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Dossier : L'Afrique face au développement durable

Maîtrise de l’eau et développement durable en Afrique de l’ouest : de la nécessité d’une coopération régionale autour des systèmes hydrologiques transfrontaliers

Frédéric Julien

Abstracts

In West Africa as elsewhere, human control over water resources is an essential element of sustainable development. In the region, this control means the exploitation of resources widely transboundary by nature and international water conflicts in West Africa can consequently be understood as obstacles to sustainable development. Conversely, achieving sustainable development in West Africa would demand a certain level of regional cooperation, but identifying the patterns of regional water conflict and cooperation could require a level of analysis above the typical river basin level. The concept of a “hydropolitical complex” is therefore proposed to this end.

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Introduction1

  • 1  Au long de cette communication, le genre masculin est utilisé à titre épicène.

1Diverses conceptions du « développement » d’un pays ont été énoncées au fil des décennies en sciences sociales et plusieurs indicateurs de celui-ci proposés. Aucune de ces conceptions ne fait l’unanimité et pas un indicateur n’est exempt de lacunes. Malgré les difficultés théoriques, il reste possible d’affirmer sans soulever de controverse que les sociétés ouest-africaines sont pauvres parmi les pauvres et donc en urgent besoin de développement socioéconomique durable. Ainsi, alors que la majorité des pays dits « les moins avancés » sont africains, la plus grande proportion de ceux-ci se trouve en Afrique de l’Ouest (Nyong et Fiki, 2005).

2Au cœur de ce développement durable nécessaire au bien-être des sociétés ouest-africaines se trouve, entre autre, la maîtrise humaine des ressources en eau (PME, 2000). Or, l’Afrique de l’Ouest est relativement bien dotée en ressources hydriques et son développement socioéconomique est justement entravé par le genre de problèmes résolubles en partie grâce à une meilleure maîtrise humaine de l’eau (e.g. les sécheresses répétitives du Sahel ou la dépendance de certains pays à l’aide alimentaire internationale).

3Dans cette communication, il sera donc présenté une évaluation de l’impact général en regard à son développement durable de la faible maîtrise de l’eau caractérisant actuellement l’Afrique de l’Ouest. Le morcellement de la ressource entre les territoires de plusieurs États est ensuite analysé en tant qu’obstacle à un tel développement qui serait organisé autour d’une meilleure maîtrise et gestion de l’eau. Finalement, est posée la pertinence de recourir à un niveau d’analyse situé au-dessus de celui usuel du bassin versant pour apprécier la dynamique régionale induite par le partage multiple de systèmes hydrologiques transfrontaliers. Plus précisément, il est suggéré de conceptualiser l’Afrique de l’Ouest comme un « complexe hydropolitique » (Turton, 2003a; 2003b; Turton et Ashton, 2004; Ashton et Turton, sous presse).

De l’eau pour le développement durable…

  • 2  Il est d’ailleurs à noter que le dernier Rapport mondial sur le développement humain des Nations U (...)
  • 3  Karl Wittfogel a publié en 1957 une étude devenue classique, Oriental Despotism: A Comparative Stu (...)
  • 4  Tel qu’énoncé originellement dans le rapport Brundtland, le développement durable « […] est un dév (...)

4La maîtrise humaine des ressources en eau, comprise ici comme la capacité des sociétés à mobiliser et contrôler l’eau (douce) à travers l’espace et le temps, représente un formidable outil de développement socioéconomique durable2 (Grey et Sadoff, 2006). Il n’est donc guère étonnant que ce soit presque toujours le long des fleuves et rivières que les hommes se soient établis et que de grandes civilisations furent étroitement liées à la mise en valeur d’un cours d’eau majeur (e.g. l’Égypte du Nil ou les Sumériens du Tigre et de l’Euphrate). En fait, ce n’est que la technologie du dernier siècle qui permit d’importantes installations humaines à la fois permanentes et éloignées de l’eau (Sadoff et Grey, 2002). Élément central de l’écologie de la planète, symboliquement et culturellement signifiante, l’eau a également influencé l’organisation sociale, économique et politique de l’humain – des « sociétés hydrauliques » de Wittfogel aux waterschappen néerlandais3. Aujourd’hui, au-delà de son rôle structurant historique, la maîtrise humaine des ressources en eau se pose comme vecteur de développement durable4via au moins trois grandes résultantes.

5Premièrement, elle est essentielle à la survie et au développement social des populations humaines dans les économies politiques modernes, alors que leurs effectifs et leurs densités ne permettent plus à chaque individu d’aller s’abreuver directement au ruisseau ou de se laver à même la rivière. Sans une maîtrise technique et collective des ressources hydriques, les sociétés deviennent donc minées par les conditions d’hygiène difficiles, les installations sanitaires déficientes et les maladies hydriques; les individus qui les composent doivent de plus dépenser temps et énergie pour s’assurer d’un approvisionnement minimal. La maîtrise humaine de l’eau sert donc de support au développement socioéconomique d’un pays en améliorant la santé de ses habitants (Phillips et coll., 2006) (en tant que tels, mais aussi en tant qu’agents socioéconomiques) et en les libérant d’une tâche exigeante. Au surplus de constituer en soi un objectif de développement durable, la distribution d’eau collectivement organisée pour usage domestique signifie ainsi améliorer la disponibilité d’une force de travail (social et économique) afin de servir la poursuite de ce développement.

6Deuxièmement, la maîtrise des ressources hydriques est essentielle à la survie et au développement des économies modernes en raison de deux fonctions de production de l’eau : de biomasse et industrielle (Falkenmark et Lundqvist, 1995). En ce qui a trait à la fonction de production de biomasse, son importance tient surtout à l’agriculture irriguée qui permet à de nombreux États de nourrir leur population grâce à une augmentation des productions devenue nécessaire dans un contexte de croissance et de densification démographiques (ou d’une importante population stabilisée et urbanisée). C’est ainsi qu’environ 40 % des récoltes mondiales proviennent des quelques 17 % de terres agricoles sous irrigation (Postel, 2000). Au demeurant, l’agriculture est de loin le secteur d’utilisation prélevant le plus d’eau (versus les secteurs domestique et industriel), alors qu’elle est globalement responsable de 70 à 75 % des ponctions (Lasserre et Descroix, 2002). Pour ce qui est de la fonction de production industrielle de l’eau, de grandes quantités de la ressource sont également nécessaires à l’industrie pour divers procédés, notamment l’ébullition, le nettoyage, la climatisation, le refroidissement, la transformation, le transport et la production énergétique. En fait, l’industrialisation telle qu’on la connaît (son expansion comme son simple maintien) est tout simplement impossible sans un accès continu à de substantielles quantités d’eau douce (Butts, 1997).

7Troisièmement, la maîtrise de l’eau est essentielle à la protection des populations et de l’économie contre les évènements hydrologiques extrêmes (sécheresses et inondations), c’est-à-dire lorsque l’eau peut devenir source de mort plutôt que de vie (Grey et Sadoff, 2006). En fait, ces évènements se comportent en agents destructeurs de ce que la maîtrise de l’eau amène et brisent les possibilités de développement durable en forçant périodiquement un retour à la case départ. Parce que si « faire durer » le développement signifie l’encadrer pour ne pas qu’il détruise les écosystèmes dont il dépend lui-même, cela veut également dire l’empêcher de s’effondrer. Il y a donc nécessité de régulariser les conditions hydrologiques ambiantes par la maîtrise de l’eau pour permettre au développement de se poursuivre. Par ailleurs, la protection contre les évènements hydrologiques extrêmes bénéficie aux économies que ceux-ci se matérialisent ou non. En effet, la stabilité des approvisionnements amenée par la maîtrise de l’eau diminue le risque économique et est donc de nature à favoriser les investissements, domestiques comme étrangers (Sadoff et coll., 2002).

… en Afrique de l’Ouest5

  • 5  Définie ici d’un point de vue hydropolitique et selon la proposition de Turton et coll. (2005) : B (...)
  • 6  Calcul de l’auteur selon les données hydrologiques de la Food and Agriculture Organization (FAO, 2 (...)

8Au sujet de la maîtrise de l’eau comme vecteur de développement, le Comité aviseur technique pour l’Afrique de l’Ouest du Partenariat mondial de l’eau se fait très clair : « The importance of water for socio-economic development cannot be over emphasized » (PME, 2000). L’Afrique de l’Ouest est relativement bien pourvue en ressources hydriques avec plus de mille milliards de mètres cubes d’eau douce renouvelés chaque année à travers le cycle hydrologique normal de la région (Niasse, 2005). Même en s’en tenant aux ressources renouvelables internes (i.e. celles générées à partir des précipitations endogènes) et donc en excluant le ruissellement entrant en Afrique de l’Ouest depuis, par exemple, la République centrafricaine et le Cameroun, chaque Ouest-africain disposait statistiquement en 2005 d’environ 4 059 m3/a.6 Or, il est largement admis qu’au-delà de 1 700 m3/a, le développement d’une société n’est théoriquement pas contraint par un problème d’accès à l’eau (Lasserre et Descroix, 2002). Au surplus, la pression sur la ressource est pour l’heure faible avec un taux d’utilisation (ratio entre les prélèvements annuels et la ressource renouvelable disponible) d’entre un et trois pourcent seulement. Ce taux pourrait par contre être multiplié par six à l’horizon 2025 en raison surtout de l’augmentation démographique (Niasse, 2005). À titre de comparaison, Peter Gleick (1993) du Pacific Institute for Studies in Development, Environment, and Security a placé le seuil d’inquiétude à un ratio demande/dotation d’un tiers.

9Ce faible taux d’utilisation des ressources en eau peut être vu à travers la notion d’une « mission hydraulique » ouest-africaine qui en est encore à ses débuts. La mission hydraulique d’un État correspond à la mise en valeur des ressources hydriques du pays dans le cadre d’un contrat hydro-social implicite entre les gouvernants et les gouvernés (Turton, 2004). Les ingénieurs sont alors mobilisés pour satisfaire les besoins des trois grands secteurs d’utilisation de l’eau : domestique, agricole et industriel. Ces besoins sont d’abord comblés par une augmentation de l’offre, principalement à travers la construction d’infrastructures telles que des aqueducs, des réservoirs et des centrales hydroélectriques (Turton, 2003b). Maintenant, il importe de relever que la notion de mission hydraulique est largement dérivée de l’expérience du monde industrialisé (Allan, 2003), notamment celle du développement hydraulique de l’Ouest états-unien (cf. Reisner, 1993). Elle n’est donc pas une simple étape dans un processus de développement standardisé et des contextes socioéconomiques ou hydrologiques différents peuvent appeler à des opérationnalisations fort variées de la notion de mission hydraulique. Ainsi, les sociétés qui ont développé leur économie via des projets d’ingénierie de grande envergure l’ont généralement fait dans des conditions climatiques tempérées (Biswas et Tortajada, 2001) et avec la participation de populations relativement enclines à s’approprier ce type de technologie. En comparaison, l’Afrique de l’Ouest est caractérisée par une grande variabilité climatique (Niasse, 2005) et des populations plus en phase avec leur milieu naturel (e.g. de par l’importance de la culture de décrue ou du pastoralisme semi-nomade) dont la situation socioéconomique les dispose peut-être moins à bénéficier d’un mode de développement par grands projets. La mission hydraulique d’un État (et la maîtrise de l’eau en général) peut dont s’exprimer de multiples façons, du réservoir collinaire au grand périmètre irrigué, en passant par les puits à exhaure animale.

