sols et activités humaines (agriculture, élevage, tourisme, transports, activités minières, artisanat). Les autres composantes ne montrent pas de tendances significatives sur une période de 15 ans (composantes climatiques) ou dépassent le cadre de ce travail (patrimoine historique et archéologique, faune, éducation, santé, niveau de vie général de la population). Elles ont été abordées seulement de manière ponctuelle (voir Anthelme et coll., 2005).
14Cependant, le choix a été fait de laisser la liberté aux interlocuteurs d'aborder chaque point comme ils le souhaitaient à l'intérieur de ce cadre plutôt que de leur imposer (valuation model, Lykke et al., 2004). Cette méthode nous a permis d'éviter de recevoir des opinions sur des sujets pour lesquels les gens n'ont pas d'avis mais auxquels ils répondent tout de même. En contrepartie, les données recueillies ne sont pas exhaustives et plus difficilement quantifiables.
15Un plan d’échantillonnage équilibré entre villages et zones pastorales a été conduit au cours du mois d'avril 2005 (Figure 1), auprès des acteurs locaux de la réserve. Dans chaque site, un groupe rassemblant un échantillon représentatif des différentes activités développées localement a été interrogé sur une durée moyenne de 2h30. Les assemblées des acteurs locaux regroupaient des représentants des structures paysannes organisées, les services techniques de l’Etat, les ONG, les autorités coutumières, les conseillers communaux et des personnalités ayant des expériences avérées dans des domaines précis. Les données sont le résultat de la synthèse des opinions recueillies.
16Les villages sélectionnés sont les chefs lieux de communes (Tabelot, Timia, Gougaram, Iférouane) et les autres principaux centres sédentaires du massif (Elmeki, Tchintoulous).
17Les zones pastorales ont été sélectionnées dans des lieux géographiques diversifiés pour améliorer la représentativité de l’échantillonnage. Il s’agit de zones occupées par quelques campements nomades : In’Dakat, Baouet, Zagado, Zomo et Tadek. Les enquêtes dans les zones pastorales ont été menées sur des groupes restreints du fait de l'absence de certains corps de métier tels que les agriculteurs, les artisans ou les bouchers.
18Les données ont ensuite été organisées en termes de causes et effets afin de dresser un diagnostic de la dynamique récente des ressources naturelles dans l'Aïr.
19Les observations les plus marquantes faites dans l’Aïr par les populations locales au cours des dernières années sont la dégradation rapide du couvert végétal et l’expansion d’une espèce introduite, Prosopis juliflora. Ces changements affectent principalement les écosystèmes inter-montagneux, les plus productifs de la zone. La dégradation concerne en particulier deux groupes de végétaux qui sont des ressources essentielles pour l’Homme, les espèces fourragères et les espèces ligneuses. Les Monts Bagzane, du fait d’une présence humaine importante et sédentarisée, présentent aussi une dégradation importante de leur couvert végétal (Schulz et Adamou, 1994).
20Les espèces fourragères sont une ressource essentielle pour l’élevage, qui reste la première activité humaine dans l’Aïr. La plupart des habitants des habitants des villages considèrent que cette ressource est en régression (excepté à Tabelot où l’élevage est délaissé au profit de l'agriculture, Tableau 1). L’avis est plus nuancé dans les zones pastorales, puisqu’à Tadek et dans le Zagado on constate une régression, alors que les ressources sont estimées aléatoires ou stables à Zomo, Baouet et In’Dakat.
21Cette régression est ressentie plus durement dans les villages de l’ouest du massif. Ainsi Elmeki cite six espèces en régression, Gougaram neuf, et Iférouane huit, dont deux ont disparu. Parallèlement, Tabelot cite une seule espèce en régression, et Timia deux (Tableau 2).
22Le premier facteur de variation des ressources pastorales, unanimement cité, est la pluviométrie. C’est le seul facteur cité par les populations pastorales de Baouet, In’Dakat et Tchirozérine. En revanche, certains villages avancent des causes anthropiques pour justifier la régression de leurs ressources pastorales. C’est le cas d’Elmeki et Timia qui citent le surpâturage comme un facteur de régression. Timia et Gougaram évoquent les prélèvements abusifs d'espèces fourragères pour le stockage et/ou les coupes abusives. Enfin, Elmeki et Gougaram citent l’expansion d’un ligneux invasif, Prosopis juliflora, comme ayant une influence négative directe sur l’abondance des ressources pastorales.
