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Dossier : Les actions collectives pour gérer l'environnement

Des savoirs locaux insaisissables ? L’exemple de la tenderie aux grives en Ardenne

Agnès Fortier

Abstracts

Local knowledges are now considered as legitimate in the management of nature. They are mobilised in the same way as scientifical and technical knowledge to contribute to the elaboration of standards compatible with the conservation of biodiversity in participatory approach schemes. However, this integration of lay knowledge is not easy. The deep study of trap activity, thrush snaring, based on participative observation, reveals the difficulties to access and to highlight these knowledges. It supposes for the investigator to make a detour by learning which is a necessary precondition to account for the nature and the characteristics of these knowledges, because one of their particularities is that they are rarely specified. The unformulated mode of expression of theses know-how combined with the secret of the activity, doesn’t facilitate exchange, communication and transmission of these knowledges.

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  • 1  Les matériaux de cette recherche sont issus d’un travail de terrain effectué dans le cadre d’une t (...)

1La reconnaissance accordée aux savoirs locaux dans la gestion de la nature et la conservation de la biodiversité est un phénomène récent. Elle résulte de la remise en cause de la coupure radicale entre savoirs scientifiques et savoirs profanes et du primat accordé à la rationalité, à la neutralité au détriment de ce qui était, jusqu’il y a peu, assimilé à des croyances et à des préjugés. Les avancées dans le domaine de l’écologie et le déficit des connaissances scientifiques à propos de la conservation de la biodiversité ont contribué à leur redonner une légitimité. Les savoirs locaux dont il est question ici sont étroitement associés à des pratiques et à des usages de l’espace. Les agriculteurs, les sylviculteurs, les chasseurs, etc. sont ainsi dépositaires de connaissances spécifiques, tournées vers l’action, susceptibles d’enrichir les savoirs scientifiques. La prise en compte de ces savoirs s’avère non seulement utile mais efficace pour aboutir à la résolution de certains problèmes comme la préservation de la diversité biologique (Alphandéry, Fortier, 2005). Elle se matérialise dans des procédures fondées sur le débat public, la démocratie participative (Callon, Barthes, Lascoumes, 2001) qui s’attachent à confronter différentes formes de savoirs : scientifiques, techniques, locaux. C’est précisément la capacité de ces dispositifs à intégrer les savoirs locaux que je voudrais discuter ici étant donné la nature et la spécificité de ces savoirs. A partir d’une enquête ethnographique destinée à rendre compte des connaissances et des savoir-faire mobilisés dans le cadre d’une activité de piégeage, la tenderie aux grives1, je m’attacherai à caractériser ces savoirs en insistant sur la difficulté de leur mise au jour.

2Après une présentation de l’activité sur le mode de la narration, j’évoquerai dans un premier temps les obstacles à l’identification de ces savoirs et la nécessité de recourir à un certain type d’approche pour mieux les appréhender. J’examinerai ensuite les particularités de ces connaissances et de ces savoir-faire et les processus par lesquels ils s’élaborent tout en rappelant, ce sera l’objet de ma  troisième partie, qu’ils sont indissociables du système social dans lequel ils s’inscrivent. Les savoirs locaux participent de rapports sociaux spécifiques qui contribuent également à les rendre opaques.

« Courir la tenderie »2

  • 2  Expression qui désigne l’acte de parcourir les sentiers de tenderie en vue de relever les captures (...)
  • 3  J. Jamin un joué un rôle précurseur dans la connaissance de cette activité. Il est à l’origine d’u (...)
  • 4  Sont rangés dans cette catégorie « certains procédés de capture, rattachés à des traditions locale (...)
  • 5  Données de la Préfecture, 1989.
  • 6  Au maximum 2000 par installation.
  • 7  Du 15 septembre au 31 octobre.

3Pratiquée exclusivement dans le massif forestier de l’Ardenne, la tenderie aux grives3 appartient à la catégorie des chasses dites « traditionnelles »4. Il s’agit d’un mode de piégeage très ancien dont l’origine pourrait dater du paléolithique (J.G. Rozoy, 1978). Si la tenderie subsiste, aujourd’hui, dans cette région, elle le doit à ses défenseurs – élus, pratiquants – qui n’ont cessé de la préserver de multiples attaques, depuis près d’un siècle, tant de la part des chasseurs que des écologistes. Déjà interdite en 1978, la directive Oiseaux a bien failli mettre définitivement un terme à cette activité. Elle a cependant été réinstaurée en 2004 par un arrêté préfectoral à caractère exceptionnel, renouvelable chaque année. Cette pratique résiduelle qui concerne tout au plus deux cent cinquante pratiquants5 s’exerce, à la différence de la chasse, aux marges de la vie active. Les tendeurs sont pour une majorité d’entre eux des retraités. Autrefois pratiquée à grande échelle sur des parcours pouvant comporter 10000 voire 12000 lacets, elle garantissait à une population démunie de travailleurs saisonniers un complément de ressources souvent appréciable. L'exercice de ce mode de piégeage est aujourd'hui soumis à des règles précises qui limitent le nombre de lacs6, la période de relève des captures7 et interdit la vente des grives. La tenderie s'apparente désormais à un “passe-temps”, une activité de “petits retraités" qui combine étroitement le plaisir du “jeu avec l’animal” à celui de la dégustation – la grive est un met très prisé -, auxquels s’ajoute une dimension identitaire très marquée.

4Dans une parcelle de forêt appartenant le plus souvent à une collectivité et louée par adjudication sur une période déterminée (5 ans en moyenne), le tendeur procède à l’ouverture de sentiers étroits et sinueux le long desquels il dispose des pièges armés de collets. Confectionnés  essentiellement à partir de brins de bois et de crin de cheval, ces pièges sont de deux types : le piège à l’arbre ou pliette et le piège à terre communément désigné hayette. La capture des grives s’effectue en automne, lors des mouvements de migration des turdidés. Le temps souvent humide et brumeux en cette saison, incite en effet les grives à faire quelques haltes en forêt pour y chercher leur nourriture. C’est durant cette période qui s’échelonne du 15 septembre à la fin octobre que les tendeurs parcourent quotidiennement leur tenderie pour procéder à la relève des captures. Pour rendre compte du dispositif, de la technique utilisée et plus largement des modalités d’exercice de la pratique, j’ai choisi de retracer sur un mode narratif l’un de ces parcours.

13 heures, le 19 octobre 1987, je pars en compagnie de Télot, un retraité de 75 ans, “courir sa tenderie".

  • - J.T : “Il paraîtrait qu’il y en a une ou deux aujourd’hui. C’est Pierrard, un copain et Suzanne, celle qui distribue les journaux qui m’ont dit ça ce matin. Un petit peu quoi, un petit peu plus.

  • - A.F : On risque d’avoir chaud aujourd’hui, mais ça se couvre hein !

  • - J.T : Ah vous voyez ! Pis le vent est au sud, en Lorraine, comme on dit nous autres. Et les vieux disaient toujours : vent de Lorraine, pluie certaine. C’est vrai hein !

