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Dossier : Les actions collectives pour gérer l'environnement

Environnement et migration : les difficultés d'une communauté rurale andine (El Terrado, Potosi, Bolivie)

Marie-Laetitia Guilbert

Abstracts

2 000 miles high in the mountains, between Sucre and Potosi, El Terrado is a small rural Quechua community of 80 families. Most of the time, the crops are not sufficient for the families to be able to feed on year round, and there is no other existing source of work. Hence, in order to cope, men emigrate from three to six months a year towards the region of Santa Cruz de la Sierra, where they are for hire in the sugar cane and cotton plantations.

The constraint is high, and the dwellers do not really want to leave their land and community. Electrical power has been available in the community for four years now, and they have developed their water supply thanks to the building of a dam, of reservoirs and wells. They also have installed a healthcare center and built a community house, as well as several workshops.

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Full text

Introduction

  • 1  - Trois séjours en Bolivie (janvier-juillet 2001, juillet 2002-janvier 2003 et décembre 2003-juin (...)

1Cet article expose certains résultats issus d’un travail de terrain1 réalisé en Bolivie, dans le département de Potosí, à mi-distance entre Sucre et Potosi, dans la communauté d’El Terrado, à 3 200 m d’altitude.

2Les relations qu’entretiennent les membres d’El Terrado avec leur environnement, leurs représentations de l’espace, la permanence des croyances sur leur milieu, sont les bases de leur mode de vie. Selon eux, l’environnement est un espace de vie, un lieu où s’opère l’échange entre l’homme et la nature : l’homme ne peut vivre sans la terre, et la terre ne peut vivre sans l’homme. Mais ces perceptions du milieu sont de plus en plus troublées par la perte du respect de la nature, causé, entre autre, par la modernisation. Parallèlement, les terradeños cherchent quelles sont leurs perspectives de développement, c'est-à-dire l’amélioration de leurs conditions de vie actuelles, tout en préservant leurs ressources naturelles, vitales pour la survie de la communauté elle-même. L’étude menée montre les paradoxes entre la volonté d’améliorer les conditions de vie à El Terrado, et la nécessité d’émigrer afin d’obtenir les revenus supplémentaires nécessaires pour y vivre. Il s’agit ici de montrer pourquoi, alors qu’ils le reconnaissent eux-mêmes, la communauté se développe aux niveaux de ses infrastructures, de nombreux paysans continuent d’émigrer occasionnellement et temporairement vers les villes, et quelles sont les conséquences pour eux et leur communauté. L’Etat, les ONG et les acteurs indépendants interviennent à travers des programmes d’amélioration du milieu de vie. Ils ont comme objectif de maintenir les paysans sur leurs terres dans de meilleures conditions et de leur permettre d’y vivre en limitant leur émigration. Malgré tout, les terradeños balancent entre émigration et développement de leur lieu de vie.

3Durant ce terrain, plusieurs outils d’enquête ont été utilisés : l’observation (présence lors d’assemblées, d’évènements communautaires ou familiaux, cérémonies traditionnelles ou religieuses, fêtes, etc.), la participation à certains travaux (garder les animaux, vanner les petits pois, récolter le maïs, etc.). Pour les entretiens semi directifs, quelques informateurs ont été privilégiés. Si les questions des entretiens étaient préparées, souvent les sujets abordés déviaient, s’étalaient et permettaient d’aborder d’autres thèmes. De nombreuses discussions informelles avec les terradeños, habitants de la communauté d’El Terrado, se sont déroulées au gré des diverses occasions de la vie sociale.

  • 2  - Santa Cruz, capitale du département du même nom, est par son économie et sa démographie, la seco (...)

4Depuis les années 1940, les communautés connaissent de grands bouleversements dont la migration spontanée. Ce mouvement de population s’effectue des Andes vers la capitale La Paz, les yungas et les villes telles que Santa Cruz2 ou Cochabamba, et l’Amazonie. Le mouvement vers la forêt a été favorisé par les politiques d’aménagement en faveur de cet espace. Les communautés de l’Altiplano sont parmi les plus démunies. S’il y a exode rural, c’est que la terre ne nourrit plus. L’agriculture de la Sierra n’est pas la priorité des gouvernements et les paysans ne sont guère pris en compte dans les reformes agraires.

5La région d’El Terrado est semi-désertique et l'absence de systèmes d'irrigation rend en général les récoltes insuffisantes pour que les familles puissent se nourrir toute l'année. Il n'existe pas non plus, localement, de source de travail. Par ailleurs, les terres dont héritent nombre de jeunes sont insuffisantes pour envisager d’y maintenir leur famille. Pour faire face à l'absence de ressources financières, les hommes sont souvent contraints de partir de trois à six mois par an pour travailler, notamment dans la région de Santa Cruz (280 km au nord-est d’El Terrado) où ont lieu les récoltes de canne à sucre et de coton. Ils se rendent également dans le Chaparé, dans le département de Cochabamba (à 200 km au nord), où il faut compter aujourd'hui avec la répression en cours contre les cultivateurs de feuilles de coca, les cocaleros. L’agglomération de Sucre (50 km au nord-est), chef-lieu du département de Chuquisaca,est le centre commercial de la région, productrice de fruits et de blé et les raffineries de pétrole, les cimenteries, l'agroalimentaire constituent l'essentiel de l'activité industrielle. Le secteur tertiaire prend de l'importance et est une source potentielle non négligeable de travail.

6Si depuis les années 1960 le phénomène migratoire est connu dans la région étudiée, il s’est particulièrement manifesté et intensifié à partir de 1982 en raison de la grande sécheresse causée par El Niño. Moins importante de nos jours, la migration reste toutefois un mouvement de population rythmant la vie de la communauté.

Une communauté paysanne andine : état des lieux

Contraintes générales du milieu

7La Cordillère des Andes traverse l’occident de la Bolivie du nord au sud et s’étend sur 1 100 kilomètres. Elle se divise en deux chaînes, orientale et occidentale, séparées par un large plateau : l’Altiplano. La Cordillère Orientale se divise en deux Cordillères : la Cordillère Real et la Cordillère Centrale.

8Dans le département de Potosí (figure 1a, 1b), la Cordillère Centrale est composée de quatre chaînes. Ce département montagneux englobe :

  • Des punas, hauts plateauxsitués au-dessus de 3 500 mètres, dominés par des reliefs atteignant 5 000 mètres d’altitude ;

  • Des vallées entre 2 000 et 2 800 mètres ;

  • Des « têtes de vallées » intermédiaires entre 2 800 et 3 500 mètres ;

  • Ces têtes de vallées aux terres réputées fertiles, aptes à l’agriculture et à l’élevage, se localisent sur le versant oriental de la Cordillère des Andes, entre les basses vallées et les plateaux de haute altitude. Le climat y est tempéré.

  • 3  - Le terme espagnol de « campesino » est difficile à traduire en français à cause de son enracinem (...)

9A El Terrado (figure 1b), petite communauté campesina3 ou paysanne quechua au nord-est du département de Potosí, dans la partie sud-ouest de la Bolivie.  L'ensemble de la région de la communauté d’El Terrado, est dominé par des chaînes de montages, entrecoupées de ravines profondes, creusées par de petits cours d’eau.

10Couvrant environ 7,47 Km², la communauté d’El Terrado se situe entre 2 300 mètres dans le lit Pilcomayo, et 3 356 mètres d’altitude au sommet du Jatum Orcko, la Grande Montagne en langue quechua. Le centre géographique (et social) de la communauté se trouve à 3 200 mètres. La communauté d’El Terrado dispose d’un climat tempéré et sec. Toutefois, l’étagement topographique de la communauté produit des micro-climats variés et localement très contrastés.

