- 1 . Pour connaître la liste détaillée des espèces animales et végétales présentes à Madagascar, avec (...)
1Madagascar est identifié comme une des priorités de conservation de la biodiversité dans le monde, considérant la diversité de ses ressources, leur endémisme et la menace qui pèse sur elles (Mittermeier, 1988). Bien que ce pays représente seulement 1,9 % du territoire africain auquel il est géopolitiquement associé, on trouve sur la Grande Île près de 25 % de toutes les espèces de plantes africaines. Dans l’ensemble, environ 80 % des espèces de plantes à Madagascar sont endémiques et, dans le cas des animaux, la proportion est encore plus grande. L’exemple le plus connu est le lémurien, dont près de la totalité des espèces n’apparaît naturellement qu’à Madagascar1. Bien que l’on manque d’indicateurs précis, des auteurs, tant malgaches qu’étrangers, estiment que la dégradation du milieu naturel s’accélère à Madagascar, notamment sous l’effet d’une pression démographique croissante et, à ce titre, la Grande Île est souvent évoquée pour son fort degré de dégradation de l’écosystème (Kull, 2004; Richard et O’Connor, 1997; Randrianarijaona, 1988). Ces conditions ont incité le gouvernement malgache à élaborer et à mettre en œuvre depuis la fin des années 1980, avec notamment l’appui financier et technique de la Banque mondiale, un Plan d’action environnemental visant à freiner cette dégradation. Mais au-delà de la « richesse naturelle » que représente la biodiversité, Madagascar est un pays économiquement pauvre dont les ressources exportables, notamment minières, sont encore peu valorisées en comparaison d’autres pays d’Afrique subsaharienne (Banque mondiale, 2004a; 2003a). Dans la mesure où la pression pour l’intégration à l’économie mondiale s’est accentuée au cours des 25 dernières années, les investissements étrangers apparaissent aujourd’hui comme une condition nécessaire à la croissance économique, malgré de nombreuses réserves formulées à cet égard (Sarrasin, 2005a; 1999; Hibou, 1998; Campbell et Parfitt, 1995). Paradoxalement, la libéralisation des économies africaines est maintenant présentée comme un vecteur de protection des ressources naturelles, sinon comme une forme de gestion rationnelle de celles-ci. C’est dans ce contexte que nous proposons d’analyser l’implantation d’un projet d’exploitation des sables minéralisés qui a débuté en 2005 dans la région de Tolagnaro, au sud-est de Madagascar, en nous efforçant de répondre à la question suivante : par quels mécanismes un projet d’investissement industriel a-t-il pris, tout à la fois, la forme d’un projet de développement national, de lutte contre la pauvreté et de protection de l’environnement ?
2Pour répondre à cette question, notre démarche empruntera à l’économie politique une « méta-lecture » du contexte dans lequel s’insère le développement minier à Madagascar, en prenant comme point d’ancrage l’approche hétérodoxe de l’économie politique internationale (EPI) développée notamment par Susan Strange (Strange, 1998; 1996; 1993; Stopford, Strange et Henley, 1991). Les débats d’économie politique ont généralement été orientés autour des enjeux portant sur « le pouvoir relatif des États et des marchés et sur leur capacité respective à définir les règles du jeu économique et social mondial » (Chavagneux, 1998 : 25). L’intérêt de l’approche proposée par la branche hétérodoxe de ce domaine d’étude réside dans la remise en cause de la séparation analytique et conceptuelle qui s’est traditionnellement instituée entre, d’une part, les sphères nationales et internationales et, d’autre part, les enjeux définis comme étant économiques et ceux considérés comme politiques (Teivainen, 2002).
3Selon l’approche développée par Strange, le système économique contemporain « résulte de la confrontation d’un ensemble d’autorités diffuses multiples en négociations permanentes les unes avec les autres pour imposer leurs préférences » (Chavagneux, 1998 : 25). Ces marchandages s’opèrent dans le cadre de structures précises qui définissent, à un moment donné et à l’intérieur d’un domaine particulier de l’économie politique internationale, les modalités de l’exercice de leur pouvoir par ces différentes autorités. Chacune des structures porte également des « valeurs prioritaires » qui lui confèrent sa légitimité (prospérité, justice, équité, sécurité, etc.). La prise en compte des valeurs privilégiées par ceux qui détiennent le pouvoir dans un domaine particulier peut permettre d’appréhender les structures et les accords qui caractérisent celles-ci et de mettre à jour les fragilités qu’elles recèlent. La dimension de changement demeure donc au cœur des problématiques envisagées par l’approche hétérodoxe de l’EPI. Il en va également du concept de pouvoir, qui n’est non plus ici à concevoir uniquement selon une dynamique relationnelle (le pouvoir d’un acteur de modifier le comportement ou les préférences d’un autre), mais aussi structurelle (le pouvoir d’un acteur de façonner les structures et de définir les règles du jeu dans lesquelles s’inscriront ensuite les comportements des autres acteurs). Dans une telle perspective, et dans le but d’élargir la compréhension sur les retombées des investissements directs étrangers (IDE) au-delà des analyses purement économiques, nous posons l’hypothèse que l’industrie minière et le projet à l’étude s’insèrent dans ces structures fondamentales,dans le sens proposé par Strange, et donnent lieu à l’exercice de diverses formes de pouvoir structurel aux conséquences non seulement économiques, mais aussi sociales et environnementales. L’inclusion et l’exclusion de certaines valeurs sur lesquelles s’appuient ces structures de pouvoir auront des conséquences importantes sur la faisabilité et les retombées du projet. La démonstration de notre hypothèse repose sur une recherche empirique basée sur une méthode d’analyse qualitative. L’étude des acteurs spécifiques au projet minier qui nous intéressent s’appuie sur une observation des processus à l’œuvre pour laquelle une approche quantitative se révélerait moins utile, tant au niveau méthodologique que conceptuel. Les procédures de collecte de données que nous avons privilégiées comportent deux axes principaux. D’abord, en vue de préciser le contexte économique et politique national tout en tenant compte du niveau multilatéral – ayant favorisé un essor de l’industrie minière dans la région qui nous intéresse – nous avons choisi une méthodologie de type documentaire analytique et déductive, basée sur la révision de documents de travail, rapports de recherche et articles spécialisés. Cette étape nous permet de dresser un portrait global des principaux acteurs impliqués dans le développement du secteur minier à Madagascar et du contexte dans lequel celui-ci va se réaliser. Cette démarche est complétée par des entretiens semi-directifs administrés sur le site du projet minier, dans la région de Tolagnaro et dans la capitale Antananarivo. Le tableau 1 présente une brève typologie de ces entretiens.
- 2 . Écart-type / moyenne.
4Comme plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, Madagascar a traversé de multiples crises économiques et politiques au cours des deux dernières décennies. La structure de son économie présente une forte dépendance des secteurs exportateurs primaires comme la vanille, le café et la crevette – avec, plus récemment, une contribution importante du tourisme –, dont l’évolution inégale durant les dernières années a contribué à l’instabilité des recettes d’exportation et au déficit de la balance des paiements. Le tableau 2 montre que la croissance nette de la vente des principaux produits d’exportation depuis 1997 est marquée par des coefficients de variation2 importants qui vont de 25,87 % pour la crevette (produit dont l’évolution est la plus stable) à 81 % pour la vanille, dont l’exportation a chuté de 75 % de 2003 à 2004 seulement.