5La tenderie  se trouve à proximité de la route. Nous parcourons une centaine de mètres sur un chemin, avant de pénétrer dans le bois en empruntant un sentier que l’on devine à peine entre les fougères. Télot m’a prévenue : “Faites bien attention à ne pas écraser les fougères, il ne faut pas qu’on voit que mon sentier commence ici”. Nous faisons quelques mètres dans ce bois qui ressemble à une vaste broussaille, parsemée de quelques troncs plus importants. C’est une “jeune coupe” comme on a l’habitude de dire à Hauteville. Elle a été coupée il y a 7 ans de cela.

6Mon compagnon s’arrête : c’est le départ de la grivière. Il se débarrasse de son ciré jaune, témoin de longues années passées aux Ponts et Chaussées. De sa musette de pêcheur, qu’il porte en bandoulière, il sort un paquet de lacs maintenus entre eux par un cordon qu’il fixe à la boutonnière de son veston. Ces lacs, en crin de cheval, forment à une extrémité une petite boucle appelée œillet. Le fond de sa musette est tapissé de grappes de sorbier.

  • - J.T : “Attendez, je vous donne un couteau, vous allez m’aider à remettre les lacs”. Il me tend un outil dont la lame est réduite à quelques centimètres tant elle a dû être aiguisée. “Allez, en route !”

7Nous suivons un sentier étroit et sinueux, jalonné de part et d’autre par des grappes de sorbier accrochées à des perchoirs, à un mètre vingt environ du sol. Ce sont les “pliettes” ou “ployrettes” (figure 1), constituées d’un perchoir légèrement incliné et d’un arceau confectionné à partir d’une seule et même tige de bois, sur laquelle on a exercé une pliure pour lui donner sensiblement la forme d’un triangle allongé en son sommet. Les deux extrémités de la tige sont maintenues dans l’écorce de l’arbre au moyen d’un outil spécial, le fer à tendre. Le piège ainsi constitué dissimule le lacs où se prendra la grive, lorsqu’une fois rassasiée, elle voudra reprendre son envol. A terre, le sentier (d’environ 60 centimètres de large), particulièrement bien dessiné au milieu de cette broussaille, est barré régulièrement de petites haies composées de deux branches, plantées dans le sol, puis relevées et pliées, l’une à droite, l’autre à gauche vers l’extérieur du sentier. L’étroit couloir situé entre les deux rameaux est fermé par un lacs maintenu à l’aide d’un piquet de bois fiché en terre à droite du passage. Ces petites haies ne comportent pas d’appâts : c’est en grattant le sol à la recherche de vermisseaux, sur le sentier spécialement dégagé, que la grive se trouvera étranglée par le lacet. L’espacement des “hayettes” (figure 1) est variable, il faut compter un piège tous les six pas en moyenne et ceci, sur une distance d’environ cinq kilomètres.

Figure 1. Pliette et Hayette

8Nous progressons dans le sentier à une allure plutôt rapide. La novice que je suis ne parviens pas à concilier le rythme adopté avec les coups d’œil donnés à droite, à gauche, au sol, pour enjamber les hayettes, vérifier la mise en place des lacs, la présence du sorbier sur les perchoirs. Cela ne semble pas poser de problèmes à mon acolyte qui a la maîtrise parfaite de son parcours et de l’emplacement des pièges. Il en profite d’ailleurs pour me faire remarquer, d’un ton un peu narquois, telle ou telle pliette particulièrement bien dissimulée dans un buisson et devant laquelle je suis passée sans rien voir.

9Gymnastique physique, la tenderie est également un exercice de gymnastique visuelle, d’autant que les grappes de sorbier qui attireraient la vue, manquent souvent. Justement, le tendeur vient d’apercevoir une, deux, trois amorces dont les grains sont déchiquetés : “Les pilos, les pilos (terme local pour désigner les bouvreuils) tiens, les v’là co ! On voit bien que c’est eux, ils sucent les grains. Dire qu’ils ne foutront pas le camp ! Et d’un geste machinal il glisse l’amorce dans l’entaille spécialement prévue à cet effet au niveau du perchoir.

10Quelques mètres plus loin, une, deux amorces ont disparu. Le grain est mangé en entier. Je pense en moi-même : “Ce pourrait bien être une grive.” Télot a déjà les yeux fixés sur moi, le regard malicieux, un léger sourire au coin des lèvres. J’ai compris, avant même de l’avoir vue, qu’il s’agissait d’une prise. “C’est une blanche, une musicienne, une grive de pays quoi, comme on dit, nous, à Hauteville. Regardez comme elle est belle.” Il décroche sa proie, en introduisant son couteau dans la fente de l’arceau de la pliette. La fente ainsi écartée, ne risque pas de casser le lacet retenu par le noeud à l’extérieur. “C’est précieux ça, c’est pas pour ce que ça coûte, mais faut les faire et pis c’est pas facile, maintenant, de trouver une bonne queue de cheval.” Le couteau est resté dans la fente. Télot procède à la mise en place d’un nouveau lacs. Il n’a qu’un geste à faire pour en tirer un du paquet suspendu à sa boutonnière. Une fois le lacs introduit du côté de l’œillet, il forme une petite boucle qu’il passe à l’intérieur de celui-ci, et obtient ainsi le noeud coulant. Il ôte la lame de la fente qui se resserre alors sur le crin; le noeud se trouvant à l’extérieur. Il reste à bien ajuster le lacs, si celui-ci  n’a pas adopté la position voulue, en opérant par tiraillements successifs. “Surtout, bien remonter le lacet vers le haut de la fente en tirant légèrement la queue du lacs vers le bas, insiste t-il, sinon, au moindre coup de vent, il va être détendu.” Cette opération effectuée en un temps record exige minutie, savoir-faire, sans oublier une bonne acuité visuelle, nécessaire à la manipulation des lacets de crin. Pour parvenir à faire ce geste simple, en apparence, j’ai dû m’y reprendre en plusieurs fois. “C’est un coup à prendre. Vous verrez, à force, vous y arriverez !”  Une grappe de sorbier glissée au niveau du perchoir et nous voilà repartis...

  • - J.T. : “Lundi, j’en ai pris une ici à terre... A cette pliette là, j’en ai déjà eu deux depuis le début. Pour moi, elles aiment bien être cachées pour manger, les grives.”

11Je constate que Télot à la différence d’autres tendeurs ne dégage pas les feuilles sous les hayettes et lui fait remarquer. “Moi, je ne les enlève pas, ça ne sert à rien et pis la grive ne trouve pas ça normal. V’la un lacs qui est là-dedans, par exemple (montrant la hayette), ben la grive ne le voit pas. Si y’avait pas d’herbe, elle dirait : Qu’est ce que c’est ça donc ? Hein, c’est bizarre qu’il n’y ait pas d’herbe là. Les bêtes ne sont pas plus bêtes que les hommes hein ! (...) Pour mon compte personnel, faut que ce soit naturel. Moi, je m’arrange toujours pour faucher assez tôt dans ma tenderie pour que l’herbe ait le temps de repousser. Elles aiment bien ça, les grives, la petite herbe. Avec de la petite herbe comme ça, elles pourraient bien se faire prendre, non ?”