11L’alternance des saisons et leur bon déroulement sont vitaux pour les cultures. Trop précoce ou trop tardive, trop ou trop peu abondante, la pluie commande l’agriculture. A El Terrado, l’année se divise en deux saisons bien distinctes :

  • La saison des pluies, relativement chaude, se situe entre les mois de septembre et de février-mars. La période la plus chaude se présente en octobre ou novembre (avec des températures de l’ordre de 15-20°C le jour). Les pluies deviennent plus importantes en décembre, janvier et février. Il fait moins chaud le jour, mais moins froid la nuit. Les chutes de grêle sont un phénomène peu fréquent (deux ou trois forts orages de grêle par an) et ponctuel, qui n’affecte que certains secteurs.

Figure 1. Carte de la Bolivie et du village d’El Terrado. (Source pour la carte de la Bolivie :  Franqueville, 2000)

  • La saison sèche, nettement plus froide, s’étale durant sept mois, d’avril-mai à septembre-octobre avec des températures inférieures à 10°C.

  • 4  - San Ignacio de Loyola (basque espagnol, 1491-1556) créa la Compagnie de Jésus à Paris, le 15 aoû (...)

12Les pluies deviennent plus importantes en décembre, janvier et février. La communauté d’El Terrado reçoit une moyenne annuelle de 440 millimètres d’eau selon les données de l’ONG ACLO, Acción Cultural Loyola4. Cette quantité de pluie est sujette à des variations inter-annuelles, notamment avec le phénomène périodique de El Niño. En général, celui-ci se traduit dans les Andes boliviennes par une diminution notable des précipitations et une légère augmentation des températures. El Niño de 1982-1983 fut particulièrement violent et ravageur : les paysans d’El Terrado l’ont toujours en mémoire car il les a particulièrement marqué.

13Les précipitations étant faibles à El Terrado et les saisons sèches très marquées, il est fondamental de différencier l’hydrographie temporaire de l’hydrographie permanente.  Durant la saison des pluies, la communauté peut compter sur une eau relativement abondante. Le réseau hydrographique fonctionne et les ravines s’écoulent vers le Pilcomayo et le versant de Vila Vila. Cependant, en saison sèche, le débit des ruisseaux est très faible voire inexistant dans la plupart des cas.

14L’approvisionnement en eau de la population, provient principalement des puits. Toutefois, cette eau n’est pas destinée aux champs ou aux animaux, car El Terrado se situe dans une région d’agriculture non irriguée et soumise aux régimes des précipitations, dont les principales cultures vivrières sont composées de maïs, de pommes de terre, de blé, d’orge, d’avoine et de fèves.

15Clairsemée et peu diversifiée, une grande partie de la végétation originelle a été détruite pour la mise en valeur agricole, l’élevage et l’extraction de bois, notamment au cours de la période coloniale pour ravitailler les hauts fourneaux d’argent. Le manque d’humus lié à la maigre couverture végétale, entraîne une érosion naturelle forte, aggravée par l’action de l’homme et les animaux. Les arbres et les arbustes sont très épars et quasiment tous sont exploités pour le bois de feu et pâturés par les chèvres.

16En 2000 selon ACLO, 20 % des terres de la communauté d'El Terrado sont érodées. En général, les terres fragiles perdent leur fertilité rapidement. L’agriculture sur les pentes, l’excès de pâturage, la construction inadaptée de chemins ou de routes et la déforestation ont contribué et contribuent encore à provoquer l’érosion des sols. Après avoir été dégradée, la terre se récupère extrêmement lentement. Les sols, qui avaient été habilités à l’agriculture ont peu à peu été abandonnés suite à leur lessivage accru.

Le contexte économique et social : cadre de vie et lieu de départ

  • 5  - ABNB – EP – Aguila 1561, 4.

17La communauté paysanne d’El Terrado a pour origine l’établissement d’une hacienda dont les premières références d’archives remontent à 15615. Les indiens travaillent dès lors comme paysans de l’hacienda. L’indépendance, en 1825, change peu leur condition (Hernaiz et Pacheco, 2001). Tous les habitants de la communauté travaillent pour l’hacienda d’El Terrado.

18Un tournant est marqué en 1952 par la réforme agraire et le départ des propriétaires de l’hacienda. Presque dix ans plus tard, si une partie des terres de celle-ci sont redistribuées aux paysans, certaines ont du être achetés par les terradeños.

19En 1999, attirés par la possibilité d’avoir l’électricité et de se rapprocher de leurs champs, ils se sont installés dans ce qui est aujourd’hui le centre de la communauté. La plupart des habitations sont aujourd'hui construites dans un périmètre de 200 mètres autour de l’hacienda.

20Selon les données d’ACLO (2000) et les descriptions des paysans eux-mêmes (2004-2005), 50 familles d’El Terrado sur 80 possèdent entre trois et quatre hectares de terres, douze familles ont moins d’un hectare et huit familles disposent de plus de cinq hectares. En moyenne, sur trois ou quatre hectares de terres que possèdent les paysans, seul un ou un et demi, rarement plus, est apte à la culture. Le reste des terrains est utilisé pour faire paître les animaux. Il n’y a pas de bonne terre qui ne soit cultivée.

21La majorité des familles possèdent des terrains sur l’ensemble des terres de la communauté : Cependant El Terrado n’offre pas une grande variété de niveaux écologiques. Chacune des familles a entre cinq et dix petites parcelles disséminées sur l’ensemble du territoire de la communauté. L’agriculture ne prend pas seulement en considération l’étage écologique des versants, mais également l’orientation des parcelles, la provenance du vent et l’effet d’abri. En répartissant les cycles agricoles en fonction des orientations et des étages d’altitude, les paysans étalent les semailles et les récoltes. Le paysan évalue ses besoins, ses possibilités et gère ses risques. Il estime la nécessité de cultiver une parcelle éloignée et le temps qu’il lui faille y passer. Leur culture dépend de facteurs comme la distance, la topographie locale et des travaux à effectuer.

22Sur l’ensemble du versant du Pilcomayo, orienté vers l’est, les traces de terrasses se distinguent aisément et « les récoltes y étaient fructueuses il a une trentaine d’années » explique un paysan. De même, sur les pentes du Jatum Orcko, de nombreux petits terrains en terrasses sont cultivés. Cependant, le travail de terrassement et de construction de murs ne donne pas toujours les résultats escomptés, et accroît la difficulté du travail sur ces terres car l’utilisation des bœufs pour les labours n’est pas toujours possible. Des murets sont construits la plupart du temps en aval des parcelles. S’ils freinent l’érosion, ils ne l’empêchent pas.

23L’ensemble des recensements démographiques de la communauté d’El Terrado, réalisés par un habitant lui-même, repose sur des entretiens familiaux et différentes réunions de la communauté. Cependant, ce mouvement permanent de population rend difficile les évaluations. Effectivement, l’émigration saisonnière vers Santa Cruz pour trouver du travail se généralise et varie selon les années : des retours ont lieu, ainsi que quelques départs définitifs.

  • 6  - Le taux national de fécondité s’élève à 4,8 enfants par femme, selon l’institut National des Sta (...)

24Les premières données datent de 1999, effectués à la demande d’ACLO. Elles dénombraient 86 familles, c’est-à-dire environ 500 habitants, avec une moyenne de 5,9 enfants par famille6. Si certaines femmes ont jusqu’à dix enfants, la majorité des familles compte entre trois et cinq enfants. Le recensement de 2001, fait état de 80 familles, c'est-à-dire environ 394 personnes vivant dans la communauté.

25Un dernier recensement, le 06 mai 2003, comptabilise 89 hommes et 91 femmes, donc seulement 180 personnes au total, enfants inclus. Il souligne l’importance de l’émigration à Santa Cruz de la Sierra. Ces informations montrent que la population de la communauté d’El Terrado, serait passée de 500 habitants à 180 entre 1999 et 2003.