Tableau 1. Typologie des entretiens relatifs au projet de QMM
Type de répondant/lieu de l’entretien
|
Administration et Gouvernement malgache
|
Consultant malgache
|
Membre du personnel de QMM
|
Membre d’une organisation bilatérale ou multilatérale
|
Membre d’une organisation non gouvernementale
|
Population rurale
|
Antananarivo
|
2
|
1
|
1
|
1
|
0
|
0
|
Tolagnaro
|
3
|
1
|
3
|
2
|
2
|
6
|
Tableau 2. Évolution indicielle (100 = 1997) des recettes des principaux produits d’exportation provenant de Madagascar (1997-2004)
Principaux produits d’exportation
|
1997
|
1998
|
1999
|
2000
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
Coefficients de variation
|
Tourisme
|
100,00
|
76,75
|
129,24
|
169,78
|
173,17
|
50,44
|
96,80
|
153,31
|
37,86%
|
Crevette
|
100,00
|
87,37
|
132,04
|
166,42
|
154,28
|
143,88
|
159,59
|
203,09
|
25,87%
|
Café
|
100,00
|
77,57
|
86,62
|
25,52
|
16,70
|
14,70
|
24,72
|
27,39
|
75,21%
|
Vanille
|
100,00
|
171,01
|
292,75
|
640,58
|
1866,67
|
1307,25
|
2228,99
|
1678,26
|
81,05%
|
Nos calculs à partir des données 1997 – 2000 : Banque centrale de la République de Madagascar, 2001 et Ministère du Tourisme, 2001. Données 2001 – 2004 : Ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, 2005 et Ministère du Tourisme, 2005.
5En fait, l’économie malgache se caractérise globalement par une tendance récessive qui perdure depuis des décennies, faisant chuter le produit intérieur brut (PIB) par habitant de 36,8 % et la consommation privée de 46,8 % de 1960 à 1995 (Razafindrakoto et Roubaud, 2002). Ces conditions sont comparables aux conjonctures qui ont marqué l’économie mondiale et particulièrement l’Afrique subsaharienne depuis les années 1980, à quelques exceptions près : Madagascar est l’un des rares pays du continent où la population a subi une baisse continue de son niveau de vie durant plusieurs décennies, malgré la rareté des conflits politiques majeurs et malgré un niveau de capital humain, des ressources naturelles et des conditions sociales plus avantageuses que la plupart des autres pays d’Afrique subsaharienne. Malgré un fragile retour à la croissance économique depuis 1997, le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA) n’avait pas réussi à rattraper en 2003 le niveau de 1975 (PNUD, 2005 : 280). Ces conditions sont exacerbées par la forte croissance de la pauvreté, notamment rurale, qui touchait 71 % de la population malgache pour la période 1999-2005 (Banque mondiale, 2006) contre 43 % dans les années 1960. Apparaissant au 146e rang du classement des 177 pays en matière de développement humain, nous retiendrons que les conditions économiques se sont généralement détériorées de 1975 à 1995 à Madagascar, avant d’amorcer une reprise inégale dans ses principaux secteurs d’exportations – autant sur le plan économique que social – à partir de 1997, comme le tableau 2 en témoigne. L’évolution du contexte sociopolitique de la Grande Île permet de mieux comprendre pourquoi l’environnement économique a subi de multiples « blocages » qui auront des conséquences sur la dynamique structurelle qui régit le secteur minier.
6Il faut retourner à la « révolution socialiste » pilotée par Didier Ratsiraka pour éclairer les problèmes économiques de Madagascar des deux dernières décennies. Fondée sur le collectivisme agraire et la nationalisation des secteurs clefs de l’économie comme l’agriculture, les stratégies économiques mises en place sous la IIe République malgache (1975-1991) non seulement provoquent le départ de nombreux investisseurs étrangers et la marginalisation des opérateurs privés malgaches, mais débouchent sur plusieurs investissements nationaux (cimenteries, usines d’engrais, etc.) peu productifs et largement financés par l’endettement extérieur. L’agriculture, qui devait être le fer de lance de la révolution socialiste en réalisant l’autosuffisance alimentaire, conduit plutôt à l’importation de plusieurs produits de base comme le riz. Un manque de dynamisme généralisé de la production agricole asphyxie rapidement les villes déjà coupées des approvisionnements par une dégradation significative des infrastructures routières. L’importation de produits de base, la dévaluation du franc malgache, la sous-production de l’industrie et les conjonctures économiques internationales font de la dette extérieure malgache, pratiquement inexistante au milieu des années 1970, un poids de 3,5 milliards de dollars américains en 2004 (Banque mondiale, 2006). Le contexte national, exacerbé par le népotisme du régime et par une crise économique mondiale au début des années 1980, mène le gouvernement Ratsiraka vers une impasse économique et politique qui contribue à la dégradation des conditions de vie de la population et à la récession. À ce titre, Madagascar ne fait pas exception : comme l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne, la décennie 1980 représente une période charnière sur le plan des stratégies économiques.
- 3 .Voir les rapports annuels du Groupe de la Banque mondiale.
7C’est durant cette période que les bailleurs de fonds comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale accentuent la pression pour davantage de libéralisation économique et politique qui, très vite, s’intègre aux conditionnalités de financement (Banque mondiale, 1988; FMI, 1987). Contraint à l’ajustement structurel depuis 1983, le gouvernement malgache sera vite reconnu pour la mise en place de « bonnes » politiques par les économistes de la Banque mondiale, après que le gouvernement socialiste de Didier Ratsiraka ait effectué un virage à 180 degrés de son modèle de production, passant du collectivisme agraire au capitalisme d’exportation à la fin des années 1980, ce qui a eu notamment pour conséquence de multiplier par quatre – de la décennie 1970 à la décennie 1990 – le montant des prêts du Groupe de la Banque mondiale obtenus par le gouvernement malgache, qui est passé de 50 millions USD par année pendant la période 1979-1982 pour atteindre plus de 150 millions en 1990 et 2,3 milliards en 2004, principalement dans les domaines de la finance, des politiques économiques et du développement du secteur privé3.
8La faillite du système économique intérieur durant la période 1975-1990 pousse le gouvernement à rechercher de nouveaux investissements étrangers qui constituent une occasion de réinsertion du pays à l’environnement économique et financier international rendue nécessaire par la dépendance au financement des institutions de Bretton Woods et à l’obligation d’en respecter les conditionnalités. Ces conjonctures, exacerbées par la baisse constante du niveau de vie, poussent Ratsiraka dans ses derniers retranchements politiques et le régime est renversé par un mouvement populaire en 1991-1992. La période de transition démocratique qui suit est marquée par une forte instabilité sociale (grèves, manifestations) et politique (plusieurs premiers ministres se succèdent durant cette période) que l’élection d’Albert Zafy à la présidence ne permet pas de calmer. Celui-ci est défait en 1996 à la faveur d’élections anticipées qui ramèneront Didier Ratsiraka au pouvoir jusqu’en 2001. Le retour de Ratsiraka sera entre autres marqué par l’accélération des réformes néolibérales entamées au cours des années 1980 et particulièrement par la révision du cadre réglementaire des principaux secteurs économiques du pays.
- 4 .L’objectif de cet article n’étant pas de faire une revue et une analyse détaillées des conjoncture (...)