12J’ai remarqué que Télot choisit les lacs les plus solides pour mettre aux hayettes. Certes, les proies prises à terre ne meurent pas instantanément comme lorsqu’elles se trouvent pendues à l’arbre. C’est ce que nous vérifions quelques mètres plus loin : une grive est prise à la hayette. Le crin est emmêlé autour des piquets, quelques plumes éparses gisent au sol. Télot tente alors de dégager sa victime, en s’efforçant de récupérer le lacs intact. Avant de la placer dans la carnassière, il prend soin de “réarranger” sa prise ; d’un geste de la main, il remet en place le plumage, après avoir redressé le corps arc-bouté de l’oiseau : “elle est plus belle ainsi hein !” Le lacs est remis en place selon le même principe que pour la pliette, en écartant la fente du piquet à l’aide du couteau, et en introduisant le lacs par le biais de l’œillet. Il effectue ensuite le nœud coulant, règle la boucle du lacet du diamètre désiré (5 cm environ), et vérifie que la base du lacs se situe à hauteur de trois doigts au dessus du sol (6 cm environ), avant d’ôter la lame du couteau de la fente. Il lui reste ensuite à ajuster la position du lacs, perpendiculairement au sentier.

13Le sentier, balisé de pièges, n’est perceptible qu’à courte distance (quelques dizaines de mètres, parfois moins) en raison des méandres qu’il décrit, tantôt pour contourner un obstacle, tantôt pour desservir un coin favorable ou tout simplement au gré de la volonté et des caprices du tendeur. Mais ce dernier, dès lors qu’il aborde une ligne droite, à l’œil en alerte ; il balaye du regard cette portion de sentier dans l’espoir d’apercevoir une capture. C’est ensuite seulement qu’il vérifie, un à un, le bon fonctionnement des pièges. Là encore, il faut remplacer une dizaine d’amorces manquantes, mangées par des martres, des souris, des merles. Nous arrivons au “cercle”, portion de sentier qu’il a baptisé de la sorte et qui forme une grande boucle, venant se raccorder au sentier principal. Télot semble vouer une affection toute particulière à ce tronçon : « Je suis content d’arriver au cercle, c’est bien rare que je n’en ai pas une. » L’ouverture, la création de sentiers à travers les branchages - particulièrement dense dans ce jeune taillis - constitue, de toute évidence, un attrait pour le tendeur. Un peu à la manière des gamins qui construisent une cabane dans les bois, en s’attachant à la dissimuler aux confins de chemins détournés, Télot bâtit ses sentiers en «s’amusant » à leur faire décrire des méandres, des contours, des figures particulières.

  • - J.T. : “C’est là que je l’ai prise la première grive hier. J’étais tellement découragé que je n’ai même pas remis de lacs. Si j’avais su, je ne serais pas venu hier (silence). Ah, on ne peut pas s’empêcher !” Je me dis : « Si je n’y vais pas, y’aura peut-être huit grives. Et pis si vous êtes deux jours sans venir vous pouvez être sûr qu’il y en aura des mangées par toutes sortes de bestioles. Alors là, c’est drôlement désespérant parce que c’est du travail la tenderie hein ! Faut la faucher, la préparer, pis aller cueillir le sorbier. »

14Notre butin s’est accru d’une prise lorsque nous quittons le “cercle”. “A mon avis, on n’en prendra pas d’ici la fin, je n’en prends jamais. Ce serait une qui voudrait se suicider quoi. Vous voyez v’la les pilos qui reviennent.” Télot récupère son ciré au passage. La boucle est bouclée. Nous regagnons la voiture.

  • - J.T. : “Alors quelle heure ?

  • - A.F. : Trois heures moins le quart.

  • - J.T. : Eh ben vous voyez, une heure et demie à peu près. C’est agréable là pour un retraité, mais une heure et demie, pas plus, hein !”

15En chemin mon compagnon récapitule ses prises : “Une grise, un merle et trois blanches. Cinq. Cinq sur mille lacs, c’est déjà pas si mal hein ! Si on avait deux mille lacets on en aurait dix. Vous voyez cinq ça va, parce que y’a des fois que c’est monotone hein. Quand y’a pas de grive, que vous n’entendez que des geais... Nous v’là déjà le 19 octobre, on n’a encore pas pris de roussettes. Enfin, c’est pas fini, il faut attendre hein !”

16En arrivant près de la route, Télot aperçoit une voiture stationnée dans le chemin de l’autre côté de la chaussée : “Ça doit être la voiture du Martinet.” Il relève le numéro d’immatriculation du véhicule. “Je regarderai.” Quelques minutes plus tard, alors que je dépose Télot devant sa porte : “Quand vous voulez hein pour la semaine prochaine ! Sauf si y’a des roussettes, j’irai vous toquer... Surtout ne dites pas à Léon Liébaut (le propriétaire de l’appartement que je loue) combien on en a eu hein ! Je vous dis ça parce que je vous connais, je vous fais confiance. Allez, à la prochaine !”

17J’ai a peine garé ma voiture, quelques dizaines de mètres plus loin, que j’aperçois Pierrard, le copain de Télot, qui se dirige vers la maison de ce dernier. Je suppose qu’il est allé s’enquérir du butin de son voisin. Il tend dans une parcelle proche de la sienne.

Apprendre par soi-même

  • 8  Les prédateurs pouvant être aussi des humains, les « chapardeurs » de grives.

18Ce récit donne à voir quelques facettes du savoir mobilisé dans le cadre de ce mode de piégeage. Un savoir-faire ou un savoir pratique tout d’abord, lié à la maîtrise d’un dispositif technique qui exige tour de main (fabrication des pièges y compris des lacets) et doigté (mise en place des collets). Un savoir voir ensuite, indissociable de l’acte de faire et qui se manifeste dans la capacité à identifier à travers un rapide coup d’œil l’état des pièges disposés à intervalles réguliers le long du sentier, les indices de la présence éventuelle de prédateurs8 ou de captures. Un savoir-être qui se traduit par l’acquisition de normes et de modes de conduites spécifiques à l’égard d’autrui (y compris entre tendeurs) fondé sur la discrétion, le secret et qui mêle étroitement le savoir se taire et le savoir mentir (l’art du mensonge). Mais le récit effectué à partir d’une démarche d’observation participante révèle dans le même temps ce qui est en creux, la part du savoir caché. Télot comme la plupart des tendeurs que j’ai accompagnés ne font quasiment pas allusion à la manière dont ils ont conçu et élaboré leurs parcours, aux connaissances qu’ils ont mobilisées pour décider de l’emplacement des pièges, du tracé des sentiers, en un mot aux critères leur permettant d’optimiser les résultats. Ils répondent de manière évasive à mes interrogations comme si elles n’avaient pas lieu d’être, comme si elles étaient déplacées. Cette situation pour le moins déroutante m’a conduite, peu à peu et non sans quelques réticences à me conformer aux codes et aux normes que semblaient me dicter mes interlocuteurs, au point de me retrouver dans la situation pour le moins paradoxale de m’interdire de poser des questions. A défaut d’obtenir des tendeurs qu’ils me livrent leur savoir, je me trouvai en quelque sorte acculée à le découvrir par moi-même. Cette situation, je m’en rendais compte plus tard, est assez analogue à celle décrite par G. Delbosse et P. Jorion (1992) à propos des producteurs de sel.