26Comme partout dans les Andes, les activités économiques de la communauté (agriculture, élevage et artisanat) sont les seules sources de revenus, que souvent les habitants complètent avec les revenus de l’émigration. Jusqu’à 1983, les habitants d’El Terrado couvraient à peu près leurs besoins essentiels (alimentation, vêtements, scolarité) par leur agriculture et leur élevage. Mais la sécheresse causée par El Niño de 1982-1983 a rompu le fragile équilibre économique des habitants de la communauté, qui ne s’en sont jamais remis. La baisse soudaine et rapide des productions agricoles conduisit une partie des familles à partir en ville à la recherche d’un travail pour palier cette difficulté supposée passagère à l’époque.

27Si la saison des pluies et l’évolution des températures rythment le calendrier agricole et déterminent les périodes de semences et de récoltes, l’ordre de rotation des cultures n’est pas fixe. Il ne dépend pas seulement de la fertilité du sol, mais également des besoins de chaque famille (en concertation avec les parents, les frères et les soeurs), des semences disponibles, du climat (si les pluies viennent plus tôt ou plus tard).

  • 7  - Le quinoa est une plante herbacée annuelle de la famille des Chénopodiacées. Elle est cultivée p (...)

28La production agricole des habitants d’El Terrado se compose d’un minimum de dix espèces de cultures. Hormis la pomme de terre commune (Solanum tuberosa), sont cultivées une vingtaine d’autres tubercules de la même famille. Une dizaine de variétés de maïs (Zea mays) pousse jusqu’à 3 600 mètres et se conserve très bien pendant plusieurs années. Le blé (Triticum spp.), l’orge (Hordeum vulgare), l’avoine (Avena sativa), les petits pois (Pisum sativum) blancs, semi-blancs, jaunes et vert-noirs, ainsi que les fèves (Vicia faba) sont aussi cultivés. Le quinoa7 (Chenopodium quinoa) est semé à la volée en bordure de champs. Les familles possèdent toutes des pieds de courges (Cucurbita maximá), de citrouilles (Cucurbita fisipholia) et ceux qui ont des jardins irrigués tentent d’y faire pousser des concombres (Solanum muricatum) et des melons. Parmi les arbres fruitiers, seuls sont présents des poiriers (Pirus), des pommiers (Malus punila ou domestical), des pêchers (Prunus persica rosacea), la tuna ou figue de barbarie (Opuntia ficus indica) et le tumbo. Les paysans ayant construit des jardins cultivent aussi des légumes : principalement des carottes (Dancus carota), des oignons (Allium cepa), des choux pommés (Brassica oleracea capitata), des laitues (Lactuta sativa) et quelques plants de tomates (Solanum iycopersicum). Poussent également de la vigne (Vitiss spp), des cassissiers (Ribes nigrum), des groseilliers (Ribes rubrum) et des mûriers (Murus alba ou nigra).

29Dans un même champ, sont toujours mélangés : les pommes de terre avec des fèves et des petits pois, du maïs avec des haricots rouges, le quinoa et le maïs ou avec des pommes de terre. La pomme de terre précède en général la culture du maïs et d’orge car elle consomme plus d’engrais. Puisqu'en général on ne fertilise pas les céréales, le quinoa est semé après une année de culture de pommes de terre. Sur sa parcelle, le paysan cultivera, par ordre d’importance : ¼ de pommes de terre, ¼ de maïs, ¼ de fèves, de petits pois et de quinoa, et ¼ de céréales (blé ou orge ou avoine). Le surplus de pommes de terre ou de maïs, et éventuellement de céréales, sera échangé ou vendu. D’une manière générale, ce surplus ne dépasse pas 10-15 % de la totalité d’une production.

30En outre, les rotations de culture permettent de maximiser les rendements sans ajouter d'engrais chimique. Elles permettent aussi de limiter les attaques de maladies et de parasites.

31Il y a une vingtaine d’années, cette rotation se réalisait sur un minimum de sept ou neuf ans, avec deux ans de jachère possibles sur une période de dix ans. Aujourd’hui, la fertilité des terres s’affaiblissant, les rendements diminuent. Pour obtenir au moins autant que les années précédentes, les paysans cultivent des terres qu’ils devraient laisser en jachère. Désormais, les cycles se font sur cinq ou quatre ans, et la plupart du temps sur trois ans. Cette tradition de rotation des cultures s’écourte toujours plus. C’est un cercle vicieux qui entraîne plusieurs conséquences : les animaux allant paître ailleurs, il y a moins de fumure sur une terre déjà sans repos.

  • 8  - Wañu ou guano : engrais animal, provenant normalement les excréments des oiseaux marins.

32Les paysans utilisent peu de fertilisants autres que l’engrais naturel, le wañu8 provenant de la fiente de leurs chèvres, moutons et poules. Avec environ une trentaine de chèvres, les paysans peuvent obtenir une cinquantaine de sacs d’engrais naturel. Insuffisant pour l’ensemble de leurs terres, ils le répartissent en fonction des terrains les plus épuisés et qu’ils ne peuvent pas laisser en jachère.

33Depuis les années 1986-1987, suites aux difficultés causées par El Niño et à travers les interventions extérieures, les engrais chimiques firent progressivement leur apparition à El Terrado. Selon les explications des paysans, ces fertilisants permettent l’amélioration de la production pendant cinq ans environ, puis le rendement diminue. Les paysans ayant utilisé les engrais chimiques sont revenus à l’utilisation d’engrais naturel. Mais ils ont observé que « les semences s’habituent » : semées avec des produits chimiques, elles ne produisent presque plus ensuite avec de l’engrais naturel.

34L'agriculture et l'élevage sont interdépendants : « il est vital d’avoir des chèvres et des moutons car ce sont eux qui donnent l’engrais naturel, la viande et le lait, pour l’alimentation, pour la production. Sans bœuf ou sans engrais naturel, il n’y a pas d’agriculture » explique un terradeño. L’agriculture et l’élevage doivent se succéder sur la même parcelle pour permettre un temps de jachère et l'enrichissement de la terre grâce à la fumure animale.

35Le cheptel d’animaux domestiques comptant pour les habitants d’El Terrado, se compose de poules, de chèvres, de moutons, d’ânes, de cochons et de bœufs. Les animaux sont encore plus nécessaires pour ceux qui n’ont pas de terre : ils constituent un précieux capital une « caisse d’épargne » face aux aléas économiques. Ils sont un moyen de survie par l’alimentation qu’ils représentent et par l’épargne qu’ils constituent, car ils peuvent être vendus en cas de nécessité.

36Les bœufs tiennent une place particulière dans le monde rural andin. Avec un ou deux hectares de terres cultivables, les paysans en possèdent toujours deux au minimum, car un seul ne servirait pas : « les bœufs sont l’outil de travail principal pour l’homme. Sans bœuf nous ne pourrions pas travailler ici : c’est lui qui laboure, bute, etc. c’est un animal de première nécessité » explique un habitant. Les bœufs peuvent aussi fournir de la viande et du cuir.

Les rapports des paysans avec leur environnement

La représentation de leur espace

37Pour les habitants d’El Terrado, le lieu où se déroulent toutes leurs activités est leur espace de vie. Considérer l’environnement comme une simple ressource, c’est séparer les uns des autres les éléments qui la composent (eau, terre, minéraux, végétaux, arbres…) alors que les terradeños déterminent leur espace comme étant « le lieu où [ils] vivent, la communauté et tout ce qu’il y a [à l’intérieur] ». Ainsi l’espace est le lieu où « les plantes sont comme nous, où il y a l’air, l’eau, les fleurs, les fruits ; là où l’on naît, se reproduit et meurt, les hommes comme les plantes » analyse une habitante. En effet, les habitants de la communauté catégorisent leur espace en lieux, évènements et êtres, selon l’état et l’influence qu’ils ont sur leur vie. Cet espace représente avant tout, pour ses habitants, un ensemble où se localisent leurs terrains, leurs animaux et leurs lieux de vie.