23Les espèces ligneuses, dont l’abondance est naturellement très limitée par l’aridité, sont une autre ressource essentielle pour l’Homme. Les peuplements ligneux les plus importants se situent dans les écosystèmes inter-montagneux, au bord des koris, mais ils peuvent se développer ponctuellement dans toute la zone.
24La perception qu’ont les habitants de l’Aïr de l’état des ressources ligneuses est pessimiste également. Les assemblées villageoises considèrent en effet à l'unanimité qu’elles sont en régression alors que dans les zones pastorales, l’avis est plus optimiste et seuls les résidents d'In’Dakat évoquent une régression (Tableau 1).
25Un total de douze espèces ligneuses est cité comme étant en régression (Tableau 3). Encore une fois ce sont les villages qui présentent le plus d’espèces menacées, notamment Gougaram (six espèces), Elmeki (huit), Tabelot (six) et Iférouane (huit). En revanche Timia, dont l'agriculture est principalement agroforestière, ne présente que deux espèces en régression. Les zones pastorales sont nettement moins touchées. En particulier In’Dakat, Baouet et Tadek ne présentent aucune espèce dont les effectifs sont en baisse depuis 15 ans.
26Parmi les espèces menacées, la plupart sont caractéristiques des bords de koris. Les plus régulièrement citées et utilisées ont déjà été mentionnées comme particulièrement menacées dans des travaux antérieurs (Saadou et Lykke, 2001). Il s’agit de Faidherbia albida (fabrication de mortiers, de tabourets, Ganaba et coll., 2005), Acacia nilotica (excellent bois de chauffe), Acacia tortilis subsp. raddiana (nombreuses utilisations, Grouzis et Le Floc’h, 2003), Salvadora persica et Ziziphus mauritiana. La régression de Boscia senegalensis, pourtant peu utilisé comme bois indique que le couvert végétal est gravement atteint à Elmeki et Gougaram.
Tableau 1 : Evolution des ressources végétales selon les acteurs locaux des différentes zones de l’Aïr sur ces quinze dernières années (→ : aléatoire ou stable ; ↓ : régression).
|
Villages
|
Zones pastorales
|
|
Elm
|
Tab
|
Tim
|
Tch
|
Ife
|
Gou
|
InD
|
Bao
|
Zom
|
Zag
|
Tae
|
Espèces fourragères
|
↓
|
→
|
↓
|
↓
|
↓
|
↓
|
→
|
→
|
→
|
↓
|
↓
|
Espèces
ligneuses
|
↓
|
↓
|
↓
|
↓
|
↓
|
↓
|
↓
|
→
|
→
|
→
|
→
|
Elm : Elmeki, Tab : Tabelot, Tim : Timia, Tch : Tchintoulous, Ife : Iferouane, Gou : Gougaram, InD : In'Dakat, Bao : Baouet, Zom : Zomo, Zag : Zagado, Tae : Taedek.
Tableau 2. Espèces fourragères dont les effectifs sont en régression remarquable (+) ou disparues (o) selon les acteurs locaux des différentes zones de l’Aïr sur ces quinze dernières années.
|
|
Villages
|
Zones pastorales
|
Nom latin
|
Nom Tamasheq
|
Elm
|
Tab
|
Tim
|
Tch
|
Ife
|
Gou
|
InD
|
Bao
|
Zom
|
Zag
|
Tae
|
Tribulus terrestris
|
Tagaroft
|
+
|
|
|
|
+
|
+
|
|
|
|
|
+
|
Eragrostis pilosa
|
Tejit
|
+
|
|
|
+
|
+
|
+
|
|
|
|
|
+
|
Panicum turgidum
|
Afazo
|
+
|
+
|
+
|
|
|
+
|
|
|
|
|
|
Panicum laetum
|
Ishibaen
|
+
|
|
|
|
+
|
+
|
|
|
|
|
+
|
Cenchrus biflorus
|
Wejjag
|
+
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Senna obtusifolia
|
|
+
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Lasiurus hirsutus
|
Gerfiz
|
|
|
+
|
|
+
|
+
|
|
|
|
+
|
|
Stipagrostis uniplumis
|
Ejouf
|
|
|
|
+
|
+
|
|
|
|
|
+o
|
o
|
Stipagrostis ciliata
|
Teïtoum
|
|
|
|
|
o
|
|
|
|
|
|
|
|
Teshila
|
|
|
|
|
o
|
|
|
|
|
|
|
Tribulus sp.