9Ce premier mandat démocratique du régime Ratsiraka est suivi d’une crise politique majeure en 2002 à la faveur des élections qui opposent le président sortant à Marc Ravalomanana. Chaque camp ayant accusé l’autre de malversation, le pays est le théâtre de manifestations, de mouvements de contestation et d’une destruction généralisée des infrastructures au cours du premier semestre 20024. Dans le cadre de cet article, nous retiendrons que le nouveau président élu, Marc Ravalomanana, issu du secteur privé, a fortement contribué à accélérer la libéralisation de l’économie, faisant de Madagascar une véritable « success story » africaine des institutions de Bretton Woods, avec une croissance économique de 5,3 % en 2004 et de 4,6 % en 2005 (Banque mondiale, 2006). En ce qui a trait à l’industrie minière en particulier, la Banque mondiale a financé quatre projets au cours de la période 1981-2006, pour un montant total de 96 millions USD. Plus de 75 % de ce financement concerne l’appui à la formulation d’un cadre réglementaire plus libéral pour cette industrie dont l’évolution s’insère dans la mise en place d’une structure fondamentale de pouvoir aux dimensions non seulement économiques, mais aussi sociales et environnementales.
10Le premier ministre malgache, Jacques Sylla, déclarait au début de l’année 2005 que « le gouvernement s’est fixé comme objectif d’avoir un taux de croissance économique annuel de 15 % à compter de 2008, soit le triple de celui de l’année 2004 qui était de 5,3% ». Par ailleurs, il affirmait que Madagascar « se doit d’attirer plus de grands investissements directs étrangers (IDE) pour atteindre cet objectif » (Cocks, 2005)5. En termes de volume, on pouvait déjà constater une reprise de l’IDE avec 47,22 millions USD en 2004, comparativement aux 14,22 millions USD en 2003 dont la baisse est surtout attribuable à la crise politique et sociale que nous avons déjà évoquée. Madagascar est cependant encore loin de la performance de 2001, où le montant global des IDE s’est élevé à près de 115 millions USD (Cocks, 2005). Cette évolution montre que le pays commence à regagner la confiance des investisseurs au prix d’une libéralisation accélérée de l’économie dans le but d’atteindre les objectifs de croissance ambitieux fixés pour les prochaines années. Compte tenu du potentiel minéral peu exploité à ce jour et du rôle de levier majeur que le secteur minier peut constituer pour la croissance du pays, le gouvernement malgache s’est donné comme objectif prioritaire de se doter – grâce à un financement multilatéral et bilatéral – d’un cadre légal attrayant pour les investisseurs (réforme du code minier et promulgation de la loi sur les grands investissements miniers).
11Bien que le secteur minier à Madagascar n’occupe pas une place comparable à celle occupée ailleurs en Afrique subsaharienne comme au Ghana ou en Guinée, il (en particulier l’industrie extractive) est en forte croissance, surtout depuis la fin des années 1990. L’augmentation du nombre de projets d’envergure déposés auprès du ministère de l’Énergie et des Mines (MEM) pour une demande de permis d’exploration / exploitation minière constitue un indicateur de développement du secteur depuis 2001. À titre d’exemples, le nombre de permis émis pour des projets d’envergure est passé de 26 en 2001 à 36 en 2003 et celui des permis miniers pour petits exploitants est passé de 429 à 640 pour la même période (Yager, 2003). La mise en chantier des premières installations du projet QMM et du projet DYNATEC en 2005, respectivement au sud-est et à l’est de Madagascar, marque aussi un tournant majeur pour l’industrie extractive malgache avec un IDE cumulé estimé à près de 2 milliards USD pour les cinq années suivantes (Ralevazaha, 2005). Le projet QMM comporte à la fois un potentiel économique plus élevé et les effets sociaux et environnementaux les plus importants et c’est pour ces raisons qu’il fera l’objet d’une analyse particulière dans le cadre de cet article. Par ailleurs, d’autres projets d’envergure sont également annoncés tels que celui de la société Ticor Ltd. (ilménite), celui du Pan African Mining Madagascar SARL (uranium et diamants), celui de la Platinum Works Inc. (saphir) ou encore celui de Majescor en partenariat avec le leader mondial De Beers (diamants).
- 6 . Selon le Fonds d’appui du secteur privé à Madagascar, juillet 2000.
12Malgré l’intérêt croissant des investisseurs étrangers pour le secteur minier malgache, la contribution de ce dernier à la production nationale reste marginale avec seulement 3 % du PIB et 1 % des exportations en 20006. Cependant, les données disponibles (1996-2000) montrent que les exportations minières ont été multipliées par deux au cours de cette période, passant de 16 millions USD à 37 millions USD. Ces chiffres restent très en deçà des estimés découlant des exportations illégales qui atteignent de 200 à 500 millions USD annuellement et n’apportent aucun revenu fiscal bien qu’elles représentent environ 10% du PIB (Banque mondiale, 2003b).
13Pour la Banque mondiale, un des principaux obstacles qui empêchent le secteur minier d’atteindre une part plus importante de la production nationale reste la méconnaissance du potentiel réel du sous-sol malgache (Banque mondiale, 2003b). Le gouvernement malgache partage cette lecture et inclut dans la déclaration de la Politique minière du 14 mars 2003 un volet spécifique au renforcement de l’infrastructure géologique et à la mise à jour de l’information géophysique. Sachant que l’essentiel du secteur est occupé par de petits exploitants artisanaux, on peut comprendre que le principal enjeu du point de vue macroéconomique concerne les grands projets miniers qui peuvent faire l’objet d’investissements directs étrangers et dont la production est vouée à l’exportation, c’est-à -dire à l’apport de devises. C’est dans cet esprit que le cadre légal du secteur minier a évolué au cours des 15 dernières années à Madagascar.
14Le cadre légal du secteur minier actuellement en vigueur à Madagascar est le résultat d’une vague de réformes effectuées principalement à la fin des années 1990, dont le Document cadre de politique minière (DCPE), adopté en 1998 dans la foulée du projet de réforme du secteur minier (PRSM), constitue un point d’ancrage important dans l’institutionnalisation des valeurs néolibérales (ministère de l’Énergie et des mines, 2003). Le PRSM, dont l’exercice d’une durée de cinq ans s’est terminé le 31 décembre 2002, visait essentiellement à redéfinir le rôle de l’État dans le secteur par la mise en place de réformes légales et réglementaires en cherchant, notamment, l’augmentation des redevances minières qui représentent environ 2 millions USD par an, avec un faible taux de recouvrement de 10 %. Dans le même esprit, le Projet de gouvernance des ressources minérales (PGRM), qui fait suite au PRSM, lui aussi d’une durée de cinq ans (2003-2008), est cofinancé et appuyé par la Banque mondiale et d’autres bailleurs de fonds bilatéraux tels que les États-Unis, la France, la Chine et l’Afrique du Sud (premier producteur minier du continent). Il mise sur l’amélioration de la gouvernance et de la transparence dans le secteur – au sens néolibéral du terme –, l’appui des opérateurs artisanaux (dans le but d’intégrer leur production à l’économie nationale et, éventuellement, mondiale), la promotion des investissements miniers privés et l’appui de la gestion décentralisée des ressources minières qui constituent autant de valeurs prioritaires au sens de Strange.
15Toutes ces actions s’inscrivent en amont des critères de performance identifiés par la Banque mondiale qui visententre autres l’augmentation de la production déclarée par les opérateurs miniers, la mise en place de plans de développement qui incluent la gestion des ressources minières, l’augmentation de la collecte des redevances minières, l’augmentation des investissements annuels dans le secteur minier et l’augmentation de la valeur des exportations annuelles d’or et de pierres précieuses. La vague de réformes de ce secteur repose également sur l’adoption par Madagascar d’une structure d’économie de marché libérale, c’est-à -dire par la mise en place d’un cadre légal attractif et favorable au développement du secteur privé national par la recherche de l’investissement étranger et par le désengagement de l’État des opérations de production (Banque mondiale, 2003b).