38Dans leurs perceptions, comme dans l’ensemble du monde andin (Albo,1998; Bouysse-Cassagne, 1987) les paysans de la communauté reconnaissent l’existence de trois espaces distincts, mais non séparés : hanaj pacha (hanaj : haut, pacha : espace-temps), le monde d’en haut ; kay pacha (kay : ici), ici et maintenant, le monde d’ici, des hommes, des animaux et des plantes ; ukhu pacha (ukhu : dessous et à l’intérieur de), le monde sous-terrain ou du dessous.

39Le monde du dessous est un mystère pour les terradeños. Un paysan âgé explique qu’on lui a autrefois enseigné à l’école, que les habitants de l’ukhu pacha sont petits et vieux, et qu’il leur a fallu douze ans pour sortir de terre par des orifices qui se situent au pôle Nord et au pôle Sud. Toutefois, maintenant, il « ne sait plus, car les choses changent » raconte un ancien. Les jeunes hésitent aussi : « je ne sais pas s’il y a des gens qui vivent sous la terre, mais les anciens disent que dans l’ukhu pacha, il existe un autre monde. Mais on ne parle pratiquement plus de l’ukhu pacha aujourd’hui » dit une habitante.

40Mais la plus importante dans l’esprit des paysans, c’est la Pachamama. Littéralement en quechua, la Pachamama, vient du terme Pacha, notion d’espace-temps sacré, et mama, mère. On dit communément en espagnol la Madre Tierra, la Terre Mère, au sens strictement religieux. La Terre-mère est la divinité précolombienne qui représente la fécondité et habite dans les entrailles de la Terre. Elle est la protectrice des paysans, une mère qui s’occupe de ses enfants et leur donne les aliments nécessaires pour vivre et subsister.

  • 9  - Ch’allar (espagnol) ou ch’aller (verbe francisé) : Rite ou cérémonie rituelle consistant à asper (...)

41La Pachamama, participe du monde religieux, comme en témoignent les libations et les offrandes à cette terre nourricière. Le paysan a un profond respect pour cette terre et manifeste continuellement sa déférence envers elle. Il l’évoque dans tous les rites, lui offre des offrandes pour tous les biens qu’il reçoit d’elle. Un indien ne boira jamais sans jeter d’abord une goutte de sa boisson sur le sol, en don-hommage à la Pachamama, c’est ce que l’on appelle ch’allar9.

  • 10  - La k’oa ou q’oa (Borreria latifolia) pousse dans les secteurs d’altitude des vallées interandine (...)
  • 11  - Alcool de maïs fermenté.

42Les habitants vivent en respectant les éléments composant l’espace, dans cet objectif, ils pratiquent la k’oa et les ch’allas envers la Pachamama. Les terradeños expliquent que « faire la k’oa10 signifie brûler de la k’oa sur un petit feu, nous offrons d’abord des feuilles de coca, puis de la chicha11 et de l’alcool. Ce sont des rites à la Pachamama afin qu’elle produise bien (…) que les animaux et les plantes se portent bien ». Elles sont réalisées aussi dans les champs au moment des semences et durant la croissance des plantes, sur les outils de travail, au passage d’un col lors d’un voyage ou lors de la construction d’une nouvelle maison.

43« La Pachamama, c’est la terre, le monde dans sa globalité » affirment les paysans. Ils entretiennent un rapport fondamental avec la terre et leur espace. Les terradeños considèrent qu’il faut avoir de bonnes relations avec les différents éléments qui composent l’espace de la communauté : « La terre, la Pachamama, ce n’est pas seulement pour la semer et pour manger. Nous devons aussi la respecter, la vénérer ». Les récoltes, la santé des animaux et la survie des habitants d’El Terrado dépendent du respect porté aux composantes de l’espace.

44Ainsi, dans les cours intérieurs des maisons, les paysans possèdent un jardinet surnommé la Pachamama, figure mythique de la terre prenant une forme concrète et symbolique dans cet espace de la maison. De quelques mètres carrés, il est particulièrement soigné. Clos afin que personne ne le piétine, c’est un espace sacré de la maison. Les habitants y cultivent quelques plants des principales cultures de la région et des fleurs, cherchant à le rendre le plus beau possible. De ce fait, disent les habitants, la Pachamama est contente et protège la maison et ses habitants.

La permanence des croyances sur le milieu

45Seuls quelques habitants âgés connaissent encore les anciens mythes et contes, mais ne les racontent plus. En effet, pour un homme se voulant moderne, ils sont sans intérêt : « les croyances, c’est ce qui se croyait autrefois » dit un jeune. D’autres terradeños constatent qu’» il y a moins de croyances aujourd’hui qu’il n’y en avait avant. Elles disparaissent car on ne les imagine plus très clairement, et on ne peut donc plus y croire vraiment. Les anciens les redoutent encore, mais les jeunes n’y croient plus à cause de la radio, des livres, de l’école ». Les craintes et les peurs provoquées par tous les incidents qui se produisaient, l’étaient parce que les habitants y croyaient. N’y croyant plus, les éléments et les événements n’existent plus. Dans l’ensemble, les habitants prétendent que toutes les certitudes de leurs parents n’existent plus. En revanche, dès qu’un événement inhabituel survient, les jeunes et les plus âgés voient ressurgir les craintes disparues.

46En outre, pour les habitants, certains lieux de la communauté sont réputés dangereux et risqués : « les sources sont des endroits étranges où il peut nous arriver quelque chose, en particulier la nuit. Les endroits où les gens ne vont pas souvent sont dangereux. Descendre du Jatum Orcko, la plus haute montagne de la communauté, la nuit est aventureux : lorsque le vent se lève, nous ne parlons plus parce que nous pouvons nous sentir mal. Il existe deux sortes de vent : le vent naturel, et l’autre, le mauvais vent » raconte une terradeña. Les personnes âgées expliquent que le mauvais vent ne souffle pas droit, mais à droite et à gauche ou en tourbillon.

47L’arc-en ciel est considéré comme une entité dangereuse pénétrant dans l’estomac par les habitants de la communauté d’El Terrado. Il « vit dans des ravines et aux bords des lacs. Il se déplace à travers l’ensemble le territoire, là où il y a de l’eau, des rivières, des sources et des torrents » explique un paysan. Les terradeños âgés disent que l’arc-en-ciel attaque les gens s’aventurant trop près, en les entourant d’un cercle multicolore. Ils considèrent que prendre de l’eau des sourcesde ces versants "malins" rend malade, car il s’agirait de l’eau du diable.

48L’existence des âmes ne fait de doute à personne. Il existe des âmes querelleuses, et des âmes inoffensives : la différence se fait par les conditions de la mort de l’individu. Les « mals morts », c'est-à-dire les morts sans sépultures chrétiennes, ne peuvent pas monter au ciel et elles pleurent jusqu’à être définitivement et bien enterrées. Les condamnées sont des âmes d’individus, ayant commis de leur vivant, des péchés graves tel un acte immoral. Elles sont affamées et errantes, privées du repos éternel.

49Au même titre, les habitants craignent le diable vivant dans la montagne : ils coupent l’extrémité des oreilles des chèvres à la Saint Jean, afin « que le diable [sache] qu’ils ont un propriétaire » dit un paysan. Ainsi pensent-ils, le diable ne peut pas en devenir propriétaire. Tous les animaux domestiques sont marqués pour être reconnus et protégés : les chèvres et les moutons ont les oreilles coupées, les bœufs, eux, ont une marque sur leur corne.