|
Eglis
|
|
|
|
|
+
|
|
|
|
|
|
|
Gisekia pharnacioides
|
Tamarkoess
|
|
|
|
|
|
+
|
|
|
|
|
|
Sorghum arundinaceum
|
Achaghour
|
|
|
|
|
|
+
|
|
|
|
|
|
Cornulaca monacantha
|
Tazera
|
|
|
|
|
|
+
|
|
|
|
|
|
Senna italica
|
Aguirguir
|
|
|
|
|
|
+
|
|
|
|
|
|
Salsola baryosma
|
Echim
|
|
|
|
|
|
|
o
|
|
|
|
|
Schouwia thebaica
|
Alwat
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
+
|
Elm : Elmeki, Tab : Tabelot, Tim : Timia, Tch : Tchintoulous, Ife : Iferouane, Gou : Gougaram, InD : In'Dakat, Bao : Baouet, Zom : Zomo, Zag : Zagado, Tae : Taedek.a Espèce non déterminée.
Tableau 3 : Espèces ligneuses dont les effectifs sont en régression remarquable ou disparues selon les acteurs locaux des différentes zones de l’Aïr sur ces quinze dernières années.
|
|
Villages
|
Zones pastorales
|
Nom latin
|
Nom Tamasheq
|
Elm
|
Tab
|
Tim
|
Tch
|
Ife
|
Gou
|
InD
|
Bao
|
Zom
|
Zag
|
Tae
|
Hyphaene thebaica
|
Tedinnis
|
+
|
+
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Salvadora persica
|
Abizguine
|
+
|
+
|
|
|
+
|
+
|
|
|
|
|
|
Balanites aegyptiaca
|
Aborak
|
+
|
+
|
|
|
|
|
|
|
+
|
|
|
Acacia nilotica
|
Tiggert
|
+
|
+
|
|
+
|
+
|
+
|
|
|
+
|
|
|
Ziziphus mauritiana
|
Corna
|
+
|
+
|
|
|
+
|
+
|
|
|
|
|
|
Acacia ehrenbergiana
|
Tamat
|
+
|
|
|
+
|
|
|
|
|
|
|
|
Boscia senegalensis
|
Tadent
|
+
|
|
|
|
|
+
|
|
|
|
|
|
Faidherbia albida
|
Atis
|
|
+
|
+
|
+
|
+
|
|
|
|
+
|
|
|
Maerua crassifolia
|
Agar
|
+
|
|
+
|
|
+
|
+
|
|
|
|
|
|
Acacia tortilis
|
Afagag
|
|
|
|
+
|
+
|
+
|
|
|
|
+
|
|
Acacia laeta
|
Tazeit
|
|
|
|
|
+
|
|
|
|
|
|
|
Leptadenia pyrotechnica
|
Enneg
|
|
|
|
|
+
|
|
|
|
|
|
|
Elm : Elmeki, Tab : Tabelot, Tim : Timia, Tch : Tchintoulous, Ife : Iferouane, Gou : Gougaram, InD : In'Dakat, Bao : Baouet, Zom : Zomo, Zag : Zagado, Tae : Taedek.
27Le prélèvement de bois mort en tant que combustible est considéré comme la première cause de régression de la ressource ligneuse et conduit à la coupe abusive des arbres vivants. Il est reporté dans tous les lieux à l’exception de deux zones pastorales particulièrement isolées : In’Dakat et Zagado.
28La pluviométrie reste citée comme une cause de variation majeure, cependant, elle n’est pas citée dans les trois villages les plus importants : Iférouane, Tabelot et Timia.
29Les autres causes principales sont par ordre d’importance décroissant le surpâturage et en particulier son effet négatif sur la régénération, les coupes abusives, et l’expansion de Prosopis juliflora.