Tableau 3. Les composantes environnementales du cadre légal minier à Madagascar
Lois, Décrets, Arrêtés, Ordonnances (textes de loi)
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Composante environnementale
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Code minier N° 99-022
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-
Chapitre II – Protection de l’environnement (L’obligation pour toute personne physique ou morale de prendre les mesures de protection nécessaires pour minimiser et réparer tout dommage pouvant résulter des travaux conduits dans le cadre de son activité et de se conformer à un Plan d’évaluation environnementale) ;
-
Chapitre III – Les zones d’interdiction (Fixe les zones d’interdiction pour toute activité minière) ;
-
Chapitre IV – Les sanctions (Fixe les sanctions aux contrevenants aux articles des chap. II et III sur la protection de l’environnement) ;
-
Régime des permis miniers (Fixe les obligations environnementales selon le type de permis minier demandé).
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Décret du secteur minier N° 98-394 en application de la Loi sur le code minier
|
-
Met l’accent sur l’objectif de protection de l’environnement et intègre les mesures y afférentes arrêtées par les départements spécialisés en la matière ;
-
Précise la notion d’infraction minière et établit la liste des crimes et des délits, ainsi que leurs sanctions respectives. La protection des droits des titulaires et celle de l’environnement, notamment les aires protégées, constituent le centre d’intérêt de la nouvelle liste des infractions minières.
|
Loi sur les grands investissements miniers N° 020/2001
|
-
Obligation du titulaire du permis minier de respecter la Loi […] sous réserve des dispositions de garantie de stabilité ou de dérogation précisées dans la présente loi et, en particulier, celles du Code minier, de la Charte de l’Environnement Malagasy ainsi que de leurs textes d’application respectifs (art. 111).
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Décret fixant les conditions d’application de la Loi sur les grands investissements miniers N° 2003-784
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-
Obligation pour le titulaire du permis minier de contribuer aux frais de l’étude d’impact environnemental pour tout projet minier allant jusqu’à 333 millions USD (600 milliards MGA) ;
-
Le montant maximal de la contribution est fixé à 378 879 USD (682 millions MGA).
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Décret de mise en comptabilité des investissements avec l’environnement (MECIE) N° 99-954 et N2004-167
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-
Obligation pour les projets d’investissements miniers de faire l’objet d’une étude d’impact environnemental ;
-
Obligation de tenir une audience publique lors de l’évaluation environnementale (implication des communautés locales) ;
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Énumération des conditions et du processus pour obtenir le permis environnemental dans le cadre d’un projet minier ;
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Établissement des règles de conduite et des sanctions pour les contrevenants.
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Arrêté interministériel sur la réglementation du secteur minier en matière de protection de l’environnement N° 12032/2000
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-
Fixe les compétences (les rôles) des différentes instances ou organes gouvernementaux (ministère de l’Environnement et ministère chargé des Mines) relativement à la délivrance du permis environnemental, au contrôle et au suivi des PEE, EIE et PGEP, avec l’aide des comités environnementaux, des communautés territoriales décentralisées et de l’Office national de l’environnement ;
-
Obligation pour le détenteur du permis minier de se soumettre à un EIE avant le démarrage du projet et avant la fin du projet.
|
16L’objectif principal du présent article n’est pas de juger de la validité des valeurs prioritaires néolibérales, mais plutôt de les préciser, d’identifier les structures de pouvoir sous-jacentes et d’insérer l’analyse d’un projet minier dans ce contexte pour mieux saisir les enjeux qui en découlent. La législation minière actuelle à Madagascar s’inscrit donc dans la mise en place de structures fondamentales pour le secteur, dont les réformes sont menées principalement par des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, comme la Banque mondiale, dans le but de donner un cadre juridique favorable aux grands investisseurs, tout en réduisant leur impact sur l’environnement. Pourquoi considérer l’environnement dans l’investissement minier ? Pour des raisons évidentes – et apparentes – auxquelles une industrie extractive – donc utilisatrice de ressources naturelles non-renouvelables – n’échappe pas (Banque mondiale, 2004b; IIED et WBCSD, 2002). L’environnement fait aussi partie des valeurs prioritaires puisque, nous l’avons dit en introduction, il fait partie des enjeux importants à Madagascar, compte tenu de la richesse de sa biodiversité, de son endémisme élevé et du niveau de dégradation qu’on y observe depuis plusieurs décennies. Un des principaux défis du code minier adopté en 1999, sur lequel s’appuie la Loi sur les grands investissements miniers, est justement de mettre l’accent sur la protection de l’environnement par un ensemble de décrets fixant les conditions d’application de la loi, y compris les conditions d’attribution des permis et les mesures de sanctions en cas de non-respect de ces conditions. Ces composantes environnementales de la législation minière à Madagascar sont résumées au tableau 3.
17La lecture du tableau 3 montre que la réglementation en vigueur régissant le secteur minier à Madagascar est axée sur deux principaux objectifs difficilement conciliables : d’une part, accélérer la croissance du secteur minier afin d’en accroître la contribution à l’économie nationale (attirer les investissements d’envergure en offrant un cadre incitatif comme c’est le cas pour le projet QMM que nous aborderons à la section suivante) et, d’autre part, s’assurer que le développement de ce secteur reste en conformité avec la politique environnementale nationale (par le biais de mécanismes réglementaires spécifique tels que le décret MECIE, l’Arrêté interministériel sur la réglementation du secteur minier en matière de protection de l’environnement ou encore le Code minierqui comporte des articles spécifiques reliées à l’environnement). Le projet de développement minier à Tolagnaro apparaît dans ces conditions comme un « cas école » où le promoteur QMM s’est appuyé sur ce parcours réglementaire pour concilier les deux valeurs prioritaires que constituent la croissance économique et la protection de l’environnement par l’inclusion d’une troisième valeur devenue incontournable, non seulement dans le cadre d’un pays économiquement très pauvre comme Madagascar, mais aussi dans les structures du financement international au cours des années 1990 : la lutte contre la pauvreté.
18Le projet de QIT Madagascar Minerals S.A. (QMM), société anonyme de droit malgache, propose l’exploitation et l’extraction des sables minéralisés dans les sites de Mandena, de Petriky et de Sainte-Luce, de la région d’Anosy au sud-est de Madagascar (figure 1). C’est en 1986 que la société d’État OMNIS (Office des mines nationales et des industries stratégiques) a constitué, avec l’entreprise canadienne QIT-Fer et Titane Inc. (filiale de Rio Tinto plc),une société en coparticipation (QMM) pour explorer la côte est de Madagascar à la recherche de sables minéralisés contenant une source non négligeable de bioxyde de titane, sous la forme de minerai d’ilménite. Les recherches géologiques ont permis de découvrir près de Tolagnaro un gisement de minerai présentant une valeur économique potentielle et dont l’exploitation permettrait, pendant environ 60 ans, d’extraire de l’ilménite et de petites quantités de zircon à partir de ces gisements (QMM, 2001a). Ces conditions contribueraient à réaliser le scénario fort de la Banque mondiale qui vise à multiplier par 20 la production minière à Madagascar et les exportations par 30 à l’horizon 2010, faisant du secteur minier un élément moteur de la croissance économique et un vecteur important d’intégration de la Grande Île à l’économie mondiale (Banque mondiale, 2003b; 1998). Après des évaluations d’impact environnemental auxquelles le projet est soumis par la législation (tableau 3) et malgré ses effets importants sur la biodiversité et la population de la région, le projet a obtenu en 2001 son permis environnemental pour le secteur Mandena, la première phase du projet dont les travaux ont débuté en 2005.