50La classification des plantes est incertaine : elle n’a rien à voir avec la classification botanique, et il y a presque une vérité par terradeño. Certains paysans prendront la terminaison masculine ou féminine comme références, l’utilité ou l’inutilité de la plante, si elle a des graines ou non, et d’autres la couleur de ses feuilles ou son âge.

51Les paysans respectent toujours ce qu’ils considèrent comme sacré. Par exemple, les différents types de maïs ne peuvent pas être cultivés dans un même champ car il s’agirait d’un péché selon les paysans : « mélanger est presque interdit parce qu’il faut éviter de perdre les graines ». En réalité, les récoltes se font à des époques différentes.

52La « mama sara », l’épi mère du maïs, est un épi particulièrement gros ou un épi double. Il est considéré comme permettant la régénération et la multiplication du maïs. Il en va de même pour la « mama papa », la pomme de terre mère. Le paysan les considère ces produits comme des amulettes ayant un pouvoir multiplicateur. Il les conserve et les vénère « pour remercier la Pachamama de ce qu’elle a produit, et afin qu’elle fasse de même l’année suivante » explique un habitant.

Un panorama des transformations de l’environnement terradeño

53Les habitants de la communauté pensent que la pollution des villes et le mode de vie des citadins, causent de grand préjudice sur l’environnement. Ils savent cependant que la déforestation de l’ensemble de la zone, principalement pour le bois de feu et par les chèvres, y contribue également.

54L’un d’entre eux se souvient de l’aspect de la communauté dans son enfance : « j’ai connu cet endroit quand il y avait encore des arbres (…). En cinquante ans, tout a été gâché. Tous les arbres ont été coupés pour faire du bois. Il n’y a plus un seul grand arbre, plus de grand molle (Schinus molle) ou tarco (Jacaranda acutifolia, Jacaranda minosifolia). Les arbres ne poussent plus autant maintenant ». Les adultes, eux, se remémorent des arbres grands, forts et plus nombreux dans la communauté : « il n’y en a plus, (…) on voit les traces et les souches. Quand j’étais jeune, je me souviens qu’il y avait beaucoup plus d’arbres ». En effet, de nombreux arbres ont aujourd'hui disparu, à El Terrado. Comme dans de nombreuses communautés, la réforme agraire et le démantèlement du système d’hacienda dans les années 1950, donna aux paysans la liberté de couper les arbres pour avoir du combustible. En 1954, les paysans restés sans travail dans l’hacienda d’El Terrado, ont fait du charbon qu’ils vendaient à Potosí (le train en permettait l’acheminement). Par ailleurs, aujourd'hui encore, « pour avoir du bois pour le feu lors des fêtes, des arbres entiers disparaissent » dit une habitante. Le molle, la tipa (Tipuana tipu), le tarco, la jarka (Acacia visco), arbres les plus prospères dans la communauté, sont entrain de disparaître expliquent certains habitants. Ainsi, un paysan se regrette que, depuis une huitaine d’années, les chèvres mangent le molle, et que les bœufs commencent également, « même l’eucalyptus et les t’olas », précise-t-il. Il ne s’explique ce nouveau phénomène que par le manque croissant de fourrage.

55Un autre phénomène attire de plus en plus leur attention : ils constatent les évolutions du climat tout au long des années. Depuis deux ou trois ans, note un habitant, « les moustiques piquent, et il y en a plus vers le fleuve. Les coups de tonnerre sont de plus en plus fréquents, et en septembre, il ne devrait pas y avoir de vent ». Ils ont également remarqué que, depuis cinq ans approximativement, il fait froid à l’ombre alors que le soleil brûle et que tout est sec. Durant les mois de février à avril, précise une habitante, le soleil est beaucoup plus fort qu’avant.

56Précisément interrogés sur les modifications de climat qu’ils constatent, les paysans sont inquiets : les années sont toutes différentes les unes des autres. Les extrêmes deviennent fréquents : les années sèches et pluvieuses sont beaucoup plus marquées. De plus, l’arrivée des pluies a été retardée de plusieurs semaines depuis quelques années et dans les souvenirs des habitants, les parents ou les grands-parents, parlant des saisons, n’évoquaient pas de périodes sèches telles qu’aujourd’hui. Les semences et les récoltes s’en trouvent perturbées. La culture de la pomme de terre est compromise lorsque la période des pluies varie. Si en 2001, les pluies sont arrivées très tôt, à la saison agricole suivante, les pluies sont arrivées très tard, en janvier 2003 seulement. Un terradeño explique : « maintenant la pluie vient plus tard, ce n’est pas qu’il n’y a plus de pluie, c’est qu’elle arrive plus tard et d’un seul coup ». Le mois de mai devrait être le début de la saison froide, alors que les gelées surviennent en fait plus tôt. Il assure, comme de nombreux habitants, que les productions agricoles étaient antérieurement plus importantes. Et selon les paysans, les pommes de terre étaient grosses comme le poing d’un homme et les épis de maïs étaient plus gros et plus longs.

57Ces affirmations des terradeños sont corroborées par des études réalisées par les agronomes de Consulta Sur (Morales Sanchez, 1999), une ONG située à Sucre, et travaillant dans le domaine agricole. Ces experts agronomes soulignent la tendance générale à la réduction de la production agricole. Les saisons des pluies tendent à se déplacer et arrivent plus tard qu’autrefois, ce qui pose problème car le temps des cultures se réduit. Les terres et la production agricole sont affectées par l’évolution du climat, et par la baisse de fertilité des terrains, causée principalement par l’érosion.

Quelques initiatives locales d’interventions sur l’environnement

58Depuis la fin des années 1990, les habitants d’El Terrado sont sollicités pour établir des projets. Petit à petit, l’intervention et la présence des différents acteurs dans la communauté, ACLO, les religieuses et Solidaridad El Terrado, amènent les paysans à les réaliser.

59ACLO est une entité privée bolivienne fondée en 1966 pour travailler à la promotion du développement des paysans dans les départements de Chuquisaca (Sucre) et Potosí. Ses actions se situent au niveau du renforcement de leurs capacités économiques, productives et politiques, afin que les paysans puissent se prendre en charge. ACLO travaille précisément avec les habitants d’El Terrado depuis maintenant une douzaine d’années. Pendant longtemps, toutes les tentatives d’intervention ont échoué. Les terradeños acceptent finalement la proposition d’aide d’ACLO en 1983 après le passage de El Niño. Cette année-ci, plusieurs organisations s’unissent pour élaborer le “Plan Sequia 83” (Programme Sécheresse 83). La communauté reçoit des semences de pommes de terre, de blé, d’orge et des engrais chimiques. Cependant, agriculteurs et donateurs constatent et reconnaissent le semi échec de cette aide, car les semences produisent peu.

60En 1992, trois sœurs de Charles de Foucauld, francophones et européennes, ont choisi de vivre à El Terrado. Afin de témoigner, par une présence quotidienne dans la communauté, de l’existence de Dieu, elles expliquent la religion catholique et transmettent ses valeurs aux habitants. En effet, c’est au travers de divers réalisations pour elles-mêmes, que les sœurs prouvent qu’il est possible d’améliorer le quotidien à El Terrado (toilettes, cuisine, alimentation, atelier des femmes et des enfants, etc.). En matière d’hygiène, d’alimentation équilibrée et de santé, et par leur manière de vivre, elles sont un modèle.

61Les soeurs ont eu une action particulière dans les domaines de la santé, des enfants et des femmes, en instaurant une dynamique. Les religieuses encouragent et soutiennent les habitants à persévérer dans leur recherche de progrès.