30Les dérèglements écologiques causés dans l’Aïr par l’Homme sont à l’origine de processus d’expansion d’espèces natives ou exotiques, comme c'est le cas dans la quasi-totalité des écosystèmes terrestres (Mack et coll., 2000). L’expansion la plus remarquable est sans nul doute celle de Prosopis juliflora, un ligneux arbustif originaire d’Amérique centrale. Planté dans l’Aïr dans les années 80 pour accélérer le reboisement des zones sinistrées par les sécheresses, sa distribution s'étend rapidement dans les zones perturbées et son potentiel d'expansion est inconnu.
31P. juliflora colonise en particulier les berges de koris et les alentours des villages, montrant une capacité élevée à se développer sur les écosystèmes perturbés par les activités humaines. Selon les habitants de l’Aïr, il semble pouvoir développer un système racinaire de plusieurs dizaines de mètres en profondeur, ce qui pourrait le conduire à coloniser massivement les zones pourvues de nappes phréatiques peu profondes.
32Simberloff (2003) attire l’attention sur le fait qu’il est parfois erroné et dangereux d’assimiler un processus d’invasion à un évènement nécessairement négatif. Des arguments écologiques et économiques peuvent néanmoins diagnostiquer l’effet d’une espèce invasive sur l’écosystème. Dans l’Aïr, l’expansion de P. juliflora a principalement des effets négatifs sur ces deux plans. L’espèce est notamment une compétitrice redoutable pour les autres espèces végétales, et elle accentue remarquablement la mortalité du bétail (Tableau 4).
33P. juliflora est aujourd’hui introduite dans la plupart des écosystèmes des zones arides et semi-arides (Harris et al., 2003) comme moyen de lutte contre le déficit du couvert végétal. Si d’un point de vue économique, l’espèce est considérée comme une ressource multiple au Sénégal (Deans et coll., 2003) et une ressource en bois en Ethiopie (Shiferaw et coll., 2004), sur le plan écologique son effet négatif en tant qu’espèce invasive est souvent cité (Sharma et Dakshini, 1998, Shiferaw et al., 2004, El Keblawy et Ksiksi, 2005). En particulier, sa production d’alcaloïdes peut être une contrainte pour le développement des autres espèces végétales (Nakano et al., 2004), et un poison pour le bétail s’il dépasse 200g par kg dans leur régime alimentaire (Mahgoub et coll., 2005a).
Tableau 4 : Effets de l'espèce introduite Prosopis juliflora sur l’environnement, selon les habitants de l’Aïr
Effets positifs
|
Effets négatifs
|
Formation rapide d’un couvert végétal
|
Compétition avec les autres espèces végétales
|
Production rapide de bois
|
Augmentation de la mortalité du bétail
|
Stabilisation des berges de kori (protection des cultures irriguées)
|
Monopolisation de la disponibilité en eau dans le sol
|
|
Production d’épines dangereuses pour l'Homme
|
|
Expansion rapide et incontrôlée
|
|
Appauvrissement du sol par une mauvaise décomposition des feuilles
|
|
Diminution de la rentabilité des cultures
|
34Les enquêtes dans l’Aïr vont dans ce sens en focalisant sur une augmentation de la mortalité du bétail qui se nourrit de P. juliflora, souvent frais. On peut penser que le caractère invasif et la présence de peuplements monospécifiques sont responsables d’une part trop importante de P. juliflora dans le régime animal. Moins fréquent et à l’état sec sous forme de farine, il serait en revanche assimilable, comme proposé par Maghoub et coll. (2005b).
35Le statut de l’espèce dans l’Aïr est finalement paradoxal dans le sens où il comble un déficit important en ressources ligneuses mais constitue une menace à long terme pour l’écosystème. Une meilleure connaissance de ses utilisations par les habitants pourrait conduire à une situation plus équilibrée, comme en Ethiopie (Shiferaw et al., 2004).
36Selon les réponses apportées par les populations locales, les ressources végétales sont dans un état de dégradation élevé dans l’Aïr. La faible pluviométrie est constamment citée lors des enquêtes comme un paramètre majeur de variation de la biodiversité en général, et des ressources pour l’Homme et le bétail en particulier. Ce constat s’explique par l’aridité élevée de l’Aïr.