19J’ai donc pris le parti d’accompagner aussi souvent que possible les tendeurs dans leur parcours quotidien (deux à trois fois par semaine durant deux saisons de tenderie) en me conformant à leurs exigences. Après quelques mois passés dans la localité, j’avais  moi-même acquis un « savoir-être » et quelques rudiments de connaissances sur la pratique. Au village, on me prêtait la réputation d’être discrète, de ne pas divulguer certaines informations dont j’étais le témoin comme le nombre de captures prélevées par l’un ou l’autre tendeur. Les remarques, les réflexions souvent brèves, relevées ici et là, avaient fini, à force de recoupements, d’observation par prendre sens. Mes comptes rendus écrits, réalisés après chaque sortie s’étoffaient. Cette plus grande familiarité avec la pratique me permettait en outre de mieux communiquer avec mes partenaires, notamment par le biais du regard – qui m’est apparu comme un mode de relation privilégié. Ce qui ne m’empêchait pas d’avoir recours à la parole, de questionner sans en avoir l’air, en faisant des remarques brèves, du type : “Tiens, bizarre !”, à propos de l’emplacement d’une pliette ou de tout autre signe qui demeurait pour moi une énigme. Ceci, dans le but d’inciter mon partenaire à se prononcer.

20La distance prise avec ce terrain a également joué un rôle important dans l’appréhension de la nature même de ce savoir. Le besoin de procéder à des enquêtes plus extensives dans d’autres localités m’a permis d’entrevoir de nouvelles pistes mais aussi et surtout d’établir un autre mode de relation avec les tendeurs lors de mon retour. Ce détour par l’extérieur a été l’occasion de renouer avec mon statut d’enquêteur à la recherche de discours. En m’appuyant sur les observations réalisées ailleurs, j’ai pu me livrer à une série d’entretiens et donc appréhender la pratique sous un autre angle, celui de la conversation, espérant trouver des réponses à mes interrogations restées en suspend. La rencontre avec d’autres tendeurs, exerçant ou non leur activité, m’a également permis de mieux comprendre la réserve de mes interlocuteurs. Ceux-ci se sont montrés d’autant plus enclins à révéler leurs secrets, leurs astuces, en un mot leur savoir-faire qu’ils se trouvaient éloignés de la pratique (arrêt de l’activité). Les tendeurs en exercice se gardent, en effet, de divulguer leurs connaissances y compris vis-à-vis de leurs semblables qu’ils perçoivent comme des concurrents. En outre, ce que je considérais comme un mutisme lié en partie au climat de méfiance qui règne autour et à propos de cette pratique depuis les violentes attaques lancées par les écologistes, traduisait avant tout la difficulté des tendeurs à verbaliser, à expliciter les ressorts de leur activité. Leur mode d’appréhension de la pratique faisant davantage appel au senti, à l’instinct, qu’à un mode d’expression aisément communicable. La tenderie a ceci de particulier qu’elle fait appel à un savoir-faire incorporé et informulé qui s’avère néanmoins efficace. « Il n’est point besoin de tout savoir décrire et de tout comprendre pour pratiquer » souligne M-N Chamoux (1996). Il n’en demeure pas moins qu’en l’absence de discours il me fallait appréhender par moi-même quelques bribes de ce savoir intériorisé. C’est à cette seule condition que je pouvais parvenir à instaurer un dialogue avec mes interlocuteurs et ainsi mieux cerner la nature de ces connaissances. La démarche d’observation participante s’avérait adaptée à cette entreprise sous réserve d’une implication active de l’enquêteur dans la durée pour pallier le déficit d’explication.

La mètis

  • 9  M. Détienne, J. P. Vernant,  1978,  opus cité p.10.

21Comment caractériser ce savoir-faire incorporé et non formulé à l’œuvre dans la tenderie ? A la différence de la chasse où l’homme et l’animal sont en relation directe, la tenderie fait appel à une technique de piégeage qui requiert l’absence de l’homme (Jamin, 1979).  “Son moyen essentiel est la capture, dont l’efficacité surpasse celle de l’attaque directe et met en œuvre des moyens complexes étant donné la sensibilité et la mobilité des futures victimes” (Moscovici, 1972). Pour vaincre l’animal, le tendeur doit faire preuve de plus de finesse et de subtilité. Il doit non seulement détenir une connaissance approfondie du milieu et des habitudes de l’espèce convoitée, mais aussi et surtout d’une attitude d’esprit correspondant à un certain type d’intelligence engagée dans la pratique, à savoir l’astuce, la débrouillardise, la ruse. Le recours à lamètisdes Grecs, étudiée par M. Détienne et J. P. Vernant, semble particulièrement désigné pour définir la ruse à l’œuvre dans le domaine du piégeage. Assimilée à « une forme d’intelligence et de pensée, un mode du connaître, elle implique un ensemble très cohérent d’attitudes mentales, de comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d’esprit, la feinte, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, des habiletés diverses. »9

  • 10  Le régime alimentaire des turdidés est essentiellement carnivore ; composé de lombrics, larves, ch (...)

22La puissance de la ruse se manifeste tout d’abord dans le dispositif utilisé. Les deux types de pièges élaborés à partir de matériaux destinés à se fondre dans le milieu (tige de bois, branchage, crin de cheval) recourent à des artifices censés exciter l’appétit de la grive ou favoriser sa recherche de nourriture10. Le piège à l’arbre, fondé sur un leurre visuel, les petites baies de sorbier rouges, diffère du piège à terre, sans appât, qui cherche au contraire à passer inaperçu. Dans le premier cas, il s’agit de flatter la gourmandise de l’oiseau alors que dans le second, on a simplement dégagé un sentier à terre pour favoriser le déplacement de la grive en quête de sa pitance. Les baies de sorbier jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement du dispositif. Les tendeurs disent joliment à leur propos qu’elles “éclairent” ou qu’elles “allument” le sentier. Certaines d’entre elles, volontairement laissées en évidence sont, en effet, destinées à attirer les grives. Une fois dans le voisinage, elles pourront apercevoir l’étroit passage spécialement dégagé à leur insu au niveau du sol. Le dispositif, tel qu’il est conçu dans sa globalité, s’apparente à la construction d’un paysage en vue de séduire l’oiseau. A travers l’élaboration de la “voyette” (sentier), tout semble mis en œuvre pour tenter de s’approprier le regard de la grive. Quant aux méandres dans le tracé des sentiers, ils sont censés éviter que les grives capturées n’effarouchent les autres qui risqueraient alors de s’enfuir. Les sentiers de tenderie sont à l’image de la mètis, courbes, en forme de cercle.

  • 11  Arbres réservés par les forestiers, lors des coupes, dans le but de servir de porte-graines.