Figure 1.  Zone d’exploitation et d’extraction des sables minéralisés par le projet de QIT Madagascar Minerals S.A. (Source : QMM, 2001a : 1-4.)
19Ce projet s’inscrit non seulement dans le processus de libéralisation de l’économie malgache et des structures législatives que nous avons évoqué dans les sections précédentes, mais son intérêt repose sur le compromis « opérationnel » qu’il propose entre la croissance économique, la protection environnementale et, éventuellement, la lutte contre la pauvreté. La société QMM a profité en cela de l’évolution du discours des principaux bailleurs de fonds internationaux au cours des 20 dernières années et de la forte dépendance du gouvernement malgache du financement provenant de ces institutions. De la stabilisation macroéconomique qui prévalait au début des années 1980, l’ajustement structurel a graduellement intégré comme valeur prioritaire une dimension de lutte contre la pauvreté pour répondre à la critique, notamment celle de l’UNICEF, qui dénonçait les coûts sociaux de l’ajustement (Cornia et Helleiner, 1994; Jolly, 1991). C’est en 1996, au moment où la Banque mondiale faisait de la lutte contre la pauvreté la mission principale de l’ajustement structurel lui-même (Banque mondiale, 1996; Fishlow, 1996), que le gouvernement malgache publiait un Document cadre de politique économique (DCPE), reconduit en juin 1999, annonçant que la réduction de la pauvreté se ferait avant tout par la mise en place d’un environnement socioéconomique favorable à la croissance, c’est-à -dire par la libéralisation de l’économie. Cette stratégie a été reformulée, au début de la décennie, par un plan d’action intitulé Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP), dont les trois principaux axes sont les suivants (Banque mondiale, 2005; 2004c) :
-
améliorer les performances économiques en y faisant participer les pauvres ;
-
développer les services essentiels de base (éducation, santé, eau potable) et élargir les filets de sécurité au profit des couches les plus vulnérables de la population ;
-
mettre en place un cadre institutionnel favorable à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté et renforcer les capacités, afin d’améliorer la gouvernance et les relations entre l’administration et les administrés.
20Cette démarche s’inscrit tant dans le programme de libéralisation que dans la définition du « développement » proposés par la Banque mondiale qui reposent largement sur « l’opportunité à saisir » que représente pour les pauvres la croissance économique, particulièrement en Afrique subsaharienne (Killick, Kayizzi-Mugerwa, Savane et White, 2001; Banque mondiale, 1994). C’est dans cette logique que s’insère le développement du secteur minier à Madagascar, c’est-à -dire dans une relation liant l’économie, l’environnement et la lutte contre la pauvreté, dont le vecteur est la population rurale. Ce « modèle de développement » repose donc sur l’équation voulant que la croissance des exportations contribue à faire reculer la pauvreté tout en protégeant la biodiversité (en offrant à la population rurale pauvre de devenir des salariés), ce qui ne va pas sans poser un certain nombre de questions que nos entretiens exploratoires ont soulevées : Quels secteurs d’exportation doit-on privilégier dans un contexte des termes de l’échange décroissant ? Dans quelle mesure l’utilisation « rationnelle » des ressources naturelles (c’est-à -dire une utilisation économiquement rentable) s’inscrit-elle dans le rapport à l’espace et à la terre qu’entretient le paysan malgache ? Par quels moyens peut-on « convaincre » ce paysan de changer ses méthodes de production et pourquoi ne l’a-t-il pas fait jusqu’à présent ? Comment financer l’achat d’intrants coûteux pour assurer la transition de l’agriculture extensive à l’agriculture intensive ? À Madagascar en général et dans la région de Tolagnaro en particulier, la réponse à ces questions passe par la logique des valeurs prioritaires que nous avons présentées et que le projet QMM contribue à opérationnaliser.
- 7 . Anosy ou nosy, en malgache, signifie « île » et, avant de devenir le nom de cette région du sud-e (...)
21Comme dans la plupart des autres pays d’Afrique subsaharienne, la principale cause de dégradation des ressources naturelles repose sur les hypothèses de « sous-développement » énoncées notamment par la Banque mondiale et qui dénoncent un cercle vicieux entre la pauvreté, la faible productivité agricole et la dégradation de l’environnement (Cleaver et Schreiber, 1998; WRI, 1985). Le débat sous-jacent à ce « diagnostic de Washington » dépasse le cadre du présent article, mais nous retiendrons cependant que la perception du gouvernement et des bailleurs de fonds concernant les vestiges de la forêt littorale touchée par le projet de QMM s’appuie largement sur l’hypothèse qui fait de la population rurale le vecteur principal de dégradation (Sarrasin, 2005b). Selon cette lecture, les ressources forestières subissent une forte pression de la part des villageois, qui dépendent effectivement de la forêt pour le bois de chauffe, le charbon de bois et le bois de construction. Sur le plan écosystémique, la région de l’Anosy7, dans laquelle le projet est mis en œuvre, est composée de deux zones écologiques distinctes, soit humide le long de la côte et aride à l’intérieur des terres, en plus de regrouper sur de courtes distances une très grande diversité de paysages, d’écosystèmes et d’espèces animales et végétales. Ces caractéristiques font de l’Anosy l’une des régions les plus diversifiées de Madagascar et l’un des principaux problèmes de cette région réside justement dans la dégradation de ces ressources. L’évaluation faite par QMM montre par exemple qu’il reste, dans le secteur de Mandena (première phase du projet minier), 3,6 km2 (360 ha) de fragments de forêt littorale dégradée dont l’essentiel devrait avoir disparu d’ici 2020 si l’utilisation des ressources se maintient au niveau actuel (QMM, 2001b : 5.71). Cette lecture a abondamment été utilisée par le promoteur pour minimiser les impacts environnementaux du projet.
- 8  Ce bilan porte sur les différentes processus d’extraction minier : Drague et séparateur flottant ( (...)