  • 12  - Le Nouveau Larousse Médical de 1993 donne de cette maladie la définition suivante : « Maladie pa (...)

62L’arrivée de la dernière ONG en 1999, l’association française Solidaridad El Terrado, agit dans les domaines de la santé, de l’habitat et la formation du groupe des femmes. Elle participe à la lutte pour éradiquer la maladie de Chagas12 par la fumigation de toute la région et à la formation de Comités de Salud (Comité de Santé), aide à la construction et l’amélioration des réservoirs d’eau communautaires et familiaux et à la création d’une « décharge ». Cette association s’est retirée en avril 2004, laissant deux habitants de la communauté en charge et responsables de sa pérennité.

  • 13  - Selon l’expression « algo debe fallar ».
  • 14  - Concernant les effets asséchants de l’eucalyptus, consulter Ellenberg, 1981 ; Kamal Tolba, 1982 (...)

63Suite à des cours dispensées à Potosí par ACLO et des émissions radiophoniques éducatives en quechua transmises par cette même ONG, une dizaine de paysans de la communauté tentent de protéger leur environnement en replantant et en protégeant les arbres comme les molles, les tipas, les pins (Podocarpus spp.) et les pêchers. Mais, après avoir planté près de 400 pieds d’espèces natives en 1999, presque toutes sont mortes en quelques mois sans raison, explique un habitant : « les molles poussent seulement lorsqu’ils sont semés avec les graines, quand nous les transplantons à partir des petits sacs plastiques, ils ne donnent rien, quelque chose doit être défaillant »13. En outre, ces plants offerts par ACLO ont une croissance extrêmement lente, d’environ 15 ans, et ne correspondant pas aux attentes des paysans. L’eucalyptus (Eucalyptus globulus myrtacea), lui, est facile à transplanter, il croît rapidement dès qu’il a un peu d’eau, et il fournit du bois. Quelques terradeños ont néanmoins remarqué ses effets asséchants14 : « où il y a des eucalyptus, il n’y a plus rien qui pousse autour et la terre devient sèche en 5 ans ».

64La difficulté se situe à la limite entre les besoins immédiats de la vie quotidienne et la préservation de l'environnement et des ressources.

65Récemment, la Bolivie a confirmé l’importance des communes à travers la décentralisation territoriale, reposant notamment sur la Loi de Participation Populaire du 20 avril 1994. Ses objectifs sont de permettre l’amélioration de la qualité de la vie des habitants à travers leur participation aux prises de décision. La décentralisation distribue ainsi les pouvoirs à de nouveaux acteurs et institutions pouvant gérer, répartir et contrôler les ressources financières, matérielles et humaines. La municipalité devient l’unité territoriale de base de la participation sociale.

66La communauté d’El Terrado a obtenu la personnalité juridique depuis le 29 avril 1997. Les habitants l’ont demandée, et acquise, afin de pouvoir obtenir des financements pour des objectifs collectifs à travers la Loi de Participation Populaire. Ainsi, les terradeños établissent, chaque année, des projets qui sont transmis à la municipalité de Betanzos. Si les autorités municipales choisissent et retiennent un projet, elles établissent un programme et passent un contrat avec les entreprises exécutantes.

67Les terradeños veulent aujourd’hui avoir l’eau potable et l’eau pour irriguer. Ils optent cependant, après réflexion, pour l’eau d’irrigation en premier lieu puis ensuite l’eau domestique : « pourquoi avoir de l’eau potable si nous ne pouvons pas semer » explique l’un d’eux. La possibilité d’irrigation et l’obtention d’eau potable sont deux priorités.

68Afin de recueillir l’eau de pluie, d’infiltration ou de ruissellement, les familles ont l’habitude de creuser de grandes excavations à proximité de leurs domiciles. Ces réservoirs mesurent approximativement 2 m³.  Le puits du Tambo, est le premier puits de la communauté. Sa construction laborieuse dura trois ans. A la suite de sa construction, les habitants ont souhaité doter leur communauté d’autres puits ainsi que de réservoirs d’eau.   Il y a, depuis 2003, trois puits dans le centre de la communauté ; des réservoirs d’eau collectifs dans les différents secteurs de la communauté ; des réservoirs individuels. Même si l’eau n’est pas potable, il s’agit d’un changement considérable, non pas seulement pour les habitants qui les utilisent, mais pour l’ensemble de la communauté.

69Grâce à un très long travail communautaire, les habitants ont construit un important réservoir d’eau dans le centre, à côté de la Maison de Santé, d’où son nom. Son volume est de 70 m³. L’eau le remplissant provient directement des toits de tôle de la Maison Communautaire. En pleine saison des pluies, il se remplit en seulement quelques jours. Les habitants prennent l’eau au robinet, situé à une dizaine de mètres du réservoir.

70Trois autres projets d’assainissement de l’eau répartis dans la communauté ont également été réalisés. Ces constructions se composent de trois parties où l’eau descend par gravitation : le réservoir, le lavoir et l’abreuvoir. Le plus imposant se situe à la source principale et pérenne, se situe à moins d'un kilomètre du centre d'El Terrado. L'eau de la petite rivière coule en abondance durant la saison des pluies et elle est totalement sèche le reste de l’année.

71Une petite retenue construite entre 2000 et 2004, en amont du centre de la communauté, permet d’approvisionner les réservoirs-tampons. Ceux-ci servent à irriguer les champs des huit paysans situés au-dessous. La fin de la saison de pluies ne permet pas de m maintenir le niveau d’eau du réservoir, et il diminue de manière conséquente à partir des mois de mars-avril. Un paysan a creusé un réservoir profond de deux mètres et large de six sur huit mètres environ. La moindre petite pluie lui permet de collecter et de garder cette eau si précieuse. Par le ruissellement de toute la pente en amont, ce réservoir se remplit en quelques heures en début de saison des pluies.

72Il y a peu de déchets dans la communauté : les terradeños brûlent tout ce qui n’est pas biodégradable ou comestible. De plus, l’électricité a indirectement permis la diminution d’un certain nombre de déchets polluants pour l’environnement, comme les piles pour les radios, radio-cassettes et lampes de poches. Trois ou quatre grands tonneaux ont fait office de poubelles pendant quelques mois. Mais Solidaridad El Terrado a décidé de faire un nettoyage total de la communauté et créer une « décharge ». Une grande fosse va être creusée et tous les déchets éparpillés sur l’ensemble du territoire seront collectés, et jetés dedans. Celle-ci sera comblée ensuite.

Vivre à El Terrado : un binôme ambivalent

Partir : les causes de la rupture

73Depuis les années 1980, Santa Cruz connaît un afflux d’émigrants et la population de la ville, désormais la seconde du pays, a décuplé. Son activité commerciale en fait presque la capitale économique de la Bolivie.

74Dans la communauté d’El Terrado, Santa Cruz a aussi la préférence des candidats à l’émigration temporaire. Viennent ensuite le Chaparé et Sucre. En effet, à Santa Cruz, les émigrants constituent une part de la main d’œuvre agricole lors des récoltes de canne à sucre, de coton, de riz ou de soja. Quelques paysans partent travailler quelques mois à Sucre afin de satisfaire des besoins d’argent urgents et ponctuels Les femmes accompagnant leur mari « vont juste leur faire la cuisine. Elles doivent aussi s’occuper de leurs enfants. Quelques-unes travaillent avec leur mari à la coupe de la canne » explique l’une d’elle. Elles peuvent aussi devenir domestiques ou employées de maison. Certaines tissent et vendent leur production.