10Alors que la mission hydraulique des pays industrialisés est largement achevée (Allan, 2005), les infrastructures de base manquent cruellement à l’Afrique de l’Ouest où le niveau de maîtrise de l’eau est « particulièrement faible » (Niasse et coll., 2004a) : le potentiel de développement durable par une meilleure maîtrise de l’eau est donc là.Toutefois, il convient de préciser que la réalisation de la mission hydraulique des États ouest-africains ne relève pas d’une logique purement mécanique où il suffirait de distribuer des ressources attendues par les populations. Effectivement, des schèmes d’utilisation mettant en valeur la ressource maîtrisée doivent être développés dans le cadre d’une vision à long terme et en étroite collaboration avec les populations locales. Niasse et coll. (2004b) rappellent par ailleurs que la maîtrise de l’eau n’est pas qu’une question d’infrastructures physiques :

Pour être viable, toute politique de développement des ressources en eau à travers la réalisation d’infrastructures hydrauliques et hydroagricoles doit s’accompagner d’une politique de mise en place d’infrastructures institutionnelles appropriées, c’est-à-dire des structures de gouvernance qui permettent la gestion rationnelle et durable des ressources en eau et des infrastructures physiques qui pourraient être construites. Ces infrastructures institutionnelles déterminent pour une grande part l’efficacité dans l’allocation et la protection des ressources en eau entre les différents acteurs aussi bien au niveau national que sous-régional et partant, la manière dont la ressource sera mise au service du développement du continent [africain].

  • 7  « Cette expression a trait au pourcentage estimatif de la population ayant accès à des sources amé (...)
  • 8  « Cette expression a trait au pourcentage estimatif de la population bénéficiant d'installations s (...)

11Symptôme de cette mission hydraulique balbutiante, la part des Ouest-africains ayant accès à l’eau potable7 ou à des installations sanitaires8 est très peu élevée, alors qu’en 1995 la proportion des populations urbaines qui avaient accès à l’eau potable allait de 92 % (Gambie) à 36 % (Mali) et celle des populations rurales (i.e. la majorité des Ouest-africains) variait de 89 % (Mauritanie) à 8 % (Liberia); de 100 % (Côte d’Ivoire) à 12 % (Sierra Leone) des citadins avaient accès à des installations sanitaires contre de 41 % (Côte d’Ivoire) à 1 % (Guinée) des campagnards. La conséquence est que la santé de la majorité des Ouest-africains est affectée par des maladies reliées à l’eau comme la malaria, l’infestation par le ver de Guinée, le choléra, la typhoïde, la bilharziose, etc. (PME, 2000). Qui plus est, cette situation hygiénique agit dans un contexte de pandémie du VIH/SIDA en Afrique sub-saharienne, une condition médicale qui a pour effet d’affaiblir le système immunitaire et d’ainsi aggraver les conséquences du manque d’accès à une eau de bonne qualité (Ashton et Ramasar, 2002). À la base, la force de travail socioéconomique ouest-africaine est donc handicapée par le faible niveau de maîtrise humaine des ressources hydriques.

  • 9  Entre 2000 et 2005, la population d’Afrique de l’Ouest s’est accrue annuellement de l’ordre de 2,4 (...)

12En plus de la capacité de distribution de l’eau potable aux particuliers, celle au secteur agricole est également déficiente. Le recours à l’irrigation est donc limité en Afrique de l’Ouest : la proportion des terres cultivées sous irrigation y varie de 0,3 % (Togo et Liberia) à 9,4 % (Mauritanie) (Frenken, 2005) contre une moyenne de 17 % à l’échelle mondiale (Postel, 2000). Le rapport des terres irriguées sur celles irrigables va lui de 24,6 % (Niger) à 0,1 % (Sierra Leone) (PME, 2000), montrant un réel potentiel d’amélioration des rendements agricoles. Et ces meilleurs rendements sont nécessaires : avec une population en augmentation rapide – en fait un taux de croissance démographique largement plus élevé que la moyenne du monde dit en développement9 – la production alimentaire ouest-africaine ne peut guère suivre la demande dans les conditions de culture actuelles, notamment dans les pays du Sahel (Nyong et Fiki, 2005). La région dépend encore largement des importations et de l’aide alimentaire, les achats de nourriture à l’étranger accaparant une part substantielle des revenus en devises étrangères, particulièrement en années de faible pluviométrie (PME, 2000). C’est que la majorité de l’agriculture ouest-africaine est une agriculture de subsistance conduite sous pluie et donc complètement dépendante du niveau, fort variable, des précipitations. Au-delà du secteur agricole comme tel, il existe une corrélation entre la pluviométrie annuelle et la croissance économique générale des pays d’Afrique de l’Ouest en raison du poids de ce secteur agricole et de la faiblesse du niveau de maîtrise de l’eau (Niasse et coll., 2004a). En définitive, nonobstant le fait que différentes carences puissent affecter les rendements agricoles en Afrique (e.g. en main-d’œuvre qualifiée, équipements et fertilisants), la faillite dans le contrôle et la gestion des ressources hydriques est clairement une contrainte centrale (Okidi, 1988).

13Cette constatation n’équivaut cependant pas à penser le principal élément de la maîtrise de l’eau en agriculture, l’irrigation, comme une panacée aux problèmes de développement durable de l’Afrique de l’Ouest. En effet, « [c]e qui est apparu longtemps comme un formidable multiplicateur de récoltes (et une assurance antisécheresse) est devenu depuis les dernières décennies un concentré de techniques dont certaines sont très nocives et polluantes, ainsi qu’un procédé qui arrive à épuiser des aquifères, à assécher des rivières, voire à faire disparaître des lacs » (Lasserre et Descroix, 2002). Il n’empêche que manger demeure un besoin impératif de l’Homme et c’est un fait accepté que l’augmentation de la production alimentaire dans le Sahel dépend de l’irrigation puisque l’aridoculture ne peut fournir qu’une partie de la nourriture nécessaire pour soutenir les populations présentes et futures (Gould et Zobrist, 1989). Il conviendrait donc davantage de réformer et d’améliorer l’irrigation agricole plutôt que de carrément arrêter son expansion. Un élément de réorientation souvent suggéré, mais apparemment assez rarement appliqué jusqu’ici, en raison notamment d’un biais des donateurs internationaux pour les « méga-projets », réside dans le basculement vers la « petite irrigation » ou la « petite hydraulique » (de Villiers, 2003). Par « petite », on n’entend pas simplement une réduction des périmètres irrigués et de l’envergure des infrastructures hydrauliques, mais surtout une gestion davantage décentralisée, c’est-à-dire opérée par les usagers eux-mêmes et entraînant donc une participation beaucoup plus active. La petite irrigation est également souvent accompagnée par l’introduction de technologies à coût réduit (pompes à pédales, « drip kits », etc.). Une revue des projets des États africains en matière d’irrigation montre par ailleurs qu’à l’échelle du continent la petite irrigation est le principal type de construction retenu pour les pays cherchant encore à développer leurs superficies d’irrigation (Frenken, 2005). Pour Scudder (1989), un équilibre doit de plus être trouvé entre l’agriculture irriguée et celle sous pluie, sur laquelle devront continuer de s’appuyer indéfiniment la majorité des Africains. Cet équilibre, ajoute-t-il, aura à intégrer de nombreux systèmes de production indigènes tels que la culture des marais et bas-fonds ou la culture de décrue. En fin de compte, pour rendre l’agriculture irriguée à la fois productive et écologiquement soutenable, il est nécessaire de planifier l’irrigation en gardant en tête les besoins et les capacités des populations par qui elle est (ou sera) pratiquée.

14Une plus grande maîtrise de l’eau favoriserait également le développement durable de l’Afrique de l’Ouest par la production d’énergie hydraulique, notamment pour l’industrie. Une faible part du potentiel hydroélectrique de la région est actuellement exploité, alors que son économie consomme généralement de l’énergie de sources non durables et/ou importée. On estime qu’aussi peu que cinq pourcent des possibilités hydroélectriques du continent africain sont mises à profit contre plus de 70 % en Europe (Grey et Sadoff, 2006). Même pour le bassin du fleuve Niger, qui est relativement bien mis en valeur de ce point de vue – particulièrement grâce au Niger Dams Project entrepris dans les années 1960 par le Nigeria qui produit aujourd’hui environ 45 % de toute l’hydroélectricité d’Afrique de l’Ouest (PME, 2000) –, seul 20 % de son potentiel est à ce jour exploité (Besnier, 2005). Or, a priori, l’Afrique (de l’Ouest) n’a pas d’alternative immédiate à l’hydroélectricité comme source d’énergie « propre » pour son développement tant rural qu’industriel (Scudder, 1989). Comme pour les importations de nourriture, celles d’hydrocarbures accaparent une bonne part des revenus en devises étrangères. Même le Nigeria, géant pétrolier et gazier de la région, a intérêt à l’actualisation de son potentiel hydroélectrique en cela qu’il pourrait ainsi libérer des hydrocarbures pour l’exportation et donc augmenter ses revenus en devises étrangères (Gould et Zobrist, 1989).

  • 10  Selon la Commission internationale des grands barrages, un grand barrage correspond à un ouvrage d (...)
  • 11  D’une manière intéressante, Niasse et coll. mentionnent ces données pour mettre en évidence la fai (...)