Tableau 4. Bilan des impacts et des mesures d’optimisation, d’atténuation ou de valorisation associés à la mine (extraits)8 – projet QMM à Tolagnaro, Madagascar
Composante
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Phase de réalisation
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Synthèse des impacts
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Impact initial
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Mesures d’optimisation, d’atténuation ou de valorisation
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Impact résiduel
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Flore et faune –
Forêt littorale
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Construction
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Perte de couverture végétale et d’espèces fauniques, aux différents sites de construction de l’USM et de la drague
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Impact négatif mineur
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-
Réhabilitation du site de mise en place de la drague
-
Programme de réhabilitation des sites après le démantèlement du complexe de l’usine
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Réhabilitation des abords du seuil déversoir
-
Réimplantation des espèces fauniques
-
Aménagements fauniques
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Impact positif
mineur
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Dérangement de populations animales en périphérie des chantiers de construction dû au bruit
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Impact négatif mineur
|
|
Impact
négatif
mineur
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Exploitation
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Perte d’individus floristiques et fauniques ; perte d’habitats fauniques ;
déplacement d’animaux
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Impact négatif mineur
|
-
Maintien d’une zone de  conservation
-
Réhabilitation des zones exploitées
-
Régénération et propagation in situ des espèces floristiques vulnérables et utiles à Mandena
-
Reboisement in situ et ex situ d’espèces floristiques autochtones
-
Conservation de semences de certaines espèces endémiques, rares ou menacées
-
Réimplantation d’individus fauniques
-
Restauration des habitats fauniques caractéristiques de la forêt littorale
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Impact positif
mineur
|
|
Utilisation du territoire  –
Exploitation des
ressources
agricoles et des
pâturages
|
Construction
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Inconvénients causés aux villageois concernant l’utilisation des zones de pâturage durant la phase de construction, aux différents sites de travaux
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Impact négatif mineur
|
-
QMM se conformera aux procédures prescrites par la législation malgache
-
Remplacement des parcelles agricoles et des pâturages par des superficies équivalentes
-
Programme d’information auprès de la population concernée
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Impact négatif
mineur
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Exploitation
|
Dérangement des activités et du mode de vie des villageois
|
Impact négatif mineur
|
|
Aucun impact
|
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Utilisation du territoire  –
Exploitation des
ressources
forestières
|
Construction
|
Perturbation du mode de vie des villageois et des exploitants des ressources forestières du secteur minier
de Mandena
|
Impact négatif mineur
|
-
QMM se conformera aux  procédures prescrites par la législation malgache
-
Plantation par QMM de 500 ha d’arbres sur 5 ans (2002-2007)
-
Réhabilitation des sites après la phase d’exploitation
-
Programme d’information auprès de la population concernée
|
Impact positif
mineur
|
Exploitation
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Dérangement du mode de vie des populations villageoises de la zone de Mandena relativement à l’exploitation
de la forêt
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Impact négatif moyen
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-
QMM se conformera aux procédures prescrites par la législation malgache
-
Plantation par QMM de 500 ha d’arbres sur 5 ans (2002-2007)
-
Réhabilitation et restauration des aires d’exploitation minière
-
Maintien d’une zone de conservation
-
Réintroduction d’espèces fauniques valorisées
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Impact positif
mineur
|
|
Économie –Emplois locaux
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Construction et exploitation
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Création d’emplois liés à la construction des ouvrages et à l’exploitation du secteur minier
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Impact positif majeur
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-
Embauche de 500 à 1000 travailleurs pour la construction des différents ouvrages
-
Objectif d’embauche d’au moins 35 % de la main-d’œuvre de construction à Madagascar ; création de 500 à 600 emplois permanents et de quelque 1100 emplois indirects en phase d’exploitation
-
Objectif d’embauche d’environ 80 % de main-d’œuvre malgache pendant l’exploitation
-
Programmes de formation de la main-d’œuvre locale de type « chantier-école »
-
Recours à des fournisseurs locaux
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Programme d’information auprès des intervenants concernés
|
Impact positif
majeur
|
Économie -
Foncier et
immobilier
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Exploitation
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Rareté et hausse des prix des logements existants à Fort-Dauphin, par suite de l’insertion d’environ 600 employés dans les divers quartiers de la ville
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Impact négatif moyen
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-
Ententes avec des promoteurs locaux pour assurer la construction de logements et des services connexes (eau, électricité, etc.) pour les employés de QMM, en respectant les orientations de développement de la ville de Fort-Dauphin
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Programme de communication régionale et nationale pour éviter un surplus de migrants de l’extérieur de la région en quête de travail
|
Impact négatif mineur
|
Source : Adapté du tableau 5.25 : Bilan des impacts et des mesures d’optimisation, d’atténuation ou de valorisation associés à la mine, QMM (2001b : 109-117)
22Le processus d’exploitation des sables minéralisés proposé par QMM se décline en quatre étapes principales, soit (QMM, 2001a : 4.12) :
-
l’extraction minière, qui comprend les opérations d’extraction par dragage du sol et de séparation des grains de sable d’ilménite et de zircon (soit 5 % du volume de sable total) des grains de sable de silice ;
-
l’utilisation d’une usine de séparation où les minéraux d’ilménite et de zircon sont triés à l’aide de spirales et de séparateurs électrostatiques et magnétiques ;
-
 le transport pour l’acheminement des minéraux du site minier vers l’usine de séparation, puis de l’usine vers le port ;
-
l’exportation des minéraux à partir des infrastructures portuaires.
23Toutes ces étapes comportent des impacts, autant sur les milieux physique et biologique qu’humain et s’inscrivent à la fois durant la phase de construction (port, infrastructures) et la phase d’exploitation (extraction des sables et séparation des minéraux), en s’échelonnant sur une période qui pourrait aller jusqu’à 60 ans (QMM, 2001b : chapitre 5). Le tableau 4 présente un extrait de certains de ces impacts, tels qu’ils sont présentés par le promoteur, au cours des étapes de construction et d’exploitation. Ce bilan, qui touche les dimensions économiques, sociales et environnementales du projet, est le résultat de l’évaluation d’impact figurant dans la législation minière que nous avons présentée.
24Le tableau 4 résume l’aboutissement d’un processus qui a duré près de dix ans et au terme duquel QMM a proposé, pour chaque impact négatif, des mesures d’atténuation qui placent le projet minier comme une réponse aux problèmes de « développement » de Madagascar en général et de la région de Tolagnaro en particulier. En fait, l’évaluation d’impact environnemental a permis de faire du projet un élément qui s’inscrit dans la structure fondamentale du secteur (le cadre législatif que nous avons présenté), c’est-à -dire une action reconnue comme étant nécessaire au développement de la région – dans le respect des valeurs prioritaires que représentent la croissance économique, la lutte contre la pauvreté – et à la préservation des ressources naturelles. Nos entretiens exploratoires réalisés auprès des gestionnaires locaux et régionaux (Conseil régional de développement, Secrétariat général de la région de l’Anosy en particulier) qui ont participé au processus d’évaluation environnemental suggèrent que les impacts présentés comme étant généralement positifs pour la région sont le résultat de compromis entre QMM et les intervenants malgaches dans le but de mobiliser la population en faveur de la mise en œuvre du projet. Cela explique que certains impacts qualifiés de « négatifs moyens » deviendront éventuellement « mineurs » ou même « positifs » pour la région. L’objectif de cet article étant d’identifier par quels mécanismes le projet QMM a pris la forme d’un projet de développement national de lutte contre la pauvreté et de protection de l’environnement, nous pouvons affirmer que les structures fondamentales de pouvoir que représentent les législations minière et environnementale ont été instrumentales dans l’aboutissement des compromis entre le gouvernement malgache et Rio Tinto, par l’intermédiaire de QMM.
- 9 .» Avec un chiffre d’affaires annuel de 69 millions de dollars US, l’apport en devises du projet à (...)
- 10 . Profits nets de 5,215 milliards USD en 2005, selon le rapport annuel de la société pour cette pér (...)
25Les moyens utilisés pour attirer les investissements étrangers montrent que la convergence des intérêts entre Rio Tinto et le gouvernement malgache passe notamment par la fiscalité. En termes de recettes fiscales et douanières, l’État devrait pouvoir compter sur des revenus de l’ordre de 7 à 15 millions USD par année sous forme de taxes, de droits de douane et de redevances minières, lorsque l’exploitation aura atteint sa vitesse de croisière de 750 000 tonnes par année, selon l’évaluation de QMM. En plus de ces revenus fiscaux, les dividendes annuels provenant de l’OMNIS pourraient atteindre 6 millions USD après 10 ans d’exploitation9. Au-delà du débat sur le pourcentage de redevances qui représentent un montant dérisoire par comparaison des bénéfices obtenus par Rio Tinto10, les prévisions de QMM n’offrent aucune garantie de revenus à l’État, sachant que la fluctuation du cours des matières premières pourrait remettre en cause la viabilité du projet à moyen ou long terme.