23Leurre, tromperie, dissimulation, tels sont les stratagèmes qui déterminent la nature du piège et qui « s’opposent à la force brute des armes » (Jamin, 1979). Mais l’efficacité du piège réside en grande partie dans la manière dont il est agencé. A l’arbre, “On contrarie deux perchoirs pour l’obliger [la grive] à voler. Alors du moment qu’elle vole, elle est roulée.” A terre, on s’efforce de boucher tous les échappatoires possibles (coulées de gibier ou autres) par rapport au sentier, en disposant des “lacs de côté” ou “lacs de retour” perpendiculairement au tracé. “Tu vois là, pour bien faire, il faudrait rajouter une hayette”, suggère un tendeur en pointant un trou dans les branchages. “Entre ces deux bouquets d’arbres, il aurait pu mettre une hayette, si la grive passait par là, elle était obligée de se faire prendre.” Les compétences et les savoir-faire du tendeur résident plus largement dans l’art de disposer les pièges, de repérer les endroits les plus adaptés. Ce qui suppose une accumulation de connaissance dans le domaine de l’éthologie de la grive, corrélée avec les caractéristiques et les spécificités du milieu. "On sait très bien que si on passe sur une roche, c’est meilleur que de passer en dessous parce que la grive se pose sur le promontoire, elle ne va pas descendre au pied de la roche.” Cette dernière observation coïncide avec une remarque formulée par un autre tendeur : “Les grives, elles ne se posent pas sur les petits arbustes, rare hein ! Elles ne se posent pas sur des machins d’un mètre de haut ; Elles se posent sur des baliveaux11. J’en ai vu l’autre fois dans les gros chênes là, des grosses, ben elles étaient sur les arbres les plus hauts. Parce que la grive est assez curieuse, je crois hein ! Tu sais, elle se met pour... elle  est toujours en train de regarder, une grive. " Compte tenu de cette observation, le tendeur adopte la tactique suivante : “Si t’as un chêne par exemple, un chêne assez gros, ben tu mets des hayettes à proximité et des ployrettes ; Alors là, tu prendras deux, trois grives." Une précision encore : “Les hayettes, jamais en dessous des baliveaux mais légèrement en retrait ; les grives ne descendent jamais à la verticale.”

  • 12  Termes locaux désignant les cépées. Il s’agit d’un ensemble de brins ou de rejets émanant d’une mê (...)

24Averti du caractère craintif de l’oiseau, le tendeur sait faire preuve d’astuces pour retourner les chances de son côté, notamment en disposant des pliettes dans des bouquets d’arbres (“stocklées” ou “espées”12 de chêne ou de charme) et en les camouflant légèrement. “C’est une histoire d’éclairement, c’est plus noir dans le fond de l’espée. Je l’ai même dit à Biltau l’autre fois. J’ai dit : si j’avais eu ma serpe je t’aurais mis une pliette là (...). Tu n’as pas de pliette de mise dans ton buisson de charme là. T’aurais une pliette de mise là, t’aurais des grives.” Ou encore : “On en met à l’envers qu’on appelle ça, nous. Tu ne les vois pas du chemin mais on a tellement l’habitude de les mettre qu’on sait où elles se trouvent. Elles sont cachées, c’est les meilleures. Ça c’est les meilleures ployrettes parce que la grive a plus confiance en elle.” Le tendeur ne sous estime pas les habitudes et les qualités de son adversaire. Au contraire, il cherche à les prendre en compte car il sait que pour triompher il doit faire preuve davantage de finesse et de subtilité.

  • 13  Parcelles de forêt destinées à satisfaire les besoins en bois de feu des villageois.
  • 14  Peuplement forestier constitué de rejets de souches.

25Tenir compte de la topographie du terrain, de la présence des baliveaux dans les coupes affouagères13, de la densité du taillis14, mais aussi repérer les essences végétales porteuses de fruits et de baies dont on sait que les grives sont friandes sont autant de facteurs pris en considération. Le sorbier fait l’objet d’une attention toute particulière de la part des tendeurs qui s’attachent à le préserver dans le but d’attirer et de retenir les grives. La tactique employée est toutefois différente selon que l’on piège à l’arbre ou à terre. Dans une localité de la vallée de la Semoy où l'usage est de tendre uniquement à l’arbre, le tendeur se soucie peu de la proximité du sorbier. Il l’évite même car c'est un concurrent pour le piège amorcé avec ces baies de sorbier. A l’inverse, le tendeur à terre recherche les sorbiers autour desquels il va disposer des hayettes “parce que quand les sorbes sont à terre (...) la grive descend et picore dans les feuilles. Si vous avez des hayettes à côté, vous allez en piquer. Mais en plein bois, le tendeur à l’arbre ne passe jamais près d’un sorbier. Inutile, la grive elle est sur le sorbier, elle ne va pas rouler dans les buissons.” Cette dernière précision, relative à la situation, “en plein bois”, a toute son importance. Laissons Bertin poursuivre. “... Je me souviens, en 1944, y’avait une coupe affouagère rase, elle venait d’être faite. Justement, y’avait beaucoup de sorbiers et ils craquaient de graines. Et nous, on a tendu la lisière proche mais où le taillis était à hauteur du plafond (environ trois mètres). On avait du bois idéal de 6, 7 ans, 8 ans. Y’avait du sorbier ! Ca craquait de sorbier. Et y’avait des grives là-dessus ! Alors en catastrophe (…)  avec mon père (...)  on a collé à peu près 800, 1000 ployrettes, vraiment fin septembre hein ! On a fait des prises de grives vraiment sensationnelles (...). Parce que y’avait cette proximité. Elles se restauraient, mais comme c’était trop dégagé, elles venaient dans le bois et là on les prenaient.”

26Deux éléments paraissent importants à souligner dans ce récit. En premier lieu, la vigilance du tendeur, toujours à l’affût, lui a permis de saisir l’occasion favorable, fournie par la conjonction de plusieurs paramètres : le maintien de quelques sorbiers couverts de baies dans une coupe rase, la présence de grives occupées à satisfaire leur appétit dans ces mêmes sorbiers, joints à l’existence d’un jeune taillis à courte distance où les grives, méfiantes, vont se réfugier. C’est cette connivence avec le réel, cette capacité à saisir les opportunités qui définit l’habileté du tendeur. A noter également, la progression du récit. En énonçant les faits, le tendeur s’aperçoit que ses affirmations premières ne sont pas tout à fait exactes. La référence à d’autres situations, basées sur ses propres expériences, l’amène à préciser sa pensée initiale, mettant ainsi en évidence la réalité multiple et changeante à laquelle il se trouve confronté.

27Cette habileté à saisir les opportunités, à repérer d’une manière immédiate et intuitive les lieux propices à la pose des pièges peut être envisagée comme une forme d’intelligence polymorphe capable de s’adapter à toutes les circonstances, puisque le réel est par définition complexe. Sa puissance tient à “sa souplesse, sa malléabilité qui lui donnent la victoire, dans les domaines où il n’est pas pour le succès de règles toutes faites, de recettes figées, mais où chaque épreuve exige l’invention d’une parade nouvelle, la découverte d’une issue cachée” (Détienne et Vernant, 1978). L’acquisition de telles compétences qui mêlent étroitement travail manuel et activité mentale est le résultat d’une longue expérience accumulée au fil du temps, à force d’expérience, d’observation, d’essais et d’erreurs réitérés. “T’en apprends tous les jours hein ! Tous les jours, faisait remarquer l’un d’eux. Moi, je vais avoir 34 ans, avoir vécu là-dedans... j’étais toujours avec mon père, j’en apprends encore (...). Et tout ça, t’apprends pas ça sur des bouquins, t’apprends ça en regardant la nature.” Ces compétences qui traduisent un certain type de rapport à la nature et au milieu ne sont que partiellement transmissibles. C’est davantage le goût et la passion de l’activité acquis au contact d’un proche qui sont transmis à travers un processus d’identification préalable (G. Delbosse, P. Jorion, 1984, Traïni, 2003), que le savoir-faire lui-même.