15Au demeurant, la capacité d’emmagasinage de l’eau en Afrique de l’Ouest est très limitée. Alors que plus de 6 000 grands barrages10 couvrent le territoire des États-Unis et 20 000 celui de la Chine, ce nombre tombe à environ 110 pour l’Afrique de l’Ouest dont la superficie est pourtant semblable à celle des États-Unis ou de la Chine. Peut-être plus probant encore, ces 110 grands barrages représentent moins qu’un dixième des quelques 1 300 grands barrages africains (Niasse et coll., 2004a) quand l’Afrique de l’Ouest correspond à près de 25 % de la superficie du continent.11 De plus, ces chiffres, en donnant un portrait agrégé de la région, masquent l’extrême concentration de la capacité d’emmagasinage des ressources hydriques en Afrique de l’Ouest qui est principalement répartie entre le Ghana, le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Mali (FAO, 2005). Si ces données montrent un problème, c’est parce que l’emmagasinage de l’eau est la seule façon de régulariser l’approvisionnement en situation de variabilité temporelle de la disponibilité hydrique et d’ainsi se prémunir de l’extrême hydrologique de la sécheresse. Les grands barrages ne constituent pas la seule option – ni même nécessairement la plus efficace – pour conserver l’eau (e.g. il y a les petits barrages, plus nombreux et difficiles à répertorier dans une région comme l’Afrique de l’Ouest), mais ils sont un indicateur d’une tendance générale et surtout, ils revêtent une importance particulière pour la région en raison d’une variabilité temporelle interannuelle et inter-décennale de sa disponibilité hydrique (par opposition à une variabilité qui ne serait que saisonnière, par exemple). Afin d’atténuer une telle variabilité, il est essentiel d’emmagasiner de grandes quantités d’eau pour de longues périodes, ce qui nécessite en général des ouvrages très importants (Durand-Dastès, 2005). À l’autre extrême hydrologique, celui des inondations, la maîtrise de l’eau ouest-africaine est également insuffisante, alors que des inondations dévastatrices ponctuent la variabilité climatique régionale. Ainsi, en septembre 1999, des pluies torrentielles conduisirent les autorités nigérianes à ouvrir les vannes de trois barrages, ce qui a entraîné la destruction de 60 villages, des dizaines de morts, près de 80 000 sans-abri et 100 000 hectares de culture détruits. Plus récemment, en janvier 2002, des pluies diluviennes accompagnées d’une vague de froid dans le nord du Sénégal et le sud de la Mauritanie ont causé la mort d’un cheptel de plus de 50 000 bovins et 500 000 petits ruminants, en plus de celle d’au moins 30 personnes (sans compter les cas de suicide ultérieurs) et de la destruction d’au-delà de 20 000 habitations. Et ces évènements hydrologiques extrêmes ne sont pas des phénomènes isolés (Niasse et coll., 2004a).

16Somme toute, en gardant à l’esprit les trois aspects de la maîtrise de l’eau comme outil de développement durable exposés plus tôt (approvisionnement de larges et denses populations humaines, soutien aux productions agricoles et industrielles et protection contre les évènements hydrologiques extrêmes) et constatant la faiblesse de la mise en valeur de la ressource en Afrique de l’Ouest, il devient clair qu’une meilleure maîtrise de l’eau est appelée à jouer un rôle de premier plan dans le développement socioéconomique durable de la région. Crucialement cependant, l’amélioration de la maîtrise de l’eau ne signifie pas se limiter à transplanter en Afrique de l’Ouest des modèles de mise en valeur de la ressource développés dans les contextes spécifiques des pays industrialisés, particulièrement en ce qui a trait aux « méga-projets » de la grande hydraulique qui ne sont pas sans inconvénients, loin s’en faut. Entre autre, « […] ce sont des ouvrages coûteux, notamment en capital et en technologie de pointe, ils transforment profondément l’environnement et dans certaines régions la constitution des lacs qu’ils retiennent a entraîné le déplacement de populations, qui souvent, il est vrai, n’ont pas reçu de compensation convenable au préjudice subi » (Durand-Dastès, 2005). Et puis malgré ces problèmes (et d’autres encore, comme le creusement des inégalités entre ceux qui profitent des grands projets et ceux qui n’en profitent pas), il n’y a aucune garantie de réalisation des bénéfices anticipés, tel que le montre le cas du Maroc où une politique de grands barrages n’a pas réussi à réduire la dépendance alimentaire du pays. Effectivement, les lourds investissements ont dû être compensés par une priorité donnée aux cultures d’exportation à forte valeur ajoutée, cela au détriment des produits les plus consommés par les Marocains (Lasserre et Descroix, 2002). Au demeurant, il reste sur le continent africain beaucoup de possibilités de progrès grâce à la multiplication des petits ouvrages (Durand-Dastès, 2005) et au recours à la « technologie villageoise », dont l’impact est généralement à la fois plus sûr et immédiat que celui de la grande hydraulique (de Villiers, 2003).

Le morcellement de la ressource : une entrave supplémentaire à la maîtrise de l’eau en Afrique de l’Ouest

17Alors que la mise en parallèle des besoins en développement de l’Afrique de l’Ouest et de l’eau comme vecteur de ce développement paraît mener à une solution simple (la construction des infrastructures nécessaires au décollage économique), la mise en valeur des ressources en eau de la région dans une perspective de développement durable fait plutôt face à plusieurs difficultés. Comme pour d’autres questions de développement, on est en présence d’un cercle vicieux : avec des capacités techniques, institutionnelles et financières limitées, les États ouest-africains sont prisonniers d’un équilibre socioéconomique de bas niveau (Sadoff et coll., 2002). Les causes derrière la faible maîtrise de l’eau en Afrique de l’Ouest sont en définitive aussi variées que celles de sa stagnation socioéconomique générale, mais dans le cas précis des ressources hydriques comme base d’un développement durable, un obstacle additionnel se pose : le haut degré de morcellement de cette ressource naturelle entre les territoires des États de la région.

  • 12  Au surplus, de nombreux aquifères sont également de nature transfrontalière. L’UNESCO fournit une (...)
  • 13  Les États riverains de ces bassins ne sont pas nécessairement tous situés en Afrique de l’Ouest. D (...)

18Effectivement, la ressource est largement découpée. Héritage des frontières politiques coloniales, le continent africain est aujourd’hui couvert par 63 bassins versants transfrontaliers (i.e. divisés entre les territoires d’au moins deux États).12 Ceux-ci couvrent les deux tiers de l’Afrique, abritent les trois quarts des Africains et comptent pour 93 % de l’eau douce de surface du continent (Turton et coll., 2006). Or, 25 d’entre eux (40 %) sont situés en partie ou en totalité en Afrique de l’Ouest, alors que cette région compte pour environ 25 % de la surface du continent (Niasse, 2004). Qui plus est, le degré de fragmentation est élevé : le bassin du Niger compte 11 pays riverains, celui du lac Tchad huit, le bassin de la Volta six, le Sénégal quatre, la Gambie trois, etc.13 La Guinée est riveraine à elle seule de 14 bassins versants transfrontaliers (un cas unique en Afrique, sinon au monde); le territoire de la Côte d’Ivoire recoupe quant à lui huit de ces bassins et le Liberia sept (OSU, 2005). C’est donc dire que la maîtrise de l’eau en Afrique de l’Ouest revient à l’exploitation d’une ressource hautement divisée et donc potentiellement contestée.

19Si la gestion des ressources d’un bassin versant génère habituellement des tensions entre différents groupes d’usagers, la situation est encore plus difficile lorsque ceux-ci ne sont pas assujettis à la même juridiction souveraine. Et la difficulté de gestion augmente encore d’un cran lorsque les États partagent plusieurs bassins, comme c’est le cas en Afrique de l’Ouest (Sadoff et coll., 2002). La maximisation des intérêts nationaux immédiats ou des relations diplomatiques difficiles peuvent en effet aller à l’encontre des bénéfices pouvant être tirés d’une gestion coopérative à l’échelle du système hydrologique comme cela a d’ailleurs été le cas par le passé dans la région (Gould et Zobrist, 1989). Les tensions internationales autour de la ressource sont d’autant plus probables qu’en plus d’être nombreux en Afrique de l’Ouest, les bassins versants transfrontaliers constituent bien souvent les premières ressources hydriques des pays qui en sont riverains. Ainsi, les principaux cours d’eau d’Afrique de l’Ouest (Niger, lac Tchad, Volta, Sénégal et Gambie) drainent tous un bassin versant transfrontalier. Ces bassins sont tous d’une primordiale importance pour au moins un de leurs riverains. D’ailleurs, les bassins du Sénégal et du lac Tchad figurent tous deux sur la liste de l’Université d’État de l’Oregon des 17 bassins versants transfrontaliers les plus à risque de conflit international à l’échelle planétaire (Wolf et coll., 2003).

Figure 1. Les bassins versants transfrontaliers d’Afrique de l’Ouest

Figure 1. Les bassins versants transfrontaliers d’Afrique de l’Ouest

Niasse (2004)

  • 14  Une paix positive est davantage qu’une simple absence de guerre. Elle consiste également en des él (...)
  • 15  À ce stade, il convient de préciser qu’au moins sept des 25 bassins versants transfrontaliers d’Af (...)

20Concrètement, une poursuite à courte vue de l’intérêt national et/ou des relations diplomatiques difficiles sont susceptibles de mener à une compétition pour la ressource où chaque État tente de s’arroger la plus grande part possible de celle-ci par des projets de développement unilatéraux, la signature de traités, des menaces ou manœuvres militaires, etc. Ce type de conflit, même s’il reste au niveau politique sans jamais devenir violent, a un coût important, par exemple en termes d’opportunités économiques régionales manquées (Sadoff et Grey, 2002), et ne favorise certes pas l’établissement d’une « paix positive »14, laquelle est nécessaire au développement durable régional (Turton, 2003b). Qui plus est, la conséquence d’un conflit hydrique international est une gestion de système hydrologique en parcelles nationales plutôt que comme système15. Une telle gestion revient à un partage volumétrique de l’eau plutôt qu’un partage des bénéfices qu’on peut tirer de la mise en valeur de la ressource. Or, chercher à maximiser les bénéfices systémiques augmente généralement leur importance totale par rapport à la maximisation pour chaque État des potentialités de sa part de la ressource (Sadoff et coll., 2002). Gérer à l’échelle du système hydrologique, c’est en fin de compte profiter des avantages comparatifs de chaque portion de celui-ci et respecter sa capacité productive totale. Les bénéfices peuvent ensuite être partagés plutôt que l’eau per se. En plus de maximiser les bénéfices pour les riverains, une gestion à l’échelle du système coordonne entre eux les projets de développement et leur évite de (trop) s’influencer les uns les autres. Effectivement, de par la nature mobile de la ressource, tout projet produit des externalités, par exemple en diminuant la quantité d’eau disponible pour les autres riverains (e.g. surpompage d’un aquifère) ou en affectant la qualité de la ressource (débit, turbidité, température, facteur de prolifération d’espèces envahissantes, etc.) (Sadoff et coll., 2002). Il est toutefois opportun de préciser que la coopération interétatique n’est pas en soi un gage de gestion viable d’un bassin versant transfrontalier, mais davantage une condition généralement nécessaire à une telle gestion. Cette importante nuance est d’ailleurs exprimée avec force par Sneddon et Fox (2006) :

Cooperation in and of itself is not the desired end for third-world riparian governments who create transboundary governance institutions; rather, cooperation is perceived as the basis for proceeding with the development of water resources encompassed by basins. This has typically implied significant interventions in the form of hydroelectric dams, large-scale irrigation works, and other infrastructure projects. By focusing on the ways in which cooperation, among sovereign states, over shared rivers can be negotiated and implemented, past research has sorely neglected the fact that ‘cooperation’ over transboundary waters may actually contribute to an intensification of ecological alterations, resource degradation and socioecological disruptions for the people who depend on river basins for their livelihoods. This directly contradicts claims from the international community of ‘water experts’ that cooperation over international rivers will necessarily lead to benefits for river ecosystems.