37Les données pluviométriques annuelles de deux stations, Iférouane et Tabelot (Figure 2) au cours des 15 dernières années mettent en évidence des variations interannuelles élevées, et des quantités annuelles moyennes relativement faibles (58 mm à Iférouane, 76 mm à Tabelot). Pourtant, comparées aux données antérieures sur la zone (Newby, 1991), ces valeurs sont significativement en hausse à l'échelle de l'Aïr (Giazzi, 2004), phénomène qui a été également observé dans d’autres zones sèches d’Afrique sur la même période (Kraaij et Milton, 2006).
38Par conséquent, les valeurs mesurées depuis 15 ans ne semblent pas être responsables de la dégradation remarquable du couvert végétal des dernières années écoulées. Ce constat ne remet pas en cause toutefois l’importance des déficits pluviométriques et leur caractère aléatoire comme facteur principal de la désertification dans l’Aïr sur des pas de temps plus longs (c.f. Giazzi, 1996).
39Les autres causes citées pour expliquer les variations du couvert végétal sur les quinze dernières années sont essentiellement anthropiques. L’Homme apparaît donc comme le facteur principal de la régression généralisée du couvert végétal durant cette période. Trois causes fondamentales semblent être à l’origine d’une modification majeure des interactions Homme-biodiversité : le conflit armé ayant sévi dans la région dans les années 90, l’accroissement démographique soutenu, et l’accès à des techniques et des méthodes de travail nouvelles. Aujourd'hui, l’effet de l’Homme se divise en une composante interne au massif de l’Aïr et une composante externe, en provenance des villes alentours.
40Malgré la persistance d’actes isolés, le conflit armé opposant l’Etat Nigérien à une partie des populations touarègues de l’Aïr appartient au passé (McNeely, 2003). La paix retrouvée est à l’origine d’une revitalisation du secteur économique et du retour d'investisseurs et de bailleurs de fonds. L’activité touristique, après avoir retrouvé son niveau antérieur au conflit obtient des chiffres de fréquentation jamais connus jusqu’à présent (Abdoulkader, 2005).
Figure 2. Précipitations annuelles, période 1990-2004. Stations d'Iférouane (gauche) et de Tabelot (droite)
Direction de la Météorologie Nationale de la République du Niger
Figure 3. Evolution de la population de la région d’Agadez de 1977 à 2001
Martel et Taylor, 2000 ; Anon, 2005
41Dans ce contexte, l’émergence de techniques et de méthodes nouvelles, l'accroissement démographique de plus de 56 % entre 1988 et 2001 dans la région d’Agadez (Figure 3), ainsi que l’apparition d’un nouveau marché international de l’oignon de contre-saison engendrent l’essor de l’agriculture irriguée dans le massif de l’Aïr.
42Activité traditionnelle secondaire sous forme d’agro-pastoralisme depuis des siècles, l'agriculture irriguée opère une première mutation dans les années 70 avec la culture de rente de la pomme de terre. Depuis quelques années, une autre culture de rente, l’oignon (Figure 4), est devenue dominante au détriment de la pomme de terre et des cultures vivrières (blé, tomate, maïs, Figure 5 ; Waziri Mato et Anthelme, 2005).
43Aujourd’hui, le nombre des parcelles cultivées est en croissance rapide dans la commune de Tabelot (3200 en 2004 contre  2300 en 2000 ; Tilalt et Bouyer, 2000 ; Anthelme et coll., 2005). La proportion d’habitants se tournant vers cette activité devient majoritaire, elle qui était déjà estimée à 48 % en 2000 (Tilalt et Bouyer, 2000). La croissance des jardins bénéficie également de l’importation de techniques et méthodes nouvelles, en particulier des motopompes. Pesticides et engrais chimiques sont également de plus en plus utilisés. Enfin, la présence de transports motorisés de plus en plus nombreux favorise l’écoulement de plus grandes quantités de produits vers les villes et les pays avoisinants.
44Les conséquences du développement et de l’intensification des cultures irriguées sur les ressources végétales sont plurielles et certaines sont négatives pour l'environnement. A travers le développement des zones sédentarisées jusque là limitées dans l’Aïr, elles entraînent une exploitation intense des ressources autour des villages, qui sont les zones les plus dégradées selon nos enquêtes (Tableau 1). Les terrains pastoraux disparaissent donc avec leurs espèces caractéristiques (Panicum turgidum notamment, Aoutchiki 2001) ce qui mène encore plus les populations vers la pratique unique de l’agriculture intensive, alors que l’aridité élevée de la zone sied plutôt à des activités mixtes agro-pastorales peu intensives (Darkoh, 2003).