28Les connaissances accumulées par les tendeurs au fil du temps sont, comme on le voit à travers les quelques exemples qui précèdent, étroitement associés à des situations et à des contextes précis et elles peuvent difficilement donner lieu à la formulation de principes généraux. L’éventail particulièrement large de conduites relatives à des circonstances, à des occasions, rend en effet difficile la formulation d’énoncé à caractère général. La tendance à raisonner à partir de situations singulières tient précisément à la complexité du réel et à l’impossibilité de le maîtriser. Le tendeur est un être prudent qui, par expérience, sait que rien n’est jamais totalement acquis. Ce qui peut être valable à une période donnée, dans un contexte précis, peut à tout moment être remis en cause. L’efficacité ou le “rendement” d’une tenderie dépend, en effet, d’une multitude de paramètres et de facteurs en interaction. Les conditions météorologiques, la localisation de la parcelle, l’âge du taillis, la présence ou non de sorbier, sans parler de la population de turdidés qui peut, elle aussi, connaître des évolutions significatives en termes d’effectif ou du fait de changements dans les courants de migration. L’intrication de ces différents phénomènes et leur variabilité dans le temps confronte le tendeur à une série d’aléas qui ne lui permettent pas d’établir des principes rigoureux. “La parcelle (...), la façon de faire le sentier ou... passer à telle ou telle place ; Y’a beaucoup de choses qui jouent, fait remarquer Abel. Les années jouent aussi. Si c’est une tenderie un peu marécageuse, bon, une année sèche, t’auras des grives. Mais cette année, moi qui marchais dans l’eau jusqu’à moitié des bottes, par place, eh bien c’est trop d’eau, ce coup là ! Alors y’a un peu de tout. Y’a cette histoire de sorbier là ! Mais cette année elles ne prenaient pas tellement le sorbier là, tu vois, deux, trois grains à un machin et pis elles refilaient ailleurs.” L’absence de discours relativement structuré sur la pratique et les connaissances qui m’est apparue très énigmatique lors de l’enquête, tient en partie, me semble-t-il, au caractère contingent, local, éphémère, complexe, incertain de ces savoirs.

29Les tendeurs sont très lucides sur le caractère limité de leurs connaissances. Ils l’expriment sous forme d’interrogations, de questionnements, à partir des observations qu’ils sont amenés à confronter d’une année sur l’autre, tout au long de leurs parcours. “Pourquoi l’année dernière j’en ai pris le long de la ligne électrique et cette année pratiquement pas ?” “Pourquoi l’an passé j’ai pris plus de grives à terre qu’à l’arbre ?”  “Pourquoi en 1987 j’ai pris plus de cent litornes et cette année seulement seize ?” “Qu’est-ce qui fait qu’en fonction des années, on en prend plus dans les «jeunes coupes» ou plus dans le «grand bois»” ? “Pourquoi dans cette partie du sentier que je voulais supprimer parce que je ne prends pratiquement jamais de grives, c’est là que j’en ai pris le plus cette année” ? Cette mise en rapport des faits les uns avec les autres et les questionnements qu’ils suscitent peut-être assimilée à une ébauche de démarche scientifique. Cette attitude réflexive conduit en outre les tendeurs à repenser leur parcours, à le modifier d’une année sur l’autre. A tel endroit, Thélot va par exemple ouvrir un nouveau sentier compte tenu des prises effectuées l’an passé. Cette portion de sentier, au contraire, il va l’abandonner, “elle ne vaut rien”, etc. Les tendeurs doivent toujours s’adapter pour parvenir à leurs fins. En dépit de toutes les incertitudes, ils ne peuvent cependant pas ignorer les principes qui marchent, même s’ils sont, eux aussi, susceptibles d’être remis en cause un jour ou l’autre.

  • 15  Petit panier rigide et fermé, spécialement conçu pour la tenderie. Le boudet ou bodet est fabriqué (...)

30La dimension incertaine et conjecturale de leur savoir transparaît également dans les variations observées dans les pratiques, d’un tendeur à l’autre. Chacun dispose, en effet, de manières de faire spécifiques qui s’apparentent parfois à des manies, à priori sans grandes conséquences sur les résultats comme le fait de dégager ou non les feuilles à proximité des pièges à terre, mais qu’ils s’efforcent de légitimer. Enfin, leur incapacité à maîtriser l’ensemble des facteurs les conduit parfois à implorer la chance ou le hasard heureux qui ferait qu’une volée de grives vienne s’abattre dans leur sentier. L’un d’eux, un peu superstitieux, avouera un jour ne pas emporter son boudet15, car “c’est assez que je décide de le prendre pour qu’il n’y ait pas de grives”.

31Ces quelques éléments relatifs aux savoirs des tendeurs confirment les observations réalisées par J. Van de Ploeg (B. Wynne, 1999) sur les liens très étroits des savoirs locaux avec la pratique. Les compétences des tendeurs à l’image de celles des cultivateurs andins de pommes de terre renvoient à des systèmes de connaissances dynamiques qui impliquent une constante négociation entre travail « manuel » et activité « mentale ». Elles induisent un ensemble de savoirs complexes et une culture adaptative qui ne se prête pas facilement à la standardisation. De ce point de vue, la référence à la tradition habilement mobilisée par les tendeurs pour assurer la sauvegarde de leur activité (J. Jamin, 1982), apparaît dès lors sans fondement pour qualifier leurs connaissances et leurs savoir-faire. Si la loi a eu raison de la technique en figeant le dispositif (en particulier en interdisant toute innovation dans les matériaux entrant dans la constitution des piéges), elle n’a cependant pas empêché les tendeurs d’inventer de nouvelles ruses pour tenter de déjouer les grives, les prédateurs mais aussi les hommes.

Savoir se taire

32La pratique de la tenderie s’exerce sur un territoire communal investi par d’autres usages (chasse, cueillette, affouage) où les différents groupes concernés se trouvent parfois en concurrence. Elle entretient dès lors des relations avec le système social local et à un niveau plus large avec les mouvements écologistes qui dénoncent ce mode de capture. La nature des  rapports existants entre ces différents groupes, y compris entre les tendeurs eux-mêmes, constitue une dimension essentielle de la pratique en ce sens qu’elle permet de mieux comprendre les attitudes et les manières d’être développées par les « griveleux ».

  • 16  La dissimulation des grives peut être également interprétée comme une stratégie dans la distributi (...)