21Le cas du bassin du fleuve Niger montre bien quant à lui comment un partage conflictuel de la ressource peut être un obstacle à sa mise en valeur au service du développement durable. Le Nigeria, première puissance économique, politique et militaire d’Afrique de l’Ouest, est complètement dépendant des eaux du bassin du Niger. Plus de 60 % du territoire nigérian est couvert par le bassin du Niger et plus de 48 millions de Nigérians y vivent (OSU, 2005). Si les ressources du bassin semblent pour l’heure suffire aux besoins de tous les riverains en termes de disponibilité théorique per capita (4 340 m3/p/a [OSU, 2005]), la pression s’accentue sur la ressource et un développement non coordonné du bassin risque de mener à des projets ayant des impacts les uns sur les autres. Déjà, le Nigeria s’inquiète de projets de développement malien, nigérien et guinéen. C’est que le Nigeria, pays le plus en aval du bassin, est le seul à avoir développé substantiellement les ressources de celui-ci, notamment pour la production hydroélectrique, alors qu’il produit 91 % de toute l’électricité du bassin (Besnier, 2005). Or, une grande partie des aménagements nigérians sont sur le Niger moyen (dont le barrage principal de Kainji), donc avant qu’il ne soit rejoint par son plus important affluent (en provenance du Cameroun), la Bénoué (Besnier, 2005). Conséquemment, le développement du haut Niger ne pourra faire autrement que d’influer sur les investissements passés du Nigeria. Abuja a d’ailleurs exigé une garantie quant au maintien de 90 % du débit actuel du fleuve à sa frontière avec le Niger lors d’une réunion d’information tripartite concernant les projets de barrage du Mali à Tossaye et du Niger à Kandadji. De la même manière, le Mali s’est engagé envers le Niger à ce que le projet de Tossaye permette de maintenir un débit d’étiage de 75 m3/s à l’entrée du territoire nigérien (Besnier, 2005). Or,

[a]u regard de la variabilité passée (baisse de 20 à 50 % des écoulements moyens [entre 1980 et 1995 à la hauteur de Niamey]) et prévisibles [sic.] du climat, on peut se demander si la variabilité et le changement climatiques ne vont pas « prélever » plus d’eau du fleuve Niger que les pays situés en aval […] ne le jugeraient acceptable. Il est même à craindre qu’il y ait méprise et que l’on en arrive à accuser les aménagements en amont pour ce qui relèverait des variations climatiques (Niasse, 2004).

22On voit donc que nonobstant la faible mise en valeur des eaux de ce bassin, des tensions sont déjà présentes et risquent de perpétuer un développement sous optimal du bassin. Le fait que les projets malien et nigérien de Tossaye et Kandadji doivent voir le jour de part et d’autre de la frontière entre les deux voisins est d’ailleurs probant de ce développement non coordonné. Si le bassin du Niger était considéré comme un ensemble, une solution plus cohérente aurait pu être trouvée (Besnier, 2005).

Figure 2. Le Niger moyen.

Figure 2. Le Niger moyen.

Besnier (2005)

Des facteurs aggravants

23Ce défi de la gestion d’une ressource divisée est rendu plus ardu encore par la présence de deux facteurs aggravants : la grande variabilité spatio-temporelle de l’hydrologie de l’Afrique de l’Ouest et les faibles « ressources de second ordre » des sociétés ouest-africaines.

24La grande variabilité spatio-temporelle de l’hydrologie ouest-africaine demande une intervention humaine plus importante pour atteindre un degré suffisant de maîtrise de l’eau (et est donc exigeante en ressources techniques, financières et institutionnelles) par rapport aux hydrologies des climats tempérés (Grey et Sadoff, 2006) sous lesquels opèrent toutes les économies dites développées (Biswas et Tortajada, 2001). En effet, plus la disponibilité des ressources hydriques varie dans l’espace et le temps, plus complexes deviennent les stratégies de régularisation.

Du point de vue spatial, les aires et les distances concernées peuvent aller des quelques centaines de mètres des canaux rayonnant autour d’une petite source ou d’un modeste puits muni d’un système de levage utilisant la force humaine ou animale, aux très longs canaux qui transfèrent l’eau d’un domaine climatique à un autre, ou qui distribuent celle qui est accumulées [sic.] derrière de grands barrages réservoirs. Les déplacements peuvent atteindre des distances dont l’ordre de grandeur est le millier de kilomètres. Du point de vue temporel, il est possible de placer les degrés de correction dans des classes discrètes, en faisant référence aux rythmes climatiques, liés à des phénomènes cycliques [i.e. corrections intra-saisonnières, inter-saisonnières et interannuelles] (Durand-Dastès, 2005).

  • 16  C’est-à-dire moins que ce qui est généralement reconnu comme le niveau de précipitations minimal p (...)

25Or, les plus hauts niveaux de régularisation sont nécessaires en Afrique de l’Ouest. En termes hydroclimatiques, cette dernière peut être divisée en deux grandes zones : le golfe de Guinée au sud, plus humide, et la zone soudano-sahélienne au nord (ou plus simplement, le Sahel), plus aride (Frenken, 2005). Ainsi, « [l]’Afrique de l’Ouest est une région très contrastée du point de vue pluviométrique, avec une nette opposition entre régions bien arrosées et régions arides » (Niasse, 2004). La variabilité spatiale des ressources hydriques en Afrique de l’Ouest s’exprime donc par des ressources mobilisables bien différentes d’un pays à l’autre. Alors que le Liberia peut théoriquement compter sur 66 533 mètres cubes d’eau douce renouvelable par an et par habitant, le Burkina Faso doit développer son économie avec 933 m3/p/a (Frenken, 2005) et la majeure partie de la Mauritanie reçoit annuellement moins de 300 mm de précipitations16 (Frenken, 2005). Qui plus est, ces moyennes nationales pourraient être désagrégées pour montrer un nouvel assemblage de zones plus humides et plus arides. En définitive, ce qui importe c’est la disponibilité de l’eau là où l’on en a besoin – des précipitations suffisantes sur les terres arables, par exemple. Cela n’est pas toujours le cas et seule une maîtrise spatiale de l’eau peut permettre à certaines zones de livrer leur plein potentiel socioéconomique. Ainsi, environ 20 % de l’eau potable de Dakar est acheminée sur 250 km depuis le lac de Guiers alimenté par le fleuve Sénégal, alors que la capitale sénégalaise ne se trouve même pas dans le bassin versant de ce fleuve (Lasserre et Descroix, 2002).

26Dans les cas où il n’y a pas inadéquation entre la localisation des ressources et celle des besoins humains, encore faut-il que l’eau soit disponible au moment désiré, ce qui n’est pas naturellement assuré en Afrique de l’Ouest. Dans sa partie septentrionale, l’eau est plus abondante en août et octobre, alors que de 40 à 70 % de l’écoulement est drainé. Plus au sud dans les zones sub-humides tropicales, cinq à six mois de l’année comptent pour 80 % de l’écoulement. Celui-ci est toutefois mieux réparti dans les zones humides du golfe de Guinée, où cette même proportion de 80 % du ruissellement a lieu sur huit à neuf mois (PME, 2000). Au-delà de cette variabilité « moyenne », la variabilité au niveau local peut être extrême et partant, il en est de même pour la difficulté devant laquelle sont placés les usagers (domestiques, industriels comme agricoles) qui peuvent être assurés d’une chose en l’absence d’une maîtrise de l’eau efficace : tôt ou tard, ils auront trop ou trop peu d’eau à leur disposition. Ainsi, le fleuve Gambie, dans le bassin duquel est entièrement situé le pays qui lui doit son nom, voit son débit varier dans l’année de moins de 4,5 m3/s au plus fort de la saison sèche à 1 500 m3/s ou plus à la fin de la saison des pluies (à la station de Gouloumbo au Sénégal) (Frenken, 2005). Une variation de l’ordre de 33 233 %. En juin 1985, le fleuve Niger s’est asséché à la hauteur de la capitale du Niger, alors qu’il n’y eut temporairement plus d’eau coulant sous le pont Kennedy à Niamey (Bouquet, 2004).

  • 17  « [A] closed river basin [or aquifer] is one with no utilizable outflow of water. A river basin [o (...)

27Donc, la variabilité climatique rend la maîtrise de l’eau plus importante puisque les conditions de vie pour les usagers, notamment la majorité rurale d’Afrique de l’Ouest qui est directement dépendante de la pluviométrie pour son alimentation, sont nettement plus difficiles en son absence qu’elles ne le seraient sous un climat tempéré. Par ailleurs, une maîtrise de l’eau dans de telles conditions est justement plus difficile à obtenir, enfermant la région dans une sorte de cercle vicieux. La variabilité climatique peut également affecter négativement les relations internationales et augmenter les risques de conflits internationaux (Stahl, 2005). En effet, il est beaucoup plus difficile de négocier la gestion d’un système hydrologique transfrontalier en ayant en tête le développement de celui-ci dans son ensemble en situation de crise hydrique. Lorsqu’il y a manque d’eau, réel ou perçu, il est tentant de chercher un coupable plutôt que de travailler conjointement à la mise en valeur d’une ressource commune. Ainsi, suite à la crise énergétique ghanéenne de 1998 due à un niveau d’eau trop bas au réservoir du barrage Akosombo, une partie de l’opinion publique et des dirigeants du Ghana ont accusé le Burkina Faso d’avoir trop prélevé d’eau en amont. Des analyses allaient par la suite montrer que la cause la plus probable de la baisse du niveau d’eau à Akosombo était plutôt la variabilité et le changement climatiques (Niasse, 2004). Par ailleurs, plusieurs traités internationaux sur le partage de l’eau ne comprennent pas de mesures spéciales en cas de pénurie ou ont été signés en période de bonne hydraulicité (Stahl, 2005) parce que la coopération internationale y est alors plus aisée, la mauvaise hydraulicité provoquant finalement un effet de fermeture temporaire d’un système hydrologique17. Un exemple des difficultés diplomatiques posées par la variabilité climatique se trouve dans la négociation d’un traité pour le partage des eaux du Gange entre l’Inde et le Bangladesh ayant abouti en 1996 et où « [t]he quintessence of the complications lie[d] in sharing the Ganges water for the five dry season months (January-May). During the rest of the year, there [was] sufficient water in the river for India and Bangladesh » (Swain, 2001). En fait, dans le cas de ce traité, mais d’autres également, les gouvernements des deux pays sont allés jusqu’à signer une entente partageant des quantités d’eau qu’ils savaient ne pas exister, durant certaines périodes sèches du moins (Swain, 2001). Ashton (Figure 3) a de son côté montré que la plupart des foyers de tensions hydriques africains sont situés dans des zones de transition entre ressources pérennes et systèmes hydrologiques éphémères.