- 11 . Le financement associé au Groupe de la Banque mondiale se réalise à Madagascar principalement par (...)
26Quel intérêt le gouvernement peut-il trouver dans ce projet compte tenu des faibles – bien que non négligeables – retombées fiscales pour le pays ? Une partie de la réponse réside dans les valeurs prioritaires que partagent le gouvernement malgache et Rio Tinto à travers la création de QMM. La Banque mondiale a largement contribué à insérer le projet d’exploitation minière comme une partie intégrante du « modèle de développement » que nous avons évoqué plus tôt. Dans ces conditions, le projet ne résulte plus seulement de l’initiative privée d’une société multinationale à laquelle l’État malgache peut s’associer ou non, mais s’inscrit plutôt comme une réponse incontournable aux problèmes de développement de Madagascar et, plus particulièrement, aux problèmes de pauvreté et de protection / réhabilitation de l’environnement. Dans la mesure où la Banque mondiale est l’un des principaux bailleurs de fonds de Madagascar11, on comprend que le gouvernement devait rapidement trouver son « intérêt » et sa participation à la création de QMM témoigne de sa mobilisation pour le projet. Les entretiens effectués auprès des employés de la « section environnementale et sociale » de QMM, ainsi que la visite du site minier de Mandena, ont montré que le promoteur avait utilisé la longue période d’évaluation environnementale (1989-2001) pour faire connaître le projet, faire des essais de réhabilitation des écosystèmes potentiellement affectés par les activités minières et obtenir des appuis à tous les paliers du gouvernement malgache.
27Si les promoteurs (le gouvernement malgache et Rio Tinto par le biais de QMM) affichent une cohérence fonctionnelle basée sur un « modèle de développement commun », la position et l’intérêt de la population rurale ne sont pas aussi clairs. L’hétérogénéité et le manque de ressources ne permettent pas à cette population d’avoir une position claire et unifiée face au projet et cela nuit à leur influence dans l’élaboration des actions d’atténuation des effets et à la mise en œuvre de celles-ci. Un écart entre la définition et l’utilisation de l’espace et des ressources, mais aussi entre les valeurs prioritaires des promoteurs et celles de la population rurale constitue une limite importante aux structures sur lesquelles s’appuie la réalisation du projet.
28Bien qu’aucun village ne soit situé sur le gisement d’ilménite que QMM compte exploiter, près de 6000 personnes vivent à quelques kilomètres du secteur de Mandena, la première phase du projet minier (QMM, 2001a : 5). Dans un contexte où la pauvreté est encore plus marquée en milieu rural qu’en milieu urbain, l’agriculture représente la principale source de revenus de 80 % de la population de cette région (QMM, 2001a : 3.8). Dans le secteur Mandena, les terres appartiennent généralement à l’État, mais la population rurale utilise quotidiennement les ressources naturelles pour sa survie, notamment le bois, les plantes médicinales et le miel. Les femmes des villages récoltent les joncs des marécages (mahampy) et en font des chapeaux, des paniers et des nattes, qui procurent un revenu supplémentaire à la famille, si ce n’est pas le seul revenu disponible. Quelques pâturages à zébus sont aussi présents dans la région, mais essentiellement en périphérie du secteur minier. On compte aussi des activités de pêche dans la lagune située le long de la côte, à proximité de Mandena. Comme ailleurs dans la région, les niveaux de santé et d’éducation sont par ailleurs faibles (QMM, 2001a : section 3.3).
- 12 . Article 238 du décret d’application.
29Ces conditions permettent de mieux comprendre l’importance de la complémentarité des valeurs prioritaires (croissance – environnement – pauvreté) comme vecteur d’acceptation du projet à tous les paliers des intervenants malgaches. Dans un premier temps, le code minier12 prévoit déjà que 70 % des redevances minières doivent retourner aux régions, c’est-à -dire aux provinces autonomes. À moins de dispositions contraires au code minier,le tiers de cette part (23 % du total) sera redistribué aux communes où se trouve le site de l’exploitation. Dans la logique du « modèle de développement » utilisé par les promoteurs, les retombées positives du projet pour la région en matière de réduction de la pauvreté dépendent nécessairement de la part des revenus générés qui sera affectée à la réalisation des besoins essentiels de la population, notamment en santé, en éducation et en infrastructure. Cela dépend aussi du respect par Rio Tinto et QMM, et leurs principes directeurs (QMM, 2001a : chapitre 4), suivant lesquels la société doit prendre des mesures précises pour que ses investissements contribuent à la réduction de la pauvreté. Bien que l’argumentaire utilisé par les promoteurs pour intéresser la population rurale repose sur des objectifs explicites de lutte contre la pauvreté, les effets bénéfiques du projet en cette matière sont non seulement tout à fait hypothétiques, mais reposent essentiellement sur une obligation morale de protéger l’environnement et l’impératif d’être un « bon citoyen corporatif ». Les responsables de QMM rencontrés à Antananarivo référaient d’ailleurs constamment aux engagements pris par l’entreprise en matière de développement durable, citant l’exemple sud-africain de Richards Bay Minerals et les efforts consentis par Rio Tinto pour aider les populations pauvres à « saisir l’opportunité » offerte par le projet (Rio Tinto, 2002). La sensibilité environnementale de la société minière britannique est d’autant plus vive qu’elle a largement été critiquée pour son manque d’éthique sur plusieurs de ses sites miniers à travers le monde au cours des dernières années (Friends of the Earth, 2004; WDM, 1999; WRM, 1998). Le projet QMM apparaît donc pour Rio Tinto comme une occasion de changer sa réputation en faisant de son premier projet à Madagascar un exemple de « bonne pratique » pour l’industrie… dans les limites des valeurs prioritaires que nous avons présentées dans le présent article.
30Le gouvernement malgache étant impliqué directement dans la promotion du projet, les pouvoirs régionaux, locaux et municipaux ont saisi rapidement l’occasion qu’offrait le projet de financer la construction et la réfection de certaines infrastructures avec l’appui actif de la Banque mondiale. L’appui de l’institution à la création d’un pôle intégré de croissance dans la région a largement contribué aux dimensions structurantes du projet minier. Dans ces conditions, le groupe social dont l’appui est le plus fragile demeure la population rurale. Nos entretiens exploratoires ont montré que, au final, la perception, l’occasion ou le problème que représente le projet minier s’établit au niveau de l’individu qui, dans un contexte de survie, est disposé à faire bien des compromis pour améliorer ses conditions. Cependant, des caractéristiques et des perceptions communes à l’ensemble de la population rurale nous permettent d’insister non seulement sur la pertinence d’un tel groupe, mais permettent d’identifier certaines limites à la mobilisation en faveur du projet. Un de ces aspects concerne la relation qu’entretient la population rurale avec son environnement, c’est-à -dire son espace de vie. Dans les zones rurales de Madagascar, l’espace n’est pas seulement habité, utilisé, mais il est aussi objet de pensée, matière et source de systèmes de représentation qui, à leur tour, modèlent les perceptions, les attitudes et les comportements. Cela signifie que le projet de QMM s’intègre dans un univers spatial sur lequel s’est appliquée la pensée d’une culture et qui, par ailleurs, est l’un des déterminants de celle-ci. Compte tenu de cette perception de l’espace, les changements apportés par le projet minier, en modifiant et en remodelant l’espace, ont des effets sur l’univers social, culturel et économique des populations (QMM, 2001a : 3.35). Parmi les craintes, on trouve le rapport aux lieux fady (tabous) qui touche directement la relation entre les espaces physiques et spirituels, dont les ancêtres sont le vecteur (QMM, 1992 : 225). Cela constitue certainement une valeur prioritaire pour la population rurale qui semble difficilement conciliable avec celles des promoteurs du projet.