75Chaque année, en hiver, la communauté se vide. L’émigration couvre principalement les mois de mars à octobre, c'est-à-dire lorsque l’activité agricole de la communauté est minime et que les femmes peuvent faire face aux travaux. Parfois des familles entières émigrent durant les périodes de vacances scolaires. A la fin du mois de juin, par exemple, quelques familles partent à Santa Cruz pour un mois. Certains chefs de famille partent dès la fin du mois de mai, mais tous sont de retour pour la fête de la Toussaint. Si quelques familles restent toutefois à Santa Cruz, beaucoup reviennent à El Terrado au début du mois de décembre pour les fêtes de Noël et du nouvel an, puis repartent juste après le carnaval en mars-avril.

76La migration est traditionnelle dans les Andes. Seules les modalités de l’émigration actuelle changent. Elle permet une diversification des lieux de production et d’approvisionnement alimentaire. Cette recherche de complémentarité des productions agricole était déjà pratiquée avant l’arrivée des espagnols (Morlon, 1992 ; Murra, 1975 ; Troll, 1987). En effet, les populations se déplaçaient périodiquement sur des terres éloignées afin d’y cultiver des produits différents de leurs communautés d’origine. Aujourd'hui, les habitants des zones rurales émigrent pour satisfaire des besoins monétaires.

77Les zones rurales sont de plus en plus dépendantes des villes et la migration devient une nécessité. La diminution de l’isolement des communautés entraîne parallèlement une augmentation des ventes de produits agricoles, et donc des revenus monétaires, mais pas forcément une amélioration du niveau et de la qualité de vie car apparaissent parallèlement de nouveaux besoins et de nouvelles envies. Par exemple, les habitants d’El Terrado remarquent que depuis le début de la migration, la consommation alimentaire ne se limite plus à la production de la communauté, mais qu’ils achètent d’autres produits tels que l’huile ou de la coca. En outre, l’argent est très vite redépensé. Dès qu’il y a de l’argent dans un foyer, il est utilisé, bien ou mal, mais il n’y a pas de notion d’économie. La notion de paupérisation et d’investissement n’existe pas. La recherche d’argent a un but spécifique : l’argent doit être destiné à quelque chose de déterminé (achat de cuisinière, animaux, terrains,etc.)

La pression foncière et la dégradation des terres

78La pression foncière, la dégradation des terres et les changements environnementaux pèsent sur la décision des terradeños quant à un départ. Ils constatent la déprédation lente et progressive de leur environnement. Leur développement et leur avenir sont irrémédiablement liés à celui-ci. Sa dégradation constante, de plus en plus intensive, et les changements profonds (pluie, érosion, déforestation, etc.) se poursuivant, les paysans imaginent difficilement leur développement. Ils se sentent désarmés. Comme une fatalité, les campesinos répètent souvent que « la nature que nous avons, nous sommes entrain de la terminer. La vie va mourir » ou « la nature n’arrive pas à se remettre. La terre aussi est en train de disparaître avec l’érosion. Une grande partie est déjà perdue. Je me rends compte maintenant, que quand j’étais petite, il y avait des endroits cultivés qui produisaient bien et que la terre devient de la pierre aujourd'hui, car tout a été lavé » explique une paysanne. Il est effectivement difficile d’évaluer jusqu’où se détériorera la production agricole familiale, quels seront les futurs investissements en matière d’infrastructures de base, ou s’il se développera une nouvelle source de revenus dans la région. Les habitants évoquent malgré tout le futur de leur communauté d’El Terrado avec beaucoup d’espoirs, mêlés à nombreuses craintes. Cet exemple d’El Terrado peut s’appliquer à de nombreuses communautés en Bolivie et dans l’ensemble des Andes.

Développement et émigration : une cohabitation

79En quatre ans, la communauté a considérablement évolué. A l'ensemble des constructions améliorant l'environnement et les conditions de vie des habitants de cette communauté, s’ajoutent deux programmes, l’un concernant l’artisanat et les femmes, l’autre l’agriculture et les hommes :

  • le groupe des femmes : il s’apparente aujourd'hui à une micro-entreprise qui fabrique et vend sa production artisanale. Les femmes ont suivi des formations, dont la couture, et surtout elles ont appris à lire, à écrire et à compter.

  • un groupe d’homme qui s’est formé autour de la construction de la retenue d’eau. La construction, l’amélioration et le fonctionnement de la retenue se remarquent au fur et à mesure des saisons. Petit à petit, il a atteint ses objectifs et est même aller au-delà. En effet, sept nouveaux réservoirs ont été construits dans les parcelles des paysans et ils possèdent aussi maintenant chacun leurs jardins.

80Cependant, l’aboutissement réussi des projets de développement n’a pas arrêté l’émigration. A la fois pour mener à bien l’amélioration individuelle de leur condition de vie et par manque de moyens financiers afin d’acquérir le nécessaire, les candidats à l’émigration vers Santa Cruz sont toujours aussi nombreux. Cette singularité et ce dynamisme spécifique à El Terrado font d’elle un modèle pour les autres communautés et villages de la région. Les terradeños souhaitent rester vivre dans leur communauté, mais est-ce possible sans la migration ? Les projets pour améliorer les conditions de vie et les absences temporaires d’une partie de la population émigrant en ville, démontrent cette contradiction qui est en même temps complémentaire.

81Les émigrants pensent constamment à leur retour : leur départ est motivé par leur retour (Cortès, 2000). Leur idée et leur volonté de retour créent ce mouvement perpétuel entre Santa Cruz et El Terrado. Leur retour n’est jamais définitif, tout comme leur départ. Ainsi le retour ne doit pas être considéré isolément, mais avec une signification par rapport à un projet qui anime ce mouvement (Ibid).

L’émigration, quels impacts pour les paysans

82Les terradeños mettent l’accent sur un nouveau problème critique : la perte des savoirs agricoles. La transmission aux plus jeunes ne se fait plus. Ils expliquent que la diffusion des connaissances traditionnelles passait par la présence permanente des enfants et des jeunes auprès de leurs parents et grands-parents. Les réalités de la communauté et les activités menées, sont des éléments fondamentaux de la connaissance : les enfants travaillent avec et pour leur famille. Ils apprennent ainsi à découvrir et connaître leur environnement, la nature, les coutumes et les traditions. Familles et voisins transmettent leurs savoirs. Auparavant, ce schéma unique était nécessaire à la survie de la communauté. Désormais, l’instruction scolaire est aussi indispensable et la transmission du savoir de la communauté l’est tout autant. L’équilibre n’a pas encore été trouvé. Les parents en sont conscients : ils envoient leurs enfants à l’école tout en se gardant le droit de les faire revenir lorsqu’ils ont besoin d’eux pour les travaux agricoles.

83C’est pourquoi, « les jeunes migrants à Santa Cruz ne savent plus cultiver aussi bien que leurs parents et leurs champs ne produisent pas autant » explique un paysan. En effet, les parents ou la famille proche travaillent et veillent sur les champs lorsque les jeunes sont à Santa Cruz. Ceux-ci reviennent parfois passer une année à El Terrado et repartent ensuite en ville. Si les traditions et les coutumes se perdent, le savoir-faire dans le domaine agricole également. Un habitant explique que le plus grave, pour lui, est que les jeunes allant à Santa Cruz, ne savent plus cultiver les terres, « ils ne savent plus faire produire et il n’y a pas à manger ». Sans production agricole et sans nourriture, ils retournent à Santa Cruz pour gagner de l’argent afin de pouvoir vivre.

Conclusion

84La principale raison de la migration est de pouvoir satisfaire les besoins que l’agriculture ne couvre pas. Les revenus du travail d’un émigrant permettent ainsi à une famille de vivre. Pour certains jeunes, les terres dont ils héritent étant si insuffisantes pour envisager une vie descente et y maintenir leur famille, qu’ils préfèrent laisser leur lieu d’origine et tenter leur chance dans les villes ou dans des zones de colonisation.