Figure 3. Foyers de tensions hydriques en Afrique

Figure 3. Foyers de tensions hydriques en Afrique

Modifiée et redessinée selon Ashton (2000)

28Deuxième facteur compliquant le défi de la mise en valeur de ressources hydriques transfrontalières, les importantes ressources financières, techniques et institutionnelles nécessaires à la maîtrise de l’eau dans un contexte de division de la ressource et de variabilité climatique font défaut de manière générale en Afrique (Sadoff et coll., 2002). Si le capital financier nécessaire au développement de projets hydrauliques peut être mobilisé à travers le réseau des donateurs internationaux, les transferts technologiques (dans le sens large de « savoir-faire ») et institutionnels sont quant à eux beaucoup plus difficiles. Ces ressources sociales, ou « ressources de second ordre », sont à la base de la capacité d’adaptation des sociétés à une situation d’approvisionnement a priori difficile d’une ressource naturelle (ou « ressource de premier ordre ») (Turton, 2003a), laquelle capacité d’adaptation repose sur deux piliers distincts. « One pillar is […] the social component of adaptive capacity. It is largely endogenous, existing in the “hearts and mind” of the governed and cannot be artificially created. The other pillar, the structural component of adaptive capacity, however, is partially exogenous and can be assisted by foreign technical and financial support in the form of “capacity building” » (Ohlsson et Turton, 1999). La signification de la différenciation entre ressources de premier et de second ordre tient dans le fait que pour une dotation similaire en ressources de premier ordre, différentes sociétés vivront des situations diverses dans l’exploitation de celles-ci en fonction de leur capacité à mobiliser leurs ressources de second ordre. C’est pourquoi « Israël supporte pour l'heure ses 389 m3/hab. [d’eau douce annuellement renouvelée], ainsi que Malte ses 82 m3/hab., tandis que la Jordanie souffre avec 336 m3/hab. et que l'Égypte s'inquiète avec 936 m3/hab. » (Lasserre et Descroix, 2002). Sachant que la ressource de premier ordre « eau » est en théorie relativement abondante en Afrique de l’Ouest, on peut en conclure que la rareté des ressources de second ordre joue un rôle important dans l’incapacité de la région à mettre ses ressources hydriques au service de son développement durable. L’Afrique de l’Ouest serait donc aux prises avec une rareté « sociale » de l’eau, c’est-à-dire une rareté structurellement induite (Tableau 1). Cette situation a une résonance particulière dans le contexte ouest-africain de morcellement de la ressource. Effectivement, les négociations internationales, soit la quête d’une infrastructure institutionnelle capable d’assurer une gestion coopérative, sont une activité intense en ressources de second ordre. Un des éléments de ce processus où ces ressources de second ordre prennent toute leur importance est dans la production de données hydrologiques et leur légitimation, c’est-à-dire la création d’un savoir commun comme base de négociation (Turton, 2003a).

Tableau 1. Représentation matricielle du statut hydrique d’une société selon deux niveaux de disponibilité hydrique relative (vol./hab.) et deux niveaux de capacité d’adaptation sociale à la rareté de l’eau.

Tableau 1. Représentation matricielle du statut hydrique d’une société selon deux niveaux de disponibilité hydrique relative (vol./hab.) et deux niveaux de capacité d’adaptation sociale à la rareté de l’eau.

Modifié et redessiné selon Turton et Ohlsson (1999)

29Face à ce qui vient d’être énoncé, il est à noter qu’Ohlsson (1998) a proposé l’Indice de développement humain (IDH) comme mesure générale des ressources de second ordre des sociétés. Cet indice du Programme des Nations Unies pour le développement, largement utilisé et reconnu, mesure en effet certains des aspects critiques de la capacité d’adaptation des sociétés, à savoir l’espérance de vie comme indicateur du niveau général de la santé, du bien-être et du développement d’une société; la scolarisation comme indicateur des capacités institutionnelles d’une société; et le PIB per capita (parité de pouvoir d’achat) comme indicateur de la performance économique d’une société (Ohlsson, 1998). Or, dans le plus récent classement de ses membres selon cet indice, l’Organisation des Nations Unies attribue les cinq derniers rangs à des pays d’Afrique de l’Ouest (PNUD, 2006). Le Liberia eut-il été inclus dans le classement que ce chiffre grimperait très certainement à six, ce dernier se relevant difficilement de 14 ans de guerre civile.

Le choix du niveau d’analyse

30Une fois révélé le poids du découpage des ressources en eau dans la dynamique de développement des pays d’Afrique de l’Ouest, il convient d’examiner l’évolution possible du lien eau-développement dans la région. Or, justement en raison du découpage de la ressource, le niveau d’analyse choisi pour ce faire prend une grande importance. Il est généralement admis que les ressources hydriques (de surface) doivent être gérées à l’échelle du bassin versant, conceptualisé comme unité « naturelle » (par opposition à l’État, une unité politique construite) et indivisible au sein de laquelle toute action en un point provoque inévitablement une réaction autre part dans le système (Wester et Warner, 2002). Ce niveau d’analyse est d’ailleurs un des piliers du paradigme dit de la « gestion intégrée des ressources en eau » (GIRE), actuellement dominant dans le milieu des spécialistes de la gestion de l’eau (Allan, 2003). Le bassin versant est également l’unité de travail favorisée par les chercheurs se penchant sur l’enjeu de l’eau dans les relations internationales comme l’atteste la prépondérance des études de cas de bassins spécifiques dans la littérature en hydropolitique (Dinar et Dinar, 2003).

31Cela étant, si le bassin versant, en tant que système hydrologique fermé, peut sembler adapté aux études et travaux de nature plus technique, cela n’est pas nécessairement le cas lorsqu’on en vient à l’analyse politologique ou internationaliste du potentiel de la maîtrise de l’eau comme vecteur de développement durable (Turton et coll., 2006). En effet, l’hydropolitique concerne « […] the authoritative allocation of values in society with respect to water » (Turton, 2002) et a donc l’interface « eau-collectivités humaines » comme objet d’étude plutôt que l’eau qua eau. Comme l’allocation des valeurs se fait en définitive à travers l’appareil étatique et que le territoire sur lequel s’exerce l’autorité souveraine d’un État recoupe potentiellement une partie de celui de plusieurs bassins versants transfrontaliers (et/ou aquifères), un lien politique est établi entre ces systèmes hydrologiques – autrement physiquement distincts – ainsi qu’une interdépendance entre les États qui en sont les riverains (Julien et Greco, 2006). Après tout, les chefs d’État et de gouvernement ouest-africains ayant rencontré Jacques Chirac à Paris le 26 avril 2004, dans l’espoir qu’il joue au médiateur dans leurs conflits autour du bassin du Niger (Bouquet, 2004), sont (en partie) les mêmes qui doivent orienter le développement du bassin de la Volta ou encore du système du lac Tchad. Que les bassins versants transfrontaliers soient gérés en parcelles par les États riverains ou comme un ensemble indivisible dans le cadre des activités d’une organisation de bassin versant intergouvernementale, le niveau national demeure celui de la prise de décision (Besnier, 2005), et ce, dans un contexte politique international duquel on ne peut faire abstraction. Autrement dit, les frontières politiques demeurent les frontières de référence, avant celles d’un quelconque système hydrologique, furent-elles « […] parfaitement tracées depuis des millénaires par la nature » (Bouquet, 2004) et tenues comme celles d’un tout indivisible, voire sacré, par la communauté épistémique de l’eau. Or, une analyse hydropolitique au seul niveau du bassin versant pourrait ne pas parvenir à capter cette dynamique régionale à l’intérieur de laquelle un État participe à la gestion d’un bassin versant transfrontalier particulier (Turton et coll., 2006).

Tableau 2. La toile hydropolitique ouest-africaine : nombre de bassins versants transfrontaliers partagés pour chaque dyade de la région.

Tableau 2. La toile hydropolitique ouest-africaine : nombre de bassins versants transfrontaliers partagés pour chaque dyade de la région.

Compilé à partir des données de la OSU (2005)

32Concrètement, la manière dont un bassin est mis en valeur (partage de la ressource ou des bénéfices qui en sont tirés, structure de gestion, etc.) par ses riverains influencera (et sera influencée par) les développements survenant dans les autres bassins de la toile hydropolitique à laquelle il appartient. Par exemple, si le Nigeria parvenait à bloquer un projet de barrage dans le haut Niger (disons, celui guinéen de Fomi), son promoteur pourrait, si les conditions s’y prêtent, tenter de reporter le projet avorté sur un autre fleuve qu’il partage (disons, le Sénégal) par la construction d’un ouvrage similaire. De cette manière, le Nigeria aurait influencé la mise en valeur du fleuve Sénégal, un cours d’eau dont il n’est pourtant pas riverain. Autre exemple fictif : le Sénégal, soucieux de protéger des investissements sur son fleuve éponyme, pourrait laisser la Guinée développer sa portion du bassin de la Gambie (autre bassin dont le Sénégal est riverain) dans l’espoir de restreindre ou retarder une mise en valeur guinéenne du fleuve Sénégal qui prend sa source en Guinée. De ce fait, la gestion du fleuve Gambie deviendrait liée à celle du fleuve Sénégal et l’État gambien devrait supporter un plus grand développement étranger du seul bassin versant auquel il a accès en raison des manœuvres politiques sénégalaises dans la gestion d’un fleuve duquel il n’est pas riverain. Au final, il apparaît que davantage d’importance devrait être accordée à un niveau d’analyse situé au-dessus du bassin versant afin de pouvoir apprécier la dynamique hydropolitique régionale qui se superpose à celle particulière à chaque bassin versant transfrontalier d’Afrique de l’Ouest. Ceci permettrait peut-être par ailleurs de plus facilement prendre en considération les aquifères transfrontaliers dont les contours ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des bassins, montrant par-là une limite à l’» inévitabilité » du recours au bassin versant comme unité d’analyse et de gestion (Wester et Warner, 2002).