31L’autre frein potentiel à la mobilisation est de nature économique, c’est-à -dire directement lié à la logique des promoteurs. Nous avons déjà évoqué le fait que les familles rurales complètent leur revenu par la vente de roseaux (mahampy). Ce revenu est d’autant plus important qu’il est souvent le seul entre les récoltes qui permette d’acheter de la nourriture et d’autres biens de première nécessité. Malgré les aménagements réalisés par l’équipe « environnementale » de QMM pour compenser la perte de ces espaces, la crainte de perdre l’accès au mahampy a été soulevée de façon systématique par la population rurale lors des consultations qui ont précédé l’étude d’impact (QMM, 2001a : 3.41) et témoigne des enjeux que soulève le projet pour la région : il ne suffit pas d’investir massivement dans des équipements et des infrastructures – dont les impacts sociaux et environnementaux sont par ailleurs importants – pour créer des emplois (spécialisés ou non-spécialisés) que très peu de villageois seront en mesure d’occuper. La logique des valeurs prioritaires sur lesquelles repose le projet est ainsi rompue : si la population rurale pauvre n’est pas en mesure de tirer profit des opportunités que présente le projet, notamment en termes d’emplois, elle ne sera pas en mesure d’améliorer ses conditions de vie, facteur essentiel au recul de la pauvreté, mais aussi – dans la logique des promoteurs – à la protection des ressources naturelles.
32Cette situation est exacerbée par le problème, potentiellement explosif, d’installer au moins 800 travailleurs étrangers (principalement sud-africains) lors de la phase de construction dans une zone qui compte plus de 3000 jeunes au chômage. Bien qu’il soit possible et souhaitable que le projet de QMM crée des emplois pour la population de Tolagnaro, les attentes créées par les promoteurs du projet pour convaincre les différents groupes d’acteurs qu’ils peuvent y trouver leur intérêt semblent démesurées. Loin de permettre la mobilisation, les arguments évoqués pour insérer le projet dans un « modèle de développement » qu’il serait même difficilement en mesure de servir apparaissent comme une source de blocages potentiels pour la mise en œuvre du projet. L’équation utilisée par les promoteurs – avec l’appui de la Banque mondiale notamment –, qui présentent le projet comme une source d’emplois et de revenus fiscaux, est déjà difficile à accomplir, mais de présenter un projet minier comme une source de protection des ressources naturelles montre jusqu’à quel point les différents acteurs impliqués ont eu de la difficulté à se comprendre et à s’entendre au cours des 20 dernières années, malgré les multiples tentatives en ce sens.
33L’objectif de cet article n’était pas de poser un jugement sur le bien-fondé d’un projet de développement minier à Madagascar et d’en présenter tous les enjeux. Il visait cependant à comprendre pourquoi et comment un projet d’investissement privé a pris l’ampleur d’un projet de développement national, de lutte contre la pauvreté et de protection de l’environnement. La principale question posée par les acteurs du projet d’extraction d’ilménite à Tolagnaro est d’apparence simple, mais elle est riche d’interprétation et d’attentes ; elle permet aussi aux groupes susceptibles d’influencer les structures fondamentales de pouvoir de la conceptualiser en fonction de leurs intérêts : comment développer une région et un pays ? Nous avons montré de quelle manière la réponse proposée s’inscrit dans l’esprit d’un « diagnostic de Washington » qui met en relation la faible productivité agricole, la pauvreté et la dégradation des ressources naturelles. Le processus sous-jacent ne s’est donc pas résumé à répondre à la question des moyens pour développer la région de Tolagnaro, mais a proposé un ensemble d’hypothèses sur les valeurs prioritaires et les structures fondamentales de pouvoir qui en découlent. Cette démarche nous a aidé à mieux comprendre comment ces valeurs ont permis aux promoteurs de présenter le projet d’extraction minière comme une opportunité que chaque groupe était invité à saisir.
34Notre analyse a aussi montré qu’il existe un écart considérable entre les conditions de vie – en relation avec la terre et l’espace notamment – quotidiennement vécues par les paysans malgaches et les points de vue hautement rationalisés des discours tenus par les promoteurs, autant malgaches qu’étrangers. Dans de telles conditions, la participation et l’appropriation des problèmes et des solutions face à la pauvreté, à la production agricole et à la dégradation des ressources naturelles sont-elles possibles dans une relation Nord/Sud où les ressources des acteurs sont particulièrement inégales et les références ne sont pas communes ? Cela pose la question très générale de la coopération, des intérêts et des objectifs qu’elle sert et de sa capacité à contribuer aux intérêts du pays bénéficiaire, en dehors de l’élite nationale.
35Comme nous l’avons montré dans cet article, le « modèle de développement » dans lequel s’insère le projet minier de QMM à Tolagnaro repose sur l’équation voulant que la croissance des exportations contribue à faire reculer la pauvreté tout en protégeant la biodiversité. Aucun pays d’Afrique subsaharienne n’est actuellement en mesure d’échapper à cette logique. La Banque mondiale, par l’intermédiaire du projet de réforme du secteur minier, a contribué à la mise en place d’un cadre réglementaire favorisant les investissements privés à Madagascar, en accord avec la politique de libéralisation de l’économie dont les objectifs explicites visent à transformer le rôle de l’État dans le secteur, de l’opérateur qu’il était à celui de régulateur et de promoteur, ce qui suggère qu’un affaiblissement dans l’arbitrage d’intérêts en dehors des valeurs prioritaires fonde les structures du pouvoir. Le cas malgache est symptomatique des conditions dans lesquelles évolue le secteur minier en Afrique subsaharienne, considérant que « [l]e principal objectif de l’intervention des bailleurs de fonds dans le secteur minier en Afrique – qu’il s’agisse d’assistance technique ou de financement des investissements – devrait être de faciliter l’investissement privé et d’aider à atténuer, pour l’investisseur privé, les risques inhérents au pays et au projet » (Feeney, 1999 : 326, cité dans Banque mondiale, 2002)13. Dans quelle mesure les acteurs impliqués en amont ou en aval d’un projet minier peuvent-ils faire valoir des intérêts concurrents au modèle dominant dans ces conditions ? Notre analyse a montré que la population rurale est souvent placée dans le rôle insupportable d’être à la fois la cause des problèmes et les principaux bénéficiaires des solutions qui font d’un projet comme celui de Tolagnaro, une opportunité nécessaire à leur survie, bien que leur condition laisse peu de chances de la saisir. Leur mobilisation restera cependant toujours un enjeu à long terme dans la mesure où, ayant eu peu de place dans l’identification des problèmes dits de « développement », ils se méfieront des solutions proposées.
36L’auteur est chercheur associé au Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique de l’Université du Québec à Montréal. Il remercie le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture dont l’appui financier a rendu possible la recherche dont cet article rend compte. Il remercie également Haja Ramahatra pour sa contribution à la recherche des renseignements sur lesquels s’appuie cet article. Une version abrégée de cette analyse a été publiée dans le numéro 221 (2007) de la revue Afrique Contemporaine.