85Dans les années 1970, les terradeños revenaient de l’émigration temporaire à Santa Cruz avec un peu d’argent, mais aussi avec du sucre, du riz, une table ou un lit. Cependant, l’usage de l’argent perçu lors de l’émigration diffère en fonction du niveau de responsabilité de l’individu. Le responsable de famille investit son argent pour faire face à des nécessités vitales : achats d’outils, de semences, de vêtements, de matériels scolaires, de produits alimentaires variés pour diversifier l’alimentation. Aujourd'hui les jeunes dépensent leurs économies à l’achat de bicyclettes, de vêtements, de chaussures à la dernière mode, de radios et de lecteurs de CD qui forment, la plupart du temps, des trophées décoratifs.

86Qu’il s’agisse de la communauté d’El Terrado ou de toute autre communauté andine bolivienne, il est évident qu’il n’est pas possible de faire vivre une communauté s’il n’y a pas les infrastructures de bases minimales ainsi qu’une population permanente. Et, à l’inverse, s’il n’existe pas de population permanente, il n’y a pas de développement possible, de constructions d’école, de postes sanitaires et d’infrastructures routières.

87Il n’en demeure pas moins qu’on peut s’interroger sur l’utilité d’investir dans des infrastructures comme l’école, un hôpital, le réseau téléphonique, une route et un pont, si les populations partent. Mais à l’inverse, faut-il s’étonner que si, faute d’investissements, les habitants émigrent là où ils trouvent des conditions de vie meilleures : un travail pour les hommes, un lieu de vie sain, une école et l’eau potable pour les femmes et les enfants. Les projets de développement permettent la réalisation d’un certain nombre de constructions indispensables, mais elles n’ont pas la vocation à devenir une source de travail. Aussi les migrations continuent-elles d’obéir aux mêmes impératifs de survie et à la nécessité de travailler.

88Les zones reculées et difficiles d’accès se dépeuplent peu à peu inexorablement, conséquence, entre autre, d’un abandon de la part des services publics. Néanmoins, en améliorant les infrastructures de base de ces communautés, cette migration peut être ralentie. Ces départs avec retours, freinent les départs définitifs d’une partie de la population, même si l’attrait de la ville en termes de travail et de chance de réussite, reste trop puissant pour le stopper complètement. Il faut donc agir sur les conditions de vie pour faire en sorte, aussi, que les personnes voulant émigrer temporairement ou définitivement vers les villes, puissent le faire en ayant toutes les chances de réussir leur intégration.

89Les paysans remarquent que leur respect de la nature diminue avec la « modernisation ». Le meilleur exemple est celui du Camino Real, le Chemin Royal, datant de la Colonie espagnole : il fut élargi en déracinant et en saccageant les vieux molles qui le bordaient. En partie arrachés, les troncs restent sur le bord du chemin. « S’il n’y avait pas eu les machines pour l’entretien du chemin, nous n’aurions pas coupé les molles », disent-ils maintenant. Un habitant reconnaît que « quand on n’a pas le matériel, avant de couper un molle, on réfléchit longtemps pour être sûr que c’est nécessaire et on cherche une autre solution. Lorsqu’on a le matériel, on coupe, on arrache et on réfléchit après. La soi-disant utilité est, en fait, un superflu ». Autrefois, sans moyens techniques et financiers, les hommes prenaient le temps de réfléchir et de penser. La technologie ne les y autorise plus : la vitesse est un facteur nouveau que les paysans ne maîtrisent pas. Ils sont surpris par l’immédiateté. Une crainte de cette vitesse, et non de son fait même, se dégage de leur propos. Se superposant, ces deux notions de temps posent problèmes. Une anxiété découle du décalage dans la conception du temps. Ces rythmes divergent et perturbent : la spirale de la modernisation, et par conséquent du développement, va de plus en plus vite, les aspire et les inquiète. La rapidité de la technologie ne leur permet plus le temps de la réflexion.

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Notes

1  - Trois séjours en Bolivie (janvier-juillet 2001, juillet 2002-janvier 2003 et décembre 2003-juin 2004), dans le cadre d’une thèse de doctorat en géographie : Guilbert Marie-Laetitia, « El Terrado (Potosí, Bolivie), une communauté andine face à son devenir », Université Paul-Valéry, Montpellier III, octobre 2005, 223 p.

2  - Santa Cruz, capitale du département du même nom, est par son économie et sa démographie, la seconde ville du pays et la ville la plus riche et la plus dynamique du pays.

3  - Le terme espagnol de « campesino » est difficile à traduire en français à cause de son enracinement dans la culture andine. Il signifie « petit paysan ». Il s’agit d’un agriculteur exploitant une superficie très réduite.

La « comunidad campesina », communauté paysanne, désigne l’organisation sociale de base dans les Andes. Ce concept fait référence « à un espace dans lequel évolue un groupe déterminé de population rurale » (Platt in Pacheco, 1996 : 38). Une communauté est un tout où fusionne la culture, le territoire et la vie communautaire de ses habitants. C’est aussi une unité économique entretenant des relations avec les autres collectivités locales. « La communauté campesina andine est une entité imprégnée d’une conjoncture historique spécifique et qui ne peut être analysée sans prendre en compte la société globale dont elle fait partie » (Spedding et Llanos, 1999 : prologue).

4  - San Ignacio de Loyola (basque espagnol, 1491-1556) créa la Compagnie de Jésus à Paris, le 15 août 1534, approuvée par Rome en 1540.

5  - ABNB – EP – Aguila 1561, 4.

6  - Le taux national de fécondité s’élève à 4,8 enfants par femme, selon l’institut National des Statistiques en 2002 (INE).

7  - Le quinoa est une plante herbacée annuelle de la famille des Chénopodiacées. Elle est cultivée pour ses graines riches en protéines et est parfois considérée comme une céréale. Cette culture est traditionnelle des hauts plateaux andins.

8  - Wañu ou guano : engrais animal, provenant normalement les excréments des oiseaux marins.

9  - Ch’allar (espagnol) ou ch’aller (verbe francisé) : Rite ou cérémonie rituelle consistant à asperger le sol d’une petite quantité de liquide par terre comme offrande et honneur à la Pachamama, avant de boire, ou sur un animal avent son sacrifice. La ch’alla, la libation, a également lieu à destination des champs au moment des semences et à certains moment durant la croissance des plantes, sur les outils de travail, à la construction d’une nouvelle maison et au passage d’un col lors d’un voyage.

10  - La k’oa ou q’oa (Borreria latifolia) pousse dans les secteurs d’altitude des vallées interandines du département de Cochabamba.

11  - Alcool de maïs fermenté.

12  - Le Nouveau Larousse Médical de 1993 donne de cette maladie la définition suivante : « Maladie parasitaire, observée en Amérique Centrale et en Amérique du Sud, due à un flagellé vivant dans le sang, Trypanosoma cruzi, et transmise à l'homme par les déjections infectantes de triatomes (punaise, trypanosomiase américaine). Le parasite pénètre activement chez l’homme par voie muqueuse (conjonctive) ou cutanée ».

13  - Selon l’expression « algo debe fallar ».

14  - Concernant les effets asséchants de l’eucalyptus, consulter Ellenberg, 1981 ; Kamal Tolba, 1982 ; Zoomers, 1988.

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References

Electronic reference

Marie-Laetitia Guilbert, « Environnement et migration : les difficultés d'une communauté rurale andine (El Terrado, Potosi, Bolivie) », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Volume 6 Numéro 3 | décembre 2005, Online since 01 December 2005, connection on 22 May 2013. URL : http://vertigo.revues.org/2441 ; DOI : 10.4000/vertigo.2441

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