45Ce type de pratique entraîne également une surexploitation des nappes phréatiques et des sols qui semble déjà poser un problème de pérennité des ressources à long terme. Ainsi, nos enquêtes révèlent que le niveau des nappes baisse dans les principales zones agricoles (Tabelot, Timia, Elmeki, Iférouane, Gougaram) alors que les zones pastorales (In'Dakat, Baouet, Zomo, Zagado et Taedek) conservent des niveaux généralement stables.
46Enfin, l'essor de l'activité agricole et la sédentarisation qui en résulte conduisent à une coupe abusive du couvert arboré, encore intensifiée par l'accroissement démographique local. Une des conséquences sur l'écosystème est l’érosion accélérée des sols. On observe ainsi une dégradation importante des « Etaghas », zones argileuses d'épandage très recherchées par les éleveurs (Giazzi et coll., 2005).
Figure 4. L'oignon, culture irriguée de rente. Devenue dominante dans l'Aïr, elle entraine une intensification des prélèvements en eau et une chute du couvert arboré sur les berges des koris
S. Kluser (Tchintoulous, 2006) et F. Cugny (Tchintoulous, septembre 2005).
Figure 5. Culture dominante sur un échantillon aléatoire de 70 jardins de la commune de Tabelot
avril 2004 (Anthelme, données non-publiées)
47Parallèlement, l'élevage est une activité plus stable. Cependant la sédentarisation autour des villages et l'accroissement démographique (Tableau 5) sont à l'origine d'un surpâturage cité dans les enquêtes comme responsable d'un déficit en espèces ligneuses et fourragères. Il a en particulier un effet négatif sur la régénération des arbres lors de leur première année de croissance.
48La dégradation des ressources végétales dépend également des prélèvements humains externes. Autour du massif de l’Aïr, deux villes importantes se sont développées, Arlit et Agadez. Si Agadez est une ville ancienne, Arlit est une ville récente dont l’essor est directement lié à l’exploitation de mines d’uranium depuis quelques dizaines d’années à l’ouest du massif. Ce site hyperaride a la particularité d’abriter un couvert végétal minimal qui a rapidement été réduit à néant par l’Homme. Dès lors, les richesses naturelles de l’Aïr voisin sont l’objet de convoitises et un trafic de bois et d’espèces fourragères s’est organisé.
49La commune de Gougaram, la plus proche d’Arlit, est logiquement la plus touchée par la dégradation du couvert végétal (Tableau 1), mais les autres communes ne sont pas épargnées, et récemment ce sont les communes de Timia et d’Iférouane qui ont fait l’objet de prélèvements massif de bois. Les prélèvements anarchiques par camions progressent de plus en plus vers l’Est, à l’intérieur de la réserve. Les techniques utilisées par les exploitants sont de plus en plus agressives et les ressources en bois vivant sont maintenant exploitées.
50A Agadez, la situation est moins alarmante, d’une part parce que la région, moins aride, possède encore quelques ressources, et d’autre part parce que la croissance de cette ville a été plus graduelle, au cours d’une longue période. Néanmoins, la pression sur les ressources de l’Aïr depuis Agadez est ressentie durement par les populations locales. Elle est complétée par la montée des troupeaux d’animaux du sud de la ville qui investissent massivement les pâturages du sud de la réserve en périodes sèches.
51L’un des éléments essentiels pour espérer conserver les ressources végétales de l’Aïr est la relance de la gestion de la Réserve Naturelle et de ses zones périphériques, interrompue depuis 2003 (de Boissieu, 2004). Le projet Cogerat, aux côtés des nouvelles communes rurales et des autorités coutumières, doit permettre la mise en place d’un réel processus de cogestion des ressources naturelles de l’Aïr.
52Il est ainsi important d’orienter l’agriculture et le tourisme vers des pratiques durables et de soutenir le monde pastoral. Certains aménagements sont nécessaires pour restaurer les pâturages dégradés et permettre une recharge plus importante des nappes phréatiques. Un important travail est à mener au niveau régional pour développer des alternatives énergétiques au bois de feu dans les centres urbains et pour planifier une exploitation du bois rationnelle respectant les seuils de régénération des écosystèmes.