33Contrairement aux chasseurs en battue, les tendeurs ne forment pas un groupe uni et structuré à l’échelon communal. Le tendeur est par définition un être solitaire, discret, silencieux et secret. Il opère de manière individuelle voire individualiste en se gardant bien de dévoiler son savoir-faire, ses astuces et le nombre de ses captures. La communication entre eux et vis-à-vis de l’extérieur est limitée. Les tendeurs (dont un certain nombre sont également chasseurs) consacrent une part non négligeable de leur temps à s’observer, à s’épier, à être à l’affût du moindre indice susceptible de les renseigner sur la pratique ou encore sur les résultats d’autrui. Un coup d’œil jeté à la pendule ou à la montre confirme ou non les habitudes de chacun. Un retard constaté éveille les soupçons. La méfiance, la suspicion se manifeste plus largement à l’égard de toutes personnes amenées à fréquenter la forêt : chasseurs, ramasseurs de champignons, etc. Le bois fait d’ailleurs l’objet d’un contrôle accru en cette période. Des promeneurs aperçus aux abords d’une tenderie, on part en informer le tendeur si l’on est en bon terme avec lui. La crainte, en effet, d’être victime de “chapardage”, notamment de la part de ceux que l’on dénomme couramment les “coureurs de tenderie” ou encore “les renards à deux pattes”, est une donnée omniprésente, renforcée depuis la contestation de la pratique par les écologistes et le saccage de quelques tenderies. La dissimulation du nombre de captures apparaît également comme un principe intériorisé par les tendeurs. « C’est difficile, c’est difficile de se le dire, faisait remarquer l’un d’eux. Oui, je ne sais pas, c’est une habitude qui date de toujours ça. Ils [les tendeurs] te disent quelques unes. Moi, ça ne me gêne pas trop hein ! Avec certains » ! L’épouse d’un tendeur, initiée très tôt à la pratique (elle allait courir les sentiers en compagnie de sa sœur, le soir, à la sortie de l’école) a très vite intériorisé cette norme. “Moi, ça me dérange de dire combien y’a de grives. Ah oui ! Moi, je ne le dis pas. De toute façon, je ne dis jamais la vérité. Ah non ! Non ! Non !  Moi, faut voir aussi, ça vient de mon père et tout ça. Moi, toute petite (...), mon père me disait : tu ne dis rien, tu dis que tu ne sais pas (...) On ne le disait pas. Ça ne se disait pas. J’y allais avec ma soeur et tout ça... mais je ne sais pas, on aurait pu nous foutre des paires de claques, on ne l’aurait pas dit. Non, c’était comme ça. On ne nous le demandait pas.” La question, il est vrai, ne se pose pas. Elle ne peut être que le fait de personnes étrangères à la pratique. Les discussions entre « griveleux » à propos des captures ont souvent pour but d’induire l’autre ou les autres en erreur, de brouiller les pistes16. Des recoupements opérés entre les uns et les autres ont fini par me convaincre du bien fondé de l’adage évoqué par l’un d’eux : « Y’a pas plus menteur qu’un chasseur et un tendeur.»

  • 17  Le territoire de chasse est loué à l’association communale dont les membres résident dans la local (...)
  • 18  Les lots de tenderie sont établis sur la base du parcellaire communal et tirés au sort. La mise à (...)
  • 19  La concurrence entre tendeurs existe également mais elle est moindre en raison de l’évolution de l (...)

34La rétention des savoirs, des captures et plus largement le silence attaché à la pratique recouvre plusieurs niveaux de significations. A l’époque où la tenderie était une activité lucrative, pratiquée à grande échelle, le secret visait à maintenir à l’écart toute une frange de la population (Jamin, 1977). Il s’agissait de limiter autant que faire se peut le nombre de tendeurs sous peine de réduire la superficie allouée à chacun. Ce phénomène n’a plus cours aujourd’hui en raison de la limitation des pièges et de la réduction du nombre de pratiquants, néanmoins des phénomènes de concurrence perdurent entre chasseurs et tendeurs. La superposition de ces activités sur le territoire, à la même période de l’année génère, en effet, des conflits d’usage. Les chasseurs reprochent aux tendeurs de déranger le gibier par leur présence fréquente et répétée dans la forêt, tandis que ces derniers dénoncent les nuisances (perturbation de la tranquillité) et les dégâts occasionnés par la chasse dans les sentiers de tenderie. Ces querelles se cristallisent au moment de l’adjudication des parcelles de tenderie, étant donné qu’une fraction non négligeable d’entre eux dispose du double statut (chasseur et tendeur)17. Certains chasseurs, en devenant eux-mêmes tendeurs, autrement dit en participant au “jeu” des adjudications, se sont arrogés un pouvoir de contrôle sur le territoire, en sanctionnant les déviants au moyen de la surenchère18. Les tendeurs soupçonnés de braconnage ou outrepassant la réglementation des deux mille lacs en vigueur sont ainsi montrés du doigt. L’influence des chasseurs est d’autant plus grande qu’ils exercent un rôle de premier plan dans la vie politique locale. L’enjeu consiste, en effet, à allouer le territoire communal aux chasseurs locaux rassemblés en association et plus largement à garantir un mode de gestion du patrimoine forestier compatible avec le maintien des droits d’usage évoqués précédemment. Les tendeurs se trouvent donc dans l’obligation de composer avec leurs rivaux19. Et c’est là encore sur le terrain de la ruse qu’ils opèrent. Certains déploient un véritable arsenal de précautions visant à limiter l’intrusion des chasseurs et des rabatteurs dans leurs sentiers. L’attention portée à dissimuler leurs empreintes sur la terre fraîche, le “camouflage” de l’entrée de la grivière, l’aspect sinueux des parcours, l’arrêt brutal d’un trait, l’élaboration de plusieurs sentiers n’ayant aucun lien entre eux répondent à cette préoccupation. Certains n’hésitent pas à tendre un fil à coudre en travers du trait. Bien tendu, il peut être utilisé comme moyen dissuasif ; manière de signifier au “malfaiteur” qu’il est surveillé. D’autres indices renseignent également le tendeur comme ces fils tissés par les araignées en travers du sentier et qui viennent se plaquer au visage. “Si y’en a, c’est bon signe ; personne n’est passé avant vous.”

35Dans un univers où chasseurs et tendeurs sont amenés à cohabiter, où les voisins les plus proches sont aussi les concurrents les plus immédiats, il y a lieu de faire preuve d’une grande discrétion à l’égard de ses semblables. D’où l’existence d’une culture du secret qui mêle divers registres : la réserve, le mensonge, la duperie. La rétention du savoir et des connaissances s’inscrit en outre dans une stratégie identitaire. Plus les compétences dévolues à l’un ou l’autre membre sont importantes plus le tendeur bénéficie d’une reconnaissance, d’un statut aux yeux du groupe (chasseurs et tendeurs). Dans cette zone frontalière et fortement boisée où l’on voue un culte particulier à la roublardise, à la dissimulation à travers la figure du braconnier, les « bons » tendeurs sont des êtres auxquels on voue respect et admiration (Fortier, 1991, b).

Conclusion

36Les savoirs détenus par les tendeurs sont étroitement associés à l’acte de faire. Ce sont des savoirs pratiques mobilisés en vue d’optimiser une action, un résultat. Ils font appel à des connaissances très fines du milieu et de l’éthologie animale, mais reposent également sur un savoir-faire fondé sur un ensemble hétérogène de compétences qui relèvent à la fois d’un savoir-voir, d’un savoir-ruser, d’une aptitude à juger, d’une capacité à saisir les occasions, les opportunités. Cette forme d’intelligence pratique outre qu’elle requiert un apprentissage « sur le tas » et une grande expérience, se laisse difficilement appréhender où de manière partielle par le discours et l’observation. Il s’agit pour l’essentiel de savoirs incorporés qui donnent rarement lieu à un travail d’explicitation. Mais la faible propension des tendeurs à verbaliser leurs connaissances tient également à la complexité des phénomènes en cause qui rend aléatoire tout énoncé à caractère général. Confrontés à des réalités polymorphes et conscients de l’impossibilité de tout maîtriser, la plupart se montrent prudents en raisonnant le plus souvent en référence à des situations concrètes. Prudents, les tendeurs le sont également à l’égard d’autrui. Ils font montre d’une grande méfiance entre eux et vis-à-vis des chasseurs avec lesquels ils sont en concurrence. Ces luttes internes justifient également le silence et la discrétion dont ils font preuve quant à leur savoir-faire, leurs astuces et l’importance de leur butin.