33Non seulement un niveau d’analyse au-dessus de l’usuel bassin versant permet-il d’accéder à une analyse plus fine incorporant des variables politiques qui risquent autrement d’être ignorées, mais cette perspective offre également davantage de possibilités quant au développement futur de l’Afrique de l’Ouest par le biais de la maîtrise de ses ressources en eau (Turton et coll., 2003). C’est qu’en s’élevant par-delà le bassin versant, on se permet de rechercher en-dehors de sa ligne de partage des eaux des solutions aux problèmes survenant à l’intérieur d’un bassin versant (passage du « watershed » au « problemshed ») (Turton, 2000). Ce faisant, les possibilités de gestion sont multipliées. Or, la variété des options disponibles devant la gestion des ressources hydriques favoriserait la coopération entre les riverains (Turton et coll., 2003), cette dernière étant à la base de la maîtrise de l’eau transfrontalière comme vecteur de développement durable (en tant que condition nécessaire, mais non suffisante, tel que précisé plus tôt [cf. Sneddon et Fox, 2006]). En support à cette vue, il est noté que l’intensité ou la violence d’un conflit hydrique est généralement inversement proportionnelle à son niveau géographique. En effet, si les guerres interétatiques de l’eau semblent appartenir au mythe, les violences localisées entre communautés, parfois très sévères, sont nombreuses sur la planète (Wolf, 1998). C’est qu’à ce niveau, les options de règlement de conflit sont limitées et les individus y sont plus susceptibles de recourir à la violence qui peut être perçue comme la seule solution pour sécuriser son approvisionnement en eau, une ressource vitale. À l’échelle internationale, un État faisant face à un stress hydrique important peut plus facilement emprunter d’autres avenues que celle de la force pour subvenir aux besoins de sa population. Il peut par exemple s’adapter à la rareté de la ressource en restructurant son économie de manière à privilégier des activités créatrices de valeur sur la base d’un faible intrant en eau ou encore en entreprenant un programme de dessalement de l’eau de mer. Ce genre d’adaptation est évidemment beaucoup plus difficile au niveau individuel ou communautaire.

Figure 4. L’importance de l’échelle géographique pour les conflits hydriques

Figure 4. L’importance de l’échelle géographique pour les conflits hydriques

Modifiée et redessinée selon Ashton (2004)

34Allan (2002) soutient d’ailleurs que c’est parce que bon nombre d’analystes sont restés dans les limites du watershed qu’ils ont dans le passé été si prompts à prédire l’éclatement d’une guerre de l’eau au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord. En effet, une analyse hydro-centrée des bassins du Nil et du Jourdain montre des États riverains souffrant d’une grande rareté de l’eau et n’hésitant pas à recourir à une rhétorique belliqueuse dans laquelle l’accès à l’eau est officiellement présenté comme un enjeu de sécurité nationale. Par contre, si l’analyste porte son attention au-delà de la ligne de partage des eaux, au niveau du commerce mondial, il peut voir que le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ne sont plus alimentairement autosuffisants depuis des décennies et que chaque année les États moyen-orientaux importent sous forme de céréales l’équivalent du flot annuel du Nil (Allan, 2002). Cette « eau virtuelle » est une stratégie d’adaptation qui permet aux États importateurs de céréales du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord de régler leur déficit hydrique sans tenter de s’accaparer par la force une plus grande part de la ressource commune.

35Similairement, en analysant la situation hydrique ouest-africaine à l’échelle régionale plutôt que bassin par bassin, on s’aperçoit que les options disponibles pour contourner l’obstacle du grand degré de morcellement de la ressource (aggravé par une hydrologie très variable et une pénurie de ressources dites de second ordre) sont plus nombreuses qu’il n’y paraît a priori. On peut par exemple envisager un protocole régional de gestion de l’eau servant de base à la négociation internationale dans chaque bassin. Ce protocole pourrait s’inspirer entre autre de la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation (ONU, 2005a) adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1997, mais qui n’est toujours pas entrée en vigueur (Eckstein, 2006). On peut penser qu’il serait plus aisé de faire appliquer un texte commun au niveau de la seule Afrique de l’Ouest avec un nombre d’acteurs réduit, qui plus est rapprochés sociopolitiquement. Des arrangements de bassin seraient aussi plus faciles à trouver dans une telle perspective régionale, car ils ne seraient plus vus comme des évènements ponctuels autour desquels il faut chaque fois maximiser son intérêt national immédiat, mais plutôt comme faisant partie d’un plan d’ensemble à l’intérieur duquel on peut se permettre de perdre ici pour gagner ailleurs. Une telle approche qui lie officiellement différentes négociations est d’autant plus appropriée que tous les systèmes hydrologiques n’ont pas la même importance stratégique pour les États (Turton et Ashton, 2004) et que ceux-ci ont donc intérêt à en arriver à des accords qui reflètent ces différences.

  • 18  Il n’est pas question ici de faire la promotion de ce type de transfert, mais plutôt de donner des (...)

36D’autres options ouvertes par une analyse régionale plutôt qu’au niveau du bassin sont celles du commerce régional de l’eau virtuelle et des transferts interbassins, bien que cette dernière possibilité soit écologiquement très controversée18. Ce sont là deux manières différentes de mieux associer géographiquement les ressources avec les besoins hydriques humains. Le commerce de l’eau virtuelle intra-régional signifie profiter des avantages comparatifs de chaque bassin versant alors que, par exemple, des zones particulièrement propices à la culture irriguée peuvent échanger une partie de leur production contre de l’hydroélectricité produite par d’autres zones à fort potentiel énergétique via l’éventuel Système d’échanges d’énergie électrique ouest-africain. Une telle pratique serait de nature à stimuler un développement endogène pour la région, notamment en fournissant pour l’hydroélectricité un marché assez large pour rentabiliser les importants investissements nécessaires à l’actualisation des potentialités énergétiques et en diminuant les achats de nourriture hors de l’Afrique de l’Ouest et par-là la sortie de devises (Turton, 2000). Éventuellement, l’exploitation des ressources hydriques d’Afrique de l’Ouest pourrait même devenir le catalyseur d’une intégration régionale comme celle du charbon et de l’acier l’a été pour une partie de l’Europe avec le traité instaurant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1951. Une telle intégration est d’ailleurs officiellement recherchée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). On peut en effet penser que, comme le prévoit la théorie politique néo-fonctionnaliste, une coopération technique particulière entre États puisse déboucher sur une coopération économique et politique plus générale par un effet d’entraînement (création de canaux de communication, établissement de liens de confiance, etc.) (Phillips et coll., 2006). Au demeurant, un tel cheminement favoriserait la mise en commun des ressources de second ordre des sociétés ouest-africaines et serait susceptible d’attirer les donateurs internationaux soucieux d’investir dans des projets structurants et acceptés par tous les riverains des bassins transfrontaliers.

37Bien sûr, ces avenues ne vont pas nécessairement de soi et les emprunter pourrait s’avérer ardu, voire quasi impossible. Et puis il ne s’agit pas de solutions miraculeuses comme le soulève Savenije (2000) à propos du commerce de l’eau virtuelle :

Of course, a condition for the exchange of virtual water in the form of cereals is that countries need to generate sufficient money to import these goods. This may require a substantial change in policy from aiming at food self-sufficiency to a market orientation. In any case such a change takes considerable time, particularly in underdeveloped countries. In addition, countries need to have access to the international market, which may be constrained by political (e.g. trade barriers, conflicts, etc.) or physical conditions (e.g. for being land-locked). As a result, one should be cautious to expect miracles from the “virtual water” concept, particularly in addressing the food security problems of poor economies, such as poor subsistence farming communities, which have very few options to produce cash crops or find alternative employment or income.

38Toutefois, ces nouvelles options ouvertes par un niveau d’analyse régional, dont seuls quelques exemples ont été donnés dans cette communication, demeurent des pistes de solution et de réflexion à la fois pertinentes et novatrices. Du reste, les liens créés entre États et systèmes hydrologiques faisant partie d’une même toile hydropolitique sont bien réels – tout comme la nécessité de les prendre en considération.

Un complexe hydropolitique en Afrique de l’Ouest?

39Pour opérationnaliser un niveau d’analyse (sous-)régional, Turton (2003a; 2003b), Turton et Ashton (2004) et Ashton et Turton (sous presse) ont proposé le concept de « complexe hydropolitique ». Un complexe hydropolitique « […] exists where international relations between states become coherent enough in the quest for management solutions to significant transboundary resources to the extent that a discernable pattern of amity or enmity can be detected over time »(Turton et coll., 2006). Cet état de fait initialement observé en Afrique australe pourrait potentiellement s’appliquer au cas de l’Afrique de l’Ouest, bien que la recherche hydropolitique sur cette région n’en soit qu’au stade préliminaire (Julien et Greco, 2006). Le bien-fondé de conceptualiser l’Afrique de l’Ouest comme un complexe hydropolitique régional repose sur le fait que c’est à ce niveau d’analyse que les relations hydropolitiques ouest-africaines semblent se cristalliser. Géopolitiquement, il a été suggéré que la région forme un « complexe de sécurité » (Buzan et coll., 1998; Bah, 2005), c’est-à-dire que les enjeux sécuritaires – les questions de haute politique – ne peuvent y être conçus en termes strictement nationaux. Ces enjeux seraient en effet interreliés d’une manière telle qu’il serait impossible pour les États de la région d’ignorer les développements sécuritaires chez leurs voisins. L’élément liant de ce complexe de sécurité se trouverait dans la présence d’États à la faible cohésion socio-politique et le danger que leur instabilité ne se propage à toute la région (Bah, 2005)via des frontières poreuses, dissociées des répartitions ethniques ou nationales et favorisant donc l’ingérence des États dans les affaires intérieures de leurs voisins. Les guerres civiles au Sierra Leone et au Liberia sont évidemment exemplaires de cette dynamique, alors qu’elles ont produit des vagues de réfugiés dans des économies voisines incapables de les absorber; des factions politiques locales en conflit ont été appuyées par des puissances étrangères; le commerce des armes légères a proliféré à travers la région; et la CEDEAO a finalement dû mettre sur pied une force militaire régionale pour gérer ces conflits au départ domestiques (Bah, 2005). La CEDEAO et les nombreuses autres initiatives intergouvernementales à caractère régional peuvent par ailleurs être interprétées comme la reconnaissance explicite par les États ouest-africains de la densité régionale des interactions internationales (l’idée d’un « complexe »), de même que celle de l’existence d’une identité commune et d’intérêts partagés. Il est pertinent de noter que l’une de ces organisations régionales, le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), a d’ailleurs vu le jour en réponse au défi de la maîtrise de l’eau dans la zone soudano-sahélienne de l’Afrique de l’Ouest. C’est donc à l’échelle de ce complexe de sécurité que semble s’opérer la dynamique hydropolitique dans la région, celle-ci ayant également une certaine cohérence hydrologique (le caractère « hydropolitique » du complexe) (Julien et Greco, 2006).

  • 19  Proportion des ressources en eau renouvelables provenant de l’extérieur du pays.