53Enfin, la surveillance de la réserve devrait reprendre, ainsi que des programmes de sensibilisation, d’éducation à l’environnement, de recherche et de suivi scientifique.
54Face à l’érosion rapide de la biodiversité et des ressources végétales, les priorités s’orientent vers la restauration et la conservation des espèces jugées indispensables au fonctionnement de l’écosystème et au développement des populations locales (Grime, 1997; Child, 2003). A ce titre, ce sont les espèces végétales qui doivent focaliser l’attention des scientifiques comme des gestionnaires car elles constituent la charpente de l’écosystème.
55Il est nécessaire de dresser une liste de types fonctionnels de plantes à protéger. Parmi ces types, les espèces fourragères (Tableau 2) et arborées (Tableau 3) sont prioritaires parce qu’elles sont des ressources indispensables à l’Homme.
56Il est tout aussi important de privilégier les espèces susceptibles de contrecarrer les processus d’érosion, en particulier sur les berges de koris, il s’agit là principalement des espèces ligneuses telles que Acacia nilotica ou Faidherbia albida.
57Une contrainte majeure à la régénération de ces espèces, outre l'aridité, est leur fragilité face à l'herbivorie dans un contexte de surpâturage. Les processus d'interactions positives entre espèces, qui sont importants en milieu aride (Bruno et coll., 2003 ; Michalet, 2006) et souvent efficaces face à l'herbivorie (Padilla et Pugnaire, 2006), sont susceptibles d'augmenter la réussite de ces régénérations par des processus de facilitation indirecte (Michalet, 2006).
58Dans l'Aïr, des travaux récents ont montré que Panicum turgidum facilite le développement juvénile de nombreuses autres espèces, dont des arbres, en les protégeant à la fois de l’aridité et de l'herbivorie grâce notamment à la densité et la résistance de leurs tiges (Anthelme et coll., 2007, Figure 6). Un certain nombre de graminoïdes pérennes en touffes sont aussi potentiellement des plantes nurses dans l’Aïr, elles constituent un réservoir intéressant d'outils pour la restauration du couvert végétal dont l'efficacité doit être testée comme celle de P. turgidum.
Figure 6. Touffe de Panicum turgidum servant de plante nurse à un jeune Acacia tortilis subsp. raddiana face à l'aridité et l'herbivorie, Tchintoulous, août 2004
F. Anthelme
59La régression des ressources végétales de l’Aïr est hautement corrélée à l’évolution rapide des activités humaines durant les quinze dernières années. Un constat similaire est effectué sur la faune sauvage de l’Aïr-Ténéré (de Boissieu et coll., in prep.). Les conflits, l’accroissement démographique, la sédentarisation, l’intensification de l’agriculture fragilisent le couvert végétal et menacent la pérennisation des ressources - et les populations humaines qui en dépendent - à long terme. Ce sont des causes régulièrement citées pour expliquer l’érosion rapide de la biodiversité en Afrique sèche (e.g. Khresat et coll., 1998 ; Darkoh, 2003).
60Il est nécessaire de développer des actions de sauvegarde de la biodiversité et du couvert végétal dans cette zone. La restauration des écosystèmes dégradés nécessite l’implication de tous les acteurs locaux dans des programmes ambitieux de gestion concertée des ressources naturelles et des aires protégées, Ceux-ci doivent se baser à la fois sur les connaissances endogènes des populations locales et sur celles développées en biologie de la conservation et de la restauration, spécialement en zones arides. L’exemple de l’introduction de Prosopis juliflora montre que même avec la meilleure volonté, faire de la gestion dans l’urgence sans connaissance des processus écologiques inhérents à l'écosystème cible peut avoir des effets négatifs insoupçonnés.
61La gestion des ressources naturelles sahariennes peut être optimisée par une meilleure connaissance des processus liés à la dynamique de la végétation en zone aride (Padilla et Pugnaire, 2006). C'est le cas en particulier de la facilitation entre plantes qui donne un nouvel espoir de conservation des écosystèmes arides.
62A Ahmed Tcholli, notre guide, Hamidou Dadde notre chauffeur, Issoufou Wata et Philippe Gineste (ROSELT), ainsi qu'à l'ensemble des personnes ayant participé aux enquêtes dans l'Aïr. Ce travail a été financé par la première phase du programme COGERAT, sous la coordination du ROSELT Niger.