37La spécificité de ces savoirs pratiques conduit à s’interroger sur leur possible prise en compte dans les dispositifs d’action collective à côté d’autres formes de savoirs, scientifiques, techniques fondés sur des énoncés abstraits, généraux et rigoureux. La confrontation de ces divers modes de connaissances présente un certain nombre de difficultés. Parce que les savoirs locaux sont considérés comme incertains, relevant davantage de l’intuition que de la raison et de l’exactitude, parce qu’ils échappent en partie à la verbalisation et donc sont difficilement accessibles, parce qu’ils sont parfois assimilés à des croyances, ils sont souvent ignorés ou font l’objet d’une faible attention. Pourtant ces savoirs sont bien réels même s’ils obéissent à d’autres codes et d’autres logiques que les savoirs scientifiques et techniques. Et d’ailleurs sont-ils vraiment insaisissables ?  L’enquête ethnographique réalisée dans le cadre de cette recherche fournit des éléments de réponse. Les compétences mobilisées par les tendeurs se laissent difficilement  appréhender, y compris dans le cadre d’une démarche fondée sur l’observation participante. Pour y parvenir, l’ethnologue se trouve contraint d’effectuer un détour par l’apprentissage qui requiert une présence de longue durée sur le terrain nécessaire à la familiarisation avec son objet. L’enquête révèle en outre qu’en dépit du caractère secret de cette activité, la pratique reste accessible à l’ethnologue désireux de l’étudier. Elle constitue même dans les circonstances présentes, du fait des tensions avec les chasseurs et les écologistes, un moyen pour les tendeurs de la faire reconnaître et de la légitimer. Cependant, il est probable que ces derniers se montreraient réticents à participer à de tels dispositifs construits sur le modèle de la gouvernance. Les tendeurs mais ceci vaut également pour les adeptes de certaines activités « libres et sauvages » comme la cueillette, certaines formes de pêche ou de chasse, voient souvent d’un mauvais œil ces procédures qu’ils perçoivent comme des tentatives de remise en cause de leur mode de rapport à la nature et au milieu à travers une volonté de limiter voire d’interdire leur activité. D’où leur faible propension à s’inscrire dans ces dispositifs d’actions collectives qui sont par ailleurs incompatibles avec la culture du secret et de la dissimulation sur laquelle se fondent leurs pratiques.

38Ceci n’exclue pas que des savoirs pratiques relatifs à des activités nettement plus codifiées comme l’agriculture et la sylviculture et non fondés sur la logique du secret puissent être confrontés à d’autres formes de connaissances (scientifiques, techniques, etc.). L’intégration effective de ces savoirs pratiques suppose, comme on l’a vu à propos de la tenderie, la réalisation d’études préalables visant à informer et à nourrir les discussions, mais elle dépend également de la capacité de l’acteur en charge d’animer et de coordonner les débats à instaurer un dialogue entre les différentes parties en présence. Celui-ci, un peu à la manière de l’ethnologue chargé de mettre au jour les savoirs incorporés, se doit de jouer le rôle de passeur, de médiateur entre ces différentes formes de connaissances. Ce qui suppose dans l’un et l’autre cas de raisonner à partir de situations concrètes, au plus près du terrain et des pratiques. Le recours à des dispositifs d’actions collectives en référence au principe de la gouvernance apparaît donc susceptible de favoriser la prise en compte des savoirs locaux pour certains types d’activités, mais il s’avère inadapté pour d’autres.  

Biographie

39Agnès Fortier est ethno-sociologue à l’Institut National de la Recherche Agronomique. Ses travaux portent pour l’essentiel sur la multiplicité des formes d’appropriation de la nature et les conflits d’intérêts et de légitimité qu’elles suscitent entre acteurs porteurs d’intérêts, de conception de l’usage de l’espace et de savoirs différentiés. Elle a notamment consacré sa thèse à l’étude des usages sociaux de la forêt dans une perspective anthropologique. Actuellement, ses recherches portent sur la mise en œuvre de politiques publiques conduites au nom de la biodiversité (directive Européenne Habitats, Orientations régionales de gestion de la faune sauvage et des habitats ORGFSH) et sur les processus d’écologisation de l’espace rural. Elle s’intéresse plus particulièrement à la construction sociale de ces normes et au processus cognitifs qui les accompagne.

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Notes

1  Les matériaux de cette recherche sont issus d’un travail de terrain effectué dans le cadre d’une thèse de doctorat centrée sur les usages forestiers communaux en Ardenne (A. Fortier, 1991, a).

2  Expression qui désigne l’acte de parcourir les sentiers de tenderie en vue de relever les captures.

3  J. Jamin un joué un rôle précurseur dans la connaissance de cette activité. Il est à l’origine d’une série d’analyses sur lesquelles nous nous appuierons.

4  Sont rangés dans cette catégorie « certains procédés de capture, rattachés à des traditions locales ou régionales, à caractère spécifique, fondés sur le simple droit coutumier et qui sont entrés, depuis longtemps déjà, dans les mœurs » (H. Sallenave, 1982).

5  Données de la Préfecture, 1989.

6  Au maximum 2000 par installation.

7  Du 15 septembre au 31 octobre.

8  Les prédateurs pouvant être aussi des humains, les « chapardeurs » de grives.

9  M. Détienne, J. P. Vernant,  1978,  opus cité p.10.

10  Le régime alimentaire des turdidés est essentiellement carnivore ; composé de lombrics, larves, chenilles, etc., auxquels s’ajoutent des fruits et des baies de toute sorte.

11  Arbres réservés par les forestiers, lors des coupes, dans le but de servir de porte-graines.

12  Termes locaux désignant les cépées. Il s’agit d’un ensemble de brins ou de rejets émanant d’une même souche.

13  Parcelles de forêt destinées à satisfaire les besoins en bois de feu des villageois.

14  Peuplement forestier constitué de rejets de souches.

15  Petit panier rigide et fermé, spécialement conçu pour la tenderie. Le boudet ou bodet est fabriqué localement à partir de brins de noisetier.

16  La dissimulation des grives peut être également interprétée comme une stratégie dans la distribution des captures (Jamin, 1977). Une volonté de garder la maîtrise et le contrôle de la destination des prises.

17  Le territoire de chasse est loué à l’association communale dont les membres résident dans la localité ou entretiennent des liens de parenté avec des familles domiciliées au village.

18  Les lots de tenderie sont établis sur la base du parcellaire communal et tirés au sort. La mise à prix est fixée à 100 francs (année 1988). Le montant de la location de certaines parcelles peut atteindre 800 à 1000 francs par le jeu des enchères.

19  La concurrence entre tendeurs existe également mais elle est moindre en raison de l’évolution de la pratique et de la diminution des enjeux liés à la pratique. Lorsqu’elle a lieu elle s’apparente souvent à une vengeance, un « règlement de compte ».

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References

Electronic reference

Agnès Fortier, « Des savoirs locaux insaisissables ? L’exemple de la tenderie aux grives en Ardenne », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 6 Numéro 3 | décembre 2005, Online since 01 December 2005, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/2429 ; DOI : 10.4000/vertigo.2429

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Agnès Fortier

ethno-sociologue, chargée de recherche à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), Unité Mona, Ivry-sur-Seine  fortier@ivry.inra.fr

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