40On l’a vu, l’Afrique de l’Ouest est marquée par un fort contraste entre zones bien arrosées et zones plus arides. Cette division implique une grande interdépendance entre les pays ouest-africains concernant la gestion et l’utilisation de l’eau puisque la configuration du réseau hydrographique vient atténuer le contraste entre les zones plus humides et celles plus sèches (Niasse, 2004). En effet, les principaux cours d’eau de la région (Niger, Sénégal, Gambie et réseau du lac Tchad) prennent leur source dans des zones de haute pluviométrie avant de couler à travers le Sahel (Niasse, 2004). Par exemple, le Niger, le Sénégal et la Gambie ont tous trois leur source dans le massif du Fouta-Djalon en Guinée (Lasserre et Descroix, 2002). Le Niger et le Sénégal parcourent ensuite de longues distances en milieu sec sans recevoir d’apport en eau significatif (Sadoff et coll., 2002). Cette interdépendance est mesurable grâce à l’indice de dépendance hydrique19 des pays d’Afrique de l’Ouest typiquement supérieur à 40 %, ce taux atteignant même tout près de 90 % dans le cas du Niger et plus de 96 % pour la Mauritanie (Frenken, 2005). Ces valeurs montrent bien l’importance des relations internationales autour de la ressource, des pays comme le Niger ou la Mauritanie étant totalement dépendants des actions d’autres États en ce qui a trait à leur approvisionnement en eau douce de surface.

41La logique derrière un possible complexe hydropolitique ouest-africain serait donc que les États d’Afrique de l’Ouest dépendent d’une ressource commune, l’eau, pour leur développement socioéconomique en général et pour des questions stratégiques particulières (e.g. sécurité énergétique et sécurité alimentaire). Comme le potentiel de croissance économique d’un État influence grandement le bien-être de ses citoyens, il constitue un déterminant politique propre. La chose est encore plus vraie lorsque l’État en question a un grand besoin de développement socioéconomique induit par une démographie galopante (Turton, 2003a). Telle est actuellement la situation pour la plupart des États ouest-africains. Vues les implications politiques domestiques de la gestion des ressources hydriques transfrontalières, celle-ci serait donc de nature à influencer les relations internationales ouest-africaines « to the extent that a discernable pattern of amity or enmity can be detected over time ». Le moteur du complexe hydropolitique suggéré serait la variabilité climatique plutôt que la rareté hydrique per se puisque c’est en raison de son irrégularité que la pluviométrie ouest-africaine ne peut à elle seule soutenir une économie moderne et industrielle capable d’intégrer l’Afrique de l’Ouest à l’économie mondiale et sortir ses populations de la pauvreté.

42Au demeurant, il convient de spécifier qu’il ne s’agit pas ici de poser la maîtrise de l’eau à l’échelle régionale en Afrique de l’Ouest comme la dimension prioritaire de son développement socioéconomique durable. Bien que nécessaire, la maîtrise de l’eau n’est pas suffisante en elle-même et ne s’opérera pas en isolation des autres variables socioéconomiques. Rien qu’en matière d’eau, il y a bien des urgences, dont plusieurs sont à la portée des États ouest-africains pris isolément (approvisionnement domestique, assainissement, etc.). À plus long terme cependant, la question de la gouvernance des eaux transfrontalières d’Afrique de l’Ouest se posera avec une acuité toujours plus grande face au développement durable de la région. C’est en ce sens que le choix du niveau d’analyse de l’hydropolitique ouest-africaine révèle toute sa pertinence. Effectivement, «  […] in order to really understand a fundamental development-related issue in Africa, one needs to grasp the significance of transboundary water resource management, because it poses a constraint on future development potential as the situation now stands » (Turton et coll., 2006).

Conclusion

43Pauvres parmi les pauvres, les sociétés ouest-africaines sont en urgent besoin de développement socioéconomique durable. De tout temps, la maîtrise de l’eau a constitué un facteur crucial du développement humain, tant par l’amélioration des conditions d’hygiène (contrôle des maladies hydriques, installations sanitaires), la croissance agricole et industrielle (irrigation, énergie hydraulique, navigation) que l’atténuation des extrêmes du cycle hydrologique (sécheresses et inondations). La maîtrise de l’eau étant particulièrement faible en Afrique de l’Ouest, il est essentiel pour les États de la région de parachever leur mission hydraulique afin d’atteindre un niveau de sécurité hydrique compatible avec les besoins d’une économie industrielle moderne.

44Or, le haut degré de fragmentation des ressources hydriques en Afrique de l’Ouest, qui s’exprime notamment par le nombre et l’importance des bassins versants transfrontaliers, se pose comme une entrave au rôle de la maîtrise de l’eau comme vecteur de développement durable. En effet, la compétition pour la ressource et l’exploitation non coordonnée des systèmes hydrologiques transfrontaliers peuvent résulter en des conflits internationaux freinant la mise en valeur de l’eau et donc le développement durable de la région. Deux facteurs viennent par ailleurs aggraver la situation : la grande variabilité spatio-temporelle de l’hydrologie de l’Afrique de l’Ouest et le manque de ressources dites de second ordre qui peuvent y être mobilisées. Si la quantité de la ressource exploitable ne cause pas problème de prime abord, la disponibilité hydrique réelle est caractérisée par une grande variabilité spatio-temporelle. Ceci a pour conséquence un plus grand besoin de la maîtrise humaine de l’eau en même temps que de rendre cette maîtrise beaucoup plus exigeante et d’augmenter les risques de tensions internationales autour de la ressource. Le défi de la gestion d’une ressource naturelle transfrontalière dans ces conditions demande la mobilisation de ressources de second ordre (capacité d’adaptation sociale) qui font généralement défaut aux sociétés ouest-africaines.

45Afin d’apprécier le futur du lien eau-développement dans le contexte tout juste décrit, il peut s’avérer nécessaire de recourir à un niveau d’analyse au-dessus de celui usuel du bassin versant. En effet, cette unité hydrologique ne paraît pas permettre de capter la finesse de la dynamique hydropolitique actuellement en place en Afrique de l’Ouest. C’est que le partage multiple de systèmes hydrologiques transfrontaliers par les États ouest-africains tisse une toile hydropolitique à l’échelle régionale dans laquelle les systèmes hydrologiques deviennent liés politiquement et les États hydrauliquement interdépendants. Turton (2003a; 2003b), Turton et Ashton (2004) et Ashton et Turton (sous presse) ont proposé la notion de « complexe hydropolitique » pour décrire un tel état d’imbrication hydropolitique régionale. La logique derrière ce concept – qui place l’analyse au niveau (sous-)régional – est que la dépendance de différents États à des ressources en eau transfrontalières peut être d’une nature stratégique telle qu’elle en vient à influencer d’une manière discernable les relations internationales régionales. Une évaluation préliminaire de la configuration hydropolitique ouest-africaine laisse croire à l’existence dans cette région d’un complexe hydropolitique dont les acteurs étatiques font face à deux grandes alternatives : coopérer dans la gestion des systèmes hydrologiques transfrontaliers à l’intérieur d’une démarche de développement durable ou souffrir d’une compétition pour la ressource et d’une mise en valeur non coordonnée. En plus de rendre possible une analyse hydropolitique plus complète et nuancée, le concept de complexe hydropolitique vient ici permettre de favoriser la coopération en multipliant les options de gestion de la ressource. Effectivement, si les problèmes liés à la faible maîtrise de l’eau peuvent sembler insolubles lorsque appréhendés au niveau du bassin, une perspective régionale laisse entrevoir des éléments de solution comme la mise en place d’un protocole régional de partage des eaux et des bénéfices de sa mise en valeur, le commerce intra-régional de l’eau virtuelle ou même des transferts physiques d’eau entre bassins versants. En fait, une coopération régionale autour de l’exploitation des ressources hydriques communes pourrait éventuellement devenir un instrument d’intégration économique et politique de toute l’Afrique de l’Ouest sur le modèle de l’Union européenne et de son originelle Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).

46En définitive, la présente communication a montré que la recherche hydropolitique en Afrique de l’Ouest (mais probablement ailleurs également) gagnerait à mettre davantage d’emphase sur un niveau d’analyse situé au-dessus du traditionnel bassin versant. Plus précisément, l’hypothèse de l’existence d’un complexe hydropolitique en Afrique de l’Ouest nécessite une analyse plus approfondie pour mettre en lumière les différentes implications d’une telle configuration en regard du potentiel de développement durable de la région. Cette réorientation est d’autant plus importante qu’en l’état actuel des choses la difficulté du partage de la ressource et de ses bénéfices ne fera que s’aggraver. La croissance démographique de la région, forte même lorsque comparée à la moyenne des pays dits en développement, augmente continuellement la demande en eau qui pourrait sextupler d’ici 2025. Parallèlement, l’offre naturelle pourrait, elle, diminuer et/ou être perturbée en raison des changements climatiques attendus qui s’ajouteront à et influenceront la variabilité climatique actuelle.

Le travail de recherche sur lequel se base cette communication a été réalisé à titre de chercheur invité au Council for Scientific and Industrial Research (CSIR) d’Afrique du Sud. Je tiens donc à remercier le Dr. Anthony R. Turton et son équipe du groupe de recherche Water Resource Governance Systems pour leur accueil et soutien. Ma reconnaissance va également aux réviseurs anonymes de cette communication et dont les commentaires m’ont permis d’en améliorer la qualité scientifique. Il va sans dire, toute erreur est uniquement mienne.

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Notes

1  Au long de cette communication, le genre masculin est utilisé à titre épicène.

2  Il est d’ailleurs à noter que le dernier Rapport mondial sur le développement humain des Nations Unies est dédié à la « crise globale de l’eau » (PNUD, 2006).

3  Karl Wittfogel a publié en 1957 une étude devenue classique, Oriental Despotism: A Comparative Study of Total Power, montrant la centralité historique de la maîtrise de l’eau pour l’irrigation et son impact sur l’organisation sociale dans certains systèmes économiques d’Asie (Wittfogel, 1974). Quant aux waterschappen néerlandais, des conseils locaux de gestion de l’eau mis sur pied pour faire face aux inondations, ils seraient à la base de la démocratie moderne des Pays-Bas (Turton, 2003a).

4  Tel qu’énoncé originellement dans le rapport Brundtland, le développement durable « […] est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, etl’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir » (CMED, 1988). Dans le cas précis des ressources hydriques, cette prise en compte de l’environnement signifie essentiellement contrôler la quantité et la qualité de l’eau utilisée pas les sociétés humaines, c’est-à-dire pratiquer une gestion viable de l’eau après en avoir acquis la maîtrise technique. Énoncé grossièrement, la gestion de la ressource sert à rendre écologiquement soutenable le développement social et économique apporté par sa mise en valeur. Ceci dit, dès cette première étape de la maîtrise de l’eau, les choix faits affectent la durabilité du développement (la possibilité même d’une gestion viable – petite vs. grande hydraulique, etc.) et elle contient en elle-même des éléments allant dans le sens d’un développement écologiquement soutenable, notamment le déploiement d’installations sanitaires et de traitement des eaux usées. Mais encore faut-il qu’il y ait un développement à pérenniser, comme le rappelle la notion de « besoins » du rapport Brundtland, et dans le cas de l’Afrique de l’Ouest la priorité est donc à la maîtrise des ressources hydriques. Cette maîtrise joue effectivement un rôle majeur en posant les fondations de la croissance économique, spécialement en garantissant un niveau d’approvisionnement compatible avec les besoins d’une économie moderne (Phillips et coll., 2006). Sans maîtrise des ressources hydriques suffisante, point de développement, durable ou non.

5  Définie ici d’un point de vue hydropolitique et selon la proposition de Turton et coll. (2005) : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Tchad et Togo. En fonction des sources utilisées, certaines données régionales présentées dans cette communication peuvent inclure le Cap-Vert qui, en tant qu’île, n’a pas d’importance hydropolitique dans le contexte de l’actuelle analyse. Le cas échéant, l’impact de cette inclusion est toutefois négligeable en raison de la taille de ce pays.

6  Calcul de l’auteur selon les données hydrologiques de la Food and Agriculture Organization (FAO, 2005) et démographiques de la Central Intelligence Agency (CIA, 2005). Cette donnée n’est cependant qu’une moyenne régionale cachant de fortes disparités locales, desquelles il sera question plus loin dans cette communication.

7  « Cette expression a trait au pourcentage estimatif de la population ayant accès à des sources améliorées d'approvisionnement en eau potable, grâce notamment au raccordement des foyers au réseau de distribution d'eau, à des bornes-fontaines, à des puits forés, à des puits creusés protégés, à des sources d'eau protégées ou à la collecte d'eau de pluie. L'approvisionnement en eau provenant de telles sources a tendance à être plus sécuritaire que celle provenant de sources non améliorées, comme les rivières, les étangs ou les puits non protégés » (CG et ACDI, 2004).

8  « Cette expression a trait au pourcentage estimatif de la population bénéficiant d'installations sanitaires améliorées, notamment par le branchement à des égouts publics ou à une fosse septique, ou grâce à des latrines à chasse d'eau, à des latrines ordinaires ou à des latrines à fosse d'aisance améliorée et ventilée. Il s'agit d'installations susceptibles d'être plus privées et hygiéniques que celles qui ne sont pas améliorées, comme les latrines à ciel ouvert ou les latrines à seau » (CG et ACDI, 2004).

9  Entre 2000 et 2005, la population d’Afrique de l’Ouest s’est accrue annuellement de l’ordre de 2,42 %. Durant la même période, celle de la planète augmentait à un rythme annuel de 1,21 %, celle des « régions moins développées » (« less developed regions ») de 1,43 % et celle de l’Afrique sub-saharienne dans son ensemble de 2,28 % (ONU, 2005b).

10  Selon la Commission internationale des grands barrages, un grand barrage correspond à un ouvrage de 15 mètres ou plus ou bien d’entre cinq et 15 mètres avec une capacité d’emmagasinage supérieure à trois millions de mètres cubes d’eau. Partant de cette définition, il y aurait plus de 45 000 grands barrages dans le monde (CMB, 2000). Sans distinction de taille, il y aurait actuellement plus de 800 000 barrages sur la planète (selon Sandra Postel, chercheuse associée au Worldwatch Institute, tel que rapporté par Mindel [2004]).

11  D’une manière intéressante, Niasse et coll. mentionnent ces données pour mettre en évidence la faible mise en valeur des ressources hydriques en Afrique de l’Ouest, alors que des groupes écologistes comme le International Rivers Network (IRN) utilisent plutôt ce genre de statistiques pour montrer que les fleuves et rivières africains sont déjà l’objet d’une dommageable intervention humaine (cf. IRN, 2005). Dans les faits, un certain nombre de grands barrages est probablement indispensable au développement d’une économie industrielle moderne (si tant est que cela soit considéré souhaitable). Ce nombre, variable d’une région à l’autre, est certainement plus élevé que ce qui est acceptable pour un regroupement écologiste comme le IRN dont l’opposition aux projets de grands barrages est systématique. C’est que si leur nombre devrait effectivement être gardé le plus bas possible (notamment en raison de leur impact écologique ou de leur pertinence bien souvent limitée face aux besoins des majorités rurales du monde dit en développement) et leur construction faire partie d’un plan de développement intégrant les enjeux sociaux, écologiques et économiques (technologie de pointe, compensations généreuses pour les déplacés, etc.), les grands barrages ne peuvent pas toujours être remplacés par des ouvrages de moindre envergure ou d’autres alternatives. Ainsi en est-il lorsqu’il est question d’alimenter en eau des zones urbaines et industrielles en territoires de grande variabilité climatique et où la demande hydrique est élevée et en continuelle augmentation (Biswas et Tortajada, 2001). Au demeurant, il est quelque peu ironique de voir certains groupes issus de pays industrialisés où la maîtrise de l’eau a joué pour beaucoup dans l’atteinte d’un niveau de vie élevé s’insurger contre les gouvernements des pays dits en développement qui tentent de suivre le même chemin… Le grand barrage n’est en définitive qu’un instrument dont l’utilisation peut être, théoriquement, aussi bien bénéfique que néfaste. Ceci dit, il est vrai que l’historique de la grande hydraulique puisse inciter à la méfiance…

12  Au surplus, de nombreux aquifères sont également de nature transfrontalière. L’UNESCO fournit une liste de 36 de ces aquifères (Appelgren, 2004), mais cette donnée est plus approximative que celle du nombre de bassins versants transfrontaliers. Les ressources hydriques souterraines ne sont en effet pas aussi bien documentées que celles de surface parce que plus complexes à évaluer (Appelgren, 2004) et étant généralement l’objet d’une plus faible attention, comme victimes d’une mentalité « hors de la vue, hors de l’esprit » (Dinar et Dinar, 2003). Cette communication se concentrera donc sur les eaux de surface tout en reconnaissant l’importance de l’eau souterraine pour son propos, les deux sources d’eau étant de toute façon étroitement liées dans le cycle hydrologique. L’emploi de la dénomination englobante « système hydrologique », notamment dans le titre de cette communication, atteste de cette reconnaissance.

13  Les États riverains de ces bassins ne sont pas nécessairement tous situés en Afrique de l’Ouest. Dans le cas des bassins du Niger et du lac Tchad, la ressource est aussi divisée à l’intérieur même du Nigeria entre certaines de ses entités fédérées, bien que les implications ne soient pas les mêmes que pour le partage entre États souverains.

14  Une paix positive est davantage qu’une simple absence de guerre. Elle consiste également en des éléments intangibles comme la confiance des investisseurs, des institutions qui réduisent les coûts de transaction de la coopération, etc. (Turton, 2003b). Ainsi, un développement unilatéral et massif de l’irrigation en amont d’un fleuve n’est pas nécessairement une menace à la « paix négative » parce qu’il risque peu de déboucher sur une confrontation armée. Par contre, si les régions en aval du fleuve voient le débit de celui-ci réduit au point de nuire à leurs activités économiques préexistantes, la situation est une menace à la paix positive puisqu’elle peut entraîner de l’imprédictibilité pour les investisseurs (l’approvisionnement en eau n’étant manifestement pas stable).

15  À ce stade, il convient de préciser qu’au moins sept des 25 bassins versants transfrontaliers d’Afrique de l’Ouest sont officiellement gérés à l’échelle du système dans le cadre institutionnel d’une organisation de bassin multilatérale (Wolf, 2005 ; Anonyme, 2006). C’est d’ailleurs le cas de tous les principaux bassins versants transfrontaliers de la région, l’Autorité du bassin de la Volta (ABV) ayant été récemment mise sur pied (Anonyme, 2006). Par contre, la seule existence d’une organisation de bassin intergouvernementale n’est pas une garantie de gestion coopérative et efficace à l’échelle du système hydrologique. En fait, les différentes organisations de bassin ouest-africaines peuvent être considérées comme généralement inefficaces, sauf peut-être dans le cas de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), qui est généralement reconnue comme l’organisation de bassin multilatérale la plus dynamique d’Afrique de l’Ouest (Gould et Zobrist, 1989; Niasse, 2004).

16  C’est-à-dire moins que ce qui est généralement reconnu comme le niveau de précipitations minimal permettant l’agriculture pluviale.

17  « [A] closed river basin [or aquifer] is one with no utilizable outflow of water. A river basin [or aquifer] is said to be facing closure when most of the readily available water has been allocated to some productive activity and there is little water left for allocation. When this condition is reached, competition for water becomes high, with a resultant increase in conflict potential » (Turton et Ashton, 2004).

18  Il n’est pas question ici de faire la promotion de ce type de transfert, mais plutôt de donner des exemples des nouvelles possibilités de gestion qui apparaissent avec le déplacement du niveau d’analyse du bassin vers la région. Chaque cas de gestion est bien entendu unique quant à la faisabilité et la viabilité d’infrastructures de cette envergure.

19  Proportion des ressources en eau renouvelables provenant de l’extérieur du pays.

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List of illustrations

Title Figure 1. Les bassins versants transfrontaliers d’Afrique de l’Ouest
Credits Niasse (2004)
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Title Figure 2. Le Niger moyen.
Credits Besnier (2005)
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File image/png, 452k
Title Figure 3. Foyers de tensions hydriques en Afrique
Credits Modifiée et redessinée selon Ashton (2000)
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/2402/img-3.png
File image/png, 81k
Title Tableau 1. Représentation matricielle du statut hydrique d’une société selon deux niveaux de disponibilité hydrique relative (vol./hab.) et deux niveaux de capacité d’adaptation sociale à la rareté de l’eau.
Credits Modifié et redessiné selon Turton et Ohlsson (1999)
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File image/png, 18k
Title Tableau 2. La toile hydropolitique ouest-africaine : nombre de bassins versants transfrontaliers partagés pour chaque dyade de la région.
Credits Compilé à partir des données de la OSU (2005)
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/2402/img-5.png
File image/png, 132k
Title Figure 4. L’importance de l’échelle géographique pour les conflits hydriques
Credits Modifiée et redessinée selon Ashton (2004)
URL http://vertigo.revues.org/docannexe/image/2402/img-6.png
File image/png, 67k
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References

Electronic reference

Frédéric Julien, « Maîtrise de l’eau et développement durable en Afrique de l’ouest : de la nécessité d’une coopération régionale autour des systèmes hydrologiques transfrontaliers », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 7 Numéro 2 | septembre 2006, Online since 28 April 2006, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/2402 ; DOI : 10.4000/vertigo.2402

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About the author

Frédéric Julien

Candidat au doctorat en Science politique, Université d’Ottawa, Ottawa, Canada; Étudiant gradué en Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE), Université McGill, Montréal, Canada frederic.julien@mail.mcgill.